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Sentimental/Romanesque
Jemabi : Une chance sur deux
 Publié le 28/06/24  -  5 commentaires  -  8256 caractères  -  44 lectures    Autres textes du même auteur

La maison du sourire ou la maison du chagrin ?
La maison du sourire est la maison du chagrin !


Une chance sur deux


Elle possédait deux maisons. Non, ce terme est impropre. Il s'agissait en réalité de deux appartements qui respectaient une symétrie parfaite. Si dans le premier, cuisine et salle de bains se trouvaient à droite, alors dans le second, ces mêmes pièces se situaient du côté gauche. Le reste de chaque logement répondait à la même règle d'une disposition inverse.

Dans l'un, j'étais certain de trouver mon amie, mais j'étais aussi certain de me heurter à une humeur massacrante. À chaque fois, elle faisait comme si je n'étais pas là, et ne m'adressait la parole que pour me demander de partir. Elle désirait rester seule, ce que je comprenais tout à fait. La blancheur de son visage, ses cernes, témoignaient d'ailleurs d'un état semi-dépressif. Elle m'assurait qu'elle était phobique et ne bougeait jamais de chez elle ; j'étais prêt à la croire. Je m'éclipsais en douceur, heureux quand même de l'avoir revue.

Dans l'autre, j'étais presque certain de trouver porte close. Parfois, j'avais beau insister, sonner et resonner, nul ne répondait. J'en concluais qu'elle sortait beaucoup et je songeais avec mélancolie à tout ce que je perdais. Car si par hasard je tombais sur elle dans cet appartement-là, elle sautait à mon cou et me manifestait sa joie de multiples façons, toutes très agréables. Tout en en profitant, je doutais avoir affaire à la même personne, tant la différence était criante. C'était pourtant bien elle, j'en veux pour preuve que quand j'évoquais ce mystère qui la dotait au moins une fois sur deux du don d'ubiquité – quoique n'en étant pas doté moi-même, je n'avais jamais pu le vérifier – elle se fâchait ou rigolait selon l'endroit où j'abordais la question, mais toujours elle se souvenait avec précision du moment et des conditions dans lesquelles on en avait déjà parlé.

Peu à peu, je pris l'habitude de ne me limiter qu'à une seule et même adresse, au risque de m'exposer à la déception de l'avoir manquée. Tous comptes faits, je préférais repartir déçu plutôt qu'être mal reçu.

Autre singularité d'un charme unique que je renonçais à analyser : quelle que soit la maison, elle refusait d'admettre être là et tentait de me faire croire qu'elle était en réalité dans l'autre. Dans la première, je l'accusais de mensonge. Dans la seconde, je rentrais volontiers dans son jeu, ce qui pouvait donner lieu à un dialogue pour le moins surprenant.


– À quoi tu penses, mon chéri ?

– À quoi veux-tu que je pense avec toi à mes côtés ?

– Je te répète que je ne suis pas là !

– C'est vrai, excuse-moi, j'avais oublié.

– Eh oui mon cher, il faudra attendre encore un peu pour me voir.

– C'est vraiment dommage que tu ne sois pas là ! Tu imagines le nombre de choses qu'on aurait pu faire tous les deux. Mais même si ce n'est pas toi, je suis content de t'avoir à mes côtés.

– C'est moi ! Qui veux-tu que ce soit ?

– Tu viens de me dire que tu n'es pas là, c'est forcément que tu es ailleurs.

– Oui, je suis chez moi, dans mon autre appartement. Passe me voir demain, si tu veux.

– Je n'y manquerai pas. Mais ce ne sera pas facile de patienter.

– Un jour de plus ou de moins.

– C'est maintenant que j'ai envie de toi.

– Alors il te faudra attendre.

– Attendre quoi ?

– De venir chez moi, pardi !

– Je suis déjà chez toi.

– Mais moi je n'y suis pas ! Tu ne serais pas sur le point de me tromper, toi, par hasard ?

– Tant que c'est avec toi, ça reste entre nous.

– Laisse-moi ! Tu me déçois beaucoup, tu sais. Je te croyais un peu plus fidèle. Coucher avec moi alors que je te crois chez des amis, je trouve ça dégueulasse. De mon côté, je regarde sagement la télé, et toi, pendant ce temps, tu ne penses qu'à me tromper. C'est ça que tu veux ?

– Rassure-toi, tu n'en sauras rien.


Le matin de son anniversaire, j'avais décidé d'arriver de bonne heure afin de la réveiller avec un ravissant bouquet de fleurs à la main. Inutile de préciser que j'avais choisi la maison du sourire, pas celle du chagrin. Vu l'heure à laquelle j'arrivais, j'étais pour une fois certain de la trouver. Devant la porte, au moment de frapper, je m'aperçus que celle-ci était entrouverte, comme si mon amie, déjà levée, était prête à sortir, manie qui m'exaspérait au plus haut point. J'échafaudais en vain quelques plans visant à l'obliger de rester.


– Qui est là ? entendis-je.


J'avais dû faire du bruit. D'un pas plus silencieux, je pénétrai à l'intérieur sans répondre. Un bruit d'eau m'indiqua qu'elle était en train de prendre sa douche, ce qui contredit ma première impression : elle ne comptait pas mettre le nez dehors, du moins pas pour l'instant. À l'idée de fêter son anniversaire en tête à tête, au moins pendant une heure, j'eus envie d'annoncer mon arrivée en fanfare, mais je sus me retenir.


– Qui est là ? répéta-t-elle sur un ton taquin.


J'allais lui répondre en me moquant « pas toi, en tous cas » lorsque je compris pourquoi la porte était ouverte. Moi qui espérais la piéger, j'avais dû commettre, à un moment ou un autre, une erreur grossière qui lui fit saisir mes plans avant même qu'ils ne soient arrivés à échéance. En me voyant par la fenêtre, elle s'était fait une joie, par l'une de ces flèches qu'elle adorait me décocher, de démonter jusqu'au bout mon hardie entreprise. Indirectement remis à ma place, et peu à l'aise dans le rôle de l'arroseur arrosé, je décidai de m'en amuser, afin de tirer un tant soit peu mon épingle du jeu. C'est donc en essayant de garder mon sérieux que je m'exclamai, espérant bien la faire douter :


– C'est le concierge !


Maintenant devant la salle de bains, je discernais sa svelte silhouette à travers le rideau de la douche. Je me voyais déjà la revêtir de sa superbe sortie de bain posée un peu plus loin.


– Ah, c'est toi ! répondit-elle. Je finis de me rincer et je suis à toi, mon chéri. Remarque, il n'est pas interdit de me rejoindre, à moins que tu aies encore du travail dans les escaliers.


Cette dernière phrase me glaça si brutalement que, bien qu'ayant commencé à avancer, je reculai aussitôt. Ce qu'elle ajouta ne fit que me confirmer une pensée qui s'annonçait douloureuse.


– Tu n'es pas très bavard aujourd'hui, dis-moi. Ne me dis pas que tu es déjà fatigué. Je te rappelle que je ne suis pas aussi libre que je le voudrais, d'autant que c'est mon anniversaire aujourd'hui et mon mec risque de débarquer à l'improviste. Alors, si tu veux, si tu le veux vraiment, c'est tout de suite qu'il faut me rejoindre.


Ma blague devenue mystification fonctionnait à tel point qu'elle se retournait contre moi, me donnant ainsi la sensation de jouer dans cette histoire le rôle du mari alors que j'étais censé jouer celui de l'amant. J'étais puni pour avoir forcé le hasard, pour l'avoir cru de mon côté. Quant à mon amie, je l'aurais préférée absente, elle faisait moins mal quand elle était réellement ailleurs. C'est alors que je réalisai que j'avais frappé à la mauvaise porte. Aveuglé par un trop-plein de clinquant, je m'étais égaré et trompé de maison. Celle-ci, décidément trop accueillante, possédait l'impardonnable défaut d'attirer une concurrence prête à brouiller les identités. J'aurais dû y penser. Heureusement qu'il me restait l'autre, avec la même fille à l'intérieur en beaucoup plus sage. Si je me dépêchais, j'avais juste assez de temps pour la saisir au lever du lit en lui souhaitant bon anniversaire, mon cadeau à la main. Mes fleurs avaient peu de chance de lui plaire, et mon invitation surprise encore moins, mais ma place désormais était là-bas plus qu'ici. J'étais resté trop longtemps là où je n'aurais jamais dû être. Je reculai en silence, pressé d'être dehors afin de courir rejoindre celle que j'avais si souvent délaissée au profit d'elle-même.

Par la porte d'entrée que j'avais laissée entrouverte, je vis alors arriver un jeune homme dont le sourire se figea en m'apercevant. Pour dissiper sa gêne, je lui fis signe d'avancer.


– Je ne suis pas là… lui chuchotai-je pour le mettre à l'aise, et je ne pus m'empêcher de lui tendre le bouquet. Elle vous attend !


Il hocha la tête, dans un remerciement confraternel, tandis qu'au loin je percevais encore le joyeux dilemme de celle que je quittais pour mieux aller la retrouver.


– Qu’est-ce que tu dis, mon chéri ? J'ai fini ma douche. Tu es décidé ?


 
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   Donaldo75   
10/6/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
L’exergue m’a intrigué. L’idée de départ de cette nouvelle est intéressante ; au fur et à mesure de ma lecture, l’exergue prend du sens. La progression dramatique est réussie ; je ne m’attendais pas à ce développement et encore moins à ce dénouement. Je trouve que l’ensemble est écrit et raconté avec élégance, sans mettre les petits plats dans les grands ou marcher avec de gros sabots dans des explications narratives pour répondre à une éventuelle question du lecteur du genre « pourquoi les fleurs poussent et le soleil se lève ? » alors qu’il suffit juste de se laisser porter. Ici, je me suis laissé porter par le conteur, surtout avec l’usage de la première personne du singulier qui permet de mieux le voir, le comprendre, l’assimiler ; la nouvelle a pris une coloration presque fantastique tout en restant profondément romanesque.

   Cox   
11/6/2024
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
Bonjour,

Je n'ai pas été convaincu et je le regrette. C'est un texte que j'aurais aimé aimer.

Je pense que c’est une nouvelle ambitieuse. On met rapidement en place plusieurs éléments intrigants qui donnent envie de comprendre la logique :
- Le dédoublement à la Dr Jekyll & Ms Hyde
- L’ubiquité
- Le fait que la fille affirme n’être jamais avec le narrateur
- Le double thème de l’infidélité (la fille l’accuse de la tromper avec elle-même, puis on apprend qu’elle a un amant)

Jusqu’au matin d’anniversaire, j’étais enthousiasmé. Le dialogue absurde m’a bien plu aussi même s'il est un peu circulaire, mais surtout parce que je pensais qu’il mettait en place un mystère qui piquait ma curiosité et que l’auteur allait résoudre. L'énigme s’annonçait originale et construite, les pièces du puzzle étaient en place.

Seulement, quand vient l’épisode principal, je trouve que tout devient soudain très brouillon, confus. Au sortir du texte, le dénouement me laisse perplexe. Il est très possible que j'aie raté quelque chose, mais pour ce que j'en ai compris, la logique du texte me paraît branlante et assez mal exposée. Ce qui m'ennuie, c'est que le récit peut être interprété de 23 façons différentes, et qu'aucune d'entre elles ne me paraît vraiment convaincante ou aboutie:

1) Prosaïquement, on peut simplement lire l’histoire d’une fille dédoublée. Hyde trompe le narrateur alors il décide de filer des jours heureux avec Jekyll. Mais ce serait finalement une conclusion assez peu palpitante. D’autre part, elle n’utilise pas les éléments qui ont été mis en place : pourquoi est-ce que la fille prétend n’être jamais là avec lui par exemple ? Cette résolution me semblerait assez embrouillée et décevante si c’est le cas. Dans ce cas de figure, la moralité me paraît bizarrement formulée: « je vais me mettre avec la dépressive chiante en plan B, parce que personne n’en veut; alors qu’avec la fille qui me plaisait vraiment, il y a trop de « concurrence » ». Mouais, je suis pas sûr que ce soit des bases très saines pour une relation 😄

2) Peut-être que le gars lui-même est dédoublé à l’instar de la fille, et que l’amant qui passe est l’autre version de lui-même. Dans ce cas de figure, peut-être que les allusions au fait que la fille n'est jamais avec lui séxpliquent parce qu'il n'est que "le double", et que le "vrai lui" est toujours avec l'autre version de sa copine. Oui, mais on suppose qu’il l’aurait remarqué. Et d'ailleurs, pourquoi la fille serait au courant de son dédoublement mais pas lui?

3) Peut-être que cette fille est une amie imaginaire, auquel le gars a inventé 2 facettes pour soutenir ses besoins ou ses insécurités du moment. L’ubiquité, l’insistance sur le fait qu’elle n’est jamais là avec lui, suggèrent qu’elle n’est pas réelle. Pas très satisfaisant comme conclusion d’un mystère qui s’annonçait plus original, mais c’est sans doute la plus cohérente. Quid de l’amant dans ce cas ceci dit, une autre hallucination ?

4) Ou alors seule la dépressive existe et il invente l’autre, mais ça ne colle pas avec le fait qu’elles aient une mémoire partagée et qu’elles prétendent toutes deux être dans l’autre maison.

5) Peut-être que c’est le gars qui la trompe depuis le début (comme le suggère la fille), et qu’il s’invente cette histoire de dédoublement pour ne pas admettre qu’il se tape une autre fille moins chiante. Le dénouement serait une vision de lui-même inspirée par sa bonne conscience pour lui faire comprendre que c’est pô bien ? Ça colle au thème de l’infidélité présent en doublon, pas à la mémoire partagée.

23) etc...

Voilà. Grosso modo, c’est le lecteur qui se retrouve obligé d’essayer d’écrire une histoire cohérente et satisfaisante à la place de l’auteur. Et moi, je ne suis pas fan. Je trouve que ça relève d'une facilité d'auteur, d'un texte mal fini.
« La clarté est la politesse de l’homme de lettres », disait Jules Renard. Pas polie, cette nouvelle :p

L'écriture, que j'ai trouvée correcte dans l'ensemble mais parfois un peu lourde, se fait particulièrement approximative et confuse au moment du dénouement :
- « Devant la porte, au moment de frapper, je m'aperçus que celle-ci était entrouverte, comme si mon amie, déjà levée, prête à sortir, manie qui m'exaspérait au plus haut point » -> manque un verbe je pense. Il y a trop d’incises, c’est assez indigeste.
- Je n’ai pas bien saisi tout le passage sur l’arroseur arrosé où il « comprend » (à tort a priori) en plein milieu de rien que la fille a dû le voir venir. C’est long, le langage s’y fait ampoulé et lourd, et je ne vois pas ce que ça apporte.
- Pas compris non plus pourquoi il est « glacé » quand elle répond « ah, c’est toi mon chéri ». Est-ce qu'elle a vraiment cru que c’était le concierge parce que c’est lui son amant ? 😅 La phrase paraît normale et innocente. Pas très clair pour moi.



Ceci dit! C'est un texte original et stimulant d'une certaine façon. Il prête à débat. Après hésitation, je note "j'aime un peu", même si le verbe aimer n'est pas des plus justes; c'est plutôt pour dire que le texte a piqué mon intérêt. Il m'a fait réfléchir un peu parce que j'ai voulu y croire. Et même si je ressors indéniablement déçu, il faut reconnaître que j'ai été investi dans ma lecture. Ça compte pour quelque chose!

   hersen   
1/7/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
J'ai bien aimé passer d'un appart à l'autre, représentant la dualité du narrateur. Un narrateur dans le déni et qui va se réfugier dans le côté sombre d'une relation que peut-être il n'assume pas, dans laquelle il ne trouve pas réellement sa place.
Ce texte a un côté surréaliste qui me plaît beaucoup parce que le lecteur, pas plus que le narrateur, ne sait pas toujours où il en est de l'histoire. En ceci, il épouse les hésitations et questions de ce narrateur.
l'écriture accompagne bien l'idée du texte et c'est pour moi un texte fort réussi !
Merci pour la lecture.

   Jemabi   
4/7/2024

   solinga   
21/7/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
J'adore l'idée de la dualité des demeures, ainsi que l'exergue au seuil.

Le texte rassemble des matériaux propices à d'infinies variations.
Peut-être que dans ces conditions, l'imaginaire du lecteur est fatalement un peu déçu par la détermination d'une direction de récit qui ni ne tranche ni ne dissipe, et pourtant claque la porte d'une malle à possibles.
Mais les narrations ne sont pas là pour complaire aux horizons immédiats des lecteurs, alors malgré moi merci d'avoir choisi les voies d'un dénouement qui aboutit in fine à la belle dissonance d'une frustration gaiement froissée d'implicite.


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