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Réalisme/Historique
Laurent-Paul : Jessica
 Publié le 23/11/24  -  5 commentaires  -  3688 caractères  -  13 lectures    Autres textes du même auteur

Une collégienne mise à l'écart à cause de son manque d'hygiène va être contrainte de se laver au collège. Elle tente d'analyser sa vie.


Jessica


Entre la rivière boueuse et les usines bruyantes s’étend un terrain vague. C’est là qu’on trouve quelques caravanes abîmées. Leurs pneus ont été vendus depuis longtemps, les parois n’ont plus de couleur et les vitres sales cachent les occupants réfugiés là.

Dans une de ces caravanes vit une famille. Maman tente en vain de se saouler du soir au matin et comme elle n’y arrive plus, elle dort du matin au soir. Beau-papa numéro trois est vigile au supermarché. Il est si grand et gros qu’il n’y a plus de place dans la caravane quand il y rentre pour dormir et boire avec l’amour de sa vie. Alors Jessica, la seule enfant de maman qui soit restée avec elle, vit surtout dehors. Mais Jessica déteste être dehors, sur le terrain vague entre la rivière brune et l’usine grise. Ce qu’elle aime, c’est regarder la télé que beau-papa a payée lors de son installation. Elle se passionne pour les aventures d’une bande de filles sexy au caractère volontaire dans une émission intitulée « Les Strasbourgeoises ne sont pas des saucisses ». Tout le monde au collège se moque d’elle quand elle parle des aventures extraordinaires de ses héroïnes. Elle a donc appris à se taire. Et puis de toute façon, personne ne veut plus lui parler depuis longtemps au collège. Ils disent qu’elle pue, qu’elle est sale, pire qu’une Rom qui fait la manche. On la surnomme la truie, pue-la-mort, bouche-d’égout. Même les profs ne l’aiment pas et retiennent leur respiration et grimacent quand ils doivent l’approcher.

C’est pourquoi la prof de sport et une autre, l’assistante sociale, l’infirmière et la principale adjointe l’ont coincée au gymnase juste après le cours d’EPS. Il est seize heures trente. Les autres élèves sont tous partis. Officiellement, la prof l’a coincée dans le vestiaire pour l’interroger après une histoire de baskets volées. Et puis toutes ces bonnes femmes sont arrivées ensemble, les unes souriant niaisement, heureuses d’accomplir une bonne action, les autres inquiètes et fermées, pas certaines que ce qu’elles vont faire soit bien légal. Mais puisque la principale adjointe est là, elles se sentent rassurées.

Jessica les regarde l’une après l’autre, ces cinq bonnes femmes tout sourire. C’est l’assistante sociale qui cause, penchée vers elle. Jessica ne comprend pas tout, mais il est question d’hygiène, de respect de soi, du regard des autres, d’estime de soi et de discrétion. Jessica n’aime pas le vestiaire, bas de plafond, aux murs couleur vieille urine et aux longs bancs collés contre les parois où l’on doit se serrer les unes contre les autres, sans intimité aucune quand il faut s’asseoir. Derrière le mur et les profs assemblées autour d’elle, Jessica aperçoit l’ouverture qui mène aux douches. Elles ne servent jamais. Mais aujourd’hui, l’infirmière, en passant, y a allumé la lumière et déposé un gros sac plein de linge et de serviettes.

Jessica a compris ce que veulent ces bonnes femmes ; elle aimerait faire comme Joy ou Gertrude dans les « Strasbourgeoises » et dire ce qu’elle pense vraiment à toutes ces bonnes femmes qui l’entourent et l’oppriment, l’empêchant de respirer, comme dans la caravane. Elles parlent toutes ensemble maintenant, faisant un bruit semblable à celui de sa mère quand elle ronfle après avoir bu tout ce que beau-papa a pu ramener du supermarché. Et c’est toujours à ce moment-là que beau-papa lui dit qu’elle pue et qu’elle devrait aller se laver, dans la petite douche minuscule de la caravane, si petite qu’il faut se déshabiller dans la caravane. Et évidemment beau-papa ne sort jamais de la caravane. Alors c’est Jessica qui sort et ne se lave jamais.

Mais ça, elle ne le dira jamais à toutes ces bonnes femmes autour d’elle.


 
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   Dameer   
10/11/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Le récit est mené à la 3ème personne du point de vue de Jessica.

Exclusion, harcèlement d’une élève au collège à cause d’une différence : cette élève, Jessica, ne se lave pas et sent mauvais !
Personne ne veut lui parler et les profs ne l’aiment pas
Les élèves la surnomment "la truie, pue-la-mort, bouche-d ’égout" à cause de son odeur.

Les professeurs essaient un jour d’y remédier, mais maladroitement : au lieu d’une approche en douceur, on fonce à 5 sur la malheureuse, on la coince au fond du vestiaire et après un sermon sur l’hygiène, on la pousse vers la douche. Si ce n’est pas du harcèlement, ça y ressemble !

On apprend à la fin ce que Jessica aurait aimé dire mais ne dit pas à ces bonnes femmes, la raison pour laquelle elle ne se lave pas. Mais la nouvelle tourne court et on ne saura jamais si elle a fini par prendre la douche proposée !

Ce récit met en lumière les défaillances du système : sur un signalement, l’assistante sociale tente de remédier à un problème immédiat : l’hygiène de l’élève, plutôt que de mener une enquête approfondie sur ses conditions de vie familiale.

Mais c’est moi qui extrapole, et c’est à mon avis le volet critique qui manque à cette nouvelle : l’auteur reste au niveau du constat, décrit avec clarté une situation exemplaire, mais ne cherche pas à élargir pour en tirer un enseignement quelconque, ni d’envisager une perspective d'évolution pour Jessica. (Il est vrai que la situation étant vécue à travers les yeux de Jessica, c'est un peu difficile à mettre en place..)

La nouvelle se referme comme elle a commencé, sur une situation insoluble d'une adolescente enfermée sur elle-même qui ne fait plus confiance dans les adultes.

   ANIMAL   
10/11/2024
trouve l'écriture
perfectible
et
aime un peu
L'intrigue est plutôt mince. On comprend que Jessica ne souhaite pas se dévêtir en présence de son beau-père mais pourquoi ne pas se laver quand elle est seule avec sa mère ivre ? A moins qu'il y ait des non-dits, qu'elle ne se lave pas dans l'espoir d'éloigner le beau-père qui aurait d'autres visées... mais cela n'apparaît pas clairement.

L'indignation au sujet de l'intervention des "bonnes femmes" correspond bien à l'esprit de révolte contre une intrusion dans la sphère privée, même si elle semble justifiée. Le passage est un peu confus.

Les clichés ne manquent pas : vivre dans une caravane, c'est sur un terrain vague sur fond d'usines et de boue, les occupants sont minables, ivrognes, sales. Dommage.

Le style n'est pas déplaisant et il y a un effort pour conter une histoire mais c'est insuffisant.

   Donaldo75   
19/11/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
J’ai trouvé ce texte sec et âpre ; son univers m’a rappelé celui d’Erskine Caldwell. Evidemment, le style est différent, ici plus neutre dans la forme, propre mais quelque part raconté. C’est la manière d’exposer la situation, que ce soient des faits ou des impressions voire des pensées, le tout dans un style narratif qui relate en partie. Il y a un peu de ce que l’émission francophone « Strip Tease » proposait aux téléspectateurs qui peuvent se faire leur propre opinion sans être influencé par autre chose que les images et le son ; dans le cas présent, le lecteur peut extrapoler le pourquoi du comment, imaginer des alternatives à ce que vit Jessica, couper les cheveux en mille-vingt-quatre avec des questions à deux balles si tel est son bon plaisir, analyser du subatomique là où il n’y a que de la matière, j’en passe et des plus gratinées. La toile est suffisamment grande pour abriter le tableau social dont Jessica n’est qu’un symptôme, un élément de décor parfois, le personnage principal vu sous un autre angle. Et c’est là que le style âpre et sec est important ; il ne cache pas la misère sous des atours fabuleux. La merde, c’est moche et ça sent mauvais, autant ne pas la masquer avec du Chanel n°5.

   Cox   
19/11/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Le texte est intéressant et me donne envie de lire d'autres nouvelles de l'auteur, même si je n'ai pas réussi à être tout à fait emporté par l'histoire. Il faut dire que je suis en général moins réceptif aux textes courts donc c'est à prendre avec une dose de recul. Cependant, dès les premières lignes je trouve l'image de la misère véhiculée par le texte est un peu lourde, voire caricaturale. Les rivières sont boueuses, les caravanes abimées, les vitres sales; Maman est alcoolique, papa s'est tiré, et beau-papa est un gros porc. Ça donne une exposition un peu convenue de la situation, que le choix d'un style très épuré n'aide pas dans cette entame: j'ai trouvé qu'on posait simplement le contexte avec un fort sentiment de "déjà-vu" ici.

Par la suite cependant, l'aspect chirurgical de l'écriture se montre efficace, et sert bien le fond du propos qui est intéressant. Ceci dit, j'ai quand même eu un peu de mal à rentrer dans la mise en scène: 5 femmes adultes qui se liguent pour forcer une élève à prendre une douche, sans aucune tentative de communication apparente en amont, ça m'a semblé un peu difficile à gober. Quel résultat espèrent-elles? À moins de la piéger comme ça tous les 2 jours, ça ne règlera même pas le problème de l'odeur. Je doute qu'elles se figurent sincèrement qu'elles vont lui apprendre que c'est mieux de se doucher de temps en temps. J'ai beaucoup de mal à imaginer ça de la part 5 personnes un minimum éduquées et habituées à travailler avec des gamins de tous horizons. Du moins tel que c'est présenté. Il m'aurait peut-être fallu quelques éléments de plus pour me représenter ce qui peut acculer ces femmes à une connerie pareille, mais en l'état je me dis qu'il y a des limites à la bêtise.
Statistiquement, ce n'est sans doute pas impossible qu'un truc comme ça puisse arriver dans un coin reculé, mais j'ai eu l'impression de lire une dénonciation plus générale à laquelle je ne crois pas trop, et cette dissonance me laisse un peu dubitatif. Comme le texte est court et ne me laisse pas grand chose auquel me rattacher, je reste sur un ressenti assez tiède, même si le texte m'intirgue par son ton et qu'il a le mérite de soulever des questions.

Cox

   Provencao   
23/11/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Laurent-Paul, et Bienvenue.

Votre nouvelle, courte réalise le beau voile noir qui drape la différence dans un monde non prêt à l’accueillir.

Votre nouvelle expose la charpie qui balaie les restes de ce que l’humanité ne veut pas regarder. Vous avez choisi la charpie.
Une nouvelle scandaleuse, ruinée, ruineuse. Beau reflet du temps de l’immaturité, du présent de la non-maîtrise.

Belle manifestation en votre écriture et compréhension.

Au plaisir de vous lire
Cordialement


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