Résumé
Maureen Lavernie, une jeune femme comme les autres, se réveille d’un accident peu banal. Amnésique, elle décide de retourner sur les lieux du crash, espérant retrouver au moins une partie de sa mémoire...
Sans succès, aussi décide-t-elle de rester auprès de Mégane et Scott, ceux qui l’ont recueillie juste après l’accident.
Dans le même temps, plusieurs phénomènes étranges se déroulent, comme l’écrasement progressif de la voiture de Maureen ou l’apparition de bris de verre tombant de nulle part. Enfin, Dona et Plantago, deux légendaires, partent à sa recherche…
Pour le meilleur ou le pire ? Seul l’avenir le lui dira alors que Maureen glisse dans le sommeil…
Rem : les pensées des personnages sont en italique.
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La nuit se poursuit alors que Dona s’éloigne de la rue où a disparu Ama. Puis, sans raison apparente, la jeune “femme” s’immobilise. Elle reste ainsi, debout, statique, un long moment avant d’enfin se raviser et retourner sur ses pas.
La pluie tombe toujours. Froide et fine, elle dégouline en larmes transparentes le long du son visage à peine coloré. Mais malgré tous ses efforts, la force glaçante ne parvient même pas à la ralentir. Et elle rejoint la ruelle toute proche. Passé le tournant, elle hésite, se demandant si elle allait ou non rejoindre sa vieille amie sur-le-champ. Puis, avisant une porte dérobée, elle prend enfin sa décision et court s’y abriter, tendant l’oreille vers le groupe d’hommes.
Ses cheveux sombres, libres et lisses luisent d’humidité comme d’autant de perles brillant sur une cape de soie noire. Ses longs doigts glissent avec lenteur sur le haut de son visage, lui dégageant le front des quelques mèches rebelles que la pluie y a collées. La moiteur ambiante ne la gêne aucunement. Pas plus que l’ombre froide. Elle aime trop la pluie pour cela, presque autant que le soleil. Elle respire avec calme, à peine perturbée par les rugissements d’une précipitation en train de tourner tranquillement à l’orage, entrecoupés de voix graves et avinées.
En parlant de l’averse orageuse, elle cesse de tonner aussi vite qu’elle avait commencé, lui permettant d’enfin guetter à loisir ce qui se déroule à quelques pas d’elle. Elle détaille un à un les hommes d’un œil inquisiteur. À première vue, ils n’ont pas vraiment changé, laisse-t-elle s’envoler dans un souffle. Quelques images repassent dans sa tête, celles des hommes de son passé. Ceux qu’elle avait côtoyés, avant d’aller chercher refuge dans la nature en compagnie de ses semblables, allant jusqu’à se fondre dans la terre elle-même.
Qui aurait pu croire que plusieurs siècles s’écouleraient avant que la Serre ne s’ouvre à nouveau et qu’elle se retrouve livrée à elle-même au milieu de Nulle Part.
Elle soupire. Ses yeux sombres se portent un instant sur sa tenue. Elle se demande comment elle a pu se retrouver habillée de la sorte. La seule chose dont elle soit sûre, c’est que d’autres “légendaires” sont ressortis avant elle. Deux, si elle a bien compté. Puis ce fut son tour à elle, rapidement suivi de la sortie en flammes d’Ama. Comment aurait-elle pu ne pas l’entendre, à moins d’être devenue complètement sourde.
Le choc des haches sur le tronc et les cris de la jeune femelle avant qu’elle ne s’échappe lui glacent encore le sang. Pourquoi sommes-nous devenues si vulnérables ? Sans aucune défense une fois sorties de la Serre ? Et même si son visage reste impassible, ses poings se crispent. À tel point que ses ongles ombrés finissent par meurtrir sa chair tendre. Mais elle n’en a cure, ça guérira comme le reste.
D’autres éclats lui arrivent alors que le vent souffle doucement, jouant avec sa tenue étrange. Une longue robe moulante, noire, fendue jusqu’à mi-cuisse. Ses pieds sont nus mais qui pourrait s’en apercevoir avec l’écorce dont elle les enveloppe.
Réalisant vite qu’Ama n’a nul besoin de son aide et ne désire certainement pas être dérangée, elle se glisse dans la ruelle voisine. Une venelle encore plus sordide que celle qu’elle vient de quitter. Tout y est encombré de cartons et autres poubelles débordantes d’eau. Quelques-unes étant visitées par des chats qui ne fuient même pas en la voyant approcher. Certains viennent même se frotter contre elle. Et elle s’agenouille un instant dans la boue pour caresser les félins qui la transpercent de leurs grands yeux de braise. Leurs fourrures lui semblent si douces quoique mouillées. Quelques instants plus tard, elle se redresse avec souplesse puis s’éloigne, un peu à regret, des gracieux animaux. Eux au moins trouvent un écho dans sa mémoire, contrairement à tout ce qui l’entoure.
Cette triste cité, encore fraîche de la récente pluie, lui fait l’effet d’un autre monde. Un univers si différent du sien. Ce que la Serre lui manque. Pourquoi a-t-il fallu que cette stupide femelle vienne les percuter. Et l’autre ? Le gardien. Où se terre-t-il, celui-là ? Enfin, il reste au moins un point positif à ce bien peu plaisant tableau, cette femelle est toujours là. Elle se cache, c’est tout, mais elle a réussi là où elle, Dona, avait échoué. La Serre est brisée ou plutôt la porte et bientôt nous pourrons tous aller et venir aussi souvent que nous le voulons.
Un cri la tire de ses réflexions. Vite suivi d’autres entrecoupés de bruits de lutte, mais elle ne bouge pas. C’est bref, très bref. Puis plus rien, un silence presque irréel s’abat sur la rue.
Quelques minutes s’écoulent encore avant que Dona ne se décide à bouger. Et elle n’est pas la seule puisqu’une fine silhouette surgit devant elle. La brune espionne se fige en en reconnaissant la propriétaire. Elle se contente d’abord de l’observer alors que l’autre avance d’un pas tranquille, presque nonchalant vers elle. Pas un mot ne leur échappe lorsque la nouvelle arrivante s’immobilise sous la sinistre lueur d’un néon mourant. Son éclat vacillant, ajouté au sang qui l’a généreusement éclaboussée, lui donne un aspect inquiétant, voire cauchemardesque, alors qu’elle est presque aussi belle que Dona. Tout en étant très différente. Dona est sombre et séductrice alors qu’Ama est colorée et chaleureuse. Les deux “femmes” se dévisagent encore un moment sans un mot, se détaillant l’une l’autre. Ama est plus grande, plus charnue que sa semblable. Ses vêtements semblent aussi plus sobres dans leur coupe. Un pantalon et une simple blouse, rien de commun avec la longue robe mouvante de Dona, dont les couleurs chaudes sont rehaussées de nombreux reflets ambrés. Une sorte de soleil couchant assombri par on ne sait quel peintre. S’il n’y avait les traces de sang, elle semblerait presque rassurante comparée à la ténébreuse beauté qui se tient à ses côtés.
Soudain, des cris de panique viennent interrompre leur examen et elles s’enfuient aussi vite que leurs jambes le leur permettent.
Elles sont déjà loin lorsque d’autres voix se joignent aux premiers appels au secours.
Une course éperdue plus tard et elles se retrouvent face à une grille. Un obstacle qui les force enfin à ralentir. Enfin si on veut, car c’est la grille d’un parc qui se dresse devant elles. Un parc, un lieu qui leur semble étonnement rassurant en dépit de la nuit noire qui plane sur leurs têtes. Toujours sans un mot, elles décident de suivre la toile métallique jusqu’à ce que l’entrée apparaisse. Une très grande porte ouverte en permanence.
Ces lieux à peine éclairés feraient trembler n’importe quelle jeune fille mais elles n’ont rien d’humain et, sans l’ombre d’une hésitation, franchissent le seuil dépourvu de la moindre grâce. Et ce n’est qu’à cet instant que Dona ouvre enfin la bouche.
- Pourquoi ce lieu en particulier ? - Je ne sais pas… Mais on attirera moins l’attention comme ça. - Tu penses vraiment avoir une chance de passer inaperçue ?
Ama regarde ses vêtements tachés et sourit. Le sang est sec maintenant, mais elle en est recouverte de la tête aux pieds. La voix incroyablement mélodieuse de la “fragile” Dona reprend.
- Tu aurais pu y aller moins fort, quand même. - C’est uniquement à cause de ce corps, Dona. - Vraiment ? - Je ne suis plus comme toi, maintenant. Dire que j’aurais dû être aussi forte que mon…
Elle se tait, encore sous le choc, la douleur étant toujours aussi vive. Même si son corps ne porte plus que quelques fines cicatrices rosées, elle peut encore sentir le froid de l’acier cogner contre elle jusqu’à ce qu’elle puisse enfin sortir. Touchée par le regard de détresse de sa compagne, Dona pose sa main sur l’épaule soyeuse.
- Je sais. Je t’ai entendue crier lorsque ton arbre a été abattu. - Et tu n’es pas la seule. Cette femme. Elle m’a entendue, elle aussi. - Hein ? Tu l’as vue ?
Les yeux de Dona brillent soudain. De longs yeux sombres dans lesquels on se noierait si facilement. Ama soupire avant de répondre, sachant qu’elle va décevoir son amie.
- Oui, mais j’étais si faible que je l’ai perdue. - Pas si on retrouve les autres, lui répond avec douceur Dona, lui entourant les épaules de son bras. - Les autres ? - Plantago et l’if, Ama. Ils sont sortis avant nous. Ils étaient même aux premières loges. - L’if ? Celle associée à l’if… Tu parles bien d’Elba ? - Oui ! - C’est possible. Elle n’était pas très loin de moi lorsque tout a commencé. Elle serait donc encore près de cette fille ? Je me demande bien pourquoi. - Je n’en sais rien. De toute façon, ses raisons ne doivent rien avoir en commun avec les nôtres. - Sans doute. Moi, j’ai perdu pour toujours mon arbre. Il n’y en aura plus aucun comme lui. - Non ! Attends. C’est encore bien trop tôt pour désespérer. L’un des gardiens pourrait peut-être en refaire pousser un à partir d’un simple rameau. - Faudrait-il encore qu’il en reste, laisse-t-elle s’échapper alors que Dona s’efforce de la réconforter mais en même temps, elle voudrait tant savoir. - Je suis certaine qu’il doit en rester. Dès que possible on retournera voir. Au fait. Tu as fait quoi pour te retrouver ainsi ? - Je te l’ai dit, je ne contrôle pas encore ma force. Et puis, je ne pensais pas non plus qu’ils étaient devenus aussi fragiles. - Et ça ?
Elle vient de remarquer deux étranges bracelets sur ses bras rougis. Et elle en porte d’autres sur les chevilles ainsi que sur le front.
- L’un des mes meilleurs moyens de survie. Mais comme tu as pu le voir, j’ai raté mes premiers essais. - Je vois. Mais pourquoi as-tu tant besoin de puiser dans le corps des… - J’ai perdu la faculté de me nourrir uniquement d’eau et de soleil comme toi ou Elba, en même temps que mon tronc et tout le reste. - Je suis certaine que l’un des gardiens pourra inverser le processus. Tout ce qu’il nous reste à faire est d’en trouver un ! - S’il veut bien nous aider, Dona, soupire Ama avant de continuer. Et puis nous ne nous entendons pas si bien que ça avec eux ! - Ça, tu ne peux pas le dire avant d’en avoir rencontré un. - Tu as une idée du lieu où il pourrait se trouver ? - Non ! Mais j’ai un moyen d’y arriver et puis, nous devons aussi nous occuper de l’autre. Celle qui nous a percutées avec cette espèce de char sans chevaux. - Elle et Elba sont encore dans les parages. Plantago aussi d’ailleurs. - Plantago ? Ce gamin ? sursaute Dona. - Oui ! - Attends un peu. Pour l’instant, nous sommes quatre à être sortis de l’enceinte de la Serre. - En plus de l’un des gardiens. Ne l’oublie pas, Dona ! - Il n’y est jamais vraiment entré. Tu veux dire…
La rancœur de la brunette est plus que visible. Elle jalouse tant la liberté de ce légendaire. Presque autant qu’elle hait ces hommes qui les ont traqués de nombreux siècles auparavant. Mais maintenant, qui sait s’ils peuvent encore les menacer aussi facilement qu’avant. Rien que le carnage qu’Ama a laissé derrière elle lui ferait bien croire que le temps a joué en leur faveur.
- En tout cas, sa porte nous serait bien utile, même endommagée. - Car tu crois qu’il va te laisser le vider de toutes ses forces sans rien dire. De toute façon, nous devons d’abord le retrouver, Dona. Il est au-dehors depuis bien plus longtemps que nous et ne doit certainement pas se promener seul. En plus, rien ne doit le différencier des hommes. - Peut-être mais j’ai, moi aussi, quelques arguments en réserve. - Tu penses y arriver comme ça ?
Un étrange sourire vient étirer les lèvres carmin de Dona.
- Pourquoi ? Tu en doutes, Ama ? - Non ! Mais, on devrait peut-être d’abord s’occuper de ce qui se trouve là-bas.
Sur cette dernière parole, Ama tire sa compagne derrière un ensemble d’arbustes. Dona allait protester mais sa complice l’en empêche.
- Chut… Tu n’as donc rien entendu. D’autres humains approchent.
Les deux “femmes” restent un instant dans l’ombre alors qu’une bande de jeunes envahit le parc. Ama les détaille. Elle souffle à son amie :
- Aucune chance qu’il soit parmi eux. - Attends ! Tu ne vas quand même pas retenter un essai maintenant ? lui demande Dona alors que la blonde se dirige vers un groupe à l’allure chancelante. - Je pense avoir trouvé le bon moyen maintenant, lui répond-elle. Surveille les lieux, s’il te plaît. Je ne tiens plus à être dérangée. - Ok ! À charge de revanche ! - Pas de problèmes ! Et puis, moi aussi, je veux savoir.
Dona s’efface en un fluide mouvement de lin noir. Elle regarde son amie avancer avec grâce vers la petite troupe. Quelque chose l’intrigue soudain. Les vêtements de la blonde Ama. Le sang qui les souillait s’est volatilisé sans qu’elle ne s’en aperçoive. Comme absorbé, songe-t-elle. Et cette odeur. Elle lui fait un drôle d’effet. Une drogue ? On dirait bien que c’est ça. Elle serait donc capable de…
Ama… je crois que cette fois, j’ai compris mais ceux-là ressemblent davantage à des épaves qu’à autre chose. Tu ne pourras pas t’en contenter bien longtemps… juge-t-elle avec mépris. La sombre jeune “femme” ne peut s’empêcher de haïr ces êtres qui l’ont contrainte à se terrer des siècles durant. Et puis, elle n’est pas humaine, pas plus qu’Ama. Et parlant des humains, les voilà qui réagissent enfin.
Soudain, leur nombre l’inquiète et elle décide de rattraper sa complice qu’elle rejoint en quelques foulées.
- Attends, ce n’est peut-être pas très prudent que tu y ailles seule. Ils peuvent être très dangereux. Et n’essaie pas de me tromper. Tes cicatrices sont parfaitement visibles pour moi.
Entendant cela, Ama l’écarte. Elle sourit en lisant une sincère inquiétude poindre dans les longs yeux de Dona. Ses pupilles qui normalement sont si sombres, grandes et insondables. Bien trop pour être normales.
- Laisse-moi faire. Je te dis que ça va maintenant. - Soit. Mais tu ne m’empêcheras pas d’intervenir si cela devient trop bruyant. On ne va quand même pas passer notre temps à semer des cadavres… - C’était une erreur de débutante. Cela n’arrivera plus.
Pas tout à fait convaincue, Dona s’installe sur l’un des bancs alors que sa compagne s’approche du groupe. Ils s’éloignent à son arrivée et elle les regarde partir un à un, ne faisant rien pour les retenir jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un. Et pour cause, il est incapable de se lever. Ama s’agenouille alors en face de lui. Dona ne peut l’entendre mais son discours semble plaire au jeune homme. Il paraît même subjugué. Son bras est marqué mais cela ne dérange guère la bonde Ama qui se penche vers lui. Elle lui chuchote longuement à l’oreille avant de lui saisir le bras. Sa main glisse le long de la peau blême avant d’arriver au poignet. Elle le caresse avec douceur avant de finalement changer d’avis. Elle se recule un peu. Surpris, le garçon ouvre les yeux. Quelques instants de réflexion plus tard, sa main se pose, cette fois, sur la cheville de sa proie et l’enserre de sa paume devenue brûlante. Placée comme elle est, Dona ne peut rien voir de ce qui se déroule dans la noirceur du parc mais visiblement, ça se passe mieux que dans la ruelle. Car lorsque la femme se relève, sa victime est toujours en vie. Puis, elle s’éloigne en souriant faiblement.
- Et alors ? Tout s’est passé comme tu le voulais, Ama ? - Oui ! lui répond-elle avec un sourire triomphant avant de poursuivre. C’est très simple. Il me nourrira indirectement grâce au bracelet un peu spécial que je lui ai remis. Tu vois, il me reste encore suffisamment de pouvoir pour établir ce genre d’échange. Et il y en aura d’autres. Bien d’autres...
Dona la regarde dubitative, elle se demande si elle a bien compris ce dont veut parler sa compagne. Et surtout depuis quand les leurs sont capables de créer ce genre de liens avec ces primates brutaux.
- Ça ne va pas ? lui demande Ama inquiète de la voir soudain si lointaine. - Hein ? - Tu sembles bien loin ? - Je réfléchissais, c’est bien la première fois que l’un des nôtres entre en contact avec eux pour autre chose que se battre. Et il a vraiment accepté ? - Ben oui ! Je ne lui demande rien en échange de quelques illusions. Juste de quoi me nourrir. - Très impressionnant, Ama. Tu as réussi à changer de support et moi qui te croyais uniquement tournée vers les sorts liés au sol et aux plantes. - C’est toujours le cas. Mais l’arbre dans lequel je m’étais fondue, en quittant le sol, a été détruit pour toujours. Par chance, il n’était pas seul. - Là, je ne suis plus. - Tu comprendras. - Soit ! Mais pour en revenir à cet humain ! Comment espères-tu qu’il te nourrisse dans un tel état ? Regarde-le, s’il n’arrête pas de s’empoisonner avec ces substances, il ne vivra plus dans quelques mois ! - Fais-moi confiance. En plus, cela ne pourra pas lui faire de mal. J’ai fait un marché avec lui. Je lui offrirai ce qu’il désire mais, en contrepartie, il devra prendre soin de son corps et recommencer à se nourrir correctement. - Attends. Tu comptes puiser directement de quoi te nourrir dans… - Oui ! Nous sommes liés maintenant. S’il ne respecte pas notre pacte, mon cadeau dépérira et notre lien sera rompu.
Dona a beaucoup de mal à croire qu’une telle chose puisse être possible. Et Ama ne semble pas vraiment disposée à lui livrer tous ses secrets.
- Mais depuis quand faisons-nous ce genre de chose ? Enfin, ceux associés au sol et aux arbres… Car c’est ce que tu es, non ? Ou bien, j’ai quelques problèmes de mémoire ? - Non ! Tu as parfaitement raison. En fait, ce sont les filaments qui m’ont inspirée. Il y avait tant autant de nous. - Je vois, au fond, tu n’as rien perdu de tes facultés. Elles se sont simplement modifiées lors de ta sortie. Tu es devenue aussi proche des champignons que tu l’étais des plantes. - Si tu veux mais je garde malgré tout quelques dons de ma nature première, lui répond-elle avec une pointe de tristesse dans la voix. - C’était donc ça, tu as pu fuir l’arbre mort grâce aux champignons qui poussaient autour de tes racines. - Oui ! C’est aussi ainsi que j’ai acquis certaines de leurs facultés. Viens, ça ne sert plus à rien de rester ici.
Les deux “femmes” s’éloignent laissant le jeune homme seul. Il ne bouge pas. Même plus un geste pour Ama alors qu’elle lui adresse un léger signe d’adieu.
La pluie recommence à retomber et elles se mettent à courir droit devant elles ! Leurs voix sont très douces, presque innocentes. Ce qui ne manque pas d’attirer l’attention. Surtout dans le genre de lieu où elles finissent par atterrir. Le coin le plus mal famé de la ville. Il faut dire que deux jeunes femmes, d’apparences aussi fragiles, et s’amusant seules, en pleine nuit, ça a de quoi surprendre. D'ailleurs, certaines personnes, visiblement très mal intentionnées, s’approchent d’elles à pas de loups. Percevant leur présence, Ama s’exclame.
- Encore ? - Cette fois, c’est mon tour, glisse dans un souffle Dona. - D’accord mais je reste à côté de toi. - Et pourquoi ça ? - Si l’un d’eux t’attaque, je peux toujours m’en occuper. - Comme des autres ? - Tu n’as donc rien vu de ce qu’il s’est passé ? Pourtant, tu étais toute proche… - Non ! Pas eu le temps avec cette stupide femelle qui s’est mise à hurler comme une folle ! Faut dire aussi que tu n’es pas très discrète. - Ben ! Pour faire court, je leur ai simplement explosé les artères sans le vouloir. Ils étaient vraiment trop fragiles malgré leur tête de brutes. - Les artères. Tu leur as déchiré les artères ? Pas étonnant qu’il y a avait du sang partout. Attends ! Attends un peu ! Si je comprends bien, tu incères tes bracelets directement dans la chair ?
Elles sont à présent complètement encerclées. Ce qui ne semble même pas les inquiéter.
- Ben oui ! En fait, c’est une variante de l’un de mes anciens pouvoirs. Et ce sont tous ces filaments qui m’ont inspirée…
Comme Dona la regarde toujours avec des yeux ronds alors que le cercle se referme sur elles, Ama continue.
- Oui ! Les filaments autour des racines. À force d’être en communion avec l’arbre et le sol, j’ai fini par comprendre ce qu’il se passait entre les arbres et les filaments des champignons.
Elles finissent quand même par s’interrompre, l’un des hommes leur faisant face.
- Bien, occupons-nous déjà de ceux-là…
À ces mots, les pupilles de Dona semblent encore s’agrandir, plongeant directement dans les yeux de son agresseur alors que la pluie gagne en intensité. Ama de son côté sent ses forces revenir. L’eau les renforce, encore et encore.
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L’aube pointe, le sang a de nouveau coulé en abondance mais, cette fois, il n’y a pas de nouvelle victime, enfin pas de nouveau décès. Seul sur des trottoirs encore luisants d’humidité, avance Plantago. Il a couru toute la nuit, espérant retrouver les responsables de ces carnages. Des êtres de sa génération, mais maintenant qu’il les a repérés, il hésite.
- Dis-moi, Ama ? Tu l’as senti ? - Oui ! Il est là, tout proche, notre petit plantain.
Elles viennent de le repérer à leur tout. Plantago recule lentement mais face à deux “femmes” comme elles, il n’a pratiquement aucune chance. D’ailleurs, la brune lui barre déjà le chemin.
- Cela fait combien de siècles, Plantago, combien depuis qu’ensemble, nous avions rejoint la Serre. - Dona, la belladone. - Si tu veux.
Ses yeux plongent droit dans les siens. Il détourne le regard avant de reculer, méfiant. Il n’ignore pas à quel point elle peut être redoutable avec ce genre d’armes. Par chance, les deux complices se sont séparées. Mais ce n’est qu’un répit, sachant qu’Ama peut surgir d’une seconde à l’autre. Inquiet, il guette l’arrivée de la blonde, délaissant la brune qui l’attrape aussitôt.
- Que ? - Dis-moi ? Tu traînes encore près de l’un des gardiens n’est-ce pas ? - Oui ! Mais. - Laisse-le.
Une forme plus grande se glisse soudain entre eux. Une autre “femme” plus robuste que la délicate Dona. Plantago, après une brève hésitation, lève des yeux surpris puis soulagés vers la nouvelle venue étroitement enveloppée de vert sombre.
- Elba ? Tu as enfin réussi à… - Oui ! Depuis que l’if a repris ses forces, il en est de même pour moi. - Quoi ? - Va-t-en, Dona. - Que ?
Les écorces se font soudain plus dures autour du corps déjà puissant d’Elba. Dona a beau disposer de charmes redoutables, face à Elba, elle risque fort de laisser quelques plumes dans la bagarre. Aussi, elle préfère filer surtout que d’autres mouvements se font entendre.
- Viens, Plantago. Inutile de rester ici plus longtemps. - Mais ? - Ama n’est pas loin, elle risque de nous tomber dessus, elle aussi. - D’accord, mais où allons-nous ? - Voir celle qui nous a percutés.
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