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Réalisme/Historique
macaron : Une rancune tenace
 Publié le 13/05/16  -  10 commentaires  -  11272 caractères  -  95 lectures    Autres textes du même auteur

Je m'interrogeais tout ce temps sur cette étrange ambition qui ne soulevait chez moi ni désir ni impératif vital.


Une rancune tenace


C’était toujours par les mêmes reproches que se terminaient les repas de famille avec mon frère Pablo. Il venait avec sa femme Lise nous visiter trois fois l’an, l’occasion de mettre les petits plats dans les grands, de s’intéresser quelque peu à nos deux garçons avant de rentrer sur Paris.


– Franchement, tu aurais pu faire autre chose, un métier plus « consistant »…


Je fêtais mes trente-cinq ans cette année, il avait dépassé la quarantaine. Nos huit années de différence le maintenaient dans cette position supérieure d’aîné insatisfait, d’autant que nos parents, décédés, n’étaient plus là. Il s’enorgueillissait d’une trajectoire ascendante au ministère de l’Éducation nationale : de professeur d’espagnol à inspecteur d’académie, puis de chargé de missions ou de projets, je m’emmêlais dans les titres et leur signification. Moi, je travaillais dans le BTP depuis quinze ans, chef d’équipe coffreur, un métier difficile mais prenant, avec la gestion d’un personnel hétéroclite et changeant.


– Si tu avais lu un peu plus, si tu avais cherché à approfondir…


Quelque part il avait raison, j’étais d’une paresse intellectuelle immuable. Pour ouvrir un livre, il fallait que le désir ou la curiosité surmonte la fatigue, je dirais presque la nausée qui survenait alors. Pour aller à son terme, il devait être illustré et d’une simplicité enfantine. Je ne lui en tenais pas rigueur, je continuais de penser qu’il jouait son rôle de grand frère même si le mur entre nous finirait par devenir infranchissable. Ils sont d’un autre monde, me répétait souvent ma femme Sandra. Elle n’osait me dire son peu d’affection pour ce couple d’intellectuels, pour mon frère à peu près indifférent à ses neveux.


***


Cela devait arriver, nous nous sommes fâchés lors de leur dernière visite. J’eus droit, et je m’y attendais, à des critiques, à la petite leçon de morale habituelle. Par contre, je m’insurgeai quand il souligna dédaigneux, méprisant :


– Dans le fond, tu es resté un petit Espagnol comme papa. Lui, il avait l’excuse de l’exil, de la langue, mais toi ? Tu crois peut-être lui avoir fait plaisir en reprenant le flambeau de la construction. Il est mort usé par le travail, le pauvre ! Guillermo, je crois qu’il a dû souffrir de te voir prendre le même chemin.

– Pas ça, tu vas trop loin, ne mêle pas nos parents à tes railleries. Je le sais bien, cela t’emmerde d’être un Espingouin, pas vrai ! Tu as peur pour ta belle carrière, et d’avoir son frère dans le bâtiment, mon Dieu quelle horreur !


Il me regarda avec commisération, mes pauvres arguments lui arrachèrent un sourire.


– Et alors qu’est-ce que tu crois ? J’ai d’autres ambitions bien sûr… Je ne comprends pas chez toi ce manque d’appétence pour devenir quelqu’un. Travaille bien puisque c’est ta seule alternative et espérons que tes fils prennent une autre route !


J’avais le sentiment après leur départ qu’on ne se reverrait pas de sitôt.


***


Je m’interrogeais tout ce temps sur cette étrange ambition qui ne soulevait chez moi ni désir ni impératif vital. J’aimais ce que je faisais, les chantiers, les déplacements. Je vivais comme une aventure chaque nouvel édifice à bâtir en apportant ce que je savais faire de mieux. Le monde du travail changeait, toujours plus vite pour une meilleure rentabilité, mais je ne lâchais rien sur la qualité et le sérieux de nos prestations. Mes collègues appréciaient je crois ma façon d’organiser le travail, les bons conseils aussi, surtout aux étrangers, nombreux, pour la préservation de leurs droits, le respect de leur dignité. Après tout, n’était-ce pas une forme d’ambition, cette résistance dans le tumulte de notre époque ? Mon père avait subi toute sa vie des conditions de travail très pénibles, une humiliation constante dans la représentation de l’immigré ne parlant pas notre langue. Je n’avais pas à réussir une ascension qu’il n’avait pu faire, ni à le venger, au nom de quoi d’abord ? Quand je pensais à lui, et à ma mère aussi, une vague m’emportait loin en arrière, deux visages me souriaient, un peu tristes c’est vrai, mais ils me souriaient.

Des nouvelles de Pablo, je n’en attendais plus. En rentrant un vendredi soir, je trouvai sur la table basse du salon un livre au titre équivoque : « Edmundo ou l’impossible vérité ». Sandra m’apprit qu’il avait été écrit par mon frère, sous le pseudo de Pedro Miramez. Elle écoutait d’une oreille distraite la radio tout en cuisinant une blanquette de veau, quand elle reconnut la voix de Pablo. Son livre est disponible en librairie depuis le mois dernier, les critiques sont bonnes, Pablo ira dans la grande émission littéraire de la cinq la semaine prochaine. En prenant le livre dans mes mains, je ne pus réprimer un mélange de joie et d’honneur, une fierté devant cet ouvrage dont je faisais glisser les pages avec le pouce de la main droite.


– Il ne te reste plus qu’à le lire, me dit-elle en souriant, connaissant mon peu d’entrain pour cette activité.

– J’espère que ce n’est pas trop chiant, lui répondis-je, déjà anxieux, après la lecture de la quatrième de couverture. Tu y as jeté un œil ?

– Oh, très rapidement, ça parle de vous, enfin de l’immigration espagnole… Ce serait une bonne occasion pour vous rapprocher…


Je promis de m’y mettre sans trop tarder. Le dernier livre entièrement lu, je devais avoir douze, treize ans : « Le comte de Monte-Cristo » de Dumas.


***


Un peu tendu, avec le maquillage qui le rajeunissait, Pablo n’imposait plus l’image de l’intellectuel sûr de son fait. D’ailleurs, l’animateur, sur le plateau de télévision, le présenta comme un petit fonctionnaire de l’Éducation nationale, et mon frère ne broncha pas, tout en détaillant un parcours professionnel exceptionnel, mais avec une modestie que je ne lui connaissais pas. Retrouvant vite son petit air morgue, il répondit avec brio aux sollicitations de l’animateur et des deux autres invités. Mais le débat volait un peu haut pour moi, je ne saisissais pas tout, des mots ne trouvaient pas leur place. Pour ce qui est de la fiction et de son héros, j’avais fini le livre et bien compris l’histoire et même comme on dit : lu entre les lignes !

Edmundo c’était moi. Un raté, un minable. Pablo me peignait sans concession, d’abord physiquement, je reconnaissais mes traits à travers le personnage. Ce n’était pas d’une grande importance, quelques détails plutôt bien vus sur mes manies me firent même sourire. Pour ce qui était de la psychologie, il y avait de quoi voir rouge et, pourquoi pas, intenter un procès. Edmundo n’avait pu sortir de son milieu naturel et travaillait dans le bâtiment comme son père. Pablo le présentait comme un être rustre, ignare, égocentrique, envieux de la réussite des autres et, comme si la mule n’était pas assez chargée, d’une fainéantise viscérale. Le roman de Pablo – on parlait d’un retour du naturalisme, d’un Zola ressuscité – détaillait avec une minutie extrême les ressorts de l’âme de cet Edmundo frustré, incapable de surmonter le traumatisme social de l’immigration. L’homme se laissait aller à ses passions mauvaises : une rancune tenace envers ses parents. L’histoire était simple, finissait mal, on était dans le drame. Au terme d’une descente en enfer, il brûlait la maison de ses vieux parents qui périssaient.

L’émission se terminait, je restai songeur dans le canapé. Sandra ne savait comment apaiser la douleur de ma blessure :


– Tu devrais l’appeler, expliquez-vous une bonne fois pour toutes !


***


Je choisissais le lieu de notre rencontre, un vieux routier dans notre petite ville du Loiret. Très bien, me répondit-il, on ne me reconnaîtra pas ! Devant nos demis de bière, il ne me parut nullement gêné, il attaqua prestement :


– Tu veux qu’on parle du livre, n’est-ce pas ?

– De ton livre Pablo, tu sais que je pourrais porter plainte.

– Peut-être, mais à gagner ton procès, c’est une autre histoire.

– N’aie pas peur, je n’en ferais rien, je reconnais même une certaine fierté à avoir un frère écrivain. Et puis, tu m’as ouvert les yeux, ne fais pas l’étonné, je crois que je comprends un peu mieux notre histoire. C’est important, tu es d’accord ?

– Mon livre t’aurait enfin donné le goût du dépassement de soi, de la réussite… Là, tu me confonds.

– Attends un peu, ce n’est pas aussi simple. Je me suis reconnu dans Edmundo, son aspect extérieur, sa profession, pas dans sa façon d’être, encore moins dans son histoire.

– Évidemment, c’est une fiction. Le personnage te ressemble… pour être au plus près de la vérité, et puis il est aussi…

– Toi Pablo !


Il se mit à rire, un rire forcé, malsain. Il but une longue gorgée de bière.


– Qu’est-ce que tu vas chercher là ? Explique-toi !

– Cette rancune tenace d’Edmundo, ce désir d’effacer par le feu « cette impossible vérité », c’est ta vie Pablo. Il te faut toujours monter plus haut de peur d’être rattrapé par ce sentiment de honte indélébile. Je pense te comprendre, nous avons eu les mêmes parents, pas la même enfance. Nos huit années d’écart y sont pour beaucoup. Et l’aîné a sur ses épaules le poids de la responsabilité, du devenir familial. Un Everest à gravir dans ton cas. Ta sensibilité aussi…

– Comme tu y vas mon frère ! Il y a du vrai… sans doute as-tu raison. Mon enfance fut plus difficile que la tienne. J’ai vécu avec la honte d’avoir des parents « inadaptés », pauvres. Le courage de notre père n’a pas contrebalancé la situation, bien au contraire. Je ne voyais que faiblesse et soumission, un esclave à qui je ne voulais pas ressembler. Tu les as connus dans de meilleures conditions de vie, ils parlaient davantage le français, ils fréquentaient le voisinage. Malgré cela, je n’ai jamais manqué de respect à nos parents, je n’ai jamais exprimé de ressentiments envers eux, pour notre condition, pour cette vie qui n’en était pas une. Je suis parti dès que j’ai pu, il le fallait, mais tu vois, sur ce point, je ne ressemble pas à Edmundo.


Je le regardai droit dans les yeux, allait-il finalement comprendre où je voulais en venir ? Non, à cet instant, tout en jouant avec son verre, des images défilent dans sa tête, une pensée amère l’assaille.


– Pablo, c’est sur moi qu’elle s’est exprimée ta rancune tenace. Depuis vingt ans je supporte ta mauvaise humeur, ton insatisfaction à mon égard, quoi que je fasse. Ton livre à présent… Je paye pour nos parents, une dette qui n’existe pas. Tu dois changer ton regard sur ma vie, une vie que j’ai choisie. Arrête de me juger, fais-moi enfin confiance !


Il prit avec ses mains la masse de ses cheveux encore noirs, baissa la tête, la releva pour me dévisager sévèrement. Un instant, son regard révéla une haine ancienne, invaincue, avant de se radoucir pour me dire :


– Nous sommes trop différents à nos âges pour changer et nous comprendre. Il faut parfois savoir être fataliste, bien que ce ne soit pas dans ma nature. Je suis désolé, excuse-moi pour toutes ces années… maintenant… nous n’avons pas grand-chose en commun… il est peut-être inutile de se voir systématiquement de façon officielle dans le cadre… tu me comprends ?


Il se leva, sortit un billet pour régler nos bières, attendit quelques secondes le temps que je me lève. Comme je ne bougeais pas, il partit.


 
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   hersen   
13/4/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
je suis très touchée par cette nouvelle;

Elle dit la difficulté de se construire, se reconstruire quand on émigre pour un espoir de vie meilleure.

Et ce qu'on transmet à nos enfants.

La difficulté de n'être de nulle part.

Je connais ici, chez moi, dans mon pays d'adoption, des personnes âgées qui m'ont raconté leur fuite vers la France sous Salazar, quand il fallait aussi traverser l'Espagne de Franco. Ils ont fait la route à pied, marchant de nuit, avec la peur au ventre.

Pour ceux qui se sont véritablement installés en France, comment s'intégrer, comment gommer la honte des enfants.

Dans cette nouvelle, les ressentiments, la vengeance de cette honte est très bien décrite.

Arriver. Arriver socialement, aux yeux des autres, pour effacer cette blessure.

bravo à l'auteur.

   gaelle078   
13/5/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour,
J'ai bien aimé cette nouvelle. J'ai trouvé touchante la relation des deux frères, un peu distante, un peu triste.
Ce que j'ai un peu moins aimé, ce sont les dialogues: j'ai l'impression qu'ils sont là pour raconter l'histoire, enfin, qu'ils ne sonnent pas vraiment comme des vraies paroles. On dirait plutôt un texte de théâtre qu'ils auraient appris par cœur.
Et sinon, il y a un petite faute j'ai l'impression: "je choisis le lieu de notre rencontre", plutôt que "je choisissais le lieu de notre rencontre".
J'ai passé un agréable moment de lecture !

   Perle-Hingaud   
13/5/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Une nouvelle dans la veine de Bois-Haumont ! Bravo !
Ce qui en fait un excellent texte selon moi:
- la sensibilité du narrateur, qui s'exprime dans une jolie langue, peut-être en décalage avec ce qu'il présente de lui, d'ailleurs (le contraire d'un intellectuel - il manque là un pan de l'histoire, l'éducation du plus jeune pour expliquer cet apparent décalage, mais le format ne le permet peut-être pas),
- le fond, très riche: à la fois l'histoire de ces deux frères, mais aussi de l'élévation sociale attendue, espérée. Sous-jacente, l'idée de la réussite sous ses différentes formes, mais aussi le questionnement sur le bonheur, l'expression de la douleur et de la feinte indifférence entre les frères. Relations complexes très bien narrées, avec une grande retenue.
Lorsque Lionel Duroy a écrit "le chagrin", l'histoire autobiographique de sa famille, il parait qu'il s'est disputé avec une grande partie de sa fratrie, en venant même aux mains avec un de ses frères.

Cette nouvelle est, selon moi, d'une qualité littéraire identique à son récit. Au roman, camarade !

   Vincendix   
13/5/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément
Un récit d’une grande authenticité qui évoque une situation relativement fréquente, le parcours différent de deux frères qui provoque une sorte d’antagonisme, l’intello persuadé qu’il a réussi et le « manuel » qui a choisi un métier qui lui plait et qu’il accomplit avec sérieux.
Que penseraient les parents s’ils étaient encore en vie ? Probablement fiers de la situation du « grand », surtout devant la famille et les voisins, mais certainement plus satisfaits encore du métier exercé par le cadet qui s’est élevé dans la hiérarchie d’un domaine qui leur est familier.
Ce texte « égratigne » aussi les auteurs qui se servent d’une tierce personne (réelle) pour assouvir leurs fantasmes mais aussi pour mieux vendre leur bouquin. Pablo désire renier ses origines et brûler le souvenir de ses parents, lâchement, il se sert de son frère…
Remarqué aussi le passage à la TV, la morgue de l’animateur envers un « petit » fonctionnaire. Pablo ne pèse pas lourd face à un personnage adulé des téléspectatrices et des téléspectateurs.
Une écriture parfaite, sans fioriture, un sujet très intéressant et parfaitement traité, avec une richesse de détails « vrais », un réel plaisir de lecture.

   Robot   
14/5/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Un vrai plaisir de lecture pour un récit dont on perçoit la réalité. Les différences entre la vie et la vision que les deux frères ont de leurs propres chemins est ce qu'il y a de plus intéressant pour moi. Loin d'être une analyse ennuyeuse, je me suis plongé dans cette comparaison de deux parcours issus du même point qui rarement se rejoignent mais jamais ne se fondent, et s'éloignent de plus en plus jusqu'à la divergence définitive.

   Anonyme   
14/5/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Je retrouve ici ce que j'avais aimé dans Bois-Haumont : une écriture humble s'attachant avant tout à restituer la chair des personnages, sans que le narrateur porte réellement de jugement, laissant le soin au lecteur de se forger sa propre impression.

D'un point de vue plus personnel, même si le contexte en est différent, j'y retrouve ce que j'ai connu moi-même, ayant vécu de nombreuses années aux côtés de ma belle-famille portugaise. N'ayant moi-même ni frère ni sœur, j'ai toujours été surpris par l'énorme différence qu'il y avait entre ma femme et son frère de onze ans son aîné. Bien sûr, deux individus peuvent être très différents, quand bien même ils sont issus d'une même fratrie, mais il me semble que quelques années de différence peuvent expliquer des genèses très distinctes. Mon beau-frère est né au Congo Belge, au milieu d'un parcours ayant mené ses parents du Portugal à la Belgique en passant par l'Angola et le Congo, tandis que mon ex-femme est née en Belgique, dans un contexte totalement différent, de parents déjà plus âgés ayant accompli leur parcours aventureux et désormais établis dans un cadre économique et social stable, plus apaisé peut-être. Je vous livre une toute petite anecdote, relatée par mon ex beau-frère, mais qui éclaire tellement bien le propos, je trouve. Ses parents se sont établis en Belgique au début de l'hiver et le premier jour où il est allé à l'école, sans doute encore conditionnés par le climat qu'ils avaient connu auparavant, ils l'y ont envoyé en sandales et en short. Nul doute que le froid ressenti, physique et moral par l'accueil réservé par de nouveaux camarades de classe puissent conditionner durablement une évolution, voire un certain ressentiment à l'égard des parents, justifié ou non.
Pardonnez-moi pour cet aparté, mais je retrouve exactement ceci dans votre texte et cela confirme ce que j'en ai toujours pensé. Mon ex-femme et mon ex beau-frère habitent à deux rues l'un de l'autre, mais ils ne se voient presque jamais, même s'il n'existe aucun différend entre eux. Mon ex-femme a toujours été très proche de ses parents alors que son frère ne l'est pas du tout et je ne pense pas que le sexe suffise à expliquer cela.

Deux détails techniques m'ont un peu gêné, mais ce ne sont que des broutilles :

1. J'ai dû relire plusieurs fois la deuxième phrase pour bien la comprendre, faute à une syntaxe un peu relâchée, je crois. "Il venait avec sa femme Lise nous visiter trois fois l'an" : la famille reçue est le sujet acteur ; "l'occasion de mettre les petits plats dans les grands" : la famille qui reçoit, non citée explicitement, est le sujet acteur, je suppose (c'est elle qui met les petits plats dans les grands pour recevoir ?) ; "de s'intéresser quelque peu à nos deux garçons" : la famille reçue est à nouveau le sujet acteur. Du coup, je me suis demandé quels étaient les parents des deux garçons. La syntaxe laisse plutôt croire que c'est la famille reçue qui met les petits plats dans les grands, mais cela parait étrange, d'un point de vue logique. Je sais que ça peut paraître idiot, mais il me semble que c'est le genre de choses dont ne se rend pas forcément compte celui qui écrit. Moi, au tout début d'une histoire et en tant que lecteur, j'ai dû mal à installer les personnages dans mon esprit lorsque des petites choses de ce genre viennent brouiller le message.

2. Dans les dialogues, je trouve que le langage du narrateur s'adressant à son frère est un peu en décalage par rapport à son caractère indifférent sinon hostile à la littérature. Ce n'est pas du tout invraisemblable, mais cela ne m'aurait sans doute pas marqué si vous n'aviez pas insisté sur cet aspect, en particulier par cette phrase "J’espère que ce n’est pas trop chiant, lui répondis-je, déjà anxieux, après la lecture de la quatrième de couverture. Tu y as jeté un œil ?" Il y a un fort décalage avec cette autre phrase : "Pablo, c’est sur moi qu’elle s’est exprimée ta rancune tenace. Depuis vingt ans je supporte ta mauvaise humeur, ton insatisfaction à mon égard, quoi que je fasse. Ton livre à présent… Je paye pour nos parents, une dette qui n’existe pas. Tu dois changer ton regard sur ma vie, une vie que j’ai choisie. Arrête de me juger, fais-moi enfin confiance !". Mais on peut bien sûr supposer que le narrateur hausse son niveau de langage face à son frère devenu écrivain.

Je crois l'avoir déjà écrit, mais votre écriture se prêterait bien à un format plus long. J'aurais bien suivi vos personnages plus longuement afin de les connaître mieux même si vous en brossez ici l'essentiel.

   widjet   
14/5/2016
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
La relation fraternelle est un des thèmes que je chéris le plus. Il y a tellement à dire là-dessus. Compétition, pudeur des sentiments, admiration, jalousie, fierté...

Même si j'ai lu sans encombre - fluidité de l'écriture, justesse et réalisme du propos, c'est moins vrai pour les deux personnages, j'y reviens - je pense qu'il y avait moyen de creuser davantage ses deux personnalités, d'y apporter plus de densité, plus de mystère (les hommes, en général, sont beaucoup plus avares en confidences ou déclarations, orgueil oblige, ou peur de montrer leur vulnérabilité, à fortiori entre frangins avec le poids de la responsabilité pour l'ainé, je connais bien le sujet).

Le principal reproche : c'est carrément trop court ! (ce qui est un compliment car encore une fois, je ne me suis pas ennuyé en lisant)

Mais avec 11K de signes, comment aborder en profondeur cette dualité ? Très difficile. Finalement, pour compenser, l'auteur sur-explique et c'est franchement dommage. En tant que lecteur, j'aurais préféré "travailler de mon côté", me faire une opinion sans qu'on me donne sur un plateau les raisons de cette confrontation dans ce récit, qui j'ignore pourquoi, a un parfum très personnel (autobio ?).

Les dialogues font trop écrits, trop littéraires, et celui de la fin ("il est peut-être inutile de se voir systématiquement de façon officielle dans le cadre…") me semble peu naturel et peu crédible. J'en profite pour dire que j'ai regretté la vision trop manichéenne des deux frères notamment notamment, l'auteur dépeint l'ainé comme un connard ingrat (même si y'en a des comme ça, c'est certain) et selon moi ne montre pas (assez) le fêlure qui se trouve derrière cette arrogance.

Au final, on prend parti pour le cadet, c'est un brin facile et dommage.

Frustrant, mais texte assez plaisant néanmoins.

W

   Bidis   
14/5/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
La phrase en exergue montre que le narrateur n’est pas du tout sûr de soi, et du fait qu’il a bien raison d’aimer ce qu’il fait et de n’y chercher que la satisfaction de bien le faire. Cet aveu d'une mise en question préalable signifie, pour moi, que l’aîné l’a écrasé beaucoup plus lourdement qu’il n’est dit et que si la frustration est bien du fait de cet aîné et qu’il la projette sur le cadet, celui-ci vacille également dans sa propre personnalité. Je crois donc que les choses sont plus complexes que ne le raconte ce texte simple, clair et bien écrit et que j'apprécie cependant beaucoup.

   David   
16/5/2016
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour Macaron,

Les deux frères ressemblent aux images inversées d'une même personne, je me demande si le sujet est le trouble de l'exil ou les tourments de l'ambition devenant un tonneau des Danaïdes. D'un côté il y a Guillermo cherchant une satisfaction de chaque moment de sa vie et de l'autre Pablo, dont la vie professionnelle et éditoriale semble faite de défis sans cesse renouvelés, dans une même morgue. J'ai pensé une seconde au premier ministre Manuel Valls, sans chercher non plus trop loin une seconde lecture.

Il y a un côté manichéen dans le couple des frères et la chute m'a semblé "malheureuse" relativement. On lit surtout Guillermo alors qu'à mon sens le récit aurait été plus cohérent en développant Pablo, le premier devenant faire valoir des travers du second, celui qui les relève et les mets en perspective je veux dire. En l'état, le "gentil" prend trop de place et se retrouve comme marqué d'orgueil par la place qu'il prend, au contraire de sa description, par le récit qui le place un peu en "super héros du bon sens familial", comme dans cette dernière scène, pas inintéressante non plus, mais où Guillermo tient les rênes et où le pesant Pablo semble subir la mise en scène, qu'il chérit tant par ailleurs, tel qu'il est présenté.

   carbona   
20/5/2016
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour,

Cela fait la deuxième fois que je lis votre texte, j'aurais juré l'avoir commenté en EL.

Il y a pas mal d'aspects qui me font tiquer dans le traitement de ce texte, ce qui fait que je n'arrive pas vraiment à accrocher, à être emportée.

- l'écriture : votre écriture est très agréable et fluide mais je trouve qu'elle ne convient pour le traitement des dialogues. Les vraies gens dans la vraie vie n'échangent pas dans ce registre-là et n'expliquent pas les choses de manière aussi aboutie. Il n'y a jamais un mot qui dérape ce qui fige le dialogue, le rend peu réaliste et sur la fin, certaines répliques semblent être des explications pour le lecteur.

- au niveau du fond : le traitement des deux personnages est trop manichéen : d'un côté, l'insistance sur Pablo et son manque d'attrait pour la lecture, disant lui-même qu'il ne comprend pas le débat de l'émission, ça me paraît exagéré, d'autant plus que ça ne correspond pas à son niveau de langage. De l'autre côté l'exagération de la réussite professionnelle du frère. Gravir les échelons à l'Education Nationale, c'est quand même pas la panacée...Disons que c'est loin de signifier que cet homme est d'une intelligence supérieure ou appartient à "la haute".

Par ailleurs le fond de l'histoire est tout à fait crédible : le thème de l'immigration, la honte ressentie par l'aîné, son besoin de se surpasser...

Le déclic du cadet sur les motivations psychologiques de l'aîné paraît là aussi un peu surfait, un peu rapide. Les motivations sont tout à fait plausibles mais c'est encore ici le traitement qui, à mon sens, ne convient pas tout à fait.

La toute fin surprend, on ne tombe pas dans le "happy end".

Merci pour la lecture.


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