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Policier/Noir/Thriller
lettti : Feedee
 Publié le 29/01/15  -  12 commentaires  -  10165 caractères  -  1000 lectures    Autres textes du même auteur

Une femme, engraissée par l'homme qu'elle aime, finit par devenir complètement impotente. Un jour, ce dernier ne revient pas.


Feedee


Ce matin encore, je me suis réveillée avec un tuyau coincé au fond de ma gorge. Ce qui m’a réveillée, c’est la sensation du liquide chaud et gras qui coulait dans mon œsophage. Chaud, gras, sucré, calorifère. Et le bruit du moteur.


Passé le léger et inévitable réflexe de régurgitation, j’ai laissé couler. Je ne sais pas de quoi est composée cette mixture mais Paul m’assure que c’est ce dont j’ai besoin. Il aime me donner à manger, me nourrir, il m’aime. Et comme il m’aime plus que tout, il veut que je ne manque de rien. Jamais. À aucun moment de la journée. Il me nourrit donc. Tout le temps.


Il y a deux ans presque jour pour jour, je me trouvais devant le rayon des biscuits allégés en sucre ; j’essayais péniblement de choisir entre les allégés en sucre, les allégés en calories, les allégés en gras, les allégés en goût, les allégés en… Lorsque j’ai entendu : « Pourquoi voulez-vous acheter ces biscuits allégés, vous n’avez pas besoin de ça. » Je me suis retournée. Face à moi, un homme grand, très maigre, qui me regardait. Dans son regard, la même gourmandise que dans le mien lorsque je passais devant la pâtisserie Verhaeghe : sa devanture regorgeait de saint-honoré, de gâteaux moelleux à la cannelle, d’amandines, de tartelettes aux fraises, de délices à la noix de coco… Cette boutique était un piège : un piège dans lequel je tombais avec délice, volupté et plaisir. Mais ces sensations finissaient toujours par être entachées par la culpabilité qui s’emparait de moi à peine avais-je englouti la dernière bouchée.


Jamais un garçon ne m’avait regardée comme cela.


– Vous êtes gentil…

– Je ne suis pas gentil, je pense vraiment ce que je dis. Vous êtes magnifique, pourquoi voulez-vous perdre du poids ?


« Parce que je suis grosse, grasse, obèse, énorme, adipeuse et boursouflée », ai-je pensé…


– Je suis obèse monsieur, je DOIS perdre du poids, ai-je répondu.

– C’est ridicule, vous êtes parfaite telle que vous êtes, je trouve même que vous pourriez être plus ronde encore.


Donc, depuis deux ans maintenant, il s’emploie à me rendre plus ronde. Depuis deux ans, il ne me nourrit que de sucre et de graisse. Je n’ai pas vu un fruit ou un légume depuis ces deux années d’amour fou. Parce que Paul m’aime à la folie. Il me le répète à chaque fois qu’il m’apporte à manger, douze fois par jour.

Au début, je ne me suis pas vraiment rendu compte de son manège. Nous avons très vite emménagé et il m’a annoncé fermement qu’il s’occuperait des courses et des repas. Je n’ai pas rechigné. J’aimais bien l’idée d’un homme aux fourneaux. J’ai bien remarqué qu’il préparait des quantités importantes de nourriture, j’ai aussi remarqué qu’il remplissait mon assiette très généreusement, surtout comparée à la sienne.


Paul est devenu un véritable génie du gavage. Je suis devenue tellement énorme que je ne peux plus bouger. Mes muscles ont littéralement fondu, enfouis sous des kilos et des kilos de graisse. C’est arrivé progressivement : j’ai d’abord arrêté de me déplacer. Paul m’a un jour demandé de ne pas me lever : mon petit déjeuner, je le prendrais au lit. J’ai eu ensuite de plus en plus de mal à me lever. Il a donc décidé que cela ne servait plus à rien. Depuis, je ne quitte plus mon lit : il me lave dans ce lit, m’habille dans ce lit, me fait faire mes besoins dans ce lit, et, évidemment me nourrit dans ce lit.


Peu à peu, mes fonctions musculaires se sont atrophiées. J’ai même eu de plus en plus de mal à mâcher. Quand il s’en est rendu compte, il a passé plusieurs heures à réfléchir : ne plus mâcher signifiait ne plus manger, ne plus manger signifiait maigrir et cette idée lui était proprement insupportable. Il a donc trouvé le moyen de me nourrir sans que j’aie à mâcher.


Et il a inventé cet outil de gavage : un tuyau qu’il enfonce dans ma gorge et qu’il a pris soin d’arrondir afin de ne pas me blesser, et, au bout de ce tuyau, un entonnoir relié à un robot ménager hachoir. Le genre de robot qui sert à râper les carottes : à un bout, on enfile les carottes entières, on appuie dessus avec un poussoir, le moteur tourne, et les carottes ressortent râpées. Mais Paul n’y insère jamais le moindre légume. Sa « mixture d’amour », comme il la nomme, est composée exclusivement de gras et de sucre. Que j’ingurgite au moins douze fois par jour. Au début, il ne me la « servait » que trois fois par jour, puis il a progressivement augmenté les doses, et ensuite la fréquence d’administration.

Il me répète inlassablement qu’il m’aime énormément. Énormément, ce n’est même plus le mot adéquat : j’ai atteint un tel poids qu’aucun vêtement ne me va, je vis nue en permanence, caressée langoureusement par mon amant. Il adore ma peau, tendue comme celle d’un tambour. Il passe de longues minutes à la masser, la huiler, l’hydrater.


Il y a des parties de mon corps qu’il affectionne tout particulièrement. Mes seins, par exemple. D’ailleurs, pas mes seins exactement : il aime surtout l’aréole de mes seins. Chez une femme normale, elles mesurent entre deux et trois centimètres de diamètre, parfois un peu plus. Les miennes ont largement dépassé les quinze centimètres. Leur peau fine est tellement tendue que j’ai parfois l’impression qu’elle va craquer. Ses mains ne parviennent même plus à les cacher complètement. Paul aime aussi caresser le gigantesque bourrelet qui s’est formé autour de ma taille. Il peut passer des heures à l’enduire de lait pour le corps. Lait pour le corps dont ma consommation en une semaine doit bien égaler celle de n’importe quelle autre femme en un an !

Comme Paul m’aime plus que tout et qu’il ne supporte pas l’idée que je manque de quelque chose, il a installé à portée de ma douche un tuyau relié à une bonbonne de soda qu’il a pris soin d’enrichir en sucre. Je n’ai qu’à avancer la bouche de quelques centimètres et je peux boire tout mon soûl.


Quand il s’absente pour faire les courses, Paul laisse la télévision allumée : il me demande quelle chaîne je veux regarder parce qu’une fois parti, il m’est alors impossible d’attraper la télécommande pour en changer. Je me demande pourquoi il continue à me demander ce que je veux puisqu’immuablement, je regarde la chaîne des feuilletons : feuilletons d’amour, policiers, fantastiques… Je vis ces histoires par procuration : ce sont les scènes les plus insignifiantes qui me plaisent le plus, celles où le héros marche dans la rue, celles où l’héroïne rencontre sa meilleure amie… de petits événements anodins qui me sont aujourd’hui interdits.


Paul est parti. Il en a au moins pour une heure. C’est le temps qu’il lui faut, quotidiennement, pour aller refaire le plein de nourriture. La télévision ronronne sur son canal habituel et me gave de ses images. Soudain, mon estomac émet un bruit. C’est bizarre ça ne m’arrive jamais. Je n’y prête pas attention au début mais quelques instants plus tard, cela se reproduit. Je tourne la tête vers l’horloge murale. Paul est parti depuis trois heures maintenant. Absorbée par les images lénifiantes de la télévision, je ne me suis pas aperçue que tant de temps avait passé. Que fait-il ? Je commence à m’inquiéter. Et ce bruit dans mon ventre qui revient par vagues.

Les heures passent. La nuit tombe. Paul ne revient pas.


Paul ne doit plus m’aimer. Il a dû réaliser que je n’étais plus aimable. Trop grosse. Ou pas assez ? Alors il m’a quittée. J’ai pourtant fait tout ce qu’il voulait : j’ai toujours tout mangé, comment aurais-je pu l’aimer plus ?


La nuit passe. Je ne parviens pas à dormir, ou alors par intermittence, réveillée par cet horrible grognement dans mon ventre. Je ne comprends pas ce que c’est. J’attends toujours Paul, incapable de réellement croire qu’il m’a abandonnée.

Épuisée, je finis par sombrer au petit matin. La lumière sur mon visage me réveille.


– Paul ?


Rien. Juste le silence. Enfin, le silence, si l’on veut : mon ventre fait maintenant un bruit continu. On dirait un lavabo qui se vide.


La faim !


Évidemment ! Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ! J’ai tout simplement faim. C’est bizarre comme sensation. Je ne l’avais jamais ressentie avant. En tout cas, pas depuis très longtemps. Pas depuis Paul, à dire vrai. Paul ? Je l’avais presque oublié. Il n’est pas là, c’est évident. Il me manque. Ou alors il manque à mon estomac : je ne sais pas, j’ai tellement faim !


Il faut que je mange. Il faut donc que je bouge. Je tente de poser un pied sur le sol. Mais peine perdue : Paul a bien réussi son coup, je suis parfaitement incapable de déplacer ma jambe ne serait-ce que de quelques centimètres. Je commence à transpirer, épuisée par cet effort. J’abandonne. Paul va revenir. Et me nourrir. M’aimer. Me nourrir.


Cela fait sept jours que Paul est parti : mon estomac n’est qu’une douleur. Il ne supporte pas l’absence de nourriture. Je souffre aussi de la soif. J’ai réussi à faire tenir la bonbonne de trois litres pendant six jours.


La journée d’hier, je l’ai passée à crier. J’ai finalement pris conscience que ce salaud ne reviendra pas. Jusque-là, je lui donnais une chance. J’ai tellement hurlé que ma voix est partie. Elle aussi. J’ai hurlé pour qu’on vienne me secourir. J’ai hurlé pour insulter Paul et son amour gargantuesque. Personne n’a rien entendu. Personne ne s’inquiétera non plus de mon absence ; j’ai disparu de la circulation depuis deux ans : Paul s’est évertué à faire le vide autour de nous. Il disait que pour vivre heureux, il fallait vivre cachés. Que notre amour n’avait besoin de personne. Quel abruti : j’ai besoin de lui, moi. Et il faut prendre le mot « besoin » au sens propre ! J’ai besoin de lui si je ne veux pas mourir ! Mourir d’amour ? Mourir par amour ? Non, moi je meurs bêtement de faim… Le plus ironique, c’est que mon corps, après une semaine de diète forcée, a certainement maigri ! J’ai même l’impression de pouvoir bouger un peu. Je tente une dernière fois de sortir de ce lit. Peine perdue.


Je suppose qu’on finira par retrouver mon corps : dans quelques semaines, la décomposition de mon corps devrait dégager une odeur si pestilentielle qu’elle alertera forcément le voisinage. 450 kilos de bidoche qui pourrit, ça ne passe pas inaperçu !


 
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   Anonyme   
13/1/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Une histoire bien horrifique ! J'y lis l'enfermement de l'amour ; c'est assez bien vu, je trouve, de transposer le corps prisonnier du désir de l'autre dans cette image d'un corps contrôlé jusqu'au délire... par une expansion inimaginable. L'amant fou veut posséder le monde entier en possédant un corps énorme. C'est assez bien vu aussi, pour moi, que somme toute la narratrice soit complice de son enfermement : tant que Paul est là, elle se satisfait de la situation.

Curieusement, elle ne suppose pas que Paul ait eu un accident grave, que peut-être il soit dans le coma... Ce qui indique un fond solide d'hostilité à leur "amour" ; "quelque part", la narratrice avait conscience du fait qu'elle était instrumentalisée.

Bref, je lis dans ce texte une allégorie plutôt efficace de la soumission à l'autre.

"Je suppose qu’on finira par retrouver mon corps : dans quelques semaines, la décomposition de mon corps devrait dégager une odeur si pestilentielle" : la répétition se voit, je trouve.

   Neojamin   
16/1/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour,

J'avoue avoir été charmé par cette histoire malgré son ton particulier. L'idée de départ est plutôt bonne, j'aime l'irréalisme et là, on y est bien, autant dans le fond que dans la forme. Ce ton détaché et innocent que le narrateur utilise m'a particulièrement plu, une innocence qui reflète bien l'inconscience que l'humain peut avoir. Là, j'extrapole.

Sur la forme donc, pas mal, quelques détails par ci par là. La description de la boulangerie me paraît inutile. Elle éjecte le lecteur du récit… il faudrait l'introduire différemment ou juste l'enlever.

"Que j’ingurgite au moins douze fois par jour." Une répétition inutile je pense juste avant l'explication des 3 fois...

Sur le fond, une idée intéressante, l'histoire se développe plutôt bien...toute en incohérence, ça me plait. Par contre, ce que je trouve dommage, c'est le manque d'indice au sujet de son obsession à lui, pourquoi il fait ça ? J'attendais, espérant trouver une réponse dans la chute...chute qui m'a aussi beaucoup déçu. Un rebondissement était nécessaire je pense. Elle finit par se lever, explose...ou juste meurt et l'on voir ensuite Paul revenir, tout nettoyer et se poster dans le rayons des sucreries du supermarché dans l'attente d'une nouvelle proie...

C'est un point de vue mais je trouve que la fin n'honore que très mal la qualité du texte!
Merci en tout cas, j'ai passé un bon moment!

   Robot   
27/1/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Une femme qui se fait aimer pour ce qu'elle accepte mais non pour elle-même. On lui a volé son désir de sveltesse et elle cède à l'égoïsme de son amant. Un texte qui parle de la soumission au désir de l'autre qui entraîne l'oubli de son propre désir.
Mais qu'est-ce qui pousse cet homme à cette extrémité. Dommage qu'il sorte du récit sans qu'on le retrouve pour une explication d'un tel comportement.
Pour la femme, il semble que l'on comprend: Elle suppose qu'il l'aime sans considérer sa propre vie et sa fin.
L'abomination racontée comme allant de soi.

   Automnale   
30/1/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Cette histoire est horrible ! Un homme, très maigre, pousse une femme à manger. Depuis deux ans, il la nourrit de sucre et de graisse. Il la gave, douze fois par jour, comme une oie.

L'homme, prénommé Paul, a une étrange façon d'aimer... à la folie. Et elle, grosse, grasse, obèse, énorme, adipeuse et boursouflée, n'est-elle donc pas capable de réfléchir ? Il ne manquerait plus qu'elle soit blonde ! Et elle regarde, du fond de son lit, des feuilletons à la télévision !

Mais voilà, au bout de deux ans, elle est incapable, tant elle est malade - on le serait à moins ! -, tant son obésité est phénoménale, de quitter son lit, de faire un seul pas. Paul est parti, l'a abandonnée. Et elle n'a plus rien à manger. Elle va mourir...

Pour ce qui concerne l'écriture, il n'y a strictement rien à dire. Quelqu'un écrivant de cette façon peut tout écrire, et si bien... Habituellement, je m'amuse à "chercher la petite bête", comme les répétitions... Trouvant cette histoire tellement épouvantable, j'en fus incapable... Je me suis quand même posée la question de savoir si un tuyau avec un entonnoir, pour gavage d'un être humain, relié à un robot ménager hachoir, pouvait exister ?... Une autre question : Par amour, une femme peut-elle accepter, pour son gavage, un tuyau au fond de la gorge ?... Enfin, j'ai noté qu'un autre tuyau, relié à une bonbonne de soda, avait été installé à côté de la douche. La narratrice ne pouvant quitter sa couche, ce tuyau ne peut donc, contrairement à ce qui est dit, plus servir...

Ignorant la signification du mot "feedee", je suis allée faire un petit tour sur Google. Il s'agirait donc d'un être humain appréciant que quelqu'un le pousse à manger de façon excessive, pour grossir et par plaisir... Misère de misère, j'apprends que ce procédé existe réellement... Ce récit me semble encore plus terrifiant...

En conclusion, je conseille au lecteur d'avoir l'estomac bien accroché... Celui de l'auteur l'est certainement puisque, a priori sans frémir, il évoque 450 kgs de bidoche qui pourrit... Entre parenthèse, peut-on arriver, encore vivant, jusqu'à un tel poids ?

Grâce à vous, Lettti (avec trois "t"), j'ai appris quelque chose... Je ne voudrais surtout pas paraître indiscrète, mais je me demande ce qui incite à écrire ce genre d'histoire... Peut-être un article de presse, un reportage sur le sujet, le témoignage d'une expérience épouvantable... Epouvantable...

Pardonnez-moi, je ne puis dire - c'est idiot - que j'aime ce récit. Il a mis à trop dure épreuve ma sensibilité. Et puis, entre nous, je trouve qu'il rabaisse la Femme... Pourtant, je le répète, le style d'écriture est parfait. Je suivrai donc, avec intérêt, vos prochaines publications.

Automnale

   jfmoods   
31/1/2015
Au-delà de ce qu'il nous apprend sur le gavage obsessionnel de l'autre (signe on ne peut plus morbide d'une société moderne présentant la double casquette de l'abondance et de l'image), ce texte est particulièrement intéressant par le terreau psychologique qu'il soulève.

Un homme « très maigre ». Une femme très grosse (gradation hyperbolique : « grosse, grasse, obèse, énorme, adipeuse et boursouflée »). La situation de départ de cette histoire fixe sans doute, par ce jeu antithétique, le cœur de la problématique. J'y reviendrai...

La question aiguë qui se pose ici est la suivante : quel est le véritable enjeu de la relation ? Penchons-nous sur la phrase charnière du texte, celle par laquelle s'opère le basculement d'un univers à l'autre...

« Vous êtes parfaite telle que vous êtes »

Jusqu'ici, rien à dire. Beaucoup d'hommes apprécient les femmes fortes, bien en chair et ne manquent pas de le leur faire savoir.

« je trouve que vous pourriez être plus ronde encore »

C'est là que pointe, insensiblement, le malaise. Si elle est effectivement parfaite, pourquoi la faire grossir ? L'homme n'entre finalement pas dans un véritable processus de séduction. Il flatte, certes, comme il est de coutume de le faire... mais il en remet une couche. Il appuie sur le penchant qu'il sait incontrôlable de cette femme : le lieu de rencontre n'a, en effet, rien d'anodin. Sans nul doute, cet homme hante les lieux. Il a compris tout de suite que cette femme, fragile, était incapable de résister à la tentation de la nourriture. Dans la femme qu'il considère, le prédateur voit déjà ce qu'il va en faire, le modelage destructeur qu'il va opérer sur ce corps par la manipulation douce. Son but est terriblement simple : rendre l'autre dépendant, en faire sa chose. Épreuve de toute-puissance exercée sur autrui. Incapacité de séduire, obsession du contrôle. Même si sa méthode est originale, cet homme n'est pas fondamentalement différent de n'importe quel psychopathe.

Ce qui nous ramène, forcément, à l'un des films (sinon au film) référence en la matière : « The collector » (en version française, « L'obsédé ») de William Wyler, datant de 1965. Un jeune employé de bureau, solitaire, collectionneur de papillons, est fasciné par une étudiante. Il est incapable de la séduire. Pourrait-il admettre, d'ailleurs, de se voir éconduit ? En vérité, l'amour ne l'intéresse pas, parce que c'est une épreuve exigeante. Il s'agit d'un défi, d'un défi permanent à la liberté de l'autre d'aller voir ailleurs. Non, pour lui la femme est semblable à ce papillon aux élytres fluorescentes qu'il contemple sur son mur. Il kidnappe l'étudiante et cherche à obtenir d'elle, par la force, l'amour ce qu'il serait incapable d'obtenir autrement. La fin est, dès lors, inéluctable. Devant l'impossibilité de se sauver des griffes de son tortionnaire, la fille n'a d'autre recours que la simulation. Elle fait semblant de rentrer dans un jeu de séduction. Puis, profitant d'un instant d'inattention de son geôlier, elle tente de fuir. Sans succès. Il l'abandonne à sa cave où elle mourra. Les dernières images du film montrent le jeune homme en chasse, en quête d'une nouvelle proie.

Difficile d'imaginer qu'il n'en va pas de même pour le gaveur obsessionnel, à la fin de ton texte... Difficile de ne pas l'imaginer, devant le même rayon, observant les clientes qui passent. Quant à sa maigreur, le lecteur est amené à supposer qu'elle constitue probablement le point de départ de son comportement déviant. Je pose l'hypothèse suivante : malgré tous ses efforts, cet homme ne parvient pas à grossir. Son attention est amenée à se focaliser obsessionnellement sur l'extrême grosseur, qui le fascine. Il veut, à sa manière, punir les gros, leur si grande facilité à prendre du poids.

Comme par hasard, notre gaveur obsessionnel disparaît au moment précis où sa victime arrive au terme de son chemin de croix. Il veut, ainsi, qu'elle emporte avec elle dans la tombe le glaçant constat d'une relation qui n'a jamais rien été d'autre qu'un rapport de force mortifère.

Merci pour ce partage !

   Alice   
31/1/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Une histoire horrifique à souhait. Le thème de l'obésité morbide me replonge dans du Amélie Nothomb un poil moins déjanté. J'ai apprécié le style, mise à part une lourdeur déjà relevée concernant la description de la pâtisserie. Si vous aviez peur que la boutique ne soit pas suffisamment connue, le reste de la phrase nous suffisait amplement, en-dehors de l'énumération.
Je trouve dommage que le résumé présente trop précisément les rebondissements de l'histoire, même si j'ai quand même pu l'apprécier. J'ai adoré le début, à la fois intriguant et répugnant; excellente idée de débuter par une ellipse. Une lecture bien agréable, merci beaucoup.

Au plaisir de vous relire,

Alice

   in-flight   
31/1/2015
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

Je souligne tout de suite ce qui m'a dérangé, les répétitions:

DÉBUT: "Ce matin encore, je me suis réveillée avec un tuyau coincé au fond de ma gorge. Ce qui m’a réveillée, "

MILIEU: "Paul est devenu un véritable génie du gavage. Je suis devenue"

FIN: "Je suppose qu’on finira par retrouver mon corps : dans quelques semaines, la décomposition de mon corps"

Je n'ai pas tout relevé mais ça a perturbé un peu ma lecture.

J'ai trouvé dans cette histoire le pendant addictif de l'amour. On se gave d'amour comme on se gave de bouffe. Ce sont deux produits de consommation courante, deux besoins primaires dont l'excès peut étouffer le corps.
La narratrice est une victime de cette consommation démesurée, le publicitaire Paul l'a incité à consommer du "manger" pour mieux profiter de ce corps inerte et "abandonnable".

Reste à savoir ce qu'il y a dans la tête de Paul: un fétichiste qui rend immobile ses victimes pour assouvir ses fantasmes? (deux ans de relation pour arriver à ses fins tout de même!)

   molitec   
31/1/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↓
La lecture est plaisante, j’ai aimé l’histoire, et aussi l’écriture, comme la phrase :
« Dans son regard, la même gourmandise que dans le mien lorsque je passais devant la pâtisserie Verhaeghe » qui laisse supposer que quelque chose était déjà là dans ce regard et qui allait les rapprocher, tout en introduisant la gourmandise qui, n’était finalement pas tout à fait la même dans le regard de Paul et celui de la narratrice.
aussi la phrase :
« Donc, depuis deux ans maintenant, il s’emploie à me rendre plus ronde » vraiment invraisemblable ailleurs que dans cette histoire… par contre elle est naturelle ici.
Toutefois, j’ai trouvé qu’il y’avait quelques répétitions comme dans (j’ai bien remarqué…j’ai aussi remarqué)
J’ai aussi d’autres remarques ou suggestions :
Je crois que quelques brèves indications sur le passé de la femme, ou des antécédents (pas nécessairement au début du texte),feront que le lecteur adhère encore plus facilement à l’acceptation totale par la femme, (une autre personne aurait pu s’en rendre compte plus tôt et ne pas aller ainsi jusqu’au bout, qu’est ce qui a fait que cette femme avait plus de facilité à accepter que d’autres ? par exemple solitude, chagrin …etc) qui pourraient éventuellement expliquer en partie une peur de perdre Paul par exemple.
Ou bien était elle réellement « feedee » ? vu les réflexions de la narratrice à la fin du texte, je pencherai pour cette hypothèse, mais dans ce cas, Paul était t’il au courant, à leur première rencontre, ou bien ce n’est qu’une coïncidence ? (rencontre fortuite entre un sadique et une feedee)
Autre remarque, je trouve que la phrase : »Au début, je ne me suis pas vraiment rendu compte de son manège. », n’était pas nécessaire dans la première moitié du texte, un probable doute sur les intentions de Paul aurait pu être entretenu plus longtemps dans la lecture.
Il y’a aussi la chronologie dans la narration (celle de l’introduction seulement) qui me laisse un peu perplexe, car dans l’introduction la narratrice commence par décrire son réveil un matin, avec le tuyau coincé et la sensation du liquide, puis il y’aura un retour en arrière : d’abord la rencontre dans le magasin, ensuite on découvre progressivement les actions de Paul jusqu’au soir ou il est parti ; et la c’est la fin, la narratrice manque de nourriture et n’arrive pas à bouger, elle est prise au piège.
Donc, dans les deux phrases de l’introduction, ce n’était pas encore la fin (il y’avait encore de la nourriture), et ce n’était pas le début non plus.
Cette introduction me perturbe un peu, car en fait, je n’arrive pas à la situer, surtout que c’est une narration à la première personne, peut être que ça aurait été mieux si la narratrice avait introduit quelques indices en allusion directe à la fin dans cette brève introduction, sans divulguer la vérité bien sur.
Merci pour cette lecture, à bientôt.

   Edgard   
4/2/2015
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
Pas banale, votre histoire Lettti.
Elle laisse quelque chose, après la lecture, de vraiment fort. Je n’ai pas quitté le texte une seconde. En fait c’est une sorte d’allégorie de la domination sadique poussée à l’extrême. Ça fait réfléchir. Heureusement que ce n’est qu’une histoire…mais les humains arrivent toujours hélas à faire pire que dans les histoires les plus gores.
Un texte prenant, parce que c’est bien écrit, parce qu’il n’y a rien de trop, parce que le langage, simple est bien en adéquation avec le personnage qui raconte.
Le fait que ce soit la femme, la narratrice, est très bien vu : petit à petit, sa faiblesse affleure, sans que cela soit expressément dit, et cela rend votre personnage vivant, attachant, complexe. Elle perd peu à peu sa volonté, elle accepte tout. On sent une immense détresse derrière tout cela, c’est ce qui rend votre histoire très humaine.
On y trouve une sorte de syndrome de Stockholm, souvent décrit pour la victime en face de son bourreau. Sauf qu'elle était consentante dès le départ...Ou elle ne pouvait pas résister. C’est assez fascinant avec cette histoire. Un peu kafkaïen. Pas d'issue.
C’est vraiment dommage que vous ayez défloré le sujet dans l’incipit.
Vous avez, à mon sens, beaucoup de talent.
Bravo.

   bigornette   
10/4/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'aime beaucoup le ton. J'aurais aimé plus de sensations tactiles, lorsqu'il la masse par exemple, question de goût. Je suis d'accord avec l'un des commentaires : il y a des répétitions à éviter sans doute. Mais j'ai toujours plaisir à lire Lettti.

   carbona   
4/9/2015
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai aimé cette histoire mais suis déçue de la fin car elle nous laisse avec trop de questions. Pourquoi Paul a-t-il fait ça ? Etait-ce intentionnel ? A-t-il eu un accident ? Est-il un psychopathe (oui ça m'en a tout à l'air) mais de quelle envergure ? Bref, cette nouvelle a pour moi un goût d'inachevé, j'ai envie d'en savoir plus.

Quelques remarques encore sur le fond :

- l'explication de ce qu'est un robot culinaire < inutile, non ?

- le passage sur le choix des séries télévisées "Je vis ces histoires par procuration : ce sont les scènes les plus insignifiantes qui me plaisent le plus, celles où le héros marche dans la rue, celles où l’héroïne rencontre sa meilleure amie… de petits événements anodins qui me sont aujourd’hui interdits. < inutile aussi, on le devine, c'est pas la peine de l'écrire je trouve

- la narratrice qui pige au bout de plus de 15 heures que les grognements de son ventre correspondent à sa faim (à sa fin aussi en fait, hein) < je n'ai pas trouvé crédible même si c'est vrai que cela fait deux ans qu'elle n'a pas connu cette sensation. Ce qui me gêne plus en fait c'est de le comprendre avant elle, c'est cela qui m'ennuie et qui me fait perdre de l'intérêt à la lecture de ce passage.

Sinon j'ai aimé cette adoration du corps obèse que vous avez fort bien décrite.

J'ai apprécie votre écriture, un style simple et sans chichi qui se lit avec plaisir.

A vous relire !

   Donaldo75   
10/9/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour lettti,

J'ai aimé le ton soumis qui transpire dans cette histoire courte. A aucun moment je n'ai eu la tentation, en tant que lecteur, de juger cette femme. Comme elle, j'ai été happé par la situation et, si je n'avais pas lu le résumé en haut de la page, je n'aurais pas imaginé cette chute où Paul, pour une raison inconnue, disparait soudainement.

Cette plongée dans la passivité est servie par un style remarquable de sobriété.

Bravo. Au plaisir d'en lire d'autre de ta part.

Donald


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