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Réalisme/Historique
jypel34 : Peau d'ours
 Publié le 15/12/24  -  6 commentaires  -  9524 caractères  -  26 lectures    Autres textes du même auteur

L’histoire de Raymond, mon grand-père, poilu de la guerre de 14, d'après un conte de Grimm.


Peau d'ours


Il était une fois un jeune homme vivant dans une petite ville de Bretagne, là où la mer caresse les rochers et où le vent porte des récits mystérieux. On racontait que le diable lui-même rôdait parfois dans les ruelles sombres, dissimulé dans l’ombre des façades.

Ce jeune homme était le fils unique d’un inspecteur des chemins de fer. Un homme de poigne mais sans éclat, dont les journées s’égrainaient au rythme des horaires de trains et du grincement des aiguillages. Cet homme de devoir et de routines n’envisageait pour son fils qu’un avenir tracé sur les rails : « Un emploi stable, c’est tout ce qu’il te faut, mon garçon. Rien de mieux que ce que j’ai », déclarait-il avec ce sourire sec qui fermait toute discussion. Mais le garçon, lui, avait la tête ailleurs : il rêvait de contrées lointaines, de batailles héroïques, de vies palpitantes qu’il découvrait dans les livres d’aventures dévorés en cachette. Le quotidien de son père ne le tentait guère.

Après l’école, il prenait souvent le chemin du port, et s’asseyait seul face à l’immensité de l’horizon. De là, il regardait les soldats qui se rassemblaient sur les quais, prêts à embarquer, marchant d’un pas sûr, leurs voix pleines d’entrain. Le jeune homme était captivé par leur énergie et envahi du désir profond de partager leur destinée.

Un soir de novembre, alors que le village s’effaçait lentement dans la brume, le jeune homme quitta la maison et marcha jusqu’aux voies ferrées désertes. Le silence n’était troublé que par le crissement de ses pas sur le gravier. L’air glacial et chargé d’humidité lui mordait la peau, s’insinuant sous ses vêtements, mais il n’y prêtait aucune attention, perdu dans ses pensées.

Au détour d’un virage, il aperçut une silhouette. Un homme, enveloppé d’une cape noire, se tenait sous le halo tremblotant d’un réverbère. Ses yeux brillaient d’un éclat intense, comme s’ils cherchaient à percer les âmes.

Le jeune homme ralentit son pas, hésitant, intrigué par cette apparition inattendue. Leurs regards se croisèrent, et il sentit une vague de peur diffuse l’envahir, sans qu’il puisse en expliquer l’origine. L’homme, parfaitement immobile, semblait plongé dans un calme impérial. Son sourire s’étira légèrement, laissant entrevoir une lueur de malice, ou peut-être de défi. Sans prononcer un mot, l’homme leva lentement les bras et lui fit signe d’approcher. Entre ses mains, il tenait un manteau kaki soigneusement plié et fabriqué dans un tissu épais et visiblement précieux. De larges épaulettes structurées entouraient un col rigide, tandis que des boutons d’or, finement ciselés, brillaient sous la lumière du réverbère.


— Tu rêves de grandeur, n’est-ce pas ? murmura l’homme, d’une voix grave.


Le garçon ne répondit pas, paralysé par l’émotion. Son cœur battait plus fort. L’homme tendit le vêtement avec une lenteur presque cérémonieuse, ses gestes empreints d’une gravité solennelle, comme s’il lui offrait un trésor inestimable.


— Enfile ce manteau, dit-il d’une voix douce mais impérieuse. Porte-le durant sept années entières, sans jamais l’ôter : ni pour dormir, ni pour te laver, ni pour murmurer une prière ou même une bénédiction. Aucun peigne ne touchera tes cheveux, aucun rasoir ta barbe.


Il marqua une pause et ajouta d’un ton plus sombre :


— Tiens bon jusqu’au terme, et gloire et fortune seront tiennes. On te respectera, on te craindra. Mais… si tu l’enlèves, ne serait-ce qu’une seule fois avant la fin de ces sept années, alors ton âme m’appartiendra.


L’homme marqua un silence. La brume autour d’eux semblait se resserrer, comme si le monde retenait son souffle. Chaque mot résonnait dans l’esprit du jeune homme. Ce manteau, cette promesse, étaient tout ce qu’il avait toujours désiré.

Il tendit une main hésitante vers le vêtement, l’effleura du bout des doigts, puis s’arrêta un instant. L’étoffe semblait vibrer. Enfin il l’enfila, laissant la laine rêche épouser ses épaules et son dos. À l’instant où il serra les boutons dorés, il sentit une étrange pesanteur l’envahir. L’étoffe semblait s’enrouler autour de lui, le ceignant de toutes parts, l’enfermant doucement dans une étreinte silencieuse.

L’homme en noir le dévisagea, sans quitter son sourire. Mais avant que le jeune homme ne puisse réagir, il s'effaça dans l'obscurité. Le garçon demeura immobile, le manteau reposant sur ses épaules. Quelque chose avait changé en lui : dans les profondeurs de son esprit, un feu nouveau venait de s'allumer.

Dès le premier jour, quand il avait enfilé cet étrange pardessus, il s’était senti invincible. Le tissu lourd le recouvrait comme une armure, chaque couture vibrant d’une force silencieuse. Cette enveloppe n’était pas qu’un simple vêtement : il était sa chance, son avenir, son destin.

Les premiers mois furent consacrés à son entraînement militaire. Chaque matin il se levait avant les autres, prêt à devenir l’homme que son visiteur lui avait promis. Il arpentait le terrain avec une précision mécanique, sous les regards fascinés de ses camarades. Il exécutait chaque exercice avec une intensité méticuleuse. Le poids du manteau le ralentissait légèrement mais, pour lui, c’était une preuve de sa force : s’il pouvait supporter ce poids et exceller malgré lui, c’est qu’il était destiné à de grandes choses. Lors des manœuvres, il marchait en tête des rangs, martelant le sol avec ses bottes, le cœur battant au rythme de la cadence militaire. Ce manteau, il en était certain, le rendait plus fort, lui insufflait un courage que rien ne pourrait ébranler.

Puis, un matin, l'ordre qu'il attendait avec impatience finit par tomber : il était appelé à rejoindre le front. Les officiers lui donnèrent ses instructions avec un regard appuyé, admirant sa détermination plus forte que celle de tous les jeunes hommes autour de lui. Et lui souriait intérieurement, assuré que son destin surpasserait le leur. Mais il n’en fut pas ainsi.

Lorsque le soldat arriva sur le front, le manteau commença à lui peser. Aux premiers assauts, il avançait encore fier sous le poids de l’étoffe. Mais très vite, la guerre s’infiltra dans les plis de l’habit, et la grandeur qu’il avait imaginée commença à diminuer, remplacée par une gêne qu’il ressentait à chaque mouvement. Les jours devenaient des semaines, les semaines des mois. Le manteau absorbait tout : la boue des tranchées, le sang, les larmes et la sueur. Le tissu collait à sa peau, pesant sur ses épaules et tirant sur ses bras comme des chaînes invisibles. Mais il n’avait pas le droit de l’ôter, même pour un instant. Le pacte le lui interdisait.

L’odeur, au début discrète, devint une puanteur de chair, de terre, de fer et de pourriture. Les autres soldats, eux, pouvaient laver leurs uniformes, changer leurs chemises, trouver un instant de propreté malgré la guerre. Mais lui, il restait piégé sous la crasse. Des taches sombres se formaient autour du col, là où la sueur s’accumulait, pénétrant les fibres. Des insectes commençaient à s’agglutiner sur le tissu humide, attirés par l’odeur et la pourriture. Il marchait comme un spectre parmi les soldats, croisant leurs regards lourds de dégoût. Certains murmuraient, d’autres s’écartaient, comme pour fuir sa saleté.

Il ne pouvait plus se tenir droit. Le poids le courbait. Parfois, il sentait le manteau se fondre dans ses os. Il devenait ce manteau. Dans ses rares moments de lucidité, il pensait à sa promesse et sentait la douleur d’un piège dont il ne pourrait jamais s’échapper. Mais il continuait d’avancer avec ses rêves de gloire évaporés dans l’abjection du tissu.

La septième année arriva enfin. Le jeune homme, usé, traversa la guerre une dernière fois, le regard vide, pour rejoindre son foyer. Son visage, autrefois plein d’ambition, était maintenant celui d’un vieil homme enfermé dans un corps encore jeune. Mais il avait tenu bon.

Puis le village apparut, silencieux sous le ciel gris. Ses pieds traînaient dans la poussière, tandis que ses bras fatigués, pendants, sentaient l’approche de la délivrance. Il entra chez lui comme un étranger. Les murs lui semblaient familiers, mais il n’y voyait qu’un décor flou. Les épaules voûtées, il détacha lentement les boutons, un à un. Lorsque le dernier bouton céda, il sentit l’étoffe se détacher de sa peau avec une lenteur douloureuse, comme si elle arrachait des fragments de son être. Le manteau tomba au sol dans un bruit sourd, et un frisson de légèreté l’envahit. Sa poitrine se gonfla, sa nuque se redressa, et, pour la première fois depuis sept ans, il se sentit enfin libre.

Il resta figé, ses yeux fixés sur le manteau étalé au sol. Mais alors qu’il inspirait profondément, profitant pleinement de cette légèreté retrouvée, quelque chose changea. Il sentit vibrer le sol sous ses pieds, comme si une force invisible s’éveillait. Le manteau se liquéfia, s’écoulant en un flot sombre. Puis des formes humaines émergèrent, leurs visages levés vers le ciel, leurs mains tendues. La plaine devint une forêt de monuments, vibrant d’une mémoire venue des profondeurs. Ici, un soldat serrant son casque contre son cœur. Là, un enfant tendant des fleurs sous l’ombre d’un chêne. Chaque statue racontait une histoire. Les villages accueillirent ces figures comme on accueille des témoins silencieux du passé.

On les appela « monuments aux morts ». Mais n’étaient-ils pas plutôt des gardiens de la vie ? Sous leur ombre, les enfants jouaient, les familles déposaient des fleurs, et les passants touchaient la pierre en silence.

Et autour des villages, les champs refleurissaient.


 
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   Dameer   
5/12/2024
trouve l'écriture
convenable
et
n'aime pas
Récit à l’objectif ambitieux, voulant mêler fantastique et réalité historique (La guerre de 14-18) cependant maladroit dans sa réalisation.

Cela commence par un improbable "pacte faustien" avec le diable : un jeune homme est contraint de porter un manteau pendant 7 ans, sans se laver si se peigner, sous peine de "perdre son âme" !

Puis de façon aussi improbable, la guerre éclate peu après. Comment est-il autorisé à garder ce manteau au lieu de la tenue militaire de rigueur ?

On sait que la guerre dans les tranchées a duré 4 ans, mais on l’impression que ce jeune homme y a passé 7 ans, soit 3 ans de plus que tout le monde !

Enfin, scène finale tout aussi improbable, ce manteau qui se liquéfie en monuments aux morts : j’essaie de comprendre le symbole, le poids du sacrifice que l’on dépose au pied des monuments, mais la scène est réalisée de façon hâtive et maladroite. De plus il semble que l’auteur a totalement perdu de vue dans la phase finale le "pacte faustien" conclut entre ce jeune homme devenu soldat et le diable au début de l’histoire.

Je pense que l’auteur a voulu mélanger 2 genres incompatibles, conte fantastique et récit historique : ce recourt extérieur au "diable" n’apporte rien, sinon une touche de merveilleux peu compréhensible ni compatible avec le déroulement du récit : l’horreur de la grande guerre ne se prête pas aux contes de ce genre ..

   Jemabi   
7/12/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Cette histoire qui s'apparente à un pacte faustien m'a tenu en haleine de bout en bout. L'irruption du fantastique dans un cadre réaliste (et quoi de plus réaliste que la guerre ?) trouve toujours des résonances en moi. Malgré tout, j'ai eu du mal à cerner la symbolique du manteau. Il protège le protagoniste au cours de la grande guerre et serait donc le symbole d'un peuple héroïque et d'un pays victorieux mais, au moment de la conclusion, la morale reste floue pour moi, à moins qu'il ne faille pas chercher trop loin et se contenter de comprendre qu'il portait sur ses épaules le poids des âmes mortes pendant la guerre.

   Donaldo75   
10/12/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
J'ai lu ici une bonne histoire, bien racontée. Le style est sobre, le pitch donne envie de poursuivre la lecture. J'aime bien la fin parce qu'elle ouvre la voie à des interprétations diverses et variées, tout en restant quelque part poétique. Cela va bien avec le mélange entre réalité historique et conte fantastique. Ce mix peut sembler étrange a priori mais pour ma part il tient la route.

Original.

   plumette   
16/12/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
je suis étonnée de la catégorie choisie par l'auteur.
il me semble que fantastique/merveilleux aurait été plus adaptée à ce récit en forme de conte.
j'ai trouvé l'histoire bien écrite, avec un bon rythme qui ménage le suspens.
Il m'a manqué un petit maillon après la rencontre avec l'homme à la cape : le personnage passe du désir d'être militaire à sa réalisation, sans que l'on sache comment il a, en particulier, vaincu la résistance de son père.
le dénouement de l'histoire , pour inventif qu'il soit , m'a emporté trop loin des promesses faites par l'homme à la cape.
En respectant le pacte, le personnage était sensé obtenir gloire et fortune, j'ai du mal à faire le lien entre cette promesse et la transformation du manteau en multiples monuments aux morts.

mais dans l'ensemble, j'ai passé un bon moment de lecture.

Bonne continuation!

   Lil   
18/12/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime un peu
J'aime beaucoup le style et l'écriture, legère, fluide, avec des images que j'apprécie énormément.
Les personnages sont bien introduits.
La liaison entre le côté fantastique et réaliste pour moi ne marche pas et c'est vraiment dommage.
Car la fin avec avec le manteau dont surgissent les silhouettes qui deviennent des monuments au mots est réussie et touchante.
En gros c'ets le pacte avec le diable qui ne me convainc pas, ni dans le traitement ni dans l'intention : le traitement se veut réaliste en montrant les autres soldats qui s'écartent du héros dégoutés par l'odeur, il n'y a pas la récompense de fin pour avoir respecté le pacte. Et à mon avis, la guerre se suffit à elle même en tant qu'horreur sans qu'il y ait besoin de rajouter l'intervention du diable
Merci de cette lecture car la vision est originale et elle m'a touchée malgré les points que j'ai soulevés

   Cyrill   
19/12/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bjr Jypel,
J’ai pris plaisir à lire cette nouvelle. Le parti pris de "conter" la guerre est intéressant. Le manteau comme mémoire rapportée du front, je suppose, est bien investi dans la narration. Il est lourd des souffrances endurées et des horreurs dont le personnage a été témoin. Le pacte avec le diable est revisité de façon intéressante, le port du manteau ayant apporté non la gloire mais la mémoire, si j’ai bien compris.
J'ai eu cependant du mal à visualiser le dénouement : le protagoniste entre chez lui et le manteau se liquéfie en extérieur. Du coup l'image des monuments ne fonctionne pas très bien. Elle est en outre un brin complexe, à mon avis un seul monument en tant que représentant l’ensemble aurait permis une image plus simple et plus adaptée au genre conte.
Au plaisir d'autres échanges.


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