Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Fantastique/Merveilleux
macada : Le secret de mon puits
 Publié le 21/07/07  -  7 commentaires  -  6756 caractères  -  18 lectures    Autres textes du même auteur

Chacun cache un secret au fond de son jardin ; celui-ci est une bête féroce comme un cœur.


Le secret de mon puits


Je cache un secret au fond de mon jardin.


C’est un puits en vieilles pierres, enseveli sous une verdure débordante. Seule l’ombre des saules pleureurs l’inonde et il voit rarement la lumière. Il n’y a ni pompe ni mécanisme. Personne ne s’en sert jamais, pas même moi, qui vis si près. C’est juste un puits de pierres usées. Je n’en connais pas le fond car je crains de m’y pencher. Je le crois sec.


Mais je sais que s’y loge une bête ; je l’ai entendue souffler ou peut-être soupirer. Elle en sort certaines nuits. Elle rôde alors dans mon jardin. Je l’entends gratter, je ne sais ce qu’elle cherche, mais cela m’effraie. Ou peut-être que je sais… Au matin, je n’ose m’approcher tant que le soleil ne luit pas au zénith. Et même à ce moment, le feuillage des saules disperse d’étranges ombres qui pleurent sur le puits ; il prend une allure antique et maléfique. À pas de loup, je tends l’oreille, mais la bête est maligne, elle se tait. Elle se doute que je l’épie. Elle me guette, j’en suis sûre, elle sent mon odeur, l’odeur de la peur. Je la crois cruelle, sauvage, tel un monstre de cauchemar.


Cependant, j'ai un jour entendu ses plaintes. Je me souviens que c’était après une nuit difficile, où le sommeil ne pensait qu’à me quitter. Une de ces nuits peuplées de rêves durs, qui vous laissent épuisé et apeuré lorsque le jour revient vous chercher. J’ai entendu glapir la bête et elle m’a émue. Plus qu’à l’accoutumée, je me suis risquée près du puits. Le soleil était haut, mais à cet endroit de mon jardin, la lumière ne parvenait qu’à peine. L’air était frais, presque froid. Ça sentait la terre humide et les feuilles mortes. Ce n’était pourtant pas l’automne. Aucun oiseau ne chantait. Je n’avais jamais été si près.


Pour la première fois, j’ai pris le temps de l’observer. À son pied, des plantes hideuses avaient poussé, ornées de sortes de gueules. Je n’en avais jamais vu de pareilles ; je les supposais carnivores, comme le monstre qu’elles défendaient. Certaines attendaient, leurs mâchoires végétales béantes et prêtes, d’autres s’étaient refermées sur une proie égarée ou peut-être offerte par la bête. Puis j’ai vu la mousse et le lierre qui recouvrent les pierres. Sur l’appui, la mousse était griffée et le lierre arraché, preuves du passage de quelque être. Je compris que ce trou servait d’antre.


Malgré ma peur, j’avançai un peu plus ; une espèce de pleur murmuré, assourdi par la peine, montait du puits. La bête semblait ne pas m’avoir repérée ; je suspendis mon souffle et l’écoutai. Au contraire de ce que j’attendais, la voix n’avait rien de sauvage ni d’animal. Elle gémissait doucement, sans sangloter, mais essayant d’étouffer ses plaintes ; bizarrement, elle me parut familière, ce qui la rendit presque attachante. Peut-être trop…


Mes yeux s’étant bien habitués à la pénombre, je pouvais inspecter un peu mieux les lieux. Les plantes étaient en effet carnivores ; de tout petits lambeaux de chair pendaient aux bords de leurs mâchoires et des traînées de ce que je pris d’abord pour du jus collaient sur les pierres du haut du puits. En examinant de plus près, je compris qu’en fait de jus, il s’agissait de sang séché. Cela rajoutait à la puanteur des feuilles mortes tombées à terre hors saison.


Je me demandais quel genre de bête pouvait ainsi élever des plantes aussi ignobles. Quelle sorte de carnassier pouvait vivre reclus au fond d’un puits sec, sombre et froid ? Ne sortir que la nuit pour chasser et passer ses jours à glapir ? Que pleurait-il ? Je me demandais surtout, et cela m’angoissait, car je craignais la réponse, quel était ce monstre qui hantait mon jardin et dont les plaintes m’attendrissaient. Une question enfouie au fond de moi, que je ne voulais pas formuler, une question folle me taraudait : pourquoi me sentais-je si proche de cet animal ?


Les traces continuaient sur les parois internes du puits. Je m’approchai un peu plus, très prudemment. Elles descendaient le long des pierres. Je posai ma main sur l’appui et me penchai. À ce moment, les pleurs se turent et un silence effroyable se fit. Je l’entendis humer l’air, j’entendis ce souffle animal, puis la bête bougea. Je ne vis rien de précis dans ce trou noir, juste une ombre, un mouvement furtif. Paniquée, je reculai vivement, m’écartant de cette gorge dangereuse. Mon sang frappait mes tempes, tous mes sens aux aguets, je me tenais prête à voir surgir un monstre hideux. Que ferais-je en le voyant ? M’enfuirais-je ? Mais seul un sanglot étouffé et malheureux remonta du puits. Un sanglot de souffrance. Il me fendit l’âme et je ne sais pourquoi, je ressentis sa douleur.


Je m’éloignai de cette grotte, mais restai dans mon jardin tout le jour. J’étais nouée. Je ne pouvais me résigner à la quitter des yeux. Je changeais régulièrement de place pour l’observer, guetter une sortie du monstre. Comme si le fait de bouger aurait pu le tromper dans son attaque. Mais à aucun moment, il n’essaya de sortir. Soit qu’il eût peur de moi, soit qu’il attendît la nuit, soit qu’il n’en eût pas envie, tout simplement. Ses gémissements contenus finirent par se calmer puis s’éteignirent. La bête s’était probablement endormie. J’en ressentis un grand soulagement, car ses plaintes m’attristaient.


À présent, tout était paisible. Le jour se retirait silencieusement, la nuit se pencherait bientôt sur nos deux sorts. Étions-nous si différentes ? Je n’avais pas fui bien loin et la bête n’avait pas tenté de m’attaquer. Elle avait grogné quand je l’avais surprise. Me voir ne l’avait ni dérangée ni apaisée. La découvrir ne m’avait que confortée dans l’idée que je la connaissais et la comprenais. Qu’était-elle ?


Bientôt la lune apparut, tendre, triste. Elle savait. Elle allait m’apprendre. Elle répandit sa lumière pâle sur mon jardin et le puits prit une autre dimension. Masqué d’une oppressante végétation, il me ressemblait. Il ressemblait à ma vie que je couvrais d’un enchevêtrement de mousse et de lierre, comme on tisse un réseau qui adhère à vos pierres, mais ne sert en fait à rien ; si ce n’est à vous donner l’impression de servir à quelques mauvaises herbes qui s’accrochent, mais dont vous n’avez pas vraiment besoin. Les plantes carnivores faisaient disparaître les restes de proies déchiquetées par la bête, dont elles étaient la seule compagnie fidèle. Cette bête qui chassait ses victimes, les saisissait, s’en amusait, s'en délectait. Elle devait les aimer d'un amour sincère, mais les dévorait, les détruisait. Elle ne se le pardonnait pas et, lorsque le jour revenait, elle se lamentait.


Que pleurait-elle ? Sous la lune bienveillante, cela me fût soudain si évident : que peut-on pleurer ainsi à part sa propre existence ? Et qu’était cette bête sauvage sinon mon propre cœur ?


 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   Absolue   
22/7/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup
C'est divinement écrit et ce texte m'a beaucoup touchée...Merci!

   Pat   
25/7/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'ai beaucoup aimé cette triste ballade, pleine de symboles. certaines images sont belles, poétiques "le feuillage des saules disperse d’étranges ombres qui pleurent sur le puits" "Le jour se retirait silencieusement, la nuit se pencherait bientôt " "Bientôt la lune apparut, tendre, triste. Elle savait. ". L'écriture est sensible, toute en émotions...

Pour chipoter un peu quand même, je pense que certaines évocations suffisent, pas besoin d'en rajouter. Ex : "Peut-être trop…" "Et qu’était cette bête sauvage sinon mon propre cœur ?". J'aurais supprimé ce genre de passage pour rester dans le suggestif, laisser encore planer le mystère... Mais ce n'est que mon point de vue...

   macada   
26/7/2007
pat, j'ai besoin d'éclaircissement: tu avais donc compris que la bête était mon coeur? j'avais peur que cela ne soit pas evident et d'autre part, le départ de cette nouvelle était un coeur plaintif dans un puits. en fait la dernière phrase a été la première à germer dans mon esprit et j'ai construit le reste autour.
pour la remarque des répétitions, je sais que j'y ai tendance. merci de me le signaler. car sinon ça alourdit.
merci pat.

   Togna   
26/7/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
J'ai aimé aussi ce thème allégorique aux descriptions précises et agréables, même si, effectivement, on comprend assez tôt que la bête est en la narratrice.

   philippe   
27/7/2007
merci de faire passer les discussions par les forum ou les MP

   Flupke   
26/1/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Macada,
J'ai bien apprécié ce texte allégorique. Même si j'ai trouvé que la deuxième lecture était plus agréable et réaliste que la première lecture. En tout cas, le thème de l'ennemi de l'intérieur est traité avec une certaine originalité et c'est bien écrit.
Amicalement, Flupke

   Maëlle   
9/2/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Je trouve ce texte prenant, d'une atmosphère à la fois lumineuse et sombre. La fin me parait plutôt faible. Je m'attendais à autre chose.


Oniris Copyright © 2007-2023