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Fantastique/Merveilleux
Lautre : Le berger et le crocodile
 Publié le 15/06/13  -  8 commentaires  -  7025 caractères  -  60 lectures    Autres textes du même auteur

Des crocodiles survivent encore dans le désert. Ils sont signes de vie, puisque leur existence signale la présence d'eau.


Le berger et le crocodile


Il était une fois un berger qui vaquait dans le désert. Il y laissait ses maigres chèvres brouter les rares pousses qu’elles pouvaient encore arracher au soleil.


Ce berger rêvait paisiblement qu’il se baignait dans des flots de lait qu’il transformait en beurre et en fromages. Il fabriquait des galettes de farine de blé pour les accompagner.


Tout allait pour le mieux quand un hanneton vint à passer.


Dans ce langage commun aux bergers et aux hannetons mais parfois inconnu des humains, l’insigne insecte se fendit d’une curieuse interpellation :


– Dis-moi berger, n’aurais-tu pas vu un crocodile passer ?

– Non je n’ai vu que la corne du vent, sa poussière, sa misère, et son air de ne rien faire.

– Ah bon ! répondit le hanneton. Pourtant il m’a bien semblé que tu aurais pu voir un crocodile.

– Désolé, dit le berger, ce sera peut-être pour une autre fois.

– Pas grave, poursuivit le hanneton, tout en poursuivant sa route qui s’échappait rapidement devant lui.


Le berger reprit le cours de ses rêveries sans y prêter plus attention.


Le voilà maintenant rafraîchi par des pluies diluviennes et inattendues. Tout son corps ruisselait et imprégnait de l’eau des cieux qui lui dégoulinait dans les yeux. Que c’est bon ! Toute cette eau ! Son corps hydraté ne sent plus la merde, rien qu’un parfum d’ozone. Mais ce n’était encore une fois qu’un rêve.


Il sentait le museau d’une chèvre se frotter contre son dos. Ça l'avait réveillé. Et puis un vautour du désert passa nonchalamment.


Dans ce langage commun aux vautours et aux bergers, mais parfois inconnu des humains, le vautour s’enquit aimablement :


– Pas d’ordures à recycler par ici ? Pas de charogne ? Pas de pneus crevés ?

– Non tout va bien pour le moment, lui répondit le berger.

– Tant pis je suis passé pour rien. Tiens à propos ! Tu n’aurais pas aperçu un crocodile dans un arbre de ce côté-ci de la terre ?

– Non pas de crocodile dans les arbres.

– Sans importance, je repasserai, conclut le charognard.

– À bientôt, acquiesça le berger.


Lui et le vautour se connaissaient depuis longtemps. Ils se tutoyaient comme de vieux amis qui n’imaginent pas que la vie puisse se passer de l’un d’eux. Dès leur première rencontre, ils s’étaient tout de suite appréciés. Le berger sentait tout l’amour du vautour pour le monde, le vautour savait que l’amour du berger pour ses chèvres pouvait s’étendre à toute la Terre.


Le berger reprit le cours de ses rêves comme on suit un cours d’eau ou un cours de latin.


Son esprit lui semblait un peu brumeux ce matin et pourtant la chaleur n’avait pas encore entamé le plus dur de son labeur. Il se remit donc à rêver, et vit des champs de blé prolifiques, s’épanouissant dans de fertiles pays sans doute prolifiques. Il vit par nuées des villageois affairés à récolter le blé, à en faire de la farine, des galettes et du pain, de riantes friandises.


C’est alors qu’un poisson isolé, un peu court sur pattes, aux branchies déployées, vint à passer.


Dans ce langage commun aux poissons et aux bergers, mais parfois inconnu des humains, il l’apostropha sans ménagement particulier :


– Sincèrement berger, tu n’aurais pas vu un crocodile, émergé des très grandes profondeurs humides de la terre ? Il annoncerait la fin de l’été ?

– Sincèrement non, répondit encore le berger. Sinon, je te le dirais.

– J’en suis tout à fait persuadé berger, aussi vais-je poursuivre mes recherches. Trouver un crocodile, c’est comme trouver de l’eau et pour un poisson ce serait ce qui s’appelle gagner le gros lot. À plus tard ! Ne me raccompagne pas, je connais le chemin.


Et le poisson à son tour disparut sur ses courtes pattes qui le tenaient en équilibre juste au-dessus du sable.


– Décidément. Pas moyen de rêver. Toujours quelqu’un pour vous embêter, se dit le berger. C’est bien la peine de vivre dans un désert si c’est pour être tout le temps dérangé.


Il se mit à observer ses chèvres alentour, et remarqua que les rares pousses qui pouvaient encore faire patienter leur faim avaient disparu sous leurs dents. Les chèvres affamées, assoiffées et désœuvrées manifestaient de plus en plus bruyamment leurs diverses contrariétés. Il allait falloir changer d’endroit. Le berger le savait. Ce n’était pas pour rien qu’il était nomade, le berger.


Il se décida donc à lever le camp. Il marchait, il marchait avec ses chèvres qui le suivaient. Elles avaient intérêt à le suivre. Elles savaient qu’il allait les emmener dans un meilleur endroit. Cela ne les empêchait pas de se plaindre. Pourtant depuis tout ce temps qu’elles étaient dans le désert elles auraient dû quand même savoir… « Enfin n’y pensons plus », se dit le berger. Et son esprit se vida comme une oasis asséchée par les ardeurs du soleil.


Au détour d’un immense roc, en forme de dragon, belle surprise ! Une étendue d’eau bordée d’arbres et de végétation. Les chèvres ne cachèrent pas leur joie. Elles bêlaient à tout va. Leurs voix exhalaient un cantique, concert de remerciements et de louanges pour leur berger et maître. Le meilleur sans doute de tout l’hémisphère.


Bien sûr, en toute hâte, elles se précipitèrent vers cette eau qu’on aurait dite sortie d’un mirage. Mais elle était bien réelle. Elle était bien là. Stagnante, dégoulinante, tout à fait liquide. Les chèvres sont aussi de grands enfants. Elles s’abreuvaient bien évidemment. Mais elles barbotaient, s’éclaboussaient, se faisaient des blagues. On entendait leur vacarme bien au-delà des premières dunes.

Elles étaient tellement absorbées par leurs jeux qu’elles ne faisaient attention à rien, les pauvres chèvres.


Le berger, lui, observait les environs. Il détaillait les palmiers, les acacias, les dattiers, les genêts et autres herbes folles prospérant sur ces berges inattendues.


Puis, dans l’eau il distingua une forme, puis deux puis trois. À peine distinctes. Elles se mouvaient. Sans un bruit on aurait dit presque sans un mouvement, ces formes progressaient très doucement en direction du troupeau de chèvres qui batifolait. Deux yeux impassibles et scrutateurs émergeaient parfois. Le berger comprenait. Il ne bougeait pas. Il continuait d’observer.


En moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, ces formes se mouvaient sans bruit et se retrouvaient au contact des chèvres les plus avancées dans l’eau. D’un seul coup, un bouillonnement éclaboussa le ciel, d’énormes mâchoires ornées d’une infinité de dents ravageuses et pointues claquèrent dans l’air, les chèvres prises au piège s’agitèrent mais déjà perdaient leur sang dont le rouge se mêlait à l’eau déjà brune. Puis plus rien. Les proies disparurent sous l’onde, emportées pour un déjeuner bien mérité.


– Tiens voilà les crocodiles, il va bientôt pleuvoir. C’est la fin de l’été, marmonna le berger.


Le berger n’a pas levé le petit doigt pour défendre ses chèvres ; il ne voulait pas s’opposer à la venue de la saison si essentielle des pluies.


Les crocodiles satisfaits d’être bien nourris vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants.


 
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   Anonyme   
1/5/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Eh bien voilà. Un conte agréable, désinvolte, avec une pointe de cruauté et d'absurdité... j'ai beaucoup aimé, notamment cette idée qu'il ne faut pas gêner les crocodiles pour que les pluies arrivent. L'écriture, simple et en ritournelle, convient bien au texte à mon avis.
Sinon, dans le titre, je me dis que les crocodiles mériteraient le pluriel... c'est un détail, bien sûr.

"Pas grave, poursuivit le hanneton, tout en poursuivant sa route" : la répétition se voit, je trouve.
"Le berger reprit le cours de ses rêves comme on suit un cours d’eau ou un cours de latin." : joli !

   Acratopege   
15/5/2013
 a aimé ce texte 
Bien
Un joli conte à la fois léger, terrible, immoral, absurde, narré sur un ton qui convient bien au récit. Seule l'allusion à la "merde" parait complètement déplacée dans ce contexte. Ce qui a gêné mon plaisir, c'est le passage constant du présent au passé simple et réciproquement, sans que j'en comprenne les motifs. Par contre, la structure répétitive du récit tient la route, et la chute surprend non pas par la dévoration des chèvres, attendue, mais par l'attitude du berger. J'ai bien aimé le "Tiens, voilà les crocodiles, il va bientôt pleuvoir."

   Palimpseste   
15/6/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Hmm... Que voilà un petit conte bien agréable et tourné comme il faut.

Bonne structure répétitive avec le language commun (mais inconnu des humains), de plaisantes juxtaposition de syllabes (comme cet insigne insecte).

De jolies images comme de suivre les cours d'eau ou de latin, ou le poisson court sur pattes.

Je suis 100% d'accord avec Acratopège sur la merdre et les changements de temps (hors météo) qui me semblent parfois à la limite du déroutant.

La fin est particulièrement savoureuse, avec ces crocodiles croqueurs de chèvres qu'il ne faut surtout pas déranger, sous peine de retarder la fin de l'été...

   brabant   
15/6/2013
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Lautre,


Ainsi (De la sorte) le berger donna son dû à la rivière, il faut bien payer la pythie (qu'elle soit hanneton, vautour ou caelacanthe), le crocodile quant à lui n'est qu'un percepteur, fût-il triple ou quadruple ou.... Je parierais pour trois chèvres comme tribut - ou offrande, ce qui revient au même - jusqu'aux prochaines pluies, à la prochaine saison.

Un berger aussi accommodant doit s'y retrouver ; le berger aussi :)

Lol

p s : Je me suis dit aussi, après lecture d'Acra et de Palimp, que la merde dans le désert devait être crotte bien sèche et ne pas sentir grand-chose, propice aux feux de camp.

   Marite   
16/6/2013
 a aimé ce texte 
Bien
Vrai, un gentil petit conte. Je ne l'ai nullement trouvé cruel ou immoral, simplement naturel. Au cours de la lecture ce n'est pas le changement des temps qui m'a gênée, disons que je ne l'ai même pas remarqué, mais plutôt : le blé ... les genêts ... l'ozone (si se mot nous "parle" je doute qu'il en soit de même pour un berger dans le désert).

   Pepito   
17/6/2013
Forme : quelques petits couacs à mon goût, par exemple : « …arracher des pousses au soleil » plutôt : disputer au soleil, ou arracher à la terre. « impregnait de l’eau des cieux » ?! « champs de blé prolifiques… pays sans doute prolifiques » ?! « distingua… à peine distinctes » ?!

Et quelques délices comme : « Le berger reprit le cours de ses rêves comme on suit un cours d’eau ou un cours de latin ».

Fond : un très joli conte, même si je ne suis pas sur d’en avoir compris le message.
Un très bon moment de lecture, parsemé de délicieuses notes d’humour.

Bonne continuation

Pepito

   AntoineJ   
17/6/2013
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
fun et total délire ... mais un peu "fataliste"
je trouve que certains dialogues manquent de "peps" (trop attendus ...)
ce passage par exemple manque aussi de "liens" : "Il sentait le museau d’une chèvre se frotter contre son dos. Ça l'avait réveillé. Et puis un vautour du désert passa nonchalamment." cela rompt la magie de l'histoire

cela m'a rappelé l'histoire de la grenouille avec la grande bouche

   mogendre   
20/6/2013
 a aimé ce texte 
Bien
C'est le genre de conte que j'aime lire.
Tout y est, la fantaisie, la poésie, et l'histoire qui tient debout.
Pourtant, est-ce l'envie de déclamer cette musique de l'esprit qui retient ma lecture ?
Il me semble déceler une espèce de flottement entre le dire et l'écrire, sans toutefois me positionner d'un côté ou de l'autre.
Bonne continuation dans cette voie.


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