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Sentimental/Romanesque
Keanu : Ulysse
 Publié le 29/01/23  -  20 commentaires  -  7465 caractères  -  196 lectures    Autres textes du même auteur


Ulysse


Volga hume le sol, écoute le vent et interroge les arbres. Il y a seulement quelques jours, elle ignorait tout de la brume qui s’enroule comme un reptile autour du pied des chênes. Il y a seulement quelques jours, elle ignorait tout du royaume d’Ulysse, de la forêt de mon père ; elle ne connaissait que les odeurs rances des races mêlées de peur et de terre, les cages alignées, les aboiements continus, les barreaux et les babines, la bave et les dents, les longes et les mousquetons. Il y a seulement quelques jours, j’ai eu mal au ventre dès notre arrivée à la fourrière. Une fois orphelins, les animaux enfants redeviennent des animaux matière. Les chiens sont des enfants que l’on achète, que l’on abandonne, que l’on remplace, comme si c’était la présence d’un autre qui comptait plutôt que les chiens eux-mêmes, comme si avoir un nouveau chien était le remède immédiat à la perte du chien précédent, comme si on faisait le deuil d’un amour en entamant le suivant, comme si ce n’était pas Ulysse mais l’idée de l’amour du chien qu’on aimait, comme si la fonction ou la place supplantaient la forme ou le corps, comme si on n’avait pas pris le temps de pleurer Ulysse, puisqu’il est inutile de pleurer une idée, puisqu’on ne pleure que les corps.


Il y a seulement quelques jours, Ulysse ne parvient plus à se lever, comme alourdi par une gigantesque poche ventrale. Au petit matin, sur la route en direction de la clinique, il lève une oreille quand il sent l’odeur d’un chien à travers la vitre du coffre : une étincelle de vie, de vigilance, de lien à son espèce. Mon père l’allonge sur la table du vétérinaire et chuchote à son immense oreille. Tu es grand et fort. Tu as le droit de te reposer. Endors-toi maintenant. Le corps du chien se relâche, urine ; tout se déverse, quelque chose s’en va. On reste assis un moment dans la voiture à égrener les photographies de ce chien magnifique. Le doigt de mon père tremble sur l’écran du téléphone. Comment toucher l’image d’un corps absent ? De retour au village, on marche jusqu’à l’ancien royaume d’Ulysse, où coule l’eau claire d’un affluent. On se baigne dans le trou d’eau glacé. On essaie de profiter de notre vie ensemble. On pousse ensuite en silence la porte de la maison. On supprime tous les indices sur les tapis de la chambre. L’espace du quotidien de mon père, de sa préoccupation, l’espace de la maison, l’espace du village, l’espace de la planète paraît soudain entièrement dégagé, car Ulysse était énorme et perdait beaucoup de poils. Aujourd’hui, lorsque je regarde la forêt, je ne vois toujours que sa fourrure. Sa présence est partout entre les arbres.


Il y a seulement quelques jours, lorsque mon père m’annonce la mort d’Ulysse en sortant de la clinique, sa voix est exactement la même que lorsqu’il m’annonce la mort de Charly, il y a huit ans, et la mort de Gaspard, il y a vingt-deux ans. C’est une voix rare et unique. Les chiens défunts de mon père sont comme des perles assemblées par le fil de l’espèce. Le fil de l’espèce s’enroule dans la voix de mon père lorsqu’une nouvelle perle vient percuter les autres. Mes souvenirs de ces chiens sont comme des fragments rassemblés par la voix brisée de mon père. Les chiens de mon père sont tous différents, mais font le même son lorsqu’ils meurent en lui : le son du Chien. Il y a quelque chose d’à la fois réducteur et superbe dans ce son monolithique. Tous les chiens ont un museau de chien, des oreilles de chien, des pattes de chien, une langue de chien. Tous les chiens aboient. Tous les chiens de mon père aiment mon père en tant qu’il est lui-même, avec sa voix, ses yeux, ses habitudes, sont attachés par mon père à l’aide de la même laisse, dorment contre mon père dans le même lit, marchent avec mon père dans la même forêt, imitent la même nervosité de mon père. Il est à parier que les chiens de mon père se rencontrent et se côtoient à travers lui, non seulement à travers sa mémoire, mais aussi à travers son corps, que sa mémoire charnelle des chiens perdus informe le chien retrouvé.


Aujourd’hui, Volga sent l’odeur d’Ulysse. L’odorat des chiens est tel qu’ils peuvent sentir le passé, les choses disparues. Le lien d’un chien aux autres chiens est un souvenir qu’ils sentent plus que tout. Volga sent Ulysse partout : dans le coffre de la voiture, sur les pierres de l’escalier du perron, sur les tommettes de terre cuite du salon, sur les tapis persans de la chambre, dans les draps du lit de mon père, sur le cuir du collier de la laisse, dans la main de mon père, sur le goudron de la route qui mène à la forêt, partout dans la forêt, sur les épines de pin, sur les corolles des champignons, sur les litières d’humus, sur les mousses endormies, dans les herbes hautes, contre l’aubier des grands arbres, dans le vent du début d’hiver. Peut-être se dit-elle : quelle est cette odeur de chien perdu qui imprègne encore ma maison, mon maître, ma forêt ? Peut-être sent-elle un corps semblable au sien qui n’est pas le sien et qui a occupé exactement la même place que le sien. Peut-être sent-elle qu’elle succède à un autre. Peut-être sent-elle qu’elle se colle à un chien précédent quand elle se colle à mon père.


Comprenez que les lieux parcourus par le corps de mon père et que le corps de mon père lui-même sont saturés par les corps des chiens perdus qui, à l’instar de tous les fantômes, ont une odeur – or, comme on sait, les chiens fantômes sentent fort et les chiens vivants ont un très bon odorat. Les humains ne parlent ni avec les chiens ni avec les fantômes, mais l’odeur d’Ulysse imprègne encore le monde pour le museau de Volga, malgré tous nos efforts afin de supprimer les indices. Les chiens sont des enquêteurs nés qui créent des fils avec les traces. Les chiens disposent d’un meilleur flair que les amants et ne jalousent pas les anciennes relations. Ils éprouvent de la curiosité pour le cortège canin qu’ils couronnent. Ils comprennent sans effort qu’une place semblable peut être occupée par des corps différents et qu’il s’agit là de l’histoire ordinaire des rencontres. Peut-être que Volga connaît Ulysse, qui lui-même connaissait Charly, qui lui-même connaissait Gaspard. Peut-être que Volga les connaît tous les trois. Peut-être qu’ils se connaissent tous. Peut-être jouent-ils ensemble dans la forêt, peut-être sont-ils amis, ces chiens solitaires et méfiants comme mon père, ces chiens qui, comme tous les chiens humains, ne peuvent librement côtoyer les membres de leur espèce d’origine.


Ulysse s’en va, et ce départ exceptionnel d’un chien unique est aussi l’inlassable répétition d’une très vieille perte. Ainsi, mon père doit chaque fois recoudre sous une nouvelle forme le même membre amputé. Le bruit de la perte est identique, tout comme les aiguilles et la trame, mais vient un nouveau chien pour remplacer le précédent. Pourtant, ce nouveau chien est encore un peu le même, c’est-à-dire un prolongement du corps des autres chiens à travers le corps de mon père. Cette alliance infinie entre mon père et ses chiens n’a pas besoin d’être visible pour embaumer l’espace. Ne pensez pas qu’il s’agit là de grands mots mystiques brodés dans le vide du ciel ; il s’agit au contraire de petites cellules odorantes épinglées dans la matière du monde. Il y a seulement quelques jours, Volga ignorait tout de la lumière qui s’élève doucement derrière Rochecourbe ; lorsque je vois son ombre horizontale prolonger l’ombre verticale de mon père, c’est le temps qui s’agglutine.


 
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   Marite   
6/1/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Un magnifique récit permettant de se faire une idée des liens qui peuvent se tisser entre les animaux de compagnie et leurs maîtres, surtout lorsqu'il s'agit d'une personne solitaire. Curieusement et avec bonheur, l'évocation de la possibilité d'une continuité de liens entre un animal et les fantomes de ceux qui l'ont précédé à la même place, interroge ... et l'on se dit : pourquoi pas ?
L'écriture, sans complexité est si fluide que l'ensemble séduit. Une admiration particulière pour les " petites cellules odorantes épinglées dans la matière du monde."

   Asrya   
21/10/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bien aimé le premier paragraphe ; cette réflexion, cette ébauche de réflexion sur les animaux "matière" m'a séduit. L'image est bien trouvée et le fond est pertinent.

On sent un attachement fort, très fort, à Ulysse, mais pas seulement ; aux différents chiens pour ce père qui a passé sa vie en leur compagnie. Compagnons de chemin, ou compagnons d'âme, de moments gais, de moments tragiques certainement ; ils sont une partie morcelée des différents jalons de son existence, et comme des plumes laissées au vent, se sont envolés.

Envolés certes, mais pas sans traces. Des traces, peut-être matérielles, (qui sont d'ailleurs absentes du récit), mais surtout des souvenirs, dans la tête, dans le coeur, mais également des odeurs à priori, perceptibles par d'autres canidés, Volga en l'occurrence.
Il ne me semble pas avoir lu, vu, à quel moment le père "reprend" un chien ; j'ai imaginé que c'était dans l'immédiateté, et du coup, en effet, oui, les odeurs pourraient encore présentes. Dans la voiture, la maison, les vêtements, oui. La forêt... l'humus... moui... alors si c'est vraiment vraiment dans l'immédiateté !

Beaucoup aimé l'image du collier de perles, je ne sais pas si le message se veut "beau", je l'ai davantage trouvé "tragiquement triste", vrai ; j'y ai vu surtout un effet "collection" qui a un certain effet pervers.
Evidemment pas souhaité par le père, mais si l'on prend du recul, si l'on extériorise le regard, je trouve que cela prend du sens et sied bien au premier paragraphe.

J'ai trouvé l'intention de ce texte noble. Je ne sais pas vraiment quelle a été la volonté de l'auteur. Celle de peindre une idylle entre le père et ses chiens, ou celle plus noire de l'assouvissement des chiens, relégués à l'état d'objet, de matière, qu'on achète, qu'on choie certes, mais qui une fois "cassé" sont à jeter, à remplacer.
J'y ai perçu, inconsciemment ou non, cette volonté plus insidieuse de faire réagir, d'apporter des éléments de réaction face à la condition canine, domestique de manière plus générale.

Un texte animaliste ou centré sur les sentiments d'un père, je ne sais pas.
La dernière phrase, donnée au père, indiquerait probablement que c'est vers lui que ce tourne l'hommage.

Bref, même si j'aimerais qu'il s'agisse davantage d'un parti pris vers l'animal, ca m'a plu.
J'ai été convaincu par l'écriture dans son ensemble, j'ai trouvé quelques passages peu efficace, voire peu vraisemblant ; mais la teneur du récit est là.

Merci pour ce partage,
Au plaisir de vous lire à nouveau,
Asrya

(Lu et commenté en EL)

   Tadiou   
7/1/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Lu et commenté en EL

Nouvelle originale consacrée aux chiens : ce n'est pas si courant.

N'étant pas un spécialiste de la chose canine, je ne me prononcerai pas avec certitude sur la pertinence des analyses et descriptions, qui me semblent toutefois crédibles, car servies par une écriture fluide, précise, quasi scientifique, avec quelques belles images. L'amour des chiens en ressort puissamment.

Dommage que la chute soit inexistante !

Tadiou

   Vilmon   
15/1/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour,
Une belle réflexion sur la succession d'un membre canin de la famille, le roi est mort vive le roi. Une belle écriture qui se lit bien. J'ai un peu accroché pour le temps présent employé pour des événements passés. Je comprends qu'une présence d'Ulysse reste par son odeur qui persiste, mais pour aider le lecteur à bien ancrer la trame du récit, j'aurais préféré retrouver la trame du récit passé-présent-avenir avec le temps des verbes.
J'accroche aussi un peu sur la banalisation un chien est un chien, l'un peu remplacer l'autre. Bien qu'il ne s'agisse pas de mon animal préféré, je crois cependant que chaque chien est un être unique avec son caractère et son interprétation du monde qui l'entoure. J'imagine que le récit voulait souligner l'importance de la présence du compagnon canin chez le père du narrateur et de base, sa seule présence, peu importe le détail de sa personnalité canine, était bien suffisante pour son maître.
J'ai bien apprécié cette trame de nostalgie-mélancolie avec une pointe qui se termine vers un avenir prometteur.

   Donaldo75   
15/1/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour,

J'ai beaucoup aimé ce texte; déjà le sujet m'intéresse, je dirais même qu'il me donne d'entrée de jeu envie de lire une nouvelle bâtie dessus. Ici, l'approche narrative ou la manière d'exposer le thème a évité les pièges habituels, le pathos, les bon sentiments, la guimauve. Il y a du relief dans cette écriture qui ne cherche pas midi à quatorze heures, ne tourne pas autour du pot sans pour autant s'avérer péremptoire. C'est fin, ça se mange sans faim comme disait un acteur français dans un film d'un registre tout autre. Je relis cette nouvelle et je lui trouve encore d'autres qualités, pas mal basées sur l'émotion qu'elle procure à la lecture.

Bravo !

   Eskisse   
29/1/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Keanu,

" comme si ce n’était pas Ulysse mais l’idée de l’amour du chien qu’on aimait, comme si la fonction ou la place supplantaient la forme ou le corps, comme si on n’avait pas pris le temps de pleurer Ulysse, puisqu’il est inutile de pleurer une idée, puisqu’on ne pleure que les corps."

Un exemple de ce que j'aime en prose, cette construction anaphorique qui crée un rythme au service de l'idée.

Je ne suis pas familière des chiens mais j'ai lu cette nouvelle avec beaucoup de plaisir; vous décrivez à merveille comment ces animaux habitent le monde, l'esprit, la mémoire. " Sa présence est partout entre les arbres."

Et j'aime cette idée que le maître transmette à travers son corps la mémoire de tous les chiens qu'il a aimés au nouveau chien.

Une nouvelle d'ailleurs qui traite ( grâce à l'image du fil )avant tout de la mémoire, des empreintes ou traces et du "temps qui s'agglutine".
J'ai beaucoup aimé.

   Malitorne   
29/1/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Texte surprenant, un peu trop dans l’emphase à mon goût vis à vis d’un animal considéré comme plus supérieur, plus complexe qu’il ne l’est réellement. Il faut voir les chiens pour ce qu’ils sont et ne pas les sublimer à l’excès au risque de sombrer dans une forme d’antispécisme avec ses dérives. Ce n’est pas ce que vous cherchiez je pense, plutôt tourné vers un hommage affectif à la figure paternelle à travers son chien. Visiblement les deux ne vont pas l’un sans l’autre.
L’écriture est de grande qualité, malgré je le répète quelques grandiloquences dues à trop d’émotion. Or l’émotion non maitrisée surcharge la phrase.

   gino   
29/1/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Magnifique cette ode au chien qui "peut dentir dans le passé" Emouvante pour ceux qui ont connu cela.
C'est aussi un plogeaon dans la vie, dans l'Univers animal sans limites neni dans le temps ni dans l'espace.
Une très belle écriture pour supporter un beau récit.
Bravo.

   Pouet   
29/1/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Slt,

une écriture indéniablement "aboutie" pour employer le terme adéquat, de très jolis passages, deux particulièrement pour moi:

"Mes souvenirs de ces chiens sont comme des fragments rassemblés par la voix brisée de mon père. Les chiens de mon père sont tous différents, mais font le même son lorsqu’ils meurent en lui : le son du Chien."

et

"Peut-être jouent-ils ensemble dans la forêt, peut-être sont-ils amis, ces chiens solitaires et méfiants comme mon père, ces chiens qui, comme tous les chiens humains, ne peuvent librement côtoyer les membres de leur espèce d’origine."

C'est indéniablement bien écrit dans l'ensemble, sensible, juste.
Pour être un peu chercheur de petites bêtes enfouies, peut-être, je dis bien peut-être, que parfois l'emphase ou la grandiloquence pointent un petit bout de museau. Peut-être, je dis bien peut-être, qu'un brin de "décalé", d'humour" ou de "légèreté" auraient agréablement agrémenté l'ensemble. Au fil des phrases un petit côté "énumération" aussi parfois.

Mais bon, c'est un très bon travail littéraire de retranscription d'émotions, de réflexions et d'observations. Autant un texte sur le canin que sur le paternel.

Et puis le thème me parle bien, comme une certaine résonnance, on ne demeure pas dans l'anecdote, mais on chatouille l'universel.

   Anonyme   
29/1/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Il y en a sur Oniris, des auteurs et des autrices ; de bons auteurs, de bonnes autrices. Vous, ce n'est pas pareil : je vous tiens pour un écrivain, quelqu'un capable d'apporter une voix jusqu'alors inouïe (au sens propre) dans le corpus littéraire français.

Je ne connais que vous pour accéder avec une telle aisance, une telle élégance, à partir de l'anecdotique et signifiant quotidien, à la noblesse et la difficulté d'être. Je me rends compte que vous affectionnez l'anaphore qui me rebuterait plutôt, peu importe. Il n'y a que vous, songé-je, pour, simplement, dire la douleur, l'inéluctable et affirmer la force de la vie et de ses liens affectifs.
On essaie de profiter de notre vie ensemble.

Pardonnez-moi, je ne saurais analyser avec pertinence ce texte. Il est, selon moi, avec la même force d'évidence que sont les choses indépendantes de nous humains, de nos créations. C'est peut-être ce qui me fascine ici, j'ai le sentiment absurde que ce que vous avez écrit existe hors l'humain, créé par un processus situé en dehors d'un cerveau, comme les arbres dans la forêt abritant les promenades du père du narrateur avec ses chiens successifs et confondus en lui.

   Anonyme   
29/1/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Oh, la vache, c'est beau. Beau et émouvant. Beau comme le lien qui nous unit au chien depuis 30 000 ans, qui a façonné le chien et a également façonné notre espèce, qui a rendu le chien bilingue et fait que nous lisons, entendons et sentons aussi parfois ses humeurs sans avoir jamais appris cette langue étrangère qui est la sienne.
Votre écriture est imprégnée de cette langue, et je ne sais pourquoi, elle m'évoque la moiteur du chien.
Quant à l'histoire... J'ai pendant des années, donné la mort à ces chiens au bout du rouleau. Et à mon premier chien, arrivé dans ma vie quand j'avais dix ans.
J'ai, il y a quelques années, mis un an à faire le deuil de ma chienne. J'ai, quand je la convoque, la sensation intacte de son poil sous la main. Une autre chienne a très vite pris sa place, -son compagnon avait besoin de cette présence du congénère, qu'on refuse à tant de chiens, ce qui est sans doute la maltraitance la plus courante qu'on leur inflige ; nous avions besoin de la présence d'un grand chien- et cette chienne venue après elle a étonné les personnes qui l'ont rencontrée : "elle ne lui ressemble pas... mais on dirait la même". Bien sûr, je l'avais choisie pour son caractère, pour son vécu de chienne des rues. Son caractère ressemblait à celui de ma chienne défunte, mais tout de même, vous l'écrivez si bien : "Il est à parier que les chiens de mon père se rencontrent et se côtoient à travers lui, non seulement à travers sa mémoire, mais aussi à travers son corps, que sa mémoire charnelle des chiens perdus informe le chien retrouvé". J'en suis persuadée.
C'est la première fois qu'un texte lu sur Oniris me bouleverse.

   Corto   
29/1/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Voici un beau texte avec une démarche originale.
Je note que je me suis 'fait avoir' au début avec l'expression "Il y a seulement quelques jours, elle ignorait tout du royaume d’Ulysse, de la forêt de mon père". Tiens me dis-je, on part pout Ithaque !

Mais nous voici donc au royaume des chiens, avec une belle sensibilité, avec surtout de belles descriptions de la relation, de la compréhension, des perceptions réelles ou présumées de ces animaux attachants.

L'auteur va loin dans ce qu'il présume des capacités, des complicités, voire de la prescience ici attribuée à cette dynastie de chiens.
C'est vivant, attachant, plein de tendresse.
Bravo.

   Catelena   
30/1/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Une histoire qui ne peut qu'attirer comme un aimant tous les fous de leurs chiens de mon acabit.

Les deux premières phrases de l'entame savent s'emparer du lecteur qui passerait devant la vitrine nonchalant.
Elles nous donnent tout de suite envie de faire plus ample connaissance avec Volga, avec Ulysse, avec la clique entière de leurs aïeux, et avec la forêt de [mon] père.

Dans ce premier paragraphe aussi, je ne suis pas arrivée à vraiment trancher si le narrateur fait l'apologie ou bien le procès de ce ''commerce'' de chiens. Peut-être les deux, et c'est alors cela qui teinterait les lignes d'une indéfinissable tristesse...

Puis vient à proprement parler l'histoire de la relation privilégiée qui s'instaure entre l'animal et l'homme, au point que dans cet animal du bout de la chaîne se réincarne, pourquoi pas, les fantômes des premiers chiens qui ont laissé leurs traces dans la maison. Un passage de relais en quelque sorte, qui consolerait l'homme de la longévité trop courte de la vie d'un chien par rapport à la sienne.
Car l'idéal ne serait-il pas d'avoir et de garder un seul et unique compagnon pour traverser la même vie, ensemble de A à Z ?

Merci infiniment pour parler si bien de l'ambiguïté qui se niche dans les relations affectives si particulières entre nous et les chiens, nos amis canidés de longue date.

   ferrandeix   
31/1/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Un texte à mon avis remarquable: une recherche analytique très poussée de ce que peuvent représenter les êtres (canins ou humains), leurs liens et une dissection de notre comportement face à la mort de nos compagnons animaux domestiques. L’auteur évite tout propos trivial ou anodin pour se focaliser sur l’indicible, en fouillant la réalité de nos sentiments, de nos rapports à travers la disparition et la reviviscence. Il plane un mystère sur cette succession d’existences qui pourrait rappeler une métasomatose.

Que pourrait-on conclure de ces non-dits qui façonnent notre quotidien et nos années, de ce croisement entre des êtres dont l’asynchronicité du cycle vital conduit à des superpositions successives. Une transmission que perçoit l’animal, mais que l’homme ignore ou feint d’ignorer. On reste dans l’expectative.

Bravo pour l’écriture également qui utilise beaucoup les énumérations, les formules répétitives comme effet littéraire:

“Tous les chiens ont un museau de chien, des oreilles de chien, des pattes de chien, une langue de chien…”

“…dans le coffre de la voiture, sur les pierres de l’escalier du perron, sur les tomettes de terre cuite du salon,...”

Pour moi, note maximale. Dommage que la mention "passionnément" n'existe plus.

   Perle-Hingaud   
2/2/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Que dire de constructif ? C'est un texte construit, et qui sous sa simplicité de façade traite plusieurs thèmes profonds: le rapport à l'animal, à soi, à la mort...
J'ai aimé parce qu'il y a justement cette histoire simple, nous ne sommes pas en présence d'une explication aride d'un point de philosophie.
J'ai aimé parce que l'émotion est présente,
J'ai aimé parce que l'écriture est simple et belle, avec ce leitmotiv "il y a seulement quelques jours", un refrain qui ancre le texte dans une certaine temporalité: passé / présent avec "aujourd'hui" et puis retour cyclique, "il y a seulement quelques jours".
C'est aussi le seul bémol: peut-être l'effet est-il un peu lourd ?
Mais c'est pour chipoter.
Un très beau texte !

   EtienneNorvins   
13/2/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Qu'ajouter - tout est déjà souligné par les commentateurs précédents, et particulièrement la qualité de l'écriture et l'émotion grandissante qu'elle suscite.

Alors le titre : cet Ulysse qui est chien, et fait du narrateur et de son père comme des Argos fidèles ? Et cette interversion qui achève de rendre plus poignante la relation entre l'animal et l'homme.

Merci.

   plumette   
23/2/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Keanu,

Toutes ces plumes, c'est intimidant!
j'aime la manière dont vous avez creusé votre sujet.
une réflexion sur le lien entre l'homme et son animal ( ici un chien, mais je me souviens d'un chat dans un autre récit !) au travers d'une histoire singulière qui dit, à la fois la solitude de l'homme, la force du lien et la trace laissée par le chien avec cette hypothèse d'une continuité au delà de la disparition , assurée par la succession de ces chiens qui tout en venant tenter de combler l'absence du précédent, s' additionnent pour donner une épaisseur à cette chaîne affective.

le texte mêle une réflexion et des évocations sensibles, dans un équilibre que je trouve réussi.

un texte que j'aurai plaisir à relire! il fait parti de ceux que j'imprime et garde précieusement dans une chemise cartonnée dédiée à Oniris et ses talents!

   Blitz   
18/4/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Très beau texte même si j'ai dû relire les premiers chapitres pour comprendre le contexte.
Ecriture impeccable, bien rythmée.
Thème très intéressant de l'animal domestique comme un prolongement de soi qu'on peut renouveler tel un membre amputé qui repousse. Cela donne à réfléchir.

   Miguel   
18/4/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
n'aime pas
L'écriture est excellente, je le dis d'emblée. Mais que d'histoires pour la mort d'un clébard et la psychologie d'un autre ! La poésie mérite de meilleurs sujets. Je sais qu'un de nos plus grand poètes, Lamartine, n'a pas hésité à célébrer sa "levrette blanche au museau de gazelle", mais si ces vers sont excellents, ce ne sont pas mes préférés. Cette sensiblerie autour des animaux m'agace. Je ne leur ferais pas de mal mais je les laisse à leur place. On prête trop de nous-mêmes aux animaux, et Keanu tombe ici dans ce travers. Il y a tant à faire à se préoccuper des humains. J'espère retrouver cette brillante plume sur un thème qui me parlera davantage. Je suis venu à ce texte attiré par le nom "Ulysse", je repars bien déçu; mais du moins je le redis, pas par l'écriture.

   Salima   
29/9/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
J'aime beaucoup votre façon d'écrire. Le sujet est traité en profondeur, patiemment, après de longues observations et réflexions, et l'idée est répétée à de nombreuses reprises, jusqu'à bien imprégner le lecteur. Cette répétition pourrait être éventuellement un point de critique, mais là, il me semble que c'est une question qui dépend de la subjectivité du lecteur. Et justement, ce soir je trouve très apaisant ce récit sur les liens tissés encore et encore entre maître et chiens au long de plusieurs vies.
Vous faites également usage de certaines figures de style très poétiques, et je trouve très reposant leur emploi parcimonieux, qui donne à l'œuvre un caractère littéraire tout en permettant au propos de progresser sans encombrement.
Il me semble que vous devez avoir beaucoup d'expérience dans le domaine de l'écriture pour écrire un texte si harmonieux et équilibré.


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