Les Croisades.
En l’an 1101, un troubadour fut témoin d’un spectacle insolite. Dans la cour du château de Paillac, il aperçoit le « Chevalier de la Mare » revenant des Croisades. Le pont-levis étant fermé, c’est d’un talus que le chevalier interpelle sa bien-aimée assise sur le rebord d’une des tours crénelées. Les serviteurs et les gardes assistent à la scène.
Le Chevalier En sillonnant sans m’arrêter Jérusalem et ses lieux saints Obsédé par un seul dessein Rejoindre enfin ma fiancée.
Avant ce long chemin de croix Nous séparant durant des mois Pour la vie, pour l’éternité. Nous nous promîmes fidélité.
Les gardes (en chœur) Les paltoquets, les colporteurs Sont interdits dans la demeure.
La Bien-aimée L’éternité c’est terminé Notre mariage est annulé Je vous croyais mort au combat Et patati et patata.
Par quel miracle vous revoici ? Aussi indemne, toujours en vie ? À votre peine je compatis, Depuis le roi est mon mari.
Les serviteurs (en chœur) Qui part à la chasse perd sa place. Tabadabada Tabadabada.
Le Chevalier Quelle infortune, mais quelle déveine ! Ma propre femme est une vilaine Profitant que je sois parti Couchant avec n’importe qui.
Où est le roi, ce malandrin Ce porcelet, ce sac à vin ? La perfidie n’a qu’une sentence Il va regretter sa naissance.
Les servantes (en chœur) Tu l’as dit bouffi… slap, slap, slap Tu l’as dit bouffi… slap, slap, slap
La Bien-aimée Mon chevalier mon gentilhomme Auriez-vous troqué au combat Votre parler si délicat Pour des manières plus friponnes ?
Sans vous presser abusivement Au lit se languit mon amant, Le roi revenant vers midi J’aim’rais autant qu’il soit parti.
Les serviteurs + les gardes Qui part à la chasse perd sa place, Tabadabada… tabadabada…
Le chevalier fit demi-tour puis disparut dans la forêt. Au loin, quelques jurons étouffés traversèrent le feuillage épais de ce début d’automne.
Les historiens sont catégoriques. Les formules amoureuses telles que : « Chienne de vie », « Mais qu’est-ce ? », « On aura tout vu », « Si j’avais su ! » et enfin « Zut alors ! » furent précisément inventées en l’an 1101, époque où de nombreux Croisés rentrèrent chez eux afin de profiter d’un repos bien mérité.
Si seulement…
Si seulement t’étais blonde Le cheveu scintillant S’amusant dans le vent Imitant la colombe.
Si seulement t’étais blonde Moins costaud des abdos Légèrement moins ronde D’environ vingt kilos.
Si seulement t’étais blonde En surveillant ta ligne Sans les seins en sourdine Et sans rien qui ne tombe.
Si seulement t’étais blonde En suivant un régime En faisant attention Tu serais féminine.
Si seulement t’étais blonde Un peu mieux épilée Excepté sur les ongles Qu’il faudrait te limer.
Si seulement t’étais blonde Tu m’aurais tant comblé En étant seule au monde Et non déjà mariée.
Si seulement t’étais blonde. Ah ! Raymond. Quel dommage !
Jean Ton voisin de bureau Le 10 juillet 2010
Chère madame,
C’est le cœur en miettes que je me résigne, À composer ce délicat billet, Au gré des rimes et des mots qui s’alignent Vous dévoilant mes sentiments secrets.
Chaque jour qui se lève est un cadeau de vous, Un parfum de matin rafraîchi de rosée, Se glissant dans ma nuit encore entrebâillée Sur des fruits défendus et des rêves tabous.
Que la foule soit dense et le fracas puissant, Je distingue aussitôt votre voix parmi toutes, Au milieu des tumultes les plus assourdissants Mon cœur n’aura jamais le moindre doute.
Si d’imprévu vos yeux s’arrêtent sur moi, Leur éclat safrané effleuré par la brume, Mes jambes s’affaissent en frissonnant d’effroi, La raison m’abandonne devant cette infortune.
Quand la malchance insiste et que mon tour survient, Votre grâce abolit les facultés restantes, Celles qui sollicitaient ce précieux entretien Dont vous vous révélez la complice évidente.
De simple confidence à l’aveu quotidien, Des heures durant ces mots chantent à tue-tête, Il n’existe que vous pour les dire aussi bien, C’est inlassablement que je me les répète : « Et pour monsieur Durand, bien grillée la baguette ? »
Firmin
Maître Jean-Ernest BENOIT Avocat à la Cour de Versailles Intervenant en faveur de monsieur Gaston Flessignac
Madame Odette Lebrun,
Attendu que vous n’avez fourni aucune réponse au courrier de monsieur Flessignac, posté en gare de Rouen en date du 11 avril 1998 à 19 heures précises (avant la dernière levée) ; considérant que vous n’avez pas daigné apporter la moindre explication à ce silence, lequel risque fort de se retourner contre vous et que la seconde lettre de Gaston Flessignac datée du 10 mai 1998 (19 heures 15, après la dernière levée), lui fut retournée avec la mention « n’habite certainement pas à l’adresse indiquée » ; compte tenu que par deux fois Gaston tentait de régler à l’amiable le ridicule litige vous opposant, vous lui avez raccroché au nez, sans justification cohérente ni formule de politesse afférente. Étant donné que le 25 juin dernier, alors que Gaston Flessignac vous tendait un bouquet de roses rouges, vous lui avez violemment jeté votre sac en plein visage mettant ses jours en péril l’espace de quelques secondes. En référence aux griefs énoncés précédemment ainsi qu’à l’arrêté n°137 du code de la courtoisie, modifié en 95 paragraphe ‘W’, amendé en ligne 23 et corrigé en ligne 10 (le mot ‘accusation’ prenant 2 ‘c’ et non 1, « bonjour la faute »), vous serez prochainement convoquée au palais de justice de Versailles afin de répondre aux questions ci-après afin d’expliquer l’ensemble de vos actes. Au terme des délibérations (et après buffet campagnard gratuit), les jurés auront à se prononcer sur les questions suivantes :
1/ Monsieur Gaston Flessignac aime-t-il madame Odette Lebrun ?
2/ Madame Lebrun aime-t-elle monsieur Gaston Flessignac ? Question subsidiaire :
3/ Si Madame Lebrun n’éprouve rien pour Gaston Flessignac : POURQUOI ?
Dans le cas où vous n’auriez aucune explication plausible à fournir à la Cour concernant la dernière question, le tribunal ne vous accorderait pas de circonstance atténuante. La sentence serait alors sans appel ; une peine de principe vous imposant de vivre sous le toit de monsieur Gaston Flessignac, pour une période d’essai de trois mois renouvelable.
Veuillez agréer, madame Lebrun, l’expression de mes sentiments distingués.
Maître J.E. BENOIT
Ma Poulette
T’entends quoi par tendresse ? C’est un truc de gonzesse
Un moulin à promesses Pour endormir l’esprit Juste un tour de magie Qui s’conclut dans un lit.
Paulo ton « keum »
Jean Pierre,
Ta dernière déclaration m’a bouleversée. Le style est dépouillé et le ton plaisant. J’ai rougi au passage où tu me demandes en mariage. Tes qualités, ton physique et ton intelligence font de toi un homme. Parfaitement ! Un homme.
J’aime beaucoup la photo que tu as jointe. Quelle trouvaille ce costume gris qui te va à merveille ! Avec tes grosses lunettes, tu fais sérieux. Portes-tu toujours des lunettes ? Je veux dire tout le temps ? À force, ça doit fatiguer la vue !
Tes yeux verts (je suppose car la photo est en noir et blanc) sont adorables, aussi profonds que ceux de Charles-André.
Ta coupe de cheveux ressemble à celle d’Yvon. (Le douanier, au retour d’Italie.)
Tes larges épaules me rappellent Augusto. (Le copain du douanier.)
Ta bouche parfaitement dessinée n’a rien à envier à celle de Richard.
Je devine que tes mains caressent divinement. Tout comme celles de François. Tu le connais ?
Ton corps est un volcan perpétuel saturé de grandes flammes fougueuses. J’en parlais cette nuit à Ferdinand qui partage mon avis. J’te signale !
Tu vaux mille fois mieux que tous les hommes réunis. En couchant avec eux, j’ai le sentiment de me retrouver entre tes bras. L’ivresse. La jolie harmonie. Faire l’amour aujourd’hui n’aurait aucun sens. Nous ne pouvons pas nous humilier de la sorte. Plus rien ne serait comme avant. As-tu bien réfléchi ? M’aimes-tu vraiment ?
Le gâchis serait total. Ma tristesse immense.
Afin de préserver notre bonheur, je préfère qu’on s’écrive… quelques années encore.
Ta Caroline pour la vie.
Expertise médicale N°132 / Bloc N°5 Patiente :
Madame Toublard.
Lorsque l’on examine Votre artère pulmonaire Ses parois tambourinent D’excellentes manières.
Le ventricule de gauche Affiche un bon moral Toujours logé à gauche N’a pas bougé d’un poil.
Vivotent les veinules Gazouillent les vaisseaux Il faut que tout circule De l’aorte au cerveau
Un brillant chirurgien Complétant l’examen Vous a analysée De la cave au grenier
Pas l’ombre d’un pépin Ou d’une bagatelle D’un minuscule machin Tout semble naturel.
Les pulsations nombreuses Que le cœur vous envoie Ne cacheraient-elles pas Une cause amoureuse ?
La science a ses limites. Très cordialement
Toute l’équipe du Bloc N°5
Mon Dédé,
J’espère que tu vas bien. (Déjà dix ans !). Julien grandit vite. Il te ressemble de plus en plus. Quand je vais au travail, c’est un voisin qui le garde ; Monsieur Jean. Te souviens-tu ? Il paraît que vous avez travaillé ensemble. As-tu reçu mon colis ? J’espère que le pyjama est à ta taille. Pour le coloris, je n’avais pas le choix. Bleu ciel et marguerites imprimées. Monsieur Jean prétend que ça risque de te faire du tort.
J’ai acheté la villa. Plutôt une petite maison. Une vraie. Dans deux mois, on creusera le terrain. Jean veut creuser une piscine. Ça fera plaisir au petit. À propos, connais-tu les Caraïbes ? J’ai prévu d’y aller en février pendant les vacances scolaires.
La vieille 4L est à la casse. Tu vas rire, la Mercedes 500 ne rentre pas dans le garage. C’est drôle !
Comment as-tu trouvé mon gâteau au chocolat ? Bon j’espère ? Il paraît qu’on t’a encore changé de cellule. Aurais-tu fait une bêtise ?
J’ai bien reçu ta lettre. JE N’AI ABSOLUMENT RIEN COMPRIS ! De quel butin parles-tu ? Il n’y avait pas de magot dans la 4L.
À mon avis, tu lis trop de romans policiers.
J’arrête ici. Ce soir on sort. Avec Julien et Monsieur Jean on va au Casino. Le petit veut jouer aux machines à sous. Tiens bon mon chéri ! Dis-toi qu’il ne reste que vingt-cinq ans à tirer. Et après… à nous la belle vie.
Je t’embrasse mon Dédé.
Sandrine
Monsieur le Capitaine des pompiers,
Faisant suite à l’intervention héroïque de vos services dans la nuit du 5 au 6 juin dernier, je tenais à vous adresser mes remerciements.
L’incendie (encore non élucidé) survenu cette triste nuit fut brillamment maîtrisé par votre formidable équipe.
Le grand brun moustachu et le maigrichon à lunettes démontrèrent un incontestable savoir-faire. C’est avec un grand zèle qu’un plus jeune, intrépide, s’est jeté dans la braise. Quant au chef d’escadron, il ne fut pas en reste. Dans l’ensemble vos hommes se sont bien comportés. Cette action les honore. En pleine faculté de leurs moyens, ils se sont montrés à la hauteur de l’événement. Vous pouvez être fier.
Néanmoins, poursuivie par la malchance, une voisine pratiquant la voyance m’avertit qu’un nouvel incendie est susceptible de se déclarer dans la nuit du 12 au 13 juin, aux alentours de 20 heures. Par mesure préventive, vous serait-il possible de détacher une partie de votre garnison afin d’éviter la catastrophe ?
En prévision de cette épouvantable soirée, j’ai décidé de leur offrir à manger. Vous seriez très aimable de leur demander d’apporter les boissons.
Monsieur le Capitaine.
Très amicalement
Germaine Durant 13, rue de l’Impasse 75018 PARIS
3ème étage à droite (code d’entrée : 45 A 88)
N.B : Sans vous obliger, serait-il possible de désigner à nouveau le grand moustachu ?
Cher monsieur,
Je ne puis tolérer plus avant Vos courriers pour le moins incessants Dont la frénésie néanmoins Me flatte au plus haut point.
Vos propos élogieux et sincères Animés d’une indéniable ardeur Témoignent d’un résolu caractère Et d’un zèle tout à votre honneur.
Si je pardonne la désinvolture Et cette adoration excessive, Vos messages d’élégante facture Justifient quelques corrections furtives.
En effet, il n’est pas un refrain Ou un moindre couplet ne traitant Ouvertement de richesses et d’argent Que vous m’épuisez à la fin.
Vous arrive-t-il de ne parler d’amour Autrement qu’en monnaies trébuchantes, Que dois-je penser de ce discours Et de ces attentions touchantes ?
Ces constantes allusions me dérangent Ma vue se brouille d’un doute étrange Quand je note avec consternation Votre impertinente suggestion.
M’honorer d’une prochaine entrevue Prometteuse entièrement dépourvue D’intimité puisque vous affirmez Vouloir venir accompagné.
Malgré un esprit contemporain Et la meilleure volonté du monde Je décline ce rendez-vous libertin Dont je crains qu’il me dévergonde.
Quant bien même ils seraient respectables, La présence de vos amis m’embarrasse, Qu’il s’agisse d’un commissaire notable Ou d’un copain serrurier efficace.
Je décline votre invitation Avec regret du fond du cœur, Votre courrier a des raisons Très opposées à mes valeurs. Sincères salutations Cher Trésorier Payeur.
Armande de la Tréfouille
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