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Sentimental/Romanesque
Louis : L'appel du large
 Publié le 02/02/15  -  14 commentaires  -  7377 caractères  -  188 lectures    Autres textes du même auteur

L'hôtel des quatre vents.


L'appel du large


Il avait erré longtemps, dans l’immense. Immensité d’eau, immensité de sable. Solitaire, effroyablement dérisoire, il avait pourtant l’audace d’une existence, il osait avancer pas à pas sur la grève sans fin le long des vagues en furie, sur les rives de l’océan qui soulevait des montagnes d’eau, se jetait sur la terre, avec rage, avec force, écumant, pour tout réduire en grains de sable, en grains minuscules, sans nombre.

Il osait les pas de son mouvement transverse quand les cavalcades de mer et les assauts gris de nuages se précipitaient dans un même sens, vers les terres, vers les continents toujours à s’égrener sous leur puissance et sous le vent, violent à tout faire voler en grains et poussières.

Il osait les traces sur la grève, en dépit des efforts répétés de l’océan à venir lécher le sable, de sa langue de mer, de sa bave écumante, à venir effacer toute trace d’humanité, avaler tout signe de présence autre que fluide et minérale dans son ventre d’insignifiance, où tout est digéré, puis régurgité en nausées liquides et sablonneuses de l’indifférencié et de l’oubli.

Il avait avancé, à contretemps, à contre-jour, le long de la plage.

Alors, il l’avait aperçu par-delà les dunes. Un vaste bâtiment blanc, une bâtisse aux murs comme les voiles d’un grand navire de cette époque des siècles passés, quand les hommes s’élançaient à la découverte des mondes nouveaux. Un voilier de pierre échoué sur les rives pour toujours. Un vaisseau las des flots parti naviguer hardiment sur les terres.

En une figure stylisée d’orthographe ondulante, sa proue hissait un nom : Hôtel du cap des Quatre vents.


Personne pour l’accueillir, dans cette auberge où lentement il entra. Derrière le comptoir, le siège restait vide, nulle présence ne venait l’occuper malgré le temps qui filait, en minutes longues, s’accrocher aux aiguilles d’une horloge ancienne au tic-tac régulier, suspendue au mur d’entrée. La tête encore dans les marées, pleine d’embruns des jours errants sur les crêtes d’une existence songeuse en marge du monde, il patienta longtemps, en attente d’une présence accueillante qui ne vint pas.

Le registre ouvert l’invitait à indiquer son nom. Il écrivit : Gildas Gerimeck.

L’hôtel semblait vide de tout hôte et de tout personnel, sans donner pourtant l’impression d’un abandon ou d’une désaffection. Des voix paraissaient témoigner d’une vie dans ce vaisseau de pierre. Il percevait, venue d’un couloir qui probablement menait aux chambres de l’hôtel, ce qu’il interpréta comme une longue conversation. Il s’approcha. Les mots coulaient d’un téléphone posé sur une console, que l’on avait omis de raccrocher. Une voix féminine déversait inlassablement un flot de paroles. Il s’attarda un moment à l’écouter s’exprimer sur le ton de la confidence :


« … Comme tout est fragile ! Tu sais, il a tout laissé, un jour il est parti. Il a renoncé à toutes ses fonctions, à sa position sociale, si haute, celle qu’il avait pourtant gravie avec tant de peines, et tant de sacrifices. Tous ses pouvoirs, sa fortune aussi, et même sa famille, tout, il a tout abandonné. Il est parti. Sans explications. Sans rien dire. Il semblait si fort pourtant, il paraissait si vaillant, vraiment si plein d’énergie. Un roc inaltérable, vraiment. Il semblait pouvoir résister à tous les flots tumultueux. Comme il paraissait invulnérable…

Pourquoi tout finit-il un jour par casser ? Pourquoi tout finit-il par se briser ? Les tableaux sur les murs, même les plus beaux, finissent toujours par se décrocher. J’ai lu Shakespeare, hier soir, avant minuit. « Notre essence est de verre » : j’ai retenu ses paroles. Nous sommes ainsi faits, c’est vrai, notre âme est de verre. Elle tinte, elle vibre un instant, et puis elle se brise.

N’oublie pas, tout, tout est de verre, tout casse. On remplit de vie des verres fêlés. On se saoule pour oublier, mais tout fuit, tout se perd.

Même l’océan, c’est du verre…

Nos idées aussi, et notre esprit, ils sont en verre. Mes pensées sont fêlées parfois, je le sais. Et ma voix, plus d’une fois déjà, s’est brisée… »


Gildas Gerimeck aperçut, fixé au mur face au téléphone, un écran qui détourna son attention. Il présentait en permanence des images en noir et blanc : des visages féminins, des toilettes élégantes, des hommes au visage souriant, cravates soignées, séduisants, tous immergés dans une atmosphère sereine et gaie. Des enfants joueurs. Des paysages ensoleillés, des champs, le sourire des fleurs. De temps en temps, l’image se brouillait, alors apparaissait l’océan dans son immensité mouvante, comme s’il poursuivait son existence extérieure en flots de représentations à l’intérieur. Comme si la marée montante dehors se prolongeait dans les images cinétiques, quand la marée descendante, elle, laissait l’écume souriante sur écran d’une humanité baignée tout entière dans une liesse simple et candide.


La nuit tombait et toujours personne pour lui indiquer une chambre où dormir. Gildas Gerimeck erra dans les couloirs vides, où seule la voix fantôme issue du téléphone était audible sur fond de rumeur grondante de l’océan, dehors. La plupart des pièces étaient fermées à clef. Une seule porte s’ouvrit qui donnait sur une chambre aux murs tout blancs, dans laquelle il pénétra. Il s’étendit sur le lit et resta longtemps allongé, sans dormir, dans la pièce faiblement éclairée par une petite lampe de chevet.

Il se leva au milieu de la nuit, traversa les couloirs.

Sur la console aux pieds chantournés, le téléphone avait toujours refusé de raccrocher. Jamais ne déclarait forfait, toujours maintenait sa ligne, le mince combiné, effilé, posé là, sans cesse à exhiber ses organes, émetteur, récepteur, haut-parleur très prolixe, babillard à toute heure, jacasseur de chaque instant.

Il s’arrêta un moment pour écouter la voix, si frêle, qui ne tenait qu’à un fil :

« … peur de la nuit. La nuit de mousse sur la surface des eaux. La nuit de gaze noire fine et dense, étendue jusqu’aux rideaux de l’aube en draps de coton blanc. Ce qui fait la trame de la nuit ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Aux fils ténus de l’existence tissée dans la toile nocturne, les rêves sont suspendus. Moi, je suis si nue sous mes songes. Du tissu des nuits, il faudrait peut-être dresser une grand-voile pour voguer sur l’océan tout blanc, oui, peut-être, et ainsi flotter sous les étoiles, ardentes quand elles brillent dans un ciel de cendres. Et traverser la mer, sous la houle et la tempête, accoster de l’autre côté de l’océan sous un ciel de nacre, loin des rivages sombres et… »

Il regagna son lit dans la chambre, cabine du voilier de pierre. Son lit tanguait quand vint le sommeil.

Le soleil levant perçait les nuages au matin quand il se réveilla. L’hôtel du cap des Quatre vents demeurait désert. Il passa sans s’arrêter devant l’écran qui diffusait les images en noir et blanc ; il s’attarda un bref instant près du téléphone à écouter la voix ininterrompue. « … Ils sont beaux, disait-elle, les matins des aubes nouvelles. Égaré de la nuit, tu reviendras. Tu suspendras ton manteau gris à la patère d’un jour nouveau. Tu sais, les âmes sont de verre opaque, et… »

Gildas Gerimeck s’éloigna. Il sortit du vaisseau de pierre et se détourna de la grève. Il s’éloigna de l’océan, il écarta ses pas des franges de l’immense. Immensité de sable, immensité d’eau. Il tourna le dos à la mer.


 
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   Neojamin   
15/1/2015
 a aimé ce texte 
Bien
Un beau texte, indéniablement. Une douce mélancolie qui nous emporte vers l’hotel des quatre vents.
L’écriture est belle, un poil trop languissante. J’apprécie ce genre de plume qui me rappelle certains textes de Le Clézio, les mots se répètent pour former des impressions. Ces mêmes impressions créent une ambiance particulière et envoûtent le lecteur.
Ici, c’est réussi, je me suis laissé emporté.
Je n’ai pu manquer d’être déçu, par contre, en suivant le fil du récit pour me rendre compte que, très vite, la magie s’efface pour faire place au silence. Le texte est court et ne dit pas grand chose. J’aurais aimé plus d’indices pour savoir qui est cet étranger, j’aurai aimé d’autres détails qui auraient ajouté au mystère de cet hotel...la voix qui traîne au téléphone, j’ai aimé, mais je reste sur ma faim.
Je sens que cet hotel, tout comme cette histoire, regorge de mystères et d’histoires passionnantes et j’aimerais qu’elles me soient contés...un petit regret donc me reste sur le ventre en terminant ce texte.
Une belle inspiration donc, au goût amer de l’inachevé...
Merci pour la lecture.

   in-flight   
2/2/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'ai pensé à Ulysse et au chant des sirènes. Notre "skipper" semble happé par cette voie spectrale venue non pas de la mer mais bien de la Terre, d'un hotel fantomatique.

"N’oublie pas, tout, tout est de verre, tout casse. On remplit de vie des verres fêlés." --> Très belle trouvaille. Il y a une opposition récurente entre la pierre et le verre. un matériau brise l'autre.

"Il tourna le dos à la mer."--> La fin est équivoque, le narrateur souhaiterait-il percer le mystère de la voix? Est-il en proie à une hallucination?

   Robot   
27/1/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Un texte ou l'ambiance compte plus que le récit. Une écriture qui enveloppe. Nous n'aurons pas la solution du mystère et c'est un peu le regret. Non pas le regret de l'absence d'une solution avérée, mais celui de n'avoir pas obtenu de piste pour en imaginer une.

   Anonyme   
2/2/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour, Louis. Quelle merveille ce texte, le coup du téléphone où quelqu'un parle tout seul, peut-être l'âme de cet hôtel vide ou bien un fantôme un rien moderne. J'ai adoré cette ambiance grise, ce bord d'océan un peu glacé. Brr !! J'en ai froid dans le dos. Et puis toutes ces pistes, ces portes entrouvertes où l'imagination veut nous entraîner.Oh, oh, mais j'ai compris, ne serait-ce pas à nous, pauvres lecteurs, qui posons nos lourdes valises dans cet établissement désert, de l'écrire ce dénouement de l'histoire ? Merci, tout de même, Monsieur Louis, pour cette écriture fort belle, et merci également pour ce cadeau qui nous laisse l'esprit plein de grosses fourmis dans les pieds.

   Francis   
2/2/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Avancer à contretemps, à contre courant érode , fatigue le naufragé volontaire, celui qui a tout abandonné : sa situation sociale, sa fortune, sa famille... les marées ont rendu opaque son âme cristalline. L'hôtel des quatre vents est peut-être son for intérieur dans lequel surgissent des souvenirs: écran noir et blanc, voix familières, visages...Fragile, face à l'érosion du temps, de l'océan, ce vieux loup solitaire m'interpelle. Il garde ses secrets comme un fantôme qui traverse le temps. Bien sûr, c'est une interprétation très personnelle de ce texte que j'ai aimé parcourir.

   Anonyme   
3/2/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J’ai lu comme une immense allégorie de l’homme seul face à son destin d’homme seul. J’y ai retrouvé l’ambiance du monologue que l’on mène parfois les jours de plongée au fond de la conscience, lorsque elle titille, insoumise.

Dans cet univers d’embruns et d’immense la petite voix intérieure fait le tour des choses suspendues à son fil. Des choses de rien du tout qui font tout un monde, cassantes comme du verre, auxquelles l’on s’attache beaucoup trop cependant, tandis que sur l’écran défile en noir et blanc insipide la vie d’apparences taillées sur mesure.

Au loin, après la ligne d’horizon de l’océan, gronde l’inconnu, monde violent qui attire autant qu’il fait peur. Faut-il être fort pour braver les montagnes dressées sur la route en laissant sans regret les oripeaux d’une fête convenue se perdre dans l’écume.

La fin me laisse triste malgré un ouf poussé de soulagement contradictoire. Ouf, il ne renonce pas à sa vie !
Pourtant, j’aurais aimé, me semble-t-il, que pour se guérir, le mec, Gildas, ose…

Merci infiniment, Louis.

Cat

   emilia   
5/2/2015
Une histoire à la manière de …Louis et de son style si particulier où prose et poésie se marient pour mieux servir la pensée…Son personnage principal se prénomme Gildas et ce n’est sans doute pas par hasard si certaines de ses qualités déterminent un caractère sensible et vulnérable…, dont l’action se déroule à « l’hôtel du cap des quatre vents », illustrant peut-être toute la difficulté à garder un cap, lorsque l’on est ballotté dans toutes les directions et que les vents de tous les horizons s’engouffrent sous la voile… ; alors, direction à prendre, objectif à atteindre ou cap à franchir pour réaliser ses désirs en se laissant attirer par « l’appel du large… », ce sera le nœud de l’intrigue…
Après une longue errance solitaire à affronter les tempêtes de l’océan et les assauts du vent chargés d’effacer toute trace d’humanité, Gildas « avait osé avancer à contre-temps et à contre-jour… », faisant émerger cette étrange et mystérieuse métaphore du « voilier de pierre échoué pour toujours… », et, pour filer cette métaphore, « un vaisseau parti naviguer sur les terres… » à l’époque des siècles passés avec « cette horloge ancienne au tic-tac régulier » qui marque l’attente et l’écoulement du temps…
Une voix féminine provenant d’un téléphone ( pourquoi féminine, quand il s’agit de préciser qu’elle ne cesse de bavarder…, pourrait-on se demander ? ) semble maintenir une connexion sur le ton de la confidence pour dévoiler ce qui pourrait être la situation du héros : avoir tout abandonné, être parti, en montrant ainsi sa fragilité contrairement aux apparences, soumis au triste constat que « tout fuit, tout se perd et se casse… », les pensées se fêlent et la voix se brise, révélant ses souffrances…
Au flot de paroles succède un flot d’images en noir et blanc grâce à un écran accusé de détourner l’attention » par la séduction…(phénomène de société…) ; mais, si la voix se brise, l’image aussi se brouille sous l’effet des marées, ses mouvements ascendants et descendants qui peuvent symboliser cette bipolarité entre monde extérieur et univers intérieur qui s’opposent comme la terre à la mer, le verre à la pierre, la raison et la déraison…
Difficile de sortir de sa nuit et de son enfermement quand « la plupart des pièces de l’hôtel sont fermées à clef… et qu’une seule porte peut s’ouvrir sur une chambre aux murs tout blancs… », comme une chambre d’hôpital où sont prodigués les soins capables d’aider le patient à retrouver les clés pour déverrouiller ses blocages psychiques et ses tourments, ses conflits intérieurs, ses contradictions et ses peurs qui sont autant de portes à ouvrir…
Un passage plus poétique illustre parfaitement ce contraste entre le noir et le blanc, entre la nuit et l’aube, « la gaze noire fine et dense et les draps de coton blanc… », les songes tissés qu’une belle image ponctuée d’allitérations nous délivre : « je suis si nue sous mes songes… » et que l’on peut entendre dans les différentes acceptions…
« Sous un ciel de cendres, des étoiles brillent attirantes… », nouveau contraste qui incite à traverser la mer pour accoster de l’autre côté, loin des rivages sombres et « suspendre son manteau gris à la patère d’un jour nouveau… », car, pour terminer sur une note d’espoir, ce vaisseau blanc semble un lieu d’ancrage qui accueille les égarés et les aide à surmonter la tempête en se rappelant : « qu’ils sont beaux les matins des aubes nouvelles… ; mais, en un cycle infernal qui tourne en boucle, le héros se retrouve dans la situation initiale, dérisoire face à l’immensité…, en retournant peut-être à ses incertitudes et ses questions sans réponses…
Ce n’est que mon ressenti et je ne sais si je suis parvenue à saisir toutes les subtilités du texte, si riches comme à votre habitude en utilisant comme clé de lecture la citation de Shakespeare : « notre essence est de verre, c’est à dire de sable », symbolisant la nature profonde de l’être humain et reprise dans le livre très intéressant de Jean-Claude Carrière intitulé : « Fragilité »…
Une nouvelle qui pourrait également s’inspirer de cette citation de Baudelaire : « le beau est toujours bizarre… » Merci à vous pour ce partage et sa part de mystère…

   Automnale   
7/2/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
"L'appel du large" nous emmène, semble-t-il, sur les bords de l'Atlantique, là où l'océan soulève des montagnes d'eau... Mais qui est ce Gildas Gerimeck ? A part ce nom, rien, dans ce récit poétique, n'est nettement défini...

Gildas ose des traces sur la grève... Il a l'audace d'une existence... C'est alors qu'il aperçoit un vaste bâtiment blanc lui faisant penser à un grand navire, un vaisseau de pierre... Il s'agit de l'hôtel du cap des Quatre Vents... Dans cet hôtel vide, l'horloge fonctionne, les mots coulent sans fin d'un téléphone, et, sur un écran, des images en noir et blanc défilent. La rumeur de l'océan se fait entendre...

L'écriture fait parfois songer au style de Marguerite Dumas... L'atmosphère océanique est fort bien rendue... Le mystère persiste de bout en bout... L'hôtel rappelle celui, très étrange, que Yann Queffelec évoque dans son Dictionnaire amoureux de la Bretagne...

Mais nous voudrions bien comprendre le cheminement du narrateur (donc de l'auteur)... Et, encore une fois, qui est donc ce Gildas Gerimeck ? Dès lors qu'il est question d'une âme ("Notre âme est de verre"), s'agirait-il d'un malade, dans un hôpital (blanc), entre la vie et la mort ? Ne serait-ce pas, plutôt, un désespéré s'étant sciemment jeté dans les flots tumultueux ? Un marin péri en mer, un homme dont les cendres auraient été éparpillées dans l'océan ? Genre de questions persuadant que la narration est celle d'un défunt, ou presque... Raccrochons-nous aux indices semés comme des petits galets (blancs) : "Comme tout est fragile ! Pourquoi tout finit-il un jour par casser, par se briser ? Tout est de verre, tout casse, tout fuit, tout se perd. Même l'océan, c'est du verre...". Notons les images en noir et blanc... Les pièces fermées à clef (tombeaux ?)... Les murs blancs de la chambre...Les couloirs (d'hôpital ?)... L'écran... Les draps blancs... La gaze noire... Et puis ce registre... Et puis le sourire des fleurs...

Les petits détails : L'hôtel du cap des Quatre Vents (pourquoi ajouter "du cap" ?)... Dans un texte plein de poésie, le mot "organes" (du téléphone) semble déplacé... (ou volontaire, si séjour à l'hôpital il y a ?)... Quant au "grand navire de cette époque des siècles passés", ne serait -ce pas préférable d'ôter "de cette époque" ? Enfin, cette répétition du mot "visage" (celui des femmes, celui des hommes au visage souriant).

Gildas, in fine, s'éloigne de l'océan. Il tourne le dos à la mer... Est-il sauvé ? Ou les âmes montent-elles vers le ciel et les étoiles ? Quelle énigme !

Ce texte fort et de grande qualité, nécessitant - et méritant - plusieurs lectures, ne laisse pas indifférent... Loin s'en faut... Qui sait si nous n'y repenserons pas encore, l'été prochain, lors de balades dans les dunes de l'Atlantique... Ou du côté de la Baie des Trépassés.

Merci beaucoup, Louis.

Automnale

   Alice   
17/2/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'arrive bien en retard, mais s'il y a une chose que la contemplation de la mer nous apprend, c'est que les vagues reviendront, jamais pareilles, jamais différentes, et que tant que le mouvement continue le temps est abstrait. J'ai été prise dans les vagues de votre texte, ses vagues que je ne sens pas françaises, ni québécoises, ni sénégalaises; des vagues de gens , des vagues de vie, de l'universel comme on en sent rarement. Une danse en noir et gris. Il y a une sensibilité, une sorte de culte du nostalgique et du vrai, qui émane de l'écriture et qui touche profondément. Je n'ai pas besoin de savoir d'où il venait. Je n'ai pas besoin de savoir où il va. Je sais juste qu'un jour, il a vu la mer. Et qu'il a dormi en elle. Et ça me suffit.

Merci infiniment pour cette douceur volée au quotidien,

Alice

   molitec   
17/2/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Une première lecture m’a fait prendre conscience que je suis devant un très beau texte, il m’a fallu une deuxième lecture (pas moins rationnelle que la première, mais en y introduisant l’imaginaire) pour avoir une idée plus claire sur le fond de l’histoire. J’apprécie aussi le coté mystérieux, même si j’aurai aimé avoir juste un petit peu plus de détails ou de pistes qui renvoient à la réalité (sur la voix par exemple), il y’a une liberté laissée au lecteur de définir quelques événements et ajouter des finitions qui lui conviennent à cette très belle construction. Il y’a le bâtiment blanc qui est un lieu ayant existé temporairement dans la mémoire du personnage, dans un rêve, ou dans ses pensées au moment ou il allait très mal et était sur le point de tout abandonner ; il y’a aussi la voix féminine dont le mystère est restée intact après ma deuxième lecture.
Merci pour ce très beau texte, à bientôt.

   jfmoods   
19/2/2015
Alimentée par des gradations (« vers les terres, vers les continents », « de sa langue de mer, de sa bave écumante »), des hyperboles (« tout » x 4, « toute »), des gradation anaphoriques («en grains de sable, en grains minuscules, sans nombre », « Immensité d'eau. Immensité de sable » reprise à l'inverse en fin de texte), l'entame, d'ordre épique, dessine un face-à-face héroïque (champ lexical : « audace », « osait » x 3, « l'audace », termes structurant un champ de résistance : « transverse », « à contretemps, à contre-jour ») du personnage à son environnement. Gildas Gerimeck s'est résolument éloigné de la société, se confrontant aux éléments, à une certaine image de la finitude des choses (métaphore : « ventre d'indifférence ») afin de réfléchir au sens profond de sa vie (métaphore : « crêtes d'une existence songeuse en marge du monde »). Le lieu d'arrivée (lieu de retour ?) est assimilé à un bateau (comparaison : « comme les voiles d'un grand navire »). Il présente l'aspect d'une errance, d'une errance immobile (métaphore à caractère paradoxal : « un voilier de pierre », plus loin « vaisseau de pierre »). S'il se trouve implicitement associé à la traversée d'épreuves glorieuses par la présence de l'adverbe (« hardiment »), sa présence est connoté négativement (adjectif qualificatif : « las », participe passé : « échoué », hyperbole : « pour toujours »). L'hôtel renvoie le lecteur à deux éléments clés de notre modernité. Le premier est l'image qui fixe le cadre d'un monde idéalisé, utopique (personnifications : « le sourire des fleurs », « l'écume souriante sur écran », énumération : « des visages féminins, des toilettes élégantes, des hommes au visage souriant, cravates soignées, séduisants, tous immergés dans une atmosphère sereine et gaie. Des enfants joueurs. Des paysages ensoleillés, des champs... »). Le second est la parole dont l'omniprésence obsédante est soulignée par l'adjectif qualificatif (« babillard »), le nom commun (« jacasseur »), les adverbes (« toujours », « jamais », « inlassablement »), l'adjectif indéfini (« chaque »), les locutions adverbiales (« sans cesse », « à toute heure »). Cette parole n'est pas, n'est plus celle de l'échange. C'est une parole qui tourne à vide (verbes à connotation péjorative : « coulait », « déversait »). Une expression, en particulier, attire immanquablement l'attention du lecteur, une expression porteuse de malaise (« exhiber ses organes »). La curiosité a graduellement disparu. Le rapport à l'autre s'est peu à peu délité, l'individu s'est enfermé dans une forme d'auto-complaisance, comme si chacun n'avait de cesse de s'écouter parler, de se donner à écouter. Le texte s'offre, évidemment, à diverses interprétations. Je le lis, pour ma part, comme le contenu d'un rêve prémonitoire, comme un récit d'anticipation sur les dérives d'une société qui, petit à petit, en cultivant le rapport à soi, contribue à isoler les individus les uns des autres. La thématique du verre, qui hante une partie du récit, appuie douloureusement sur le caractère infiniment brisable de notre condition. A y bien réfléchir, le bateau symbolise un encalminage possible des valeurs essentielles de l'humanité. « L'appel du large » résonne donc pour moi comme un salvateur coup de semonce sur les enjeux mortifères de notre civilisation.

Merci pour ce partage !

   Perle-Hingaud   
9/3/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bonjour Louis,
J’ai eu envie de relire votre texte après celui de Jano. La mer, là où tout commence et tout finira… cette symbolique est toujours aussi puissante. À part ce thème, pas grand-chose à voir avec ma précédente lecture : il s’agit ici d’une autre interprétation, d’une autre intention sans doute.
Difficile de commenter un tel texte, qui offre un labyrinthe d’interprétations.
J’aime la musicalité de votre écriture. Un texte à écouter autant qu’à lire. J’ai assisté à une lecture de Marie-Hélène Lafon d’un passage de son dernier livre, Joseph, et depuis je ne peux plus la lire sans entendre son timbre, sa diction particulière. J’aimerais tenter l’exercice sur ce texte : un conteur ferait merveille.
L’homme est seul, vous l’isolez en le tenant loin de vous : on n’entre pas dans ses pensées. On ne sait rien de lui, on ne peut que l’observer. Il a un nom, pourtant, donc une histoire. Le fantastique entre dans le récit, tout naturellement, avec cette voix au téléphone, voix qui, peut-être, explique, ou ressasse, voix qui ne cesse de jacasser, en tout cas, avec le sens péjoratif de ce verbe. La présence de l’écran me rappelle une nouvelle de Murakami, dont j’ai oublié le titre… une femme qui dort et qui est observée par une présence dans la pièce (le narrateur) et par une présence dans un poste de télévision – le rapport habituel regardé/regardant est inversé. Ici, ce sont peut-être des souvenirs, peut-être l’appel d’un autre monde, un monde de bruits et de vie, puisque de séduction, même artificielle.
Ce texte repose sur des images, des sensations. Le risque… c’est que des personnes comme moi ne le comprennent pas. On retient la beauté de certains passages, l’abus poétique d’autres (ah oui, désolée, je suis fermée à la poésie ou presque), mais on aimerait bien une explication de texte. La fin est optimiste : il refuse l’immensité et revient vers la petitesse des hommes… C’est du moins ainsi que je l’interprète.
Merci pour l’atmosphère prégnante de votre écriture.

   Coline-Dé   
14/3/2015
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonjour Louis
Quel superbe texte ! J'ai dans l'oreille ce bruit de ressac des phrases, particulièrement sensible ici :
Il osait les traces sur la grève, en dépit des efforts répétés de l’océan
à venir lécher le sable, de sa langue de mer, de sa bave écumante,
à venir effacer toute trace d’humanité,
avaler tout signe de présence autre que fluide et minérale dans son ventre d’insignifiance,
où tout est digéré,
puis régurgité en nausées liquides et sablonneuses de l’indifférencié et de l’oubli.
On voit monter la phrase, puis un retrait, pour remonter de nouveau, comme une vague polisseuse.

Oser des traces alors que tout est sans cesse effacé... l'Homme, quoi ! Cet acharnement à avancer "à contretemps, à contre-jour, le long de la plage.

"La tête encore dans les marées, pleine d’embruns des jours errants sur les crêtes d’une existence songeuse en marge du monde, il patienta longtemps, en attente d’une présence accueillante qui ne vint pas."
Cette phrase est magnifiquement mélancolique.
Comme le sont les idées de signer quand même son nom dans le registre d'un hôtel déserté, ou le téléphone qui atteste non-stop d'une vie invisible et tout aussi mélancolique, qui se plaint de la "vitrification" de tout...
Cette histoire pleine de syymboles délicats m'a évoqué les peintures de Magritte, je ne saurais en citer une en particulier, mais l'atmosphère s'en rapproche, je trouve, plus que dans d'autres nouvelles ( pourtant souvent surréalistes !) de toi.
Merci pour ce très beau moment de lecture.

   carbona   
12/10/2015
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

Un joli texte, une ambiance, je me suis crue à un moment dans un récit d'épouvante quand le personnage est entré dans le manoir, mais non.

Un récit un peu trop abstrait et incomplet à mon goût. J'aurais aimé plus de faits, plus d'explications et moins de lyrisme.

Cela dit, ce court-métrage que vous venez de tourner me laisse un goût agréable.

Merci pour votre texte.


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