Debout, les poings sur les hanches, ses pupilles dilatées par le feu dévorant de la colère, la belle de ma vie me passait virtuellement par les armes. Ne pouvant pas placer la moindre syllabe pour ma défense, j’essuyai, stoïque, le feu de sa mitraille…si tu préfères, je m’encaissai un enguelo de première dans lequel il était question de me condamner, moi, ad vitam æternam, à la fréquentation assidue de miss veuve poignet loin de mes terres électives
Lorsque mon ex compagne débarqua escortée de la troupe bondissante de ma progéniture, si la tempête s’était apaisée, il flottait encore dans la maison une brise de rébellion féminine suffisamment forte pour lui faire envisager un repli stratégique loin du champ de bataille. J’acceptai avec bonheur sa proposition et la laissai donc repartir en charge de mes filles pour ce week-end. Je pensais ainsi conserver la marge de manœuvre nécessaire à la reconquête de l’avantage dans ce conflit domestique dont Paco était l’artificier involontaire. Après le tonnerre, vint le déluge. Ecroulée sur l’un des confortables fauteuils du salon pur cuir de buffle de Papouasie que nous nous étions offerts lors des Pâques de l’année précédente, celle qui m’accompagnait dans l’existence passait en revue, dans un larmoiement constant, l’ensemble des sacrifices que ma fréquentation lui avait imposé. Je découvrai avec stupéfaction que vivre à mes côtés au quotidien tenait plus de l’épreuve durement subie, que du plaisir partagé. À l’écouter, ces dernières années de vie commune avaient tous les agréments du parcours du combattant. Savoir que pendant qu’elle endurait tous ces tracas, moi, l’auteur de ceux-ci, je me délectais dans les bras d’une pétasse surnommée « Paco » la rendait folle. Comment pouvais-je lui dire, dans ces instants pénibles, que Paco n’était en fait qu’un vieux compagnon d’armes sorti d’un temps où, loin d’Europe je m’étais laissé embarquer dans une guérilla ? Comment lui faire avaler, fusse la vérité et cela l’était ...si, si je t’le jure, c’est du vrai…, que le doux dingue qu’elle prétendait aimer quelques instants plus tôt, fut du temps de sa folle jeunesse, un dangereux soldat de l’anarchie ? Tu y crois toi ? Ah ! Tu vois. Et puis, comment avouer à une gauchiste associant au plus au point l’humanisme et le pacifisme que, plus jeune tu as trempé tes mains dans le sang jusqu’aux coudes ? Là tu vois à quel point je m’enlisais… arrête de te foutre de ma tronche ducon ou je t’explose, là c’est mieux. Tiens, toi qu’est si intelligent, d’un truc comme ça, tu t’en sors comment ?
Doté d’une patience infinie, je pris le parti de laisser passer l’averse avant de tenter de renouer les fils de sa confiance et de regagner sinon son cœur, à tout le moins son estime. Je ne pouvais accepter que la femme que j’aimais me prît pour un amant infidèle… ouais et alors j’aime pas passer pour le salaud de service… Pour sauver autant que possible ce qui restait de mon week-end et de mon couple, il m’apparut urgent que Paco et ma belle se rencontrent. Le bonhomme n’aimerait pas cela, mais elle pourrait enterrer pour de bon sa jalousie féroce. Tout en jouissant par avance de la réconciliation future que ce petit meeting ne manquerait pas de provoquer, je me plantai devant elle. Son visage enfoui dans ses mains et ses longs cheveux blonds rabattus en pluie par-dessus l’ensemble m’interdisaient l’accès direct à son âme, mais je devinai l’accalmie naissante et partis aussi tôt à l’assaut de ma forteresse et lui… tu piges pas, bon je simplifie si tu veux, je lui déballe l’idée… donc, je lui proposai de m’accompagner à mon rendez-vous et, d’ainsi faire la connaissance du « fameux » Paco. Persuadée là qu’il s’agissait d’une manœuvre de dissuasion, destinée à me dédouaner pour mieux filer à l’anglaise commettre une infidélité de plus, ... non, pas avec une anglaise pauv’tâche… ma ravissante s’empressa d’accepter l’invite.
Comme le disait un camarade russe, ou soviétique à l’époque : « Quand la vodka est distillée, il faut vider la bouteille cul sec ». Je dois avouer que la démonstration valait le coup d’œil. Pour me sauver d’un péril conjugal somme tout banal,…ouais, des mecs qui se font prendre la main dans le pot de miel, il y en a toujours eu des tonnes… je prenais le risque de nous entraîner tous les deux dans une aventure des plus dangereuses… autrement dit : « plutôt que de laisser filer ta greluche, si tu peux, fais la buter avec toi ». À ce stade ce n’était plus de l’amour, mais de l’égoïsme bête et méchant. Nous convînmes donc tous les deux, qu’ensemble, nous irions nous enquérir des nécessités absolues que mon ancien camarade d’armes souhaitait faire prévaloir sur l’agrément d’un week-end qui se voulait délectable… ouais, ok, je me mets à ton niveau, c’était parti pour la petite rencontre avec Paco et tu peux remarquer que j’ai toujours rien craché sur Max. Remarque, ça pourra pas durer…Mon initiative payait, la guerre laissait place à la détente, nous n’en étions pas encore à la paix, ni à la tendre réconciliation qui, traditionnellement, doit se dérouler sur l’oreiller, mais cette sérénité retrouvée avait le goût de la victoire. Et comme tout stratège à l’heure du triomphe, je dégustai l’instant sans chercher à penser aux futures batailles dans lesquelles j’aurais tout à perdre… je vais me la traîner à mon rancard avec Paco qui ne va pas aimer ça, mais pas du tout, du tout, et elle n’aimera pas le zig, et encore moins ce qu’elle va apprendre sur Max. Je te rappelle que MAX c’était moi tout de même. Tu vois, je vais encore m’enliser… il va falloir que tu perdes cette habitude de ricaner à chaque fois que je te dis que j’étais dans la merde. Enfin c’est pour toi, si tu veux vivre jusqu’à la fin de l’histoire, il va falloir la boucler... De toutes les façons, les retrouvailles sous la couette devraient attendre, nous avions un rendez-vous urgent et Delphine… Delphine ? C’était son prénom. Je ne t’avais pas affranchi sur ce point ? T’aurais dû le demander plus tôt… s’était réfugiée dans la salle d’eau pour se refaire une beauté. Quant à moi, après moult hésitations, ma blonde enfin absorbée, j’ouvrai le meuble bar pur merisier antique qui ornait le salon de sa sombre et lourde présence, et m’offris un verre de Tequila que je vidai d’un trait. J’espérais trouver dans la brûlante brutalité de ce breuvage le courage d’affronter dignement la soirée à venir. Et sur cet élan, je décidai qu’un deuxième gallon de ce carburant ne serait pas inutile, lorsqu’enfin rafraîchie de superbe, ma douce vint interrompre in extremis ce réapprovisionnement sauvage… Oui, j’te traduis ; pendant qu’elle se repoudrait la face, j’m’entamais une biture à la Tequila sans avoir le temps de me finir. Tu piges mieux là ducon ? Durant mon intermède alcoolique trop vite abrégé, ma sémillante concubine s’était équipée de beau. La délicieuse petite robe noire estivale qu’elle portait s’accordait à merveille avec son teint superbement cuivré et sa somptueuse chevelure dorée, mais cela créait une véritable rupture d’avec l’élégance naturelle qui me caractérisait. Mes cheveux en pétard, mon T.shirt noir défraîchi et mon vieux jean élimé confinaient au plus pur du dandysme, le tout savamment « addité » d’un gros soupçon de Grunge… t’aurais vu la gueule de mes espadrilles !… Tout aussi assortis que la belle et la bête, nous gagnâmes sans hâte excessive… pour ma part en tout cas, pas assez de tequila… mon auto… comment mon Scénic dci ? J’t’ai déjà dit que je n’aimais pas les tires de tarlouzes et pour que tu comprennes mieux ce que j’veux dire, ma charrette, c’était une Citroën, une DS 21 Pallas 1967 gris palladium, avec l’intérieur en cuir brun et la moquette profonde comme des sables mouvants, ah… tu vois, une caisse pareille ça te pose un type non ?
Souplement, mon rutilant exemplaire du char de l’État époque gaulliste quittait son aire de stationnement, puis me laissait l’engager sur la route de notre rendez-vous. J’effectuai le trajet à l’allure sénatoriale qui convenait à l’humeur encore quelque peu froissée de ma belle… Quoi ? Char de l’État, allure sénatoriale, tu trouves que j’en fais trop, que je t’envoie dans d’autres sphères à grands coups de pompes, c’est normal dans une Citroën d’envoyer « l’ in-con-pressible » dans des sphères à coups de pompe... Plutôt que de profiter du parcours pour rétablir un semblant de communication, je préférai laisser le groupe Dire straits lui faire la conversation et affectai de me concentrer sur une route que je connaissais mieux que la poche trouée survivante de mon vieux jean... Tu as peut-être remarqué ? Si tu l’as déjà fait, cette distance que l’on instaure entre soi et les gens que l’on aime lorsqu'on a eu une escarmouche avec eux, ce temps passé à s’ignorer, à se bouder alors qu’on ferait mieux de se parler, de se toucher tant que l’on est ensemble, avant que cette putain qu’est la vie décide de nous séparer. Ouais, t’as pigé. C’est précisément l’un de ces foutus moments que je vivais là, dans ma Citron haut de gamme cinquième république, planté comme un con dans le cuir de mon siège, incapable de lui dire « je t’aime » alors que je voulais le hurler en m’en péter les bronches... À cette heure de la journée, en direction de la côte, le ruban de bitume offrait une progression aisée à travers une circulation particulièrement fluide, alors que dans l’autre sens, les retours de plages et de bureaux massifs livraient le spectacle d’un immense ralentissement bigarré, dans lequel se mélangeaient pêle-mêle, des voitures de livraison, des cabriolets sportifs flambants neufs, des breaks de surfeurs surannés, ou encore des Harleys étincelantes de petits frimeurs… un surfeur frimeur se devant, lui, de rouler à bord d’un break Harley suranné, étincelant. Ce véhicule n’existant pas, …va faire, toi, une moto voiture break épave éclatante… on peut donc en conclure fort logiquement que le surfeur frimeur n’est qu’une invention de jaloux qui ne savent pas frimer… Tout ce beau monde si pressé de rentrer à la maison, se trouvait obligé de rouler à la vitesse mirifique du promeneur pédestre, car ralenti par la tête de la file qui peinait à franchir le rond-point du golf. Arrivé à destination, je propulsai mollement ma berline sur le boulevard principal, en direction de l’océan. Parvenu à l’eau, je bifurquai à gauche, gardant le fleuve à ma droite, je le longeai pour rejoindre le port de plaisance aux alentours duquel nous devions retrouver Paco. Arrivé à quelques distances du dit port, j’engageai, sur ma droite, dans une étroite allée en légère descente, mon automobile qui, en compagnie du concorde, figure toujours parmi les plus grandes réalisations tricolores du vingtième siècle… Y a pas à dire un truc pareil, ça pue la fierté nationale non ? On s’met de suite au garde à vous devant le portrait du général. N’oublie pas ! Le doigt, oui, sur la couture du pantalon : « allons enfants de la ripaille, le jour de boire est arrivé… » j’te rassure, c’est pas la bonne version, c’est de mon cru, ça m’évite les droits d’auteurs. De toutes les manières, si je m’en dois, j’me fais crédit… En bout de descente, je trouvai le portail métallique ajouré déjà grand ouvert, et pénétrai dans l’enceinte grillagée d’un entrepôt en attente de relocation. Devant le bâtiment à vocation industrieuse fraîchement repeint en vert et blanc, était garée, dans le sens du départ… Ouais, c’est toujours pratique pour dégager en vitesse en cas d’urgence, on sait jamais…, une B.M.W. série trois, dont la carrosserie portait les stigmates de nombreuses années de bons services... loyaux ? Je sais pas, j’ai jamais pu vérifier… Lorsque nous quittâmes le cocon douillet de l’habitacle de mon véhicule, il était l’heure pour l’astre du jour, d’entamer son long plongeon dans l’océan probablement d’un bleu d’azur à pleurer. Je ne pus m’empêcher de sourire à la pensée de ces dizaines de couples qui, agglutinés en masse sur le front de mer, étaient venus assister, béats au spectacle éminemment romantique d’un coucher de soleil… Je te promets, y a le même demain soir et pareil les autres jours…Pendant que les cruches pensaient vivre un moment unique, nous nous présentions devant la porte entrouverte du hangar, dans lequel nous attendait un destin probablement funeste.
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