Ce soir là, la lune était pleine, ronde et magnifique. Malheureusement, de plus en plus de nuages se rassemblaient à grande vitesse devant elle, comme s’ils voulaient l’empêcher de briller. Son reflet disparaissait petit à petit du lac qui était perdu dans la vallée. Au bout de cette dernière, se trouvait une imposante montagne. Elle s’élevait si haut, qu’il était parfois dur d’en apercevoir le sommet. Tout était calme en ce lieu. Les nuages qui s’approchaient étaient d’un gris très sombre, et la température qui était très basse, allait leur permettre de jouer les artistes. En peu de temps, ils allaient recouvrir cet immense amas de terre, d’un manteau épais et blanc. Il n’y avait pas beaucoup de maisons dans les environs, seulement quelques fermes abandonnées et un joli chalet. Il était isolé au milieu de nulle part. La route qui permettait de le rejoindre était étroite et sinueuse. Peu de monde l’empruntait, surtout en cette saison. Dans toutes les fermes alentour, les quelques animaux, qui avaient été oubliés, s’étaient déjà abrités sous une avancée de toit pour pouvoir se mettre à l’abri. Ils se blottissaient les uns contre les autres afin de ne pas souffrir du froid. Les plus petits essayaient par tous les moyens de se rapprocher des plus grands, et ainsi profiter de leur chaleur. Tous espéraient que la neige ne tombe pas en trop grande quantité. Ils avaient hâte de pouvoir se promener à nouveau dans de grandes étendues vertes... Le petit chalet était plein de vie. De la lumière s’échappait des fenêtres du rez-de-chaussée. Les habitants, qui s’étaient tous réunis, venaient de préparer un bon feu de bois pour garder une température agréable, et pour discuter de ce qu’ils feraient lorsque les beaux jours reviendraient. La cheminée était imposante et personne n’avait mis de protection devant les flammes, afin que leur chaleur se propage.
Après avoir vidé leurs tasses de thé et épuisé tous les sujets de conversation, ils rajoutèrent quelques bûches afin de permettre au feu de durer encore plusieurs heures. La pièce se vida, et seules les flammes continuaient leur danse majestueuse. Dehors, la neige tombait toujours, et le vent s’était levé. Une fenêtre du chalet se mit à grincer et s’ouvrit à peine, permettant à un mince filet d’air d’entrer et d’attiser le feu.
À l’extérieur, tous les flocons de neige se demandaient quand ils parviendraient à toucher le sol. Parfois, ils s’en rapprochaient très vite mais une bourrasque naissait et les maintenait en l’air encore plusieurs minutes. Ils étaient ballottés dans tous les sens. Leur vol était semblable à une danse, durant laquelle la nature voulait montrer ce qu’elle pouvait faire de plus beau. Nombreux étaient les flocons qui se retrouvaient séparés de leur famille ou de leurs amis. Cela ne les touchait guère car ils savaient qu’ils ne pouvaient rester ensemble très longtemps une fois lancés dans la tempête. Les plus chanceux tomberaient peut être à une petite distance de ceux qu’ils aimaient. Quelques flocons s’étaient déposés près de la fenêtre entrouverte.
Le plus petit flocon, après s’être relevé commença à poser certaines questions. Il voulait savoir pourquoi leur vie était si éphémère, et surtout, que cherchait à faire la nature en les créant ? Personne autour de lui n’avait de vraies réponses, ils savaient juste qu’ils étaient là pour, leur avait-on dit, embellir le paysage durant plusieurs jours. La vie des flocons de neige était courte et peu attrayante. Après avoir été jetés hors d’un gros nuage, ils s’entassaient les uns sur les autres plusieurs heures, parfois plusieurs jours, et lorsque la température augmentait, ils disparaissaient aussi vite qu’ils étaient venus. Ils étaient peu nombreux à se poser des questions, et encore moins nombreux à vouloir chercher des réponses. Ils se dirigèrent tous près de l’ouverture de la fenêtre afin de profiter du courant d’air. En se rapprochant, le petit flocon était de plus en plus intrigué par la lueur qu’il voyait jaillir de l’intérieur du chalet.
« Quelle est donc cette lueur ? Elle est tellement belle. »
Tous les flocons se regardèrent et l’un d’eux lui expliqua que c’était un feu, et que cet élément était le plus mauvais et le plus traître jamais créé. Il avait le pouvoir de détruire une forêt entière par sa volonté, et à son contact, même l’eau disparaissait en un nuage de fumée. Le petit flocon ne pouvait croire que quelque chose d’aussi beau, puisse être aussi destructeur. Il n’avait pas l’air méchant, seul dans la cheminée. Il donnait l’impression d’être presque triste, comme abandonné. Sa beauté, pensa le flocon, ne lui servait sans doute qu’à attirer les gens, afin qu’ils le nourrissent encore et encore de bois, pour que sa vie jamais ne s’arrête.
Dans la cheminée, les flammes qui étaient encore très vives n’avaient de cesse de caresser le bois, de le dessécher afin qu’il se consume plus facilement. Au fur et à mesure que le bois disparaissait, les bûches tombaient les unes sur les autres, parfois violemment. Ces chocs faisaient naître de petites étincelles qui, par mégarde, étaient projetées loin du feu. Parmi elles, il y en avait une qui brillait plus que les autres et qui ne semblait pas vouloir mourir. C’est celle-là même qui attira le regard du petit flocon.
Ses yeux n’avaient jamais vu quelque chose de semblable. Pour lui, la petite étincelle, seule sur le sol de cette grande pièce, était la plus belle chose sur cette planète. Il était fasciné, mais un peu découragé par les histoires qu’il venait d’entendre. Malheureusement pour lui, son cœur se mit à battre de plus en plus fort et de plus en plus vite. Il savait que sa vie était courte, et le sentiment qui l’envahissait était plus fort que tout ce qu’il avait jamais vécu. Il demanda à un grand flocon ce qui pouvait le mettre dans cet état. Ce dernier lui répondit que la seule chose capable de chambouler autant le cœur d’un être, ne pouvait être que l’amour. Le flocon ignorait tout de ce mot, mais ses palpitations étaient des plus agréables. Il se demanda comment faire partager sa sensation à celle qui l’avait éveillée en lui.
Un couple de flocons, qui avait réussi à rester unis malgré les éléments, se rapprocha de lui. Leurs yeux pétillaient à chaque fois que leurs regards se croisaient. Le premier flocon lui expliqua que la première fois qu’il avait vu sa compagne, son cœur avait eu les mêmes réactions. Il ne pouvait pas les expliquer mais seulement les ressentir, et les apprécier. Il décida alors de franchir le pas et d’ouvrir son cœur à sa bien aimée. Cette dernière, touchée par la beauté des mots et par sa sincérité ne put que tomber sous le charme. Le fait de partager ce sentiment le rendit encore meilleur, et les deux flocons eurent alors un aperçu de ce que pouvait être le plus grand des bonheurs. Le petit flocon les écoutait plein d’attention. Ils lui demandèrent alors de leur désigner l’élue de son cœur. Il tendit le bras en direction des flammes, et plus particulièrement en direction de la petite étincelle qui était seule sur le parquet.
Les deux flocons furent très étonnés. Ils expliquèrent alors à leur ami qu’il était dangereux de trop s’en approcher. Ils décrivirent l’étincelle comme quelqu’un de différente d’eux, qui pouvait parfois être méchante. Ils commencèrent à parler des dangers que pouvait entraîner une telle relation. Mais le petit flocon expliqua qu’après tout ce beau discours sur l’amour, il ne pourrait se sentir heureux sans ouvrir son cœur à celle qu’il considérait alors, comme son unique raison d’être.
- Je pense être prêt à tout pour lui faire partager mon sentiment. Je vais me rendre à ses côtés, même si vous pensez que je fais là une folie.
À ces mots, les deux flocons se regardèrent d’un air attendri. Ils se dirent que le petit flocon avait raison. Pour profiter de la vie, il faut la vivre pleinement. Ils lui souhaitèrent bonne chance et, tandis qu’ils s’en allaient, ils le virent s’approcher de la fenêtre.
Au moment de sauter à l’intérieur, le petit flocon eut une hésitation. Mais, comme si le destin avait voulu lui venir en aide, un petit coup de vent le força à décoller et il se retrouva bien vite sur le parquet du chalet. Cette pièce immense lui fit un peu peur, c’était la première fois qu’il se sentait aussi seul. Mais ce sentiment laissa vite place à la joie ; celle de pouvoir partager son amour. Il commença à marcher lentement en direction de la petite étincelle. À chacun de ses pas, son cœur risquait de s’arrêter. Il escalada le bord d’un tapis, le traversa en peu de temps, en faisant attention à ne pas être recouvert de poussière. Ne pas être d’un blanc immaculé pour avouer ses sentiments, n’était, pensait-il, pas très correct. Il se retrouva finalement à une vingtaine de centimètres de sa bien aimée.
Il l’appela une première fois avec sa voix la plus douce. Mais il n’eut droit à aucune réaction. Il décida de s’avancer un peu et de s’exprimer à nouveau, en haussant cette fois un peu le ton. Sa deuxième tentative fut une réussite, car la petite étincelle se retourna et regarda d’un air étonné ce petit flocon qui était là, devant elle.
- Que me voulez-vous ? demanda-t-elle d’un air austère.
Le petit flocon fut choqué de cette réaction, lui qui espérait tant de cette première rencontre. Mais il ne se découragea pas pour autant. Il resta immobile devant elle, et la dévisagea. La petite étincelle, à la fois gênée, mais tout de même flattée, lui dit qu’ils n’étaient pas du même monde. Elle voulait rester vivre dans la chaleur, alors que lui était condamné à vivre dehors, pour être dans la nature. Aller à l’extérieur ne l’intéressait pas, car pour elle, il y faisait toujours froid. Le petit flocon essaya d’engager la conversation, mais la petite étincelle lui tourna le dos et resta immobile. Elle était si belle, et lui tellement amoureux, pourquoi le faire autant souffrir ? Le petit flocon baissa la tête. S’était-il trompé ?
Au fond de lui, il savait qu’il ne pourrait pas vivre avec un poids d’une telle importance sur le cœur. Elle était, sans encore le savoir, devenue sa nouvelle raison de vivre. Il tomba à genoux, rongé par le désespoir. Il refusait de continuer à vivre de cette façon. Tant de questions s’emmêlaient dans son esprit, et l’idée de repartir parmi les siens lui semblait impossible et beaucoup trop douloureuse à supporter. C’est alors qu’elle se retourna et regarda le petit flocon d’un air amusé. Elle rigola quelques instants.
- Mais cela est impossible, vous êtes un être du froid et moi du chaud, notre amour est voué à l’échec. - Pourtant mon cœur s’est enflammé en vous voyant, et le vôtre manifestement, reste de glace. C’est étrange, vous ne trouvez pas ? Donnez-moi la chance de vivre, ne serait-ce, qu’une seconde à vos côtés. J’ai une chose merveilleuse à vous faire partager !
En entendant ces paroles, la petite étincelle avait l’air pensive. Elle se demandait ce que ce petit être avait de si exceptionnel à lui faire découvrir. Elle pensa que cela pourrait sans doute être bénéfique et ordonna sèchement au flocon de s’approcher. Alors qu’il s’avançait lentement, la chaleur, au fond de son cœur, ainsi que sur tout son corps ne cessait d’augmenter, il commençait doucement à fondre. À la moitié du chemin, il avait déjà perdu un de ses bras, et ses jambes n’allaient plus pouvoir le soutenir très longtemps. Une fois arrivé devant son amour, il n’y avait plus que sa tête posée sur le sol. L’étincelle fut étonnée de voir qu’il était prêt à mourir pour s’approcher d’elle. Elle le regarda avec un sourire narquois. Qu’est-ce qui pouvait donc autant le motiver ? Le petit flocon avait presque disparu. Mais avant de fondre complètement, il adressa un dernier sourire à celle qu’il avait tant aimé.
- J’espère qu’un jour ou l’autre, votre cœur pourra vibrer pour quelqu’un, comme le mien vibrait pour vous…
… Ce furent ses derniers mots.
L’étincelle se retrouvait désormais seule, loin des siens, au milieu d’une grande pièce sans vie. Il ne restait plus qu’une toute petite flaque d’eau au sol. Elle était devenue bien triste, car elle venait de comprendre la signification du mot amour. Malheureusement pour elle, il était maintenant trop tard pour avoir des regrets. Le petit flocon avait donné sa vie pour essayer de lui ouvrir les yeux. Elle se mit à sangloter en regrettant d’avoir été aussi dure avec cet inconnu. Désormais elle savait que dans sa vie, il y aurait un vide que personne ne viendrait plus combler. Passer à côté de ce sentiment, c’était comme n’avoir jamais vécu. Elle ne pouvait retenir ses larmes, qui l’une après l’autre, commençaient à l’éteindre lentement, trop lentement…
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