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jmp83 : Rêve d'arbre
 Publié le 12/09/23  -  6 commentaires  -  6588 caractères  -  54 lectures    Autres textes du même auteur

Un arbre est une créature miraculeuse qui abrite, nourrit et protège tous les êtres vivants. Il offre même de l’ombre aux bourreaux qui l’abattent.


Rêve d'arbre




Depuis l'aube les tronçonneuses et les abatteuses forestières ébranchaient, élaguaient, écorçaient, coupaient, débardaient et empilaient des troncs d'arbres dans une cacophonie assourdissante sous la houlette d'une poignée d'hommes casqués en combinaisons colorées.

C'est dans cet enfer du bout du monde à l'atmosphère aussi dévastatrice que polluante qu'une forêt tropicale tentait de perpétuer la vie, comme elle le faisait depuis la nuit des temps et participant à son rythme au merveilleux équilibre de la nature. Mais c'était sans compter sur l'acharnement de son principal prédateur. La forêt s'était toujours remise des catastrophes naturelles et était toujours renée de ses cendres, mais la mort progresse à grands pas. Se remettra-t-elle du passage de l'homme ?

Le calme salvateur était revenu avec la fin de la journée et le crépuscule annonciateur du passage à la vie nocturne, endormissement pour la plupart ou réveil pour certains. Et c'était dans une moiteur aux mille senteurs que la forêt avait revêtu son manteau de nuit et s'était peu à peu assoupie.

Quelque part au milieu de ce microcosme, un majestueux mahogany, comme tous ses congénères, existait en silence malgré une conversation permanente avec l'air et le sol. Jamais il ne bougeait à de rares oscillations près sous le vent et pourtant il croissait de manière imperceptible.

Puis il se mit à rêver. Et il envoya une pluie de messages tout autour de lui sous la forme de vapeurs de terpènes et d'éthylène très volatiles qui exhalaient de tout son feuillage. Et ses frères mahoganys, les tulipiers, les ostryers, les acajous, les coubarils, les kapoks, les fromagers et tous les arbres environnants reçurent et relayèrent les messages en quelques heures. Des arbres encore plus loin se joignirent au chœur. Et bientôt toute la forêt se mit à rêver à l'unisson. Le rêve d'un autre monde, le rêve d'une autre vie.

Le mahogany se prit à redérouler sa vie. L'image d'un plant émergeant à peine de l'humus en formation. Un tout petit parmi les grands. Il était au pied de l'arbre-mère qui veillait sur lui et il apprenait par le système micellaire qui les connecte entre leurs racines. Les jours, les mois et les années s'enchaînaient. L'arbrisseau sentait à chaque instant le flux d'eau et de sels minéraux captés dans le sol par l'extrémité poilue de ses radicelles. Et il grandissait, grandissait. Il rêvait qu'il serait un jour très grand comme tous les arbres de la forêt qu'il percevait autour de lui. Car il intégrait une communauté vivante unie par des liens invisibles et formaient ensemble un réseau complexe d'échanges, partageant non seulement les ressources mais aussi les informations et les expériences. Tous subissaient les assauts du temps, lui comme les autres mais il apprenait à la fois à en profiter ou à s'en protéger entre survie et croissance.

Ainsi bercé par la symphonie du vent dans les branches et des cris ou murmures du vivant, le jeune mahogany respirait, transpirait et grandissait en pleine conscience. Dans les profondeurs de son être, il percevait un désir ardent de s'élever toujours plus haut, d'atteindre les cieux étoilés et de chercher sa place dans la canopée en se dressant fièrement aux cotés de l'arbre-mère, s'ancrant de plus en plus profondément dans le sol.

Un jour il fit une rencontre avec une créature étrange. C'était la première fois qu'un homme s'approchait de lui. Ce dernier s'assit à son pied et s'adossa à son tronc. Quelle sensation inhabituelle que le contact de sa peau sur son écorce. Une toute nouvelle forme cognitive s'inscrivit durablement dans sa mémoire. D'autant plus que l'homme revint souvent le voir. Et chaque fois il reprenait sa place et chantonnait. L'arbre ne connaissait pas cette musique mais il recevait des vibrations tellement émouvantes que cela déclenchait en lui une émanation de composés organiques provoquant ainsi entre eux un indicible mais puissant échange de particules éthérées invisibles. Amour, respect, bienveillance pour une conscience humaine. Harmonie, équilibre, lumière pour une conscience végétale.

Et c'est ainsi au fil du temps que s'était établie cette relation privilégiée mais éphémère entre un arbre et un homme. À l'intérieur de son rêve, le mahogany, devenu un arbre majestueux à l'image de ses pairs, avait gravé dans sa mémoire le souvenir de cet échange universel entre un représentant de l'espèce animale et un végétal qui devait transcender l'espace et le temps.

L'arbre continua à rêver, mais son rêve ne se limitait pas à lui-même. Il rêvait pour tous les arbres, pour toute la nature qui partage ce monde, car dans cette quête onirique il puisait l'espoir d'un avenir toujours aussi merveilleux et lumineux, dans lequel l'harmonie régnait en maître, et où chaque élément vivant était un maillon essentiel de la vie. Il persistait à voir dans ses songes les générations futures naissant de ses graines comme lui-même et continuant à tisser l'histoire de la forêt, de la vie bourdonnante autour de lui, des animaux trouvant refuge dans ses branches et des hommes apprenant à respecter et à préserver la nature, qui représente l'essence même de la vie.

Le rêve du mahogany prit fin et petit à petit, l'obscurité profonde qui enveloppait l'espace commença lentement à décroître pour laisser la place à une lumière timide et sans ombres. Un voile de brume opaque et gris sombre permit de distinguer les alignements des premiers fûts. La forêt était toujours endormie. Au fur et à mesure que s'estompaient les ténèbres, les branches et les feuilles lourdement chargées d'humidité déversaient leurs trop-pleins goutte à goutte sur leurs voisines du dessous dans un concert de « ploc ». À peine les premiers rayons du soleil sortis, le ciel s'était illuminé mais il ne parvenait pas encore à pénétrer la forte densité de végétation. Puis la lumière s'intensifia et la clarté de l'aube apparut dans toute sa splendeur en envoyant ses premiers rayons entre quelques troncs.

Et soudain, dans ce décor somptueux, le lancement de la première tronçonneuse déchira le silence ouaté, suivi des pétarades des engins forestiers. La forêt s'éveilla alors brutalement dans un concert de pots d'échappement et imposa à la nature la dure réalité du monde des hommes.

Le mahogany comme tous ses congénères frissonna des premières feuilles jusqu'à la canopée, en sentant la mort arriver. Et malgré une nuit chargée de messages d'espoir au travers de son rêve, malheureusement à son réveil rien n'avait changé.


 
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   Tadiou   
19/8/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
En EL.
Récit attachant et hélas, toujours d'actualité. Les phrases sont comme de petites touches égales les unes aux autres, délicates ; pas de pleurs, pas de cris. Ce qui va se produire est inéluctable.

Vocabulaire végétal documenté.

Récit émouvant et militant.

Tadiou

   Donaldo75   
31/8/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Cette nouvelle a presque des allures de conte et je trouve que cela lui donne de la force. Le thème est très intéressant et d’actualité – en plus, personnellement je suis un fan des arbres et milite pour leur préservation – et son traitement sous cette forme le renforce. Le texte ne ressemble pas à une rédaction – ce qui constitue un risque souvent avéré sur ce type de thématique – car la narration tient la route et que le lecteur est embarqué par la manière de raconter. Pour ma part, je préfère les nouvelles racontées – avec la patte du conteur – aux textes rédigés comme nous l’apprenons tous au collège. Parce que c’est une histoire que je suis venu lire et non un pensum déguisé en nouvelle.

Ici, j’ai lu une histoire, un conte qui m’a fait réfléchir.
Bravo !
Merci !

   jeanphi   
14/9/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour,
Assez touché par le caractère intime de ce texte. Des phrase fournies, des tournures grammaticales bien variées.
Je lis presque un journal intime, chaque intention semble se formuler très clairement dans l'esprit du narrateur. Il y a comme un contraste entre la vélocité de la 'pensée' et la lenteur cinétique végétale. Chose singulière, le contexte du récit permet d'etablir un parallèle entre la douceur et la passivité, que vous exploitez avec succès. La ponctuation paraît parfois inutile tellement les idées se poursuivent sans interruption, sans cassure nette entre le milieu extérieur et la vie interne de l'arbre.
Des phrases simples et construites avec réflexion qui offrent une lecture apaisante sur un contenu d'une grande tristesse.
J'admetrais difficilement que cette image puisse paraître une bonne couverture de livre, mais bon.

   Lariviere   
18/9/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
J'ai beaucoup aimé cette nouvelle.

L'écriture est propre. La vie du mahogany est décrite de façon particulièrement sensible et intéressante, ses fonctions sensorielles sont bien retranscrites à la lumière de ce que l'on sait sur la physiologie des végétaux, tout ceci s'imbrique très bien dans le récit qui prend des allures de conte, pour l'aspect moraliste et écologiste, deux termes ici non péjoratif.

Un texte qui laisse à réfléchir, merci !

   Pouet   
23/9/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Slt,

une nouvelle qui fait écho à un autre texte proposé récemment. Les arbres sont un peu comme le cerveau, l'univers ou les abysses, nos connaissances humaines demeurent très limitées à leur sujet.

J'ai aimé être plongé dans cet ambiance onirico-végétal d'un majestueux mahogany. Presque comme un conte.

Ce qui me marque tout particulièrement c'est le partage du rêve, un rêve d'arbre ne se suffit pas à lui-même, il le partage avec ses congénères et c'est tout de même une sacrée supériorité sur l'être humain - imaginons-nous corêver ou même interagir dans les rêves des autres.... quant au déroulement de notre vie, serons-nous un jour capables de nous revoir fœtus?

Puis l'homme adossé nous apparaît a priori plutôt comme un ami avant de devenir menace, peut-être parfois une constante de notre espèce.

J'ai trouvé l'écriture de bonne qualité et je vous remercie pour ce récit touchant et nécessaire.

   Cornelius   
12/10/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour,
C'est un sujet plus que jamais d'actualité et les rapports de l'homme avec la nature sont un thème récurrent et ne vont pas vraiment dans le sens du respect de la vie qu'elle soit animale ou végétale.
C'est sans doute un lieu commun de le dire, mais on ne le dira jamais assez. Cet arbre apparait surtout comme un être vivant et l'exploitation sans limite de la forêt comme un massacre organisé.
Merci pour cette nouvelle remplie d'humanité végétale.


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