Votre goût pour le reportage est bien connu… C’est donc à lui que j’adresse ce compte-rendu de baptême. J’espère vous le rendre agréable dans son intégralité. Et si je peux situer l’heure précise des faits qui s’y sont succédés, c’est que, le matin même, je recevais, en cadeau d’anniversaire, une superbe montre « LEURACHE ».
Merci ma femme !
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Une fête chez nous
Gérard devient catholique… une bénédiction !
11 h 07 : Le Sacrement
Gérard, le cher petit ange, nous arrive dans un landau dernier cri, poussé par son papa, André, courbatu et essoufflé.
André :
- Ouf !
Gisèle, sa maman, qui les a devancé de 5 bonnes minutes et trépigne d’impatience :
- Eh ben, c’est pas trop tôt. T’en as mis du temps. Le curé est furax. Allez, « grouille » un peu ! C’est toujours pareil avec toi. T’as vu comment t’es attifé ? Essuie-toi la figure, t’es tout rouge !
À la décharge d’André, il faut dire que, par volonté divine sans doute, le chemin poussiéreux et rocailleux menant à l’ « Église du St Rosaire » est placé au sommet de la colline et ressemble plus à un « Chemin de Croix » qu’au billard asphalté dont profitent les pilotes de « Formule Un ». Chacun vous dira que les voies du Seigneur sont impénétrables.
Cachant mal son énervement, le curé Sanbedeau, victime des horaires imposés par la charge de trois paroisses, les conduit d’un pas vif vers les fonts baptismaux et commence la cérémonie sans plus tarder.
- Nous accueillons aujourd’hui notre nouveau frère Gérard…
L’assistance, constituée principalement de parents proches, des parrain et marraine et d’amis, est gratifiée des paroissiennes qui, pour quelques « Indulgences » accordées, viennent aider « Monsieur le Curé » à l’embellissement des lieux. Des bienveillances supplémentaires pourront grossir encore le pécule céleste de celles qui rendront son état habituel à l’église après la cérémonie.
Joseph, un cousin tout fier de son nouveau « numérique », est chargé du reportage. La quantité de photos ne sera pourtant pas ce qu’on pouvait espérer. Elle sera surtout tributaire du regard courroucé que peut lancer un curé agacé d’être aveuglé par la répétition du flash.
Gérard lui, n’apprécie guère l’eau bénite de la petite burette qui lui tombe dessus. Le curé peut bien lui passer un essuie éponge sur la frimousse, le courant ne passe pas pour autant entre eux. La voix de la victime, poussée aux extrêmes, nous le dira avec insistance pendant la durée entière de son calvaire.
11h26 :
Quant au martyre de Joseph, lui, il s’achève car le curé, après les ablutions sacrées et les « Orémus » termine sur un dernier signe de croix.
- Allez dans la paix du Seigneur…
Tout ce rituel donne à Gérard une protection temporelle par tout le système divin et lui procure une réservation sans problèmes pour un séjour éternel auprès des Anges après sa mort.
- Sans problèmes ?
- Comprenons-nous bien. C’est surtout la hauteur de son respect envers la doctrine en tant que mortel qui déterminera l’endroit précis attribué, « ad vitam aeternam », au nouvel élu.
André s’est délicatement libéré la veille, par une modeste contribution aux « Œuvres de Charité » recommandées par le curé. Rien ne retarde donc plus la sortie. L’ensemble des ouailles forme maintenant un cortège de couples reformés qui serpente vers les portes à nouveau ouvertes.
André et Gisèle suivent directement le couple formé par le parrain Victor dans le complet gris qui lui fait tout usage, et la marraine dans un nouveau tailleur « Dior » beige agrémenté d’un petit bibi ton sur ton Elle porte fièrement son filleul dont seul le petit nez sort d’une immense cape blanche faite au crochet.
Chaque couple quittant l’église s’arrête sur le parvis et prend la pose jusqu’à ce que Joseph les invite à avancer pour permettre la photo sensationnelle suivante. Ici, le « Nikon » fait merveille et prouve la qualité de ses accus par de splendides flashes qui éclaireront plus tard les invités sur la bonne tenue de leur présentation.
Ensuite, chacun se dirige vers sa voiture dont la couleur dépend du goût du propriétaire ou de celui de sa compagne… s’il est marié.
Le curé rentre dans son « asile des démunis » et les pourtours de l’église se vident petit à petit dans un vrombissement de moteurs qu’accompagne parfois, hélas, un petit nuage noir dénonçant une mauvaise carburation.
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12 h 37 : La lecture du papy
Les derniers invités sont entrés dans la salle de la Maison du peuple où les tables forment un carré. Tous se sont assis par groupes, réunis par sympathies ou points communs réciproques. Le brouhaha est général et a atteint un tel niveau sonore que le grand-père, René, qui veut adresser quelques mots à son petit-fils, est obligé de réclamer le silence à plusieurs reprises en haussant le ton à chaque fois.
Il y arrive au troisième essai et Jules court éteindre le lecteur de CD qui assure la musique de fond. Son « pense-bête » tient sur une seule page mais René l’a posé sur un tas de feuillets pour qu’on ne remarque pas le tremblement provoqué par le trac qui saisit inévitablement tout bon orateur amateur.
Il se tourne vers l’assistance et sa voix chevrotante ruine ici tous ses espoirs.
- Tout d’abord, pour rassurer ceux qui voient ces pages, il n’y aura pas de Pépin... je serai bref.
Puis se penchant vers le berceau, la voix déjà plus ferme et pas peu fier :
Gérard, MON petit-fils.
En clin d’œil d’affection envers ses deux filles :
- Le passé familial m’a connu entouré de filles. Alors là, pas mal, penses-tu ! Soit. Rien de bien sérieux à reprocher à de telles conditions, ce n’est pas invivable. Mais... Tu apportes, en naissant, ce petit quelque chose de plus qui rend les papas tellement fiers.
Regard rapide quêtant l’approbation de l’assistance :
- Tous ici, surtout les dames, me comprendront.
Retour à Gérard :
- Tu apparais au moment où mon vieux cœur pensait avoir pris sa retraite et se croyait déjà blasé des mots : Amour, Affection ou Tendresse.
Et puis j’ai vu s’agiter ta petite menotte potelée et cela aura suffi pour que s’effacent les rancoeurs, les tracas, les petites mesquineries, les pulsions égoïstes ou ronchonneuses, bref toutes ces bonnes petites choses qui durcissent l’être au cours d’une vie.
Sur ton berceau qui nous voit réunis, je te promets d’être le bon-papa guide qu’espère sans doute tout enfant profitant déjà de parents attentifs à son bien-être. J’engage ici, de confiance, la parole de ta mamy en même temps que la mienne.
Avant d’arrêter, car je crois voir les mines s’allonger et entendre les estomacs protester, je veux encore te dire combien mon cœur déborde d’amour pour toi, je te vois si petit, si frêle, si plein de cette innocence qui nous quitte à l’âge adulte et que nous finissons tous par regretter un jour ou l’autre.
Il se montre la poitrine d’un index décidé
- Ne crains pas petit... je veille !
Un petit salut à l’assemblée fait comprendre que le laïus est terminé et, avec un geste d’invite : - Il est temps maintenant d’aborder les choses sérieuses et de faire un sort au buffet froid.
Il salue dans toutes les directions et reçoit son dû d’applaudissements.
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12 h 58 : Le repas
Enfin libéré de cette charge de lecture qui lui a empoisonné toute la matinée, René, les jambes encore un peu raides, rejoint le siège à côté de Jeannine, sa femme.
- Tu as beaucoup bafouillé comme d’habitude. On ne t’entendait presque pas. On sentait le tremblement de ta voix. Tu n’avais qu’à laisser lire parrain qui voulait le faire.
L’émotion lui a peut-être coupé les jambes mais pas l’appétit et sans trop entendre les remarques de sa douce moitié devenue intarissable pour commenter sa « prestation », il ne tarde pas à rejoindre la nuée d’affamés agglutinés devant les jambons, les pâtés en gelée, les pommes de terre à la russe, les saucissons, les foies gras, les salades, les rosbifs, les dorades.
Ces derniers délaissent, dans une première visite, les desserts appétissants qu’ils pourront mieux choisir le ventre beaucoup moins creux.
Heureusement pour eux, les quelques petits tracas comme « vache folle » ou encore « grippe aviaire » ne sont pas en train de sévir dans le moment présent. Le gouvernement a levé toutes les interdictions. C’est donc sans appréhensions ni remords que chacun pourra calmer, ici, son « cimetière à poulets ».
Mais laissons-les manger en paix…
En paix ? Si l’on peut dire car…
Côté mouvement, le repas est un défilé permanent constitué d’allers vers le buffet et de retours aux tables, défilé traversé par ceux qui se rendent ou reviennent des toilettes et perturbé par les enfants courant dans tous les sens. Côté bruit c’est celui du lecteur de CD que Jules a rebranché auquel viennent s’ajouter ceux de chaises reculées ou rapprochées, de couverts percutant le sol, d’interpellations joyeuses et des conversations entre personnes attablées. Le ton de ces conversations est magnifiquement synchrone au niveau atteint par les boissons dans les bouteilles. Les voix d’enfants, libérés du silence imposé par les parents, ajoutent leurs aiguës à toute cette discordance.
Il restera bien assez de vivres pour le soir et le bien-être des appétits repus permettra d’apprécier le dernier succès d’Aznavour dans un calme relatif retrouvé.
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19h00 : Le bal
Les chaises et tables ont été rangées près des murs afin de libérer le centre de la salle dont le pavé vient d’être légèrement talqué pour le transformer en piste de danse.
Le D.J. vérifie le bon fonctionnement de ses instruments truffés de leviers et boutons et de manomètres sous l’œil intéressé des ados qui rêvent tous de posséder un jour pareil trésor.
19h07 : En piste…
C’est parti… La salle résonne de la voix « sur-amplifiée » de Johnny qui clame son « amouuuuur » à la femme de sa vie avant de lui demander ce « qu’a sa gueule ».
Nous aurons droit à tous les succès du moment et rien n’épargnera nos oreilles pendant toute la soirée. Nous profiterons entre les salsas, rocks, slows et autres valses de quelques Michel Sardou, Michel Fugain, France Gall, Michel Delpech, Serge Gainsbourg et tous les autres.
Certains couples ne quitteront la piste que pour se désaltérer ou quand le D.J. lui-même demandera une pause.
Les plus âgés profiteront d’un tango ou d’une valse interprétée par un André Verchuren au sommet de son talent d’accordéoniste pour montrer qu’on savait danser « de leur temps ». Parmi ces derniers, certains, porteurs de prothèses auditives, ont coupé la retransmission afin de supporter sans problème le vacarme musical sortant des tweeters et woofers. Les jeunes, eux, le supportent bien sans penser qu’ils se condamnent probablement à devoir les imiter plus tard.
00h32 : Les premiers départs
André et Gisèle se transforment en porteurs de sandwiches. Ceux-ci, fourrés de pâté crème, de filet américain ou de fromage sont destinés à apaiser, une fois encore, tout retour d’appétit.
Inquiets cependant du tas de nourriture restant, ils proposent, à ceux qui se préparent à quitter la fête, de repartir avec un petit sac contenant des victuailles. C’est sans obligation aucune, bien entendu, et ceux qui acceptent peuvent choisir selon leur goût. Mais les amateurs sont rares et Gisèle demande au traiteur :
- Que vais-je faire de tout ce qui reste ? - Je vous propose de remettre le surplus aux « Restos du cœur », madame. Ainsi vous rendez service aux démunis et vous ne gaspillez rien.
Gisèle est soulagée, c’est merveilleux voilà la solution qui lui donne en plus bonne conscience !
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2 h 00 : La fête se termine
Le D.J., qui a réussi son ambiance, ferme les caisses de transport de son matériel.
Le traiteur est reparti après avoir emballé et chargé dans son 4X4 une grande partie des restes de la nourriture qui ne sera plus consommée ici.
Le dernier bastion de « résistants » se répartit comme suit :
Près du bar qui jouit encore d’un éclairage modéré sont attablées les femmes qui ont résisté à la fatigue des danses endiablées et à l’intensité sonore que le D.J. a distribuée aux oreilles de tous pour le plus grand plaisir des plus jeunes et la réprobation des plus âgés. Leur conversation reste soutenue, chacune y allant de son appréciation. Il en ressort un bourdonnement continu de tonalité monocorde et hypnotique.
Les hommes, debout au bar, finissent « courageusement » les bouteilles pour éviter tout « gaspillage ». Ils répartissent, de manière équitable et fraternelle tout ce qui se présente sous forme liquide. On ne sait de quoi ils peuvent parler mais ce ne doit pas être triste car leur conversation est souvent émaillée d’éclats de rire sonores :
- Eh … Eh… et celle-là, tu la connais ? - HA HA Haaaaa… Attends… j’en peux plus…
Il faudra bien pourtant que l’on se quitte. Mais on le fera pas sans beaucoup de promesses solennelles où il est question de se revoir bientôt. Et ce ne sont pas de vaines promesses car chacun sait que chez nous, les occasions ne manquent pas pour se retrouver en famille et entre amis !
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Ma femme et moi montons dans la voiture, ma montre, toujours très précise, indique 2 h 52…
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