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Réalisme/Historique
Maëlle : Apprendre à tracer des lettres [concours]
 Publié le 10/09/08  -  4 commentaires  -  24508 caractères  -  172 lectures    Autres textes du même auteur

« Celui-là, ce n’est pas la peine, il ne sait pas lire. »
Mais pour Alain ça n'a pas d'importance. Et Maxime l'a bien entendu : la calligraphie, ce n'est pas de l'écriture, c'est du dessin.


Apprendre à tracer des lettres [concours]


Ce texte est une participation au concours nº 6 : Collaborations estivales (informations sur ce concours).





Partie 1 : Pas la peine, il ne sait pas lire


- Celui-là, ce n’est pas la peine, il ne sait pas lire.


Alain tend la méchante plume à l’enfant, comme si de rien n’était. Pauvre ustensile, manche de plastique trop fin, trop lisse pour avoir une bonne prise et bec de métal tordu.


- Vous savez, avec nos moyens… avait geint l’enseignante. Ce n’est qu’une initiation, après tout, avait-elle ajouté.


Le calligraphe avait ignoré la remarque, ouvert le bidon d’encre, l’avait reniflé, refermé, et sorti de son cartable fatigué un flacon en disant :


- Ce sera mieux.


Puis il s’était saisi d’une liasse de feuilles et avait demandé où était la photocopieuse.



- La calligraphie, c’est l’art de dessiner les lettres. La plupart du temps, quand vous écrivez, vous faites attention aux mots. Mais pour le calligraphe, ce qui est important, ce ne sont pas les mots, mais les formes.


Il hésite, regarde chaque élève. Difficile de savoir ce qu’ils comprennent. Il sort des livres de son cartable, regarde l’institutrice.


- Ce serait plus simple s’ils étaient par petits groupes.


Avec une discipline qui dénote une certaine habitude, les enfants déplacent chaises et bureaux et s’installent par quatre. Alain pose un ouvrage sur chaque table, invite les élèves à les feuilleter. Il passe d’un groupe à l’autre, faisant remarquer ça et là une illustration. Puis il distribue des feuilles vierges, et l’encre dans de petits godets, deux pour chaque tablée.


- Commencez par faire simplement des traits, essayez de trouver la meilleure position. N’appuyez pas, ce n’est pas nécessaire.


Il hésite à donner d’autres conseils. Il renonce. Les plumes sont si fatiguées que le résultat sera imprévisible. Il préfère se pencher vers chacun, rectifiant certaines positions, essayant de redresser une pointe. Les élèves le regardent intrigués frotter les pauvres instruments sur le rabat de son cartable.


- Ça les améliore un peu, commente-t-il.


Il fait remarquer la largeur d’un trait, invite les élèves à comparer leurs résultats entre eux.


- N’hésitez pas à tremper la plume souvent dans l’encrier, rappelle-t-il à plusieurs reprises.





Le plus souvent, il regarde en silence. À la dernière table, l’un des élèves s’est approprié le godet, le mettant de son côté de la table. Son voisin ne moufte pas. Il a les mains sur ses genoux. Alain reconnaît le gamin humilié tout à l’heure par l’enseignante. Il s’adresse à celui qui s’exerce :


- Eh ! Comment ton camarade peut-il travailler, si tu ne lui laisses pas l’encre ?

- Mais m’sieur, il sait pas écrire !

- Et toi, tu ne sais pas écouter. Il ne s’agit pas d’écrire. Il s’agit de dessiner. Ce n’est pas la même chose.


Remettant le godet au centre de la table, Alain se penche vers l’autre enfant.


- Comment t’appelles-tu ?

- Maxime.

- Maxime, est-ce que tu as déjà utilisé une plume ?


Le gamin secoue la tête. Le calligraphe lui sourit.


- Eh bien, je crois qu’aujourd’hui tu vas faire quelque chose de nouveau, alors.


L’enfant acquiesce, attrape le manche de plastique et griffe le papier d’une ligne noirâtre. Et recommence. Alain s’éloigne, termine le tour de la classe, et revient vers le tableau.


- Est-ce que vous avez remarqué que si on tourne le bec la plume, elle ne fait plus le même trait ?


Certains élèves répondent oui. L’animateur propose à tous d’essayer. Il passe d’une table à l’autre, montrant mieux, expliquant parfois. Maxime a couvert sa feuille de lignes courbes, dont l’épaisseur varie. Alain le félicite. Il distribue d’autres feuilles, celles-là portant des lignes et un modèle de lettre. Chaque élève reçoit un caractère différent.





- Cette écriture s’appelle l’Onciale. C’est une des premières utilisées dans l’histoire. C’est aussi la première qu’on apprend, parce qu’elle est plutôt simple à dessiner. En calligraphie, la plupart des écritures ont un nom. Celle que vous utilisez tous les jours s’appelle la cursive.

Maintenant regardez votre feuille. Vous y voyez une lettre, et vous voyez aussi de petites flèches. Elles disent la manière dont on dessine la lettre, l’ordre dans lequel on trace les traits.


Il trace un exemple au tableau. Bien qu’il l’ait cassé de biais pour avoir une entame plus large, la craie n’est pas un outil facile. Il explique pourtant plusieurs lettres, s’attardant sur leurs particularités. Puis il invite les élèves à tracer la leur, en regardant bien le modèle.


- Rappelez-vous, il s’agit de dessin.


Les enfants s’appliquent. Pendant un moment, on n’entend plus que le crissement du métal sur le papier. Alain passe, regarde, guide, parfois incline une feuille, ou invite un enfant à poser bien à plat le bec de sa plume.


- M’sieur, qu’est-ce qu’on fait quand on a fini ?

- Tu as fini ?


La blondinette opine. Alain sourit en voyant les traits d’abord appliqués, puis de moins en moins nets.


- Tu t’es pressée de finir.


Il s’adresse à toute la classe :


- C’est un travail de patience : si vous allez trop vite, vous allez perdre le dessin.


Il montre à la petite fille les différences entre ses derniers essais et l’original.


- Par contre, le premier, tu vois, il ressemble presque. À ce moment-là tu étais concentrée.


Elle n’est pas la seule à s’agiter un peu. Un brouhaha subtil emplit la classe, fait de raclements de pieds, de grognements et de chuchotements un peu tendus. L’institutrice désigne la pendule du regard.


- Bien. Ceux qui ont terminé peuvent aller nettoyer leur plume.

- Deux par deux, ajoute la maîtresse.


Alain recueille les godets inutiles et les pose sur le bureau. La plupart des élèves ont terminé, les autres se dépêchent.


Maxime seul est encore penché sur sa feuille.


- Pfff… hou-hou, limaçon, on a fini, ironise le voisin.


Sur la ligne, trois « b » soigneusement tracés s’alignent. Comme s’il n’avait pas entendu, le retardataire trempe la plume dans l’encre et continue en s’appliquant. L’institutrice l’apostrophe :


- Maxime, c’est l’heure de la récréation, va nettoyer ton matériel.


L’enfant lève les yeux, l’air hébété. L’enseignante ouvre la bouche, mais Alain ne lui laisse pas le temps.


- Laissez : je dois ranger mes affaires, il pourra finir pendant ce temps.


La maîtresse bat en retraite et rassemble les autres élèves dans le couloir. Rasséréné, Maxime revient à son tracé, pendant que le calligraphe, à l’aide d’un cornet de papier, reverse l’encre non utilisée dans son flacon. Il rince ensuite les godets, étale les plumes pour qu’elles sèchent. Cela fait, il s’installe sur un coin de table, près de l’enfant.

Celui-ci observe avec concentration le modèle photocopié avant de poser sa plume, et de tracer un trait avec application. Il ne lève pas la tête, regarde à nouveau avant de former le ventre. Enfin, il lève le nez de sa feuille.

Il a terminé.


- Je peux y aller, m’sieur ?

- Nettoie ta plume d’abord, et mets-la à sécher avec les autres. (Alain hésite, et ajoute :) Tu as fait du bon travail.





Au lieu de reprendre son cartable et de quitter la classe, le calligraphe s’attarde. Il est encore là lorsque la classe remonte. L’institutrice le toise avec méfiance.


- Je voulais juste… le mercredi j’anime un atelier à la maison des associations… Je vous laisse des tracts, pour les élèves…


L’enseignante remercie, distante. Alain s’éloigne vers la porte. Il se sent bête. Il n’a pas tant de tracts qu’il ne puisse en gâcher. Ceux-là finiront sans doute à la poubelle… il soupire.


Le mercredi suivant, un pincement de déception le saisit alors qu’il referme sa salle. Il hausse les épaules : c’est idiot d’avoir pensé qu’il viendrait. Il oublie.



* * * * *



Partie 2 : Premiers tracés


Une petite femme angoissée attend devant le porche. Alain sort son trousseau de clefs.


- Monsieur ? C’est ici pour les lettres ?


Une plaisanterie sur les services postaux meurt à peine née dans l’esprit du calligraphe. Cette dame est trop nerveuse pour qu’on se moque d’elle


- Oui… mais le cours ne commence que dans une demi-heure.

- C’est que… je travaille dans peu de temps.

- Ah.


Alain, la tête légèrement penchée, la regarde, attentif.


- Mon fils voudrait venir, mais je travaille et je ne peux pas…


Le regard de cette mère saute en permanence de l'animateur à un point situé au bout de la rue. Celui-ci comprend. Il sort un crayon de son sac, et note.


- Tenez. Voici mon numéro de téléphone. Appelez-moi ce soir, nous essayerons de trouver une solution.


Un arrangement est trouvé : sa maman déposera Maxime à l’atelier en revenant de sa pause de midi. Aïcha, l’une des élèves, le ramènera : c’est sur son chemin.


Alain prend le temps d’accueillir Maxime. Il lui montre le matériel, les plumes, bien sûr, mais aussi ces roseaux taillés qu’on appelle calames, et les feutres à pointe biseautée. Il sort plusieurs ductus, du papier ligné. Maxime choisit de continuer à apprendre l’onciale. Après l’avoir regardé faire quelques instants, Alain retourne vers ses autres élèves.


Il se penche sur le travail de l’un, de l’autre. Parfois il encourage, le plus souvent il se tait. Il répond aux questions des uns et des autres. Chacun travaille à son rythme, sur ses propres projets.

Le calligraphe exhorte à la patience. Il corrige une inclinaison, vérifie l’état des outils. Il écoute, aussi. Laureen l’accapare. Elle prépare une calli pour l’offrir à sa mère, et hésite entre deux esquisses. Delilah se mêle à la conversation : elle s’exerce à la cursive, mais peine à se concentrer longtemps.

Presque une heure s’est passée lorsqu’Alain revient vers Maxime. Celui-ci a couvert plusieurs feuilles. Les tailles sont inégales, mais les formes sont régulières.


- Tu n’as pas mal aux doigts ?

- Non.

- Veux-tu calligraphier un mot, maintenant que tu t’es entraîné ?


L’enfant secoue la tête.


- Alors je te montre comment faire des lettres plus grandes, si tu veux.


Maxime hoche la tête.


Alain prend l’un des cadres qu’il prépare, régulièrement, pour éviter aux élèves un travail fastidieux. Il pose une feuille blanche par-dessus, montrant à son apprenti les lignes visibles par transparence. Il prend ensuite la boîte de plumes, et montre à Maxime les tailles différentes. Il en choisit une à l’entame large.


- La lettre va être plus grande, alors le geste aussi doit être plus grand.


Il trace plusieurs lettres, prend une nouvelle feuille.


- À ton tour. Tu as toute la place, souviens-toi… Un peu plus grand encore. Voilà… Si ça t’aide, fais le geste en l’air avant de tracer.


Lorsqu'Aïcha vient lui dire qu'il est temps de rentrer, Maxime répond :


- Déjà ?


En déposant Maxime pour la séance suivante, sa mère demande timidement :


- Est-ce que vous lui apprendrez à lire ?


Alain ne peut masquer son agacement :


- Madame, ici il n’apprendra pas à lire, et même pas à écrire.


Devant le visage décomposé de son interlocutrice, il se radoucit :


- Il va utiliser les lettres comme des formes à dessiner. Ce pourrait aussi bien être autre chose, de simples traits sans signification. Mais il semble y prendre plaisir. Il n’est pas impossible qu’à force de manipuler les lettres il veuille en percer le sens. Mais je ne ferai rien pour l’y pousser.



* * * * *



Partie 3 : C'est quoi, une voyelle ?





Ainsi pendant plusieurs semaines. Quand Maxime pense maîtriser l'onciale, il choisit un nouveau ductus parmi les modèles proposés. Alain ne lui demande plus s'il souhaite écrire des mots, mais lui propose d'agencer des lettres pour que ça plaise à l’œil. Les grands parfois lisent les assemblages ainsi produits : « Oleav », « pigu »... Maxime se pique au jeu et parfois demande de lui-même, sa composition achevée, qu'on la lui déchiffre. En général ça le fait rire.

Mais un jour Delilah pose la feuille en soupirant :


- Je peux pas lire ça, Maxime.

- Pourquoi ? C’est un gros mot ?


La jeune fille pouffe.


- Non. On ne peut pas le lire, c’est tout.


Le petit garçon, perplexe, compare ses lettres avec d’autres qu’il a pu écrire. Il va voir Alain pour demander confirmation. L’animateur tente de vocaliser, puis renonce.


- Il n’y a pas de voyelle dans ton mot, Maxime. On ne peut pas le lire.


L’enfant accepte la réponse et range sa feuille avec les précédentes.


Deux semaines plus tard, il se plante devant Laureen et demande :


- C’est quoi, une voyelle ?

- C’est a, e, i, o et u.

- Et y, ajoute Delilah.


Maxime les trace, les regarde et hausse les épaules


- Qu’est-ce qu’elles ont de spécial ? Elles sont rondes ? Le g aussi.


Les deux filles se regardent. Brandon intervient.


- Ce sont des lettres qui chantent. Les autres, les consonnes, elles sifflent ou elles claquent, mais si elles sont toutes seules on ne sait pas les prononcer. Il faut une voyelle avec pour que ça chante.


Les filles le regardent d’un air admiratif. Brandon se rengorge. Mais Maxime n’a pas compris. Les filles s’y remettent, donnent des exemples, griffonnent des suites de lettres. Puis Delilah tente :


- C’est comme en calli. Pour écrire il faut une plume et de l’encre. Si tu n’as que la plume, tu ne sais rien faire. Mais si tu n’as que l’encre, tu ne peux faire que des taches.


Laureen acquiesce :


- Oui, c’est ça. Avec les consonnes toutes seules tu ne peux rien faire. Avec les voyelles, tu fais des sons.

- Ahihaiho, articule exagérément Brandon, en se tapant sur le torse.

- Comme les singes, oui.

- Eh, mais non, c’était Tarzan, maugrée Brandon.

- Avec les consonnes, tu peux tout faire.


Maxime passe le reste de l’atelier à tracer, sur des morceaux de brouillon, des assemblages de lettres dans les différents alphabets qu’il maîtrise. À la fin du cours, il fait deux piles.


- Ceux qu’on peut prononcer et ceux qui ne se disent pas ? suggère Delilah.


Maxime hoche la tête.


- Je peux regarder ?


Elle n’attend pas la réponse. Dans le premier paquet, des suites constituées uniquement de consonnes, dans l’autre des « mots » prononçables. Parce que c’est devenu un rite, Aïcha se penche sur l’épaule de sa camarade et lit à haute voix.


- On pourrait faire un troisième tas, tu sais, propose-t-elle : les mots qui existent et ceux que tu as inventés.


Elle en sort trois sans que Maxime ne réagisse.


- Rotor, Pilon, baba, ce sont des mots qui existent.


Maxime les remet dans la pile avant de ranger le tout dans son sac.



* * * * *



Partie 4 : C’est une bonne blague





La séance suivante est exceptionnelle. Alain a réorganisé la salle et sorti les pinceaux.


- Aujourd’hui je vous apprends une nouvelle technique, annonce-t-il en se frottant les mains.


Il sort quelques cartons et les montre.

Guillaume regarde d’un air perplexe les lettres blanches se détacher sur un fond de couleur.


- Ça va être trop long à faire, ça !

-Tu ferais comment, Guillaume ?

- Ben, dessiner au crayon en creux, et, euh… remplir le fond au pinceau sans déborder autour… Mais ça va être trop dur de pas dépasser !


Alain sourit.


- Justement, il y a une technique… Mais avant de vous l’apprendre je vous montre comment travailler les fonds.


Il sort la gouache, et réexplique comment obtenir une bonne dilution : il faut détendre la peinture sans la détremper. Il met les élèves en garde : surtout étaler régulièrement, sinon le papier se gondolera.


- Certains supports résistent très bien à l’humidité, d’autres pas du tout. Il y en a même qui se dissolvent !


Il indique comment obtenir une couleur régulière ou, au contraire, faire des effets : nuages, rayures… Comment mélanger deux couleurs sur la feuille pour créer des dégradés, et comment tirer la peinture pour l’étaler le mieux possible.


Les élèves se lancent.


- Pensez déjà à ce que vous voulez faire avec cette technique.

- On peut travailler sur papier de couleur ?

- Si vous voulez, mais ne prenez que le plus épais, et pensez que la peinture devra être opaque dans ce cas. Utilisez des chutes pour vous entraîner.


Laureen et Brandon fouillent sur l’étagère. Le jeune garçon s’empare d’un morceau de Canson bordeaux et entreprend de le couvrir de peinture noire. Le résultat ne le satisfait pas.


- Tu veux un noir profond ou un noir un peu rouge ?

- Ben… noir noir, quoi…

- Essaye avec de l’encre de chine, non diluée. Il faudra peut-être plusieurs couches.


Pendant que Brandon va chercher le flacon, Alain rappelle :


- Si votre essai est raté, rincez tout de suite le godet qui ne vous sert plus, pour éviter que quelqu’un ne le renverse.


Maxime lève de grands yeux vers l’animateur.


- On est obligé d’écrire des vrais mots ?

- Ben c’est mieux, quand même, raille Delilah.

- Non, Maxime, c’est toi qui décides.

- Pfff… il va encore faire n’importe quoi !


Maxime observe soigneusement les étiquettes des bidons de peinture, et il en choisit deux. Il détend à peine la gouache, trace au crayon un trait net au milieu de son carton, et entreprend de couvrir chaque moitié, l’une en vert, l’autre en rouge, sans mélanger. Malgré son application, la frontière est trouble.





Alain tape dans ses mains.


- Passons à la suite. Comment écrire en blanc sur un fond de couleur ?

- Avec de l’encre blanche ?

- En gommant ?

- Presque, Laureen. On utilise de la gomme à masquer

- C’est quoi ?


Le calligraphe leur montre. Le liquide, gris et visqueux, sèche rapidement en formant une peau caoutchouteuse.


- C’est imperméable. Une fois sec on peut le décoller facilement en le frottant avec son doigt. Si on peint par-dessus, les parties protégées apparaissent en blanc.

- Ou en couleur, ajoute Brenda.


Alain acquiesce. Il reprend ses explications.


- C’est un peu collant, alors il faut un outil souple. Et comme ça abîme les plumes, le mieux c'est de prendre des calames


La classe bruisse. Icham va chercher le matériel dans le placard, Aïcha explique la technique à Maxime. Rapidement chacun s’attelle à son projet. Laureen trace « Estelle » en caroline, en ajoutant quelques étoiles.


- Estelle, ça vient d'étoile, chuchote-t-elle à sa voisine. Tu penses que ça lui plaira ?


Brandon calligraphie en gothique le nom d’un groupe de rock sur du Canson rouge, et Guillaume écrit « Négatif » en caractères d’imprimerie.





Alain s’approche de Maxime qui semble hésiter. L'animateur jette un œil à l'essai de l'enfant.


- Trace un trait au milieu de ta feuille : ça fera une ligne blanche, et ça empêchera les couleurs de se mélanger. Et ensuite trace tes lettres. Fais-le au crayon d'abord si tu préfères.


L’enfant s’exécute. Il pose de temps à autre les yeux sur les bidons de gouache devant lui avant de tracer.


Une fois la gomme posée, il faut laisser sécher. Les élèves lorgnent les projets des uns et des autres, essayant de deviner ce que va être la composition finale. Puis ils appliquent la couleur.


- En attendant que ça sèche, vous pouvez voir quel matériel vous empruntez pour les vacances, ceux qui le veulent.


Il s’empare d’un calepin et note :


- Brandon, deux calames, Laureen, une plume d’oie… tu te rappelles comment on la retaille ? Delilah… tu sais, à ton niveau, il serait préférable que tu aies ton propre matériel… à changer de mains en permanence, les plumes s’abîment, tu sais. Maxime, tu sais ce que tu veux ?


L’enfant montre trois ductus. Alain choisit un porte-plume et plusieurs plumes de largeurs différentes.


- Vous vous rappellerez de me les ramener juste après les vacances, sinon il faudra les remplacer. Et maintenant… allons voir les résultats. Vérifiez bien que toute la surface est sèche avant de frotter.


Les élèves révèlent leur réalisation. Les tracés manquent parfois de netteté, mais dans l’ensemble les apprentis calligraphes sont plutôt satisfaits de leur premier essai. Après avoir admiré son résultat, chacun regarde le rendu du voisin.


- Pfff… Tu changes pas, toi, soupire Delilah devant le travail de Maxime.


Alain regarde, et s’étonne :


- Tiens, je pensais que tu ne voulais pas écrire de mots ?

- Ben il en a pas écrit ! rétorque Aïcha.

- Apparemment, ta blague marche, glisse Alain à un Maxime hilare.


Sur un fond rouge éclatant se détachent les lettres « crlt », tandis qu’un vert profond entoure « eeaue ». Les filles froncent les sourcils.


- Je ne comprends pas.

- Moi non plus.


Alain hausse les épaules.


- Oui, visiblement ça marche.






* * * * *



Épilogue : un jour peut-être il faudra que tu leur dises, non ?


Au retour des vacances, Alain voit débouler la mère de Maxime, surexcitée.


- Il fallait absolument que je vous remercie !


Le calligraphe la regarde sans comprendre.


- Merci pour ce que vous avez fait. Grâce à vous il sait lire !


Maxime se dandine d’un pied sur l’autre, en regardant le sol. Alain lui jette un œil avant de répondre :


- Madame, je ne lui ai pas appris à lire.

- Écoutez, il ne veut pas le montrer mais je suis sûre qu’il sait lire. Je vois bien comment il regarde les affiches, ou la boîte de céréales le matin. Et l’autre jour il a eu un drôle d’air quand son père…


Alain regarde l’enfant, qui fulmine en silence.


- Madame, je n’apprends pas à lire, j’apprends à dessiner des lettres, et seulement ça. Maintenant excusez-moi, j’ai un cours à préparer.


L’animateur ouvre la salle et sort le matériel, sans se soucier du petit garçon qui l’a suivi. Celui-ci sort rapidement le matériel emprunté de son sac. Il l’étale sur le bureau, l’air maussade.


- Bien. En attendant que les autres arrivent, montre-moi ce que tu as fait.


Alain s’astreint à ne commenter que les tracés de son élève, sans nommer les lettres, sans prononcer de syllabes. Il se limite à parler de boucles, de lignes, de ventres, de pleins et de déliés. Peu à peu Maxime semble se détendre.


- Bon, avec tout ça tu vas peut-être passer à l’étape supérieure, non ?


Maxime prend un air interrogatif. Alain fouille dans une pile de citations calligraphiées, en sélectionne une dizaine. L’enfant les passe en revue, l’air renfrogné. Puis son visage s’éclaire. Il choisit la seule phrase qui n’est pas en français.


- Ben mon bonhomme, un jour peut-être il faudra que tu leur dises, non ? Allez, mets-toi au travail. Commence par essayer de faire un cadre assez grand. Je te laisse t'entraîner.


Et alors que les autres élèves arrivent, Maxime attrape sa règle, les yeux fixés sur son modèle.






____________________________



J’ai écrit ce texte avec les conseils et corrections de Javotte. Merci à Colette pour ses réponses à mes questions. Les calligraphies sont de Javotte.


Traduction de la citation latine : « Les temps changent et nous changeons avec eux ».Wikipédia


Un document crée par Colette et Margueritte pour expliquer la calligraphie


Javotte - Illustrations

Maëlle - Texte



 
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   Anonyme   
13/9/2008
Bon j'ai lu.
Pas facile avec toutes ces images.

J'ai bien compris qu'il s'est agi de nous faire connaître la calligraphie..

Et pour ça, merci.

Quant à me donner le plaisir de lire, c'est un peu passé à côté.

Les dialogues me semblent un peu trop décalés.. Le niveau de langage varie on ne sait pas bien pourquoi.. et de la part des enfants et de la part des adultes mis en écriture..

Beaucoup de lourdeurs aussi dans l'écriture. Enfin c'est l'impression que j'en ai eu..

Enfin je ne repars pas bredouille. J'ai appris ce qu'était la calligraphie.
Merci à vous les co-auteurs

   xuanvincent   
10/9/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Cette nouvelle m'a plu pour son côté réaliste et pédogogique.

L'histoire pourrait s'inspirer de faits réels. Elle a le mérite de faire découvrir au lecteur néophyte la calligraphie.

Comment faire aimer les lettres à un enfant qui est censé ne pas savoir lire ? Ce récit pourrait s'adresser plus particulièrement aux enseignants et aux personnes qui s'intéressent à l'apprentissage de la lecture.

Ce texte m'a paru bien écrit et les dessins de javotte (ses calligraphies) l'illustrent bien.

La fin m'a plu. L'enfant sait-il pour autant lire ? J'en reste sur la phrase finale, cette phrase latine choisie par le garçonnet, qui laisse la porte ouverte au doute.

Bravo au tandem Maëlle/ Javotte !

   Cyberalx   
13/9/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Les calligraphies sont belles, on sent que c'est un vrai travail à quatre mains lorsqu'on les associe au texte.

Pour ce qui est de l'histoire, elle est moins simple qu'elle ne parait de prime abord, et c'est une écriture que j'aime.

Une chose me gêne quand même, c'est une espèce de distance, un manque d'émotion presque tangible dans l'histoire, comme si tous les personnages avaient une fonction dans l'histoire et pas de couleurs.

Je trouve ça dommage car l'idée et l'histoire pourraient donner matière à quelque chose de bien plus ambitieux.

Par contre, le texte respire et se lit facilement, je ne me suis pas ennuyé, et j'y ai trouvé un intérêt pédagogique évident.

Bravo tout de même pour cette belle collaboration, ce n'est pas facile de travailler à plusieurs !

   Anonyme   
21/2/2009
Un très joli texte, aussi tendre que "le fantôme du cerisier" en moins, bcp moins féérique bien sûr.
J'aime bcp le moniteur.
Une ode à la différence et peut-être à l'autisme ?
De très belles illustrations qui n'ont donné envie d'apprendre à écrire des lettres. C'est pédagogique, mais l'histoire est là.
Le moniteur est comme on rêverait en avoir eu un.
J'ai souvent feuilleté des livres parlant de calligraphie mais les ai tous jugés trop complexes. Paresse.
Je penserai à ce texte la prochaine fois et peut-être bien que j'oserai.


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