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Fantastique/Merveilleux
Malo : La jeune fille à la jupe jaune
 Publié le 11/12/16  -  8 commentaires  -  9003 caractères  -  86 lectures    Autres textes du même auteur

Une jeune fille au bout du rouleau, qui porte une jupe jaune. Elle monte dans le bus 38. Les autres passagers, plongés dans leur monde intérieur, remarquent malgré tout cette jupe qui les interpelle…


La jeune fille à la jupe jaune


Elle monte dans le bus, laissant sur le trottoir son cœur au goût d’anis. Sur la ville portuaire le ciel se crache par terre. Le vent froisse le visage des passants. Aile jaune dépassant du siège, sa jupe interroge avec circonspection le regard des passagers du bus 38. Elle a mouché tant de voyageurs à la dérive, la jeune fille, entre ses cuisses charitables. Aujourd’hui elle ne veut plus, elle ne peut plus. Elle se sent lésée. Elle a posé son cœur sur le trottoir, son cœur au goût d’anis.


Ça roule cool ma poule, no problémo. La ligne est agréable. Assez longue pour ne pas être monotone et des clients sans problèmes. En plus j’ai touché ce matin un bus neuf. Un bon Heuliez des familles, dernier modèle. Pas de bruit de moteur et le confort du conducteur. Que demander de plus ? Bien sûr le temps est dégueu mais on a l’habitude. Encore deux heures et c’est la pause. Un café, une p’tite clope… Y a qu’ce rêve qui m’tracasse. J’étais devant mon père et je soufflais dessus comme on souffle sur des bougies d’anniversaire. Mon père ne disparaissait pas. Alors j’l’ai poussé et j’me suis réveillé. Je ne comprends pas pourquoi ce rêve me poursuit. J’ai jamais connu mon père… Pas d’bile bonhomme, ça va passer… Mon bus est presque plein… Mignonne la p’tite blonde à la jupe jaune. J’en f’rais bien mon quatre heures.


Ce regard dans le rétroviseur qui la transperce. Son chemisier défraîchi se liquéfie. Sa jupe devient transparente. Elle coule ses bras devant ses seins pour les protéger du rasoir effilé, puis laisse tomber ses mains sur ses genoux, à la fois impuissante et résignée. Quelle importance ? Un corps sans cœur, une dépouille sans étincelle. Elle se contente d’éteindre ses yeux, autre partie d’elle-même qu’elle veut jeter. Dans sa tête une ritournelle issue de l’enfance s’insinue puis peu à peu s’impose. Elle est bien, calme, lovée dans son nid, cette petite mélodie qui la berce, la nourrit, comme un ventre son fœtus.


Au début, on marche, tranquille. La route semble très longue. On n’en voit pas le bout. On aimerait aller plus vite. On envie ceux qui sont déjà loin. Leur portion de chemin semble plus intéressante que la nôtre. On nous dit qu’on a tout le temps, qu’on regrettera les étapes franchies. Naturellement on n’y croit pas.

Puis, de la marche, on passe à la petite foulée. Cela nous convient très bien. On veut tout dévorer sur notre passage. On a les bras chargés de tout un fatras qu’on sème à droite, à gauche. Les gens nous montrent du doigt. Ils nous traitent de sauvages. On les méprise. Ils sont si sages, ou hypocrites. Pas le temps de leur parler. D’ailleurs ils ne connaissent pas notre langage à nous, les immortels.

Et un beau jour, nous voilà en course de fond. On ne rigole plus. Les derniers ont des chances de se faire éliminer. Du moins c’est ce qu’on nous a dit. Alors, on s’assagit, on se concentre. On aimerait tant arriver sur le podium. On se prend du « monsieur », du « madame » avec des airs importants et de plus en plus de ventre.

Jusqu’au moment où le vertige nous rattrape. C’est comme une drôle de maladie. On s’essouffle. On a l’impression de marcher sur un tapis roulant qui s’affole. Les jours sont des heures, les heures des secondes. Au début, on ne comprend pas bien ce qui se passe. On est pourtant en bonne santé. Bien sûr, des cheveux blancs, quelques rides… Et puis on s’aperçoit qu’on n’est plus immortel, que le terme se rapproche à grand pas. Qu’on a probablement passé plus de la moitié de ce qui nous reste à vivre. Et tous ces rêves qu’on a semés sans pouvoir les réaliser… Sans pouvoir les réaliser.

Pouah, quel temps pourri ! Que j’arrive à mon arrêt. Je monte chez moi. J’enfile mes chaussons, un bon bouquin, et… Cette pauvre petite jeune fille toute triste avec sa jupe comme un grand soleil. Si c’est pas malheureux, si mignonne et déjà vieille.


Une présence qui la fouaille lui ouvre les yeux. Le monsieur âgé sur le siège en face la couve de sa pitié. Elle n’est pas mignonne, elle n’est pas triste. Elle est aussi inerte qu’une serpillière. Elle veut seulement qu’on la laisse pourrir dans son coin. Elle n’existe pas. Son esprit se noie dans un silence mouillé, troublé en intermittence par des bulles de pensées qu’elle crève aussitôt qu’elles émergent.


C’est quoi ça ?… Pourquoi le monsieur il a un gros nez plein de petits trous ?… J’ai bientôt quatre ans. Maman m’a dit que je pourrai inviter mes amis à mon anniversaire. Je lui ai dit que je voulais que monsieur Rigou y vienne. C’est mon instituteur. Il est très très gentil. Il nous apprend plein de chansons avec sa guitare. C’est pour ça que je veux l’inviter. On chantera tous ensemble avec lui. Maman m’a dit qu’il nous supportait déjà toute la semaine, qu’il allait pas encore s’occuper de nous le samedi. J’ai pas compris « supportait ». De toute façon, c’est pas grave. Moi j’veux surtout inviter Prune. C’est ma copine de l’école. On s’dit tout. Dors, Pinpin ! Mon Pinpin il a peur dans le bus, parce que ça fait trop de bruit. On entend des gros tchhhhh quand les portes elles s’ouvrent ou quand le bus y s’arrête. C’est comme si le bus soupirait très fort parce qu’il en a marre de nous transporter. Mais ça fait peur à mon Pinpin. Alors je le serre fort contre moi.

Mélanie, elle est drôle. Y paraît que j’ai été aussi petite qu’elle. Elle peut rien faire. Elle sait seulement remuer ses bras et ses jambes. Elle le fait tout l’temps. Et puis aussi elle me sourit. Elle fait des reuh, reuh en me regardant. Maman me dit que je suis une grande fille, qu’elle, c’est un petit bébé qui a besoin que je la protège. Mais c’est ma maman et ça me fait drôle que c’est aussi sa maman. Au début quand je la voyais qui était toujours accrochée à la tétine de maman, j’ai cru qu’elle était comme son Pinpin et moi j’étais plus rien. Alors, maman m’a dit de venir boire aussi à sa tétine. Maintenant, quand je veux, elle me laisse faire. Mais, d’abord, c’est pas très bon, et puis c’est pour les bébés.

Quand je me retourne, je vois une dame très belle. Je suis sûr, c’est une fée, ou la Belle au bois dormant, parce que c’est comme si elle dormait sans dormir. Elle est toute transparente.


Un éclair. Ce regard plein d’étonnement et léger de fraîcheur. Un éclair qui la renvoie vers sa propre enfance. Spontanéité, naïveté, candeur. Qualités, défauts qu’elle a conservés jusqu’à aujourd’hui pour son plus grand malheur, pour sa chute, sa déchéance, sa fuite, sa disparition.


Chié, chié, chié. Y m’fait trop chier ce vieux con. Pour qui qu’y s’prend ? Pour Louis XIV ? Le patron de droit divin ? Y s’est pas r’gardé. Un nul, voilà ce que c’est, un nul. Aucun sens des relations humaines. Pour un patron, faut r’passer. D’ailleurs s’il y a une si mauvaise ambiance dans cette boîte, c’est bien d’sa faute. Quand un mec fait une connerie, il le casse. Au lieu de lui causer de son erreur, il part dans des discours pas possibles. Il le met plus bas que terre. Après, on s’étonne qu’il y ait tant d’absences pour maladie dans l’entreprise… Bon du calme, pensons à autre chose. J’suis plus au boulot… Même en dehors du travail, il me poursuit. Où est ma liberté ? Il me pollue la tête, je n’peux pas m’en dépêtrer. C’est plus possible… Qu’il crève ou qu’il soit arrêté pour un bout de temps ! J’ai jamais souhaité la mort de quelqu’un, mais là j’en peux plus. J’n’y peux rien. Si encore, en dehors du travail, j’pouvais ne plus y penser. J’ai ma vie, plein de choses à faire… Mais j’n’y arrive pas… Allez, on est vendredi, deux jours de liberté. Faut en profiter un max… Mais dès le dimanche matin, c’est la grosse angoisse. Elle est là qui me ronge le ventre. Rien à y faire. Je suis déjà au lendemain, ce travail à la mords-moi l’nœud. Et rien que de penser qu’il va falloir revoir sa tronche de cake. Pourtant, on peut dire qu’il est performant. Il percute au quart de tour. Plus rapide que moi. Je ne nie pas ses qualités professionnelles. À la limite, je préférerais qu’il soit mauvais, ce s’rait plus facile. Non ce qu’on peut lui reprocher, c’est de ne pas être un meneur d’hommes. Pour un patron, c’est plutôt grave…

Et ce temps de plus en plus dégueu. Encore un beau samedi de pluie et de vent en prévision. Le pied… Tiens, c’est bizarre, j’étais persuadé qu’il y avait une jeune femme assise sur le siège devant moi. Elle n’est pourtant pas descendue au dernier arrêt, je m’en serais aperçu… Je la revois encore. Son pauvre visage d’anorexique au bout du rouleau… Avec l’autre qui m’obsède, j’en attrape des visions.


Plus rien ne la touche. Le moteur du bus n’est plus qu’un long ressac sourd. Elle est partie loin, très loin, sur des eaux lumineuses. Et ce parfum : l’odeur apaisante de son drap, lorsque, enfant, tout en tétant, elle le passait avec lenteur sous son nez, pour s’endormir. Pour s’endormir, dormir… dormir… mir…


Terminus. Pas de retard. Je vais pouvoir lire un peu mon canard avant de repartir dans l’autre sens. Plus personne dans le bus. Les objets oubliés… Tiens, une jupe jaune sur ce siège…


 
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   Ora   
7/11/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Elle finit donc par disparaître vraiment. La transparence de cette jeune fille est insinuée d'un côté tandis qu'elle-même prend de l'étoffe par les flash-back sur son enfance. Elle prend donc corps dans mon esprit tandis qu'elle disparaît dans ce bus.
J'ai bien aimé cet univers décalé et votre plume, votre ton précis, imagés et pleins d'humour. Je regrette juste de m'être un peu perdue entre les différents personnages. ne sachant plus si c'est un passager qui pense ou la jeune fille à la juge. J'imagine que c'était voulu?
J'ai aussi regretté que l'anorexie soit mentionnée, j'aurais trouvé plus poétique que la jeune fille disparaisse d'avoir laissé son coeur sur le trottoir, tout simplement. Mais je pourrais aussi imaginer que ce texte soit justement une invitation à regarder de cette maladie!

   Anonyme   
8/11/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
La vie des gens dans un bus, voilà comment je résumerais ce texte. J' ai appréciée cette nouvelle un peut triste, tellement quotidienne qui parle de chacun dans son intimité, une intimité partagé. Un style léger et agréable, merci pour ce moment de lecture.

   plumette   
14/11/2016
 a aimé ce texte 
Bien
Il y a une vraie originalité dans ce texte dont la présentation pourrait être améliorée pour que l'on comprenne mieux la diversité des personnages dont on entend tour à tour le monologue intérieur.

au centre, cette jeune fille à la jupe jaune, comme une apparition, dont l'étrangeté va effleurer tous ces personnages: le chauffeur, le vieux, la petite fille, celui qui n'en peut plus de son patron.

les voix des uns et des autres sont inégalement rendues. je n'ai pas trop aimé le dernier, j'ai préféré le chauffeur et le vieux, quant à la petite fille, c'est celui qui m'a paru le plus artificiel. on entend trop la voix de l'auteur qui veut nous donner un maximum d'infos sur cette enfant en un minimum de mots.

ce qui est bien rendu dans ce texte, c'est l'état de cette jeune fille à la jupe jaune. j'ai beaucoup aimé qu'elle ait "posé son coeur sur le trottoir, son coeur au goût d'anis" et qu'elle se soit dissoute à l'arrivée!

Ce texte n'est pas sans défaut, mais il y a un charme qui opère.

   toc-art   
11/12/2016
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour,

J'aime bien l'idée première de ce texte, le portrait délicat, sensible et poétique de cette fille à la jupe jaune. C'est d'ailleurs le titre qui a attiré mon attention.
Mais je n'ai pas été convaincu par la structure du texte que j'ai vite trouvée répétitive, un peu ennuyeuse et sans réel intérêt pour être honnête. Les portraits m'ont paru assez artificiels, notamment le petit vieux qui choisit juste ce moment pour philosopher sur le cours de son existence... de façon générale, je trouve que vos personnages se racontent trop pour être authentiques. C'est peut être le choix de leur donner la parole qui crée paradoxalement ce sentiment d'une intention narrative trop présente, ou bien le format du récit qui oblige à concentrer beaucoup d'informations en peu de temps, je ne sais pas.
C'est dommage, le personnage principal mériterait à mon sens d'être approfondi.
Bonne continuation.

   hersen   
11/12/2016
 a aimé ce texte 
Bien
La disparition à la fin est ce qui me fait tout de même aimer cette histoire;

il est dommage qu'à la lecture, j'aie été souvent un peu perdue sans savoir de suite qui parlait;

Je peux comprendre un certain suspense en ce qui concerne la jeune fille, mais le chauffeur, par exemple ? j'ai dû reprendre le § à son début pour comprendre qui parlait;
Cette entrave à la fluidité de l'histoire est pénalisante, je pense;

l'idée de situer la nouvelle dans un bus est excellente, cela donne un côté impersonnel, en quelque sorte, qui convient tout à fait au ton de l'histoire.

merci pour cette lecture.

   Anonyme   
11/12/2016
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonsoir,

Je n'ai pas senti le côté fantastique de l'histoire, même lorsque cette jeune fille à la jupe jaune disparaît, laissant derrière elle sa jupe... jaune. Je n'y ai pas cru un seul instant. Du reste, je n'ai pas non plus aimé le style d'écriture, ce langage de tous les jours qui devient difficile à la lecture et n'apporte rien de plus à l'intrigue. Je trouve cela dommage car l'idée de départ était bonne, mais le traitement n'est pas à la hauteur. Au final, il ne se passe pas grand-chose et je reste évidemment sur ma fin. Il aurait fallu faire parler l'un des protagonistes, tenter un dialogue avec cette fille afin de voir si elle existe vraiment ou non, essayer de savoir pourquoi elle est là. On ne sait pas qui elle est et je crois vraiment qu'une tentative de dialogue (je me répète un peu) aurait permis d'enrichir cette histoire...

Wall-E

   Tadiou   
12/12/2016
 a aimé ce texte 
Un peu
Bien du mal à rentrer dans ce texte. Des univers et des styles qui
s'entrechoquent. Dans des enchevêtrements de cris tordus. Cela me fait penser à une pluie de confettis portant chacun sa douleur.

L'écriture me laisse perplexe : "Le ciel se crache par terre"
"Le vent froisse les visages" "Un cœur au goût d'anis"...

Des choix et des partis-pris très forts et sans complaisance. Un travail fouillé.

   MissNeko   
13/1/2017
 a aimé ce texte 
Bien
L'écriture est très prenante et poétique. Mais je me suis perdue rapidement ne sachant plus trop qui parlait.
Les pensées des passagers du bus s'entremêlent laissant au lecteur une impression de confusion mais je pense que c est l'effet escompté. On flotte dans l'univers des pensées à travers lesquelles des bribes d'indices nous renseignent sur la transparence de la jeune femme a la jupe.
L'anorexie : la maladie d'un corps qui veut disparaître trouve en cette nouvelle une métaphore. Chacun est occupé à ses pensées etne voit pas que tout prêt un être est en train de disparaître d'indifférence.
Merci pour ce partage.


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