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Science-fiction
KevinL : La conspiration des complotistes
 Publié le 21/12/20  -  8 commentaires  -  9133 caractères  -  65 lectures    Autres textes du même auteur

Georges est employé au ministère de la Vérité vraie et absolue mais, un jour, une fakenews aura raison de lui et de son étroitesse d'esprit.


La conspiration des complotistes


Il est 7 h 05 du matin, la lumière perce avec force le store gris vénitien mal resserré et quelque peu poussiéreux. Le jour s’engouffre et se déverse dans la petite pièce exiguë, il vient envelopper le bureau d’angle en bois avec sa petite chaise noire en similicuir où un chat caramel sommeille de tout son long. Puis, il finit par dévorer lentement le corps d’un homme encore dans les bras de Morphée. La lumière glisse du bas vers le haut et irradie ce visage rond jusqu’à écarquiller de force les yeux de Georges. Les yeux ouverts, l’esprit retrouvé, il se réveille et d’un élan mécanique s’empresse de se préparer. Il bondit dans la salle de bains, se saisit de sa brosse à dents ainsi que de son dentifrice et machinalement se lave les dents. Il a son petit rituel à lui, il allume sa télévision et continue sa préparation.

Aujourd’hui, il est confronté aux actualités, son actualité. C’est lui qui a écrit le texte qui défile dans le prompteur afin que le journaliste puisse relater les faits exacts. Ces faits concernent un duel entre médecins ; un médecin charlatan de type gaulois aux traits serrés, barbe et cheveux longs grisonnants, qui s’oppose au traitement du jeune ministre de la Santé. Ce jeune ministre, un homme brave, magnanime et d’expérience, prêt à se sacrifier pour l’amour de sa patrie et qui se voit agressivement conspué par la propagande médiatique de cet imposteur pavoisant sur sa chaîne Internet comme le grand sauveur. C’est Georges qui a rétabli la vérité, d’ailleurs le ministère a tenu à le récompenser pour sa loyauté et a fait diligence pour qu’il soit promu comme rédacteur en chef du ministère de la Vérité vraie et absolue. Les hommes bons et honnêtes sont toujours récompensés en République.

Il éteint la télévision et finit de se préparer. Lorsqu’il met ses mocassins noirs en cuir, il est soudainement pris de désagréables et lancinants maux de tête. Cela fait déjà plus de six mois qu’il a ces symptômes récurrents. Ces symptômes datent depuis la dernière injection pour lutter contre le COVID-23, ce virus venu d’un pays lointain et dont on ne sait rien, si ce n’est qu’il faut se faire impérativement vacciner pour l’éviter.

Chose qu’il a faite sans tarder, non pas pour son bien personnel mais pour celui de la société, il est fier de l’évolution de la société, la France est passée d’une société d’individus libres à une société collective composée d'un agrégat de personnes responsables. Georges fait partie de ces hommes, éduqués, sains d’esprit, qui n’oublient pas à quel point le grand Louis Pasteur a consacré sa vie, de façon désintéressée, à sauver l’Humanité. Il a un avis très catégorique, la vaccination ne doit pas être un sujet démocratique mais une obligation personnelle pour tout individu voulant vivre en société, surtout que la pandémie de COVID-23 a tué plus de 56 000 personnes en France. Un triste chiffre.

Avant de quitter son appartement, il réalise sa petite attestation ; il remplit son nom, prénom, date, lieu de naissance, adresse, ainsi que le motif de sa sortie. Cela fait déjà deux ans, mais ce geste est devenu une habitude, un acte citoyen. Il faut être solidaire dans les temps de malheur et savoir faire des concessions, la liberté ou la santé. Lui, il a fait son choix.

Il prend son masque chirurgical blanc de la veille qu’il a soigneusement lavé à la machine à trente degrés. Il est sec et parfaitement hermétique. Il le positionne convenablement, bien devant sa bouche, un élastique après l’autre et le tour est joué ! Il est protégé contre le virus et protège aussi les autres ! Il se le dit chaque matin, ces petits gestes peuvent sauver des vies. Il quitte son appartement.

Comme à l’accoutumée, il s’offre un détour pour son petit plaisir avant d’aller au travail. Il s’achète un café à la machine de la grande société AMAPLACE. Il a une petite pensée pour le commerçant qui était installé là auparavant. Il essaie de se souvenir de son visage, mais il se rappelle juste qu’il a fait faillite et s’est suicidé. Le café coule lentement, le froid ambiant exalte les arômes. Mais avant de pouvoir le retirer de la machine et déguster ce savoureux breuvage, il doit payer. Il réalise le paiement grâce à son implant sous-cutané. Pratique et efficace, mieux que la monnaie fiduciaire qui est, selon le ministre de la Santé, le principal vecteur de propagation des maladies. Ce nouveau mode de paiement est révolutionnaire, toute la vie d’un homme est contenue dans une micropuce.

La vaccination a permis la fusion entre la biologie moléculaire et la technologie numérique. L’Homme est enfin en symbiose avec les machines et connecté au tout. Chaque déplacement est enregistré et envoyé dans un serveur pour être traité par une intelligence artificielle. En temps de COVID-23, les déplacements sont limités au strict minimum. D’ailleurs la police veille ce matin, cela fait déjà la quatrième patrouille qu’il croise. Il se sent en sécurité, surtout depuis l’insurrection de millions d’enragés extrémistes et complotistes qui ont bien failli pénétrer dans les bureaux de son travail et même à l’Élysée ! Il s’en est fallu de peu… Georges est satisfait et reconnaissant que l’État ait pu enfermer dans des camps ces gens ineptes et inconscients qui ne devraient pas bénéficier du droit de parole.

Les caméras de surveillance balayent les rues désertes. Chacun est identifié avec une technologie de reconnaissance faciale et de micropuçage. Georges vient d’être doublé par un homme pressé qui le frôle sans avoir respecté la distanciation physique. Il s’empresse de le vitupérer :


– C’est un mètre de distance ! Salopard de criminel !


L’homme n’a pas eu le temps de se retourner et de répondre qu’une voix sortie d’un haut-parleur le somme de se mettre à plat ventre. Georges, narquois, sait ce que cela signifie, il sait qu’une patrouille viendra le placer à l’isolement dans un camp d’internement. Satisfait par la situation, il arrive souriant à son travail.

Georges fait partie de ces personnes considérées comme essentielles à la nation. Il est le valeureux héraut de la société, le porte-étendard de la liberté et de ses valeurs humanistes. Sans sa profession la lumière ne parviendrait plus sur Terre, le chaud et le froid, le blanc et le noir, le haut et le bas, ne seraient plus à l’équilibre. Il nourrit le monde par l’information, il permet aux obscurantistes d’être informés, de jouir de la connaissance pleine et entière. Il est l’héritier fidèle de Lucifer.

Aldous, son patron, l’aperçoit et l’interpelle :


– Georges, te voilà ! Il faut impérativement que tu m’écrives un article qui sera relayé dans tous les journaux par le réseau.


Aldous lui demande d’écrire un article pour réinformer la population contre ces fous anti-vaccins.


– D’après eux, l’hécatombe de morts serait due à la dernière vaccination remontant à six mois. Cela fait déjà plus d’un million de morts, les gens décèdent les uns après les autres, ils se plaignent de maux de tête puis décèdent subitement d’un infarctus. Les pseudos-lanceurs d’alerte prétendent que ces morts seraient liés à la vaccination de Bill !


Georges a entendu parler de ce fameux Silvano, son ennemi juré, son opposant à abattre, le meneur de toute cette agitation. Il ne conçoit pas que ce fameux Silvano puisse soi-disant informer la société, lui faire de l’ombre.


« Cette tâche n’est pas la sienne, c’est la mienne ! » s’exclame-t-il dans sa tête.


Il se réjouit d’avance en s’imaginant le jour où la police trouvera le repère de ce vil complotiste pour l’enfermer dans un camp. Pour notre journaliste, les lanceurs d’alerte sont une plaie pour le métier, ils déforment la réalité et fantasment sur un pouvoir secret qui ourdirait des complots contre les humains. Et puis quoi encore !

Fermement décidé, il se met au labeur et entend bien faire régner la vérité. Il commence à rédiger son titre : « Le délire complotiste : l’hécatombe de morts serait due aux vaccins empoisonnés. » Mais au moment de commencer à entamer l'écriture du corps du texte, Georges commence à suffoquer. Taper sur les touches de l’ordinateur devient de plus en plus difficile. Il ne se sent pas bien, il manque d’oxygène, il est pris de tournis, il se lève, voit trouble. Une douleur puissante le prend au niveau de la poitrine. D’une voix essoufflée il crie à l’aide, il se tient la poitrine, il perd l’équilibre. Il s’effondre.

Ses collègues de bureau le regardent, ils sont sous le choc. Ils savent qu’ils ne peuvent pas lui venir en aide car s’ils s’y risquaient, ils rompraient la distanciation physique et ils pourraient être contaminés par le COVID-23. Aldous, spectateur irrité de la situation, les reprend :


– Allons, ce n’est pas la première fois que ça arrive ! Il est déjà mort, il a été contaminé par le virus, on ne peut plus rien pour lui. Jean ! Viens terminer son travail. Il faut absolument défaire le monde ces fausses informations, de ces conspirationnistes.


Jean, fier d’être promu, s’empresse promptement de terminer le travail de Georges pour sauver l’humanité de cette fakenews. Avec un balai, il pousse le cadavre de Georges et récupère sa place.



 
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   cherbiacuespe   
25/11/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Pire que de soupçonner des complots partout : n'en voir jamais !

Cette nouvelle est très bien rédigée. Chaque mot est pesé, composé sans faille. Les péripéties sont placées avec finesse, au bon moment de son déroulement. Cela se lit sans lassitude, avec un intérêt appuyé.

Le sujet abordé n'est pourtant pas si simple en faisant allusion à la situation actuelle. Le piège est grand entre ceux qui se trompent avec une régularité de métronome sans jamais vouloir le reconnaître, et ceux qui font preuve d'une imagination fertile. Une analyse au vitriol d'un contexte qui se détériore en camouflant soigneusement les ambitions des uns et des autres.

   SaulBerenson   
25/11/2020
 a aimé ce texte 
Un peu
Covid version Stasi il fallait y penser.
Référence à Aldous, à qui même on ne peut plus se fier.
Ecriture limpide et digeste. Peut être quelques clichés auraient pu être évités; laisser Morphée dormir tranquille par exemple.

   Anonyme   
21/12/2020
Bonjour KevinL,

Votre texte montre la polarisation d’une société entre les tenants de deux extrêmes et le combat idéologique entre ceux-ci. Par l’ironie qu’il utilise, il entend éclairer la vérité par le triomphe du mensonge ou de l’égarement intellectuel. Par le décès de Georges, vous nous faites comprendre qu’il est mort par les moyens qu’il a lui-même contribué à mettre en place.

Je comprends que la brièveté du texte, que j’imagine voulue, contraint à brosser la situation à gros traits. La position adoptée par le texte est très claire. Ce que je regrette un peu, c’est qu’en cela, il ne fait que poser une thèse sans apporter réellement d’éléments de réflexion, de doute. Certes, vous opposez les millions de morts dus à un vaccin aux quelques dizaines de milliers de morts par le virus et c’est un début de mise en balance des gains et des bénéfices, de la réalité et du fantasme, mais il est tellement caricatural et fictionnel que le lecteur ne peut, je pense, qu’en sortir avec le sentiment d’avoir été confronté à l’une des deux thèses extrêmes sans qu’aucun des convaincus d’un camp ne puisse sortir du sien, voire même à s’y trouver conforté.

Je pense même que le sujet est tellement passionnel, désormais tellement polarisant, qu’il serait plus efficace de l’aborder par un autre sujet avec lequel la comparaison puisse être faite, plus subtilement dans le cours de la lecture et non dès le départ. Un sujet moins polémique, au sujet duquel un lecteur puisse se mettre en position de réflexion préalable et non de confrontation d’a priori matraqués et intégrés. Il en existe.

L'urgence est moins de démontrer une thèse que de soustraire le lecteur à la culpabilité imposée par les questions qu'il pourrait se poser, ce qui devrait pourtant être un signe de bonne santé mentale.

   Charivari   
22/12/2020
Bonjour.

Comme j'ai lu la nouvelle je vais la commenter....

Pour commencer, je vois qu'il s'agit d'un sujet "franco-français" avec des allusions à votre ministre de la santé, au dr Raoult, ce qui pour moi, habitant l'étranger, reste quelque chose de vague.

J'avoue tiquer un peu sur cette critique acerbe, aux traits tout à fait caricaturaux, surtout parce que je ne suis pas d'accord avec la critique en question, mais c'est une question idélogique, donc qui n'a pas forcément sa place dans un commentaire littéraire. Disons que je pense qu'il y a beaucoup à dire sur les "fake news" et la propagande officielle des médias généralistes qui ne vaut pas mieux, mais très franchement, pas sur le thème du vaccin. Enfin, encore une fois, c'est une question d'opinion: je trouve le trait grossi et surtout déformé.

Côté positif, c'est bien écrit et la chute est sympa, et puis il y a deux ou trois formules intéressantes qui m'ont fait sourire. Bonne continuation

   Corto   
23/12/2020
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Ce texte ne m'a guère passionné.
L'inspiration est basique, utilisant un phénomène de société en pleine actualité. Le décalage minime avec une réalité que chacun essaie d'appréhender avec les multiples incertitudes que l'on connait ne lui donne pas de force. La place de l'imaginaire est très réduite.

Le dilemme entre liberté individuelle et vie en collectivité est traité de façon caricaturale.
Un texte ambitieux ou égaré dans des enjeux qui le dépassent.

Avec mes regrets.

   fugace   
23/12/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Cette petite nouvelle en catégorie fiction m' a bien plu.
L'idée du ministère de la Vérité vraie et absolue est une jolie trouvaille. Il est vrai, qu'actuellement on n'est pas à l'abri d'un nouveau comité "Théodule" complètement abscons!
Le décodage est fort simple, il suffit de se laisser "bercer" par les médias pour retrouver tous les ingrédients de l'actualité, y compris l'ambition effrénée du sieur George puis de son successeur Jean qui purement et simplement l'ôte de son chemin d'un coup de balai.
Les écrits de fiction sont connus pour décrire des situations qui ne surviendront que beaucoup plus tard. Je crains que celle-ci ne connaisse une échéance pas si lointaine.
Merci pour ce bel écrit.

   Anonyme   
23/12/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour

J'aime bien cette nouvelle : science-fiction aujourd'hui mais qu'en
sera-t-il demain ? Alors que toutes nos libertés sont lapidées
par cette sacro-sainte crise sanitaire.
Faites le plus peur aux gens et vous en ferez ce que vous voulez,
la maxime n'est pas d'hier.
C'est bien écrit, peut-être, un peu trop de détails par endroit mais
la satire ne manque pas son but.
Ah ces complotistes, il faudrait les éliminer avant qu'ils ne fassent
trop de dégats.

   Babefaon   
7/2/2021
 a aimé ce texte 
Bien
COVID-23 vs COVID-19, que le temps passe vite ! Et finalement les choses n'ont fait qu'évoluer dans le mauvais sens, c'était plutôt prévisible.

Un récit d'anticipation qui pourrait presque s'inscrire dans notre époque tant les choses vont vite, et qui pose de nombreuses questions. Qu'en est-il de la responsabilité citoyenne, de la liberté de choisir si tant est qu'on nous la laisse encore et pour combien de temps ? Vaccins vs Anti-vaccins. Un sujet qui fait déjà polémique et qui gronde.

Dans une société où nous sommes de plus en plus connectés, avec des applications pour tout et n'importe quoi, qu'en est-il de l'humain hyperconnecté ? Georges n'est plus qu'un numéro qui s'exécute et exécute les ordres qu'on lui donne jusqu'à ce que quelqu'un d'autre prenne le relais pour le remplacer dans l'indifférence générale. Comme si ça coulait de source et sans que personne s'en émeuve.

Une question demeure malgré tout : le fait de laver son masque à 30° seulement, n'aurait-il pas contribué à ce qu'il contracte la maladie plus vite ?


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