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Réalisme/Historique
macaron : Un traître pour un autre
 Publié le 21/01/13  -  6 commentaires  -  19652 caractères  -  97 lectures    Autres textes du même auteur

L'intention fait la culpabilité et le délit. Aristote


Un traître pour un autre


Jamais je ne leur ouvrirai ma porte. Qu’ils aillent tous au diable ! Et qu’ils arrêtent de me harceler ! Pour mon bien soi-disant ! « Vous ne pouvez plus rester seul monsieur Saunier, soyez raisonnable, un jour il vous arrivera malheur ! » Il est déjà passé ma bonne dame, le malheur. Dans la boue, il m’a traîné. Et tous alors de jouer la même partition : les petites phrases assassines, les regards en coin, les chuchotements à mon passage. Je l’ai touchée de près la nature humaine, sentie son odeur aigre, compris son indéfectible besoin de salir et de compromettre, de trouver coûte que coûte un bouc émissaire.

Il est déjà dix-sept heures. Quand ils partiront j’irai fermer les volets. La nuit viendra vite. Avec elle, mes douleurs aux jambes, mais je ne vais pas me plaindre, elles m’ont tant donné, tant servi. C’est aussi un peu à cause d’elles mes ennuis. Seulement, à quatre-vingt-quatre ans, il n’est plus temps de regretter, ce qui est arrivé je n’aurais pu l’empêcher…


J’avais quinze ans en mille neuf cent quarante-trois et j’étais le roi de la bicyclette : imbattable en vitesse pure et incomparable en acrobaties et autres facéties. Dans cette petite ville de la Nièvre, une façon d’esquiver l’ennui qui venait toujours me prendre à l’improviste. Je rencontrai au tout début de l’année quarante-trois Augustin Delattre. Il m’aborda alors que je réglais une figure un peu compliquée en faisant crisser mes pneus sur le sol poussiéreux :


— Dis donc, ils ne vont pas faire long feu tes boyaux à ce petit jeu-là.

— C’est du costaud monsieur, et j’ai ma petite réserve.

— Tu as bien de la chance. Dis-moi, c’est toi le crack de la petite reine, j’aurais un service à te demander. Un message à porter à l’extérieur de la ville, discrètement, en passant par les ruelles, ça grouille d’Allemands par ici.

— Pas de problème monsieur, je connais Corbigny comme ma poche et je suis le plus rapide sur un vélo.


Il me donna une pièce pour le service rendu tout en gardant un doigt sur la bouche en guise de silence à tenir.

Je le revis plusieurs fois, il attendait que je sois seul pour me remettre une lettre, un paquet. Au lieu du rendez-vous, je retrouvais un autre cycliste, et sans échanger un mot me déchargeais du fardeau qui pouvait me coûter cher en cas d’arrestation. Je n’étais pas idiot, je compris très vite à qui j’avais affaire. Cela dura quelque temps, je ne posais pas de question, me contentant de la petite pièce. Puis, il y eut Pauline. Elle m’attendait au croisement de la route en direction de Lormes. La première fois que je la vis, j’en restai hébété d’admiration. Une si jolie fille, ici, dans ce trou, je n’en avais jamais rencontré. Elle devait avoir vingt ans, peut-être un peu plus, vingt-trois exactement me confirmera la suite de notre histoire. « Un peu âgée pour mes quinze ans » me diriez-vous, mais l’amour ou plutôt la passion ne se décrète pas, et comme je la revis à plusieurs reprises, j’en parlai à Augustin Delattre.


— C’est qui cette fille que je retrouve à chaque mission ?

— Houlà ! Attention les mots ! Tu n’es pas en mission, c’est un petit service que tu me rends, nous sommes d’accord ? Quant à cette fille, oublie-la, elle n’est pas pour toi…

— Pauline elle s’appelle ! Vous êtes tous dans la Résistance, réseau « Lucius ». Faut pas me prendre pour un gamin !

— Fais gaffe petit ! Ce n’est pas la cour de récréation. Tiens-toi bien à l’écart, c’est un jeu dangereux !


Il m’avait mis l’eau à la bouche Augustin, et le regardant s’éloigner dans sa gabardine usée, avec son béret vissé sur son crâne déjà déplumé, je devinais qu’il n’était qu’un pion, qu’un exécuteur d’ordres, docile et bienveillant. J’appris par la suite qu’il était maçon, marié avec deux enfants, la quarantaine en point de mire. Les hommes ne ressemblaient pas toujours à ce qu’ils étaient, la guerre leur donnait parfois le lustre qui leur manquait. Je décidai de mener ma petite enquête, de remonter jusqu’à la tête afin d’être admis dans le réseau. De force s’il le fallait. Je ne voulais plus jouer au coureur ou à l’acrobate, je désirais Pauline comme un lion une gazelle.


En suivant Augustin Delattre je découvris Rémi Colinot, jeune imprimeur, fournisseur des paquets de tracts que j’avais colportés à l’occasion. Belle gueule, citoyen irréprochable, il prenait de gros risques dans sa petite imprimerie. Sa femme semblait gentille, elle attendait un heureux événement. En le filant, après quelques intermédiaires de peu d’importance, je fis la connaissance de Gilbert Delmas, cheminot, un type sombre et prêt à tout, très certainement spécialisé dans le renseignement. J’arrivai sans peine à la tête du réseau, à celui qu’on appelait : monsieur Jean.

Yves Ferrand, alias monsieur Jean était un syndicaliste expérimenté qui avait fait preuve d’audace et de témérité dans les forges de Lorraine, avant la guerre. Communiste déçu par le pacte germano-soviétique, il avait accepté de réorganiser le réseau Lucius après le décès accidentel de l’ancien dirigeant.

J’en parlai à Augustin Delattre, lui nommai les membres de l’organisation, demandai un entretien avec Ferrand. Il me prit au sérieux, je le voyais dans son regard d’adulte accablé. Il me redit de faire attention, des vies étaient en jeu.

La maison où se déroulaient les réunions avait été idéalement choisie. On y accédait en longeant quelques ruelles, loin du centre et de la surveillance de l’ennemi. Une cave aménagée, faiblement éclairée, accueillait les participants. J’entrai après Augustin Delattre.


— Ah ! me dit monsieur Jean que je reconnus immédiatement, voilà notre jeune Gilles Saunier. Je ne vous souhaite pas la bienvenue mon garçon. Je n’aime pas beaucoup vos méthodes. Vous nous forcez la main et vous êtes bien jeune pour cette lutte contre un envahisseur aussi puissant. Nous aurons tous un œil sur vous, sachez-le !

— J’ai toujours rempli mes missions sans le moindre problème, avec la plus grande discrétion.

— C’est vrai, et d’ailleurs vous vous en tiendrez à ces « corvées » pour l’instant, évidemment sans la petite pièce puisque vous faites partie des nôtres !


Pauline était présente autour de la table. Elle fit une moue dubitative et demanda un peu d’indulgence à mon égard. Tant de Français se laissaient vivre sans oser bouger le petit doigt, on ne pouvait me reprocher une bonne volonté, une envie de me battre. J’entendais le son de sa voix pour la première fois, je vis sa poitrine se soulever sous le gros chandail de laine, magnifique !


Bing ! Bang ! Bing ! Allez-y, allez-y ! Bande de petits sagouins ! Voilà qu’on tambourine dans mes volets. Des gamins qui traînent encore dans les rues alors qu’onze heures du soir viennent de sonner. Ils sont où les parents ? Nous, il y avait le couvre-feu. Pas question de se réunir et d’emmerder les braves gens. D’ailleurs, je ne les fréquentais pas trop les garçons de mon âge. Encore en bouton, pas prêts pour l’éclosion. Nos relations se limitaient aux défis de bicyclette, et là encore ils étaient en retard. Et puis, maintenant avec Pauline… Je dois dire qu’elle m’a bien déçu la petite anguille, je n’aurais pas cru ça d’elle…


Après la défaite de l’armée allemande à Stalingrad en février quarante-trois, une animation joyeuse se propagea dans le réseau Lucius. Beaucoup voyaient dans cette défaite le début de la fin pour le Troisième Reich. Je continuais mes portages de courriers et revoyais parfois Pauline. Je l’avais remerciée pour son soutien mais elle en avait profité pour me mettre de nouveau en garde contre la moindre imprudence. Elle me prenait pour un enfant et j’en étais déchiré.

C’est par un pur hasard que je découvris sa liaison avec Rémi Colinot, l’imprimeur. Augustin m’annonça un jour, nous étions au début du printemps, une course importante jusqu’à Clamecy, soit une trentaine de kilomètres. Je choisis un semblant d’équipement de coureur qui me donnait des airs d’Antonin Magne et quittais Corbigny sous les applaudissements de l’armée allemande lorsque je traversai le centre-ville. Un peu après la sortie, je remarquai à l’entrée d’un petit bois deux bicyclettes mal dissimulées dans un fourré. Intrigué, je m’arrêtai un peu plus loin, revins sur mes pas. Ils s’embrassaient à pleine bouche. Sans un mot, elle retira son corsage. Deux seins opulents et blancs comme de la crème me crevèrent les yeux. Puis elle détacha ses longs cheveux roux et Rémi la bascula dans l’herbe tendre. Je repartis abasourdi et rageur. Une jalousie insupportable me submergea, et me vint à l’esprit des pensées outragées par le comportement immoral de Colinot ; ce qui me fait bien rire aujourd’hui.

Mon père était prisonnier en Allemagne, je vivais avec ma mère. Il lui fallut un certain temps avant de comprendre mes nouvelles occupations. Cela ne lui plaisait absolument pas, qu’avais-je à me mêler des problèmes des grands ? Elle et mon père n’accordaient pas de crédit aux idées communistes. « Ils ne valent pas mieux que les autres » me serinait-elle, effrayée que je puisse m’enthousiasmer à leur contact. Elle me fit la remarque que je changeais depuis quelque temps, avec un goût nouveau pour la coquetterie, une tendance à me regarder dans le miroir du couloir. Je lui avouais une amourette, lui murmurais Pauline. Elle parut soulagée, s’écria : « Je préfère ça ! ». Un gros coup se préparait, j’en avais la certitude. Augustin avait beau nier, je devais pour la troisième fois de suite me rendre à Clamecy. Mon contact établi à l’intérieur de la cité, contrairement aux fois précédentes, et l’excès de recommandations de mon tuteur me mirent la puce à l’oreille. Je sortis de Corbigny discrètement, je ne pouvais réitérer le coup du coureur cycliste à l’infini. Clamecy grouillait d’animation à cette époque et les Allemands avaient installé leur commandement dans le très bel hôtel de ville. J’entrai dans la cité après avoir longé le canal de l’Yonne et rencontrai mon contact non loin de la place du Grand Marché. J’essayai d’engager la conversation, d’obtenir un renseignement, le gars se sauva sans un regard comme si j’étais un pestiféré. Réfléchissant un instant au chemin du retour, je pris par une ruelle sinueuse qui semblait inhabitée. C’est là que je les vis sortir d’un petit hôtel miteux, Pauline et Yves Ferrand, alias monsieur Jean. Ils se tenaient par le bras, Pauline l’embrassait d’un petit baiser furtif. Je passais vite, sans un coup d’œil. Ils ne m’avaient pas reconnu.

Pauline avait vingt-trois ans et travaillait comme secrétaire de mairie à Corbigny depuis deux ans. Augustin se décida enfin à me faire quelques confidences, admiratif après mes missions périlleuses réussies. Il m’annonça dans le même temps les opérations à venir – le gros coup que je pressentais – la récupération de nuit de matériel et d’armes suivie d’une action importante : sabotage, attentat, exécutions. Il n’en savait pas plus pour le moment, je devais être prêt à toute heure du jour et de la nuit.


Deux heures au clocher de l’église ! Qu’est-ce que j’entends ? Ah, c’est toi mon pépère ! Où étais-tu vieux grigou ? Viens sur mes vieilles jambes mon Misti, viens !

Je savais où la trouver Pauline, et avec ça pas farouche pour un sou. Colinot à peine trente ans, avec sa belle gueule je peux comprendre. Sa femme enceinte… J’en ai vu d’autres par la suite. Pour Ferrand j’ai plus de mal. Je reconnais qu’il avait de la prestance, une certaine assurance qui plaît aux femmes, enfin… il avait passé quarante-cinq ans !

Je suis allé la voir mon anguille à la mairie. Je n’y avais jamais mis les pieds…


— Qu’est-ce que tu viens faire ici Gilles ? me dit-elle surprise et courroucée.

— Je vous ai vus avec Ferrand à Clamecy sortir de l’hôtel.

— Tu as dû confondre, ce n’est pas possible.

— Pas possible ? Et Colinot dans les bois à la sortie de Corbigny ?

— Cela ne te regarde pas ! Qu’est-ce que tu veux à la fin ?

— Toi ! Ici ou ailleurs.


Elle éclata de rire.


— T’es qu’un môme Gilles ! Tu as le temps.

— Un môme ! Viens tâter dans ma culotte !

— Là, tu deviens vulgaire, sors d’ici et en vitesse !


Je ruminais des pensées mauvaises quelques jours durant. Comment ça, elle ne voulait pas de moi ? De son côté ma mère s’inquiétait, craignait une perquisition des Allemands, me suppliait d’arrêter mes fréquentations dangereuses. Augustin m’avertit un soir, ce serait pour après-demain : la récupération du largage et dans la foulée le sabotage de la ligne de chemin de fer en direction de Nevers. Un convoi militaire en partance pour le sud devait y passer.

Je décidai de me rendre à nouveau à la mairie, de persuader Pauline de se donner enfin. Quel fou j’étais ! Avec le recul je ne comprends toujours pas cette obsession, ni cette espèce de bulle qui me séparait des autres et de la réalité. Elle n’avait aucune envie de me voir.


— Si tu n’es pas venu pour un papier ou un renseignement administratif, tu reprends la porte et tu suis ton chemin.

— Ce serait trop facile. Je veux ce que d’autres ont eu. Tu seras ma première fois.

— Gilles, ça suffit ! La loi me l’interdit, tu es mineur.

— La belle excuse ! J’ai d’autres moyens pour te convaincre. Je sais des choses. Des largages de nuit et des sabotages de ligne de chemin de fer…

— Du chantage à présent ! Tu mettrais la vie de tous nos résistants en péril pour un plaisir de quelques instants.

— Je te veux depuis le premier jour. Tu es entrée en moi et je n’arrive pas à me libérer de ton image. Une fois, rien qu’une fois.


Elle prit une attitude fière et ombrageuse.


— Désolée Gilles, je ne peux pas !


Il n’y avait personne lorsque je débouchais sur la petite place de Corbigny. J’avançais vers la Kommandantur — une villa bourgeoise que les Allemands avaient réquisitionnée — d’un pas assuré, déterminé dans mon intention de trahir. Je les méprisais tous, au fond, ces Ferrand, Colinot, Delmas comme ils me méprisaient. Et Pauline la flamboyante ! Garce parmi les garces ! Seul Augustin échappait à mes invectives, je ferais tout pour le sauver. Je n’étais plus très loin de l’entrée gardée par un soldat allemand quand Ferrand et Delmas ont surgi avec dans le regard un étonnement presque enfantin. Je m’arrêtai un instant, repris ma route quand deux types m’attrapèrent par les bras. Ils avaient le chapeau et le pardessus de la police française, d’ailleurs ils m’ordonnaient de me calmer, me rassuraient que tout se passerait bien. D’autres inspecteurs se précipitèrent sur Ferrand et Delmas. C’est à croire qu’ils nous attendaient ! Delmas, avec une énergie hors du commun, leur échappa de justesse, pas même blessé par le tir d’un des policiers. Je restai seul quelques heures dans une pièce fermée jusqu’à l’arrivée d’un officier allemand :


— Vous êtes libre monsieur Saunier.


Ah, tu ronronnes toi ! Tu en as de la chance mon Misti ! Miaou ! Miaou ! Oh oui, c’est toi qui as raison ! Jamais tu n’as été mêlé à ces histoires. Jamais tu ne les as eus à tes trousses ces redresseurs de torts, ces patriotes de la dernière heure ! Moi, ça a fichu ma vie en l’air. Oh ! Pas tout de suite, bien après la Libération…


Le réseau a été décimé. Ferrand, Colinot, Augustin, Pauline exécutés. Delmas n’a jamais été retrouvé. Quelques intermédiaires de peu d’importance, comme moi, ont été relâchés. La fin de la guerre est arrivée, je suis devenu un homme.

Alors, j’ai connu des femmes et je m’en suis repu des blondes et des brunes… des rousses. Je cherchais Pauline, le mouvement de ses seins quand elle respirait. J’ai rencontré Alice un soir dans un dancing à Clamecy. Elle me rappelait mon anguille dans sa démarche souple, assurée, son port de tête altier, sa poitrine fière, provocante. J’occupais à cette époque un emploi à la sous-préfecture, pistonné grâce à mon passé de résistant. Personne ne me parlait du réseau Lucius, de sa triste fin comme hypnotisée par l’avenir. Je me suis marié en cinquante-deux. Alice plaisait beaucoup à ma mère ; mon père était décédé peu après être rentré d’Allemagne. La vie semblait enfin sur de bons rails, j’avais pris un peu de galon, nous avions juste un peu de mal à faire un enfant.

Je me souviens de ce lundi matin de février 1953. En feuilletant le « Journal du Centre » je tombai sur la photo de Delmas. Un article de politique intérieure. Son véritable nom était Briçonnet, Henri Briçonnet, responsable au parti communiste, disons plutôt éminence grise. Il soutenait les mouvements de grève qui semblaient éclore ici et là, trouvait que la collaboration s’en était bien sortie, avait des révélations à faire à propos d’un petit réseau de résistance trahi et décimé en juin quarante-trois. Il ne me citait pas encore.

Toutes ces années, j’avais réfléchi à ces péripéties. Je pensais un moment que ma mère nous avait dénoncés pour me sauver et par peur des bolcheviques. J’essayais de lui en parler mais à chaque fois elle se défilait, ne voulait deviser que du petit-fils qui ne tarderait pas à arriver. Quelques jours plus tard, le « Journal du Centre » publia en première page ma photo avec un article incendiaire m’accusant de trahison. Tout était parfaitement clair : mon passage en force pour entrer dans le réseau, ma grande débrouillardise suspecte, mon harcèlement envers Pauline, la menace de trahison, ma présence près de la Kommandantur le jour de l’arrestation de Ferrand. Je fus mis en prison, jugé, condamné à dix-huit mois de détention. Alice demanda le divorce, son père, résistant de la première heure, refusant la compromission avec un renégat. Ma mère tomba gravement malade, mourut alors que j’étais incarcéré.

Le procès eut un retentissement terrible. L’occasion à tous de déballer son linge sale, et la France est une grande famille. Les traîtres étaient exécutés ; moi, j’étais mineur à l’époque pour les charges retenues. J’avais vingt-cinq ans en cinquante-trois et une gueule sur le papier journal à ne pas s’y tromper : une tronche d’assassin ! Ils l’ont voulu ma peau trouée au poteau, demandé la vengeance pour tous les résistants tombés au combat. Cela a traîné, je suis passé à la deuxième page du journal puis à la troisième. Les gens n’en voulaient plus de ces histoires et plus encore de voir ma tête. De là-haut ils ont fait un geste : couper la poire en deux et imposer une sentence qui ne ressemble à rien.

Je ne connais pas la vérité. Ma mère ou Henri Briçonnet. Lui apparaît quelquefois dans l’actualité, toujours en voyage officiel avec une délégation du PC français. À Moscou, à Pékin ou à Cuba. Je le soupçonne d’une brouille ou d’une rivalité avec Ferrand, d’un différent politique : Briçonnet rouge vif contre Ferrand presque rose. À moins que Pauline ne lui ait fait tourner la tête aussi, et qu’il s’agît alors d’une stupide jalousie, encore une fois !


Allez ! Le jour va se lever. Tu veux sortir mon vieux Misti ? Tu ne crains pas tes congénères toi ! Il y a cinquante ans que je suis sur mes gardes, à sentir le mauvais coup, à parer la moindre allusion, la première injure. Je demeure enfermé dans la maison familiale comme un ours dans sa caverne. Toujours un peu plus, année après année. Il m’a fallu travailler pourtant, j’ai vendu des assurances dans tout le département. Les gens ne vous reconnaissent pas tout de suite, vous avez le temps de faire votre petite affaire. Côté cœur, il ne faut pas être difficile : des filles, des rendez-vous sans lendemain. Et je suis encore là, à quatre-vingt-quatre ans, un peu comme si la punition n’était pas terminée. Mais je n’ai rien fait moi ! Je ne suis pas coupable !


Ils viendront encore et encore, toujours ils seront plus nombreux. « Vous ne pouvez pas rester seul monsieur Saunier, soyez raisonnable ! » Et pourquoi donc ? Qu’on me foute la paix !


 
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   Anonyme   
29/12/2012
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai bien aimé cette histoire, je la trouve absurde comme la vie. Toutefois je m'étonne que dix-huit mois de prison dans les années cinquante et un passé gris sous l'Occupation suffisent à gâcher à ce point la vie. Le narrateur aurait je pense pu changer de région après quelque temps, se faire oublier. Il dit lui-même que son affaire a cessé au bout d'un temps de passionner les foules...

Sinon, à mon avis la toute fin, à partir de "Ils viendront encore et encore", n'apporte rien au récit, fait retomber le soufflé.

   alvinabec   
4/1/2013
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,
Voilà un joli texte bien équilibré, peut-être à élaguer de ci de là mais sans urgence.
Ça n'est pas surjoué, au contraire, votre lecteur est avec Saunier, le suit dans ce que sa vie a de pathétiquement humain, seulement humain.
Le récit n'est pas d'une originalité exceptionnelle mais tout ceci est fluide, vous tenez l'intrigue, pourtant mince, avec brio jusqu'à la fin de l'histoire.

   Palimpseste   
6/1/2013
 a aimé ce texte 
Bien
J"'ai bien aimé le texte. Une bonne histoire.

Quelques fautes à enlever de-ci de-là, mais l'écriture est bonne.

Les transitions entre l'octogénaire et le jeune homme mériteraient d'être mieux amenées (comme les adresses au chat, qui méritent d'être mieux encadrées).

L'histoire est également un peu emberlificotées autour des dates. Je n'ai pas tout vérifié mais il me semble que le coup de l'article du journal qui arrive en 53 pour des faits qui datent de 43-45 est un peu tiré par les cheveux. Peut-être faut-il simplifier la gestion du temps.

Sinon, c'est un texte agréable, avec une bonne intrigue. Un bon moment de lecture.

   Pimpette   
21/1/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↑
C'est toujours favorable à une nouvelle de comporter une vraie bonne histoire. C'est le cas ici.
Une histoire vraie sans doute?

J'ai à peu près l'âge de notre auteur et les faits et les dates sont d'une grande vérité...C'est toute une époque qui revit sous sa plume simple et nette!
Un vrai plaisir à le lire!

   brabant   
21/1/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Macaron,


Récit impitoyable impeccablement mené. Je lui ai trouvé des moeurs bien délurées à Pauline pour l'époque et dans ces circonstances. Encore que l'on ait d'autres exemples ! J'eusse ainsi aimé que l'on se dirigeât vers des histoires comme "Le blé en herbe" ou "Le diable au corps"... vingt ans après. Lol.

Gilles, las, ne s'est finalement pas remis de cette blessure et c'est Pauline qu'il a recherchée toute sa vie y compris en se mariant et qui meuble désormais sa solitude pensive, avec qui il vit au et en secret ; j'ai l'impression qu'elle est un peu son alibi pour ne pas chercher la vérité et la réhabilitation, et qu'il a l'impression de ne pas la perdre tout à fait en jouant ce jeu de l'enfermement. Les archives sont ouvertes aujourd'hui ou du moins accessibles pour de tels cas et il ne devrait pas être difficile de retrouver le "traître". Je viens de voir l'histoire de Guingouin à la télé : pas très nette l'attitude des staliniens à la Libération, pas très nette non plus l'attitude des juges vichyssois laissés en fonction par De Gaulle au prétexte qu'il fallait garder une structure administrative à la France. On peut discuter des excès de l'épuration mais on peut se dire aussi que, quelque part, elle n'a pas tout à fait fait son boulot. Combien de collabos et combien de salopards, d'opportunistes ne sont-ils pas passés au travers du filet après s'être enrichis au prix de l'ignominie ?

Merci pour cette piqûre de rappel (en ce qui me concerne), Merci pour ce texte salutaire !

:)))

p s : Euh... pas trop d'accord avec Aristote. lol :)D

   Anonyme   
12/2/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour,

Votre histoire m'a fichu le bourdon
toute cette grisaille, toute cette médiocrité qui perdure, qui n'en finit pas d'être !
Pour être bien écrit, c'est bien écrit, indubitablement. On se demande comment on aurait pu l'écrire mieux et c'est ce qui est triste.
Il y faut cette absence de flamboiement pour dire la connerie à quinze ans, à trente, à quarante, à nonante bientôt où l'on n'a pas fini de se courir après la queue...
rues grises, petits paquets, petits coups tirés dans les prés, dans des hôtels miteux, gris de toutes les souris que l'on y a montées
jalousies des petits et des grands, petites jalousies de vies étriquées, bouffe et gros dodos (ce n'est pas dans votre texte mais c'est le ressenti que j'ai eu de vos personnages, inclus le narrateur et sa poursuite minable d'une jeunesse enfuie et de souvenirs pourtant laids... )
et un peu de vélo sur tout ça
le vélo sauve un peu de la tristesse avec ses dérapages contrôlés

un bon texte qui se lit avec une espèce de fascination morbide (merde !, c'est ça, une vie ? ce n'est que ça ? ) qui prouve le talent de l'auteur

dommage que vous racontiez des choses moches, vous racontez bien...


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