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Brèves littéraires
Marceau : Rue du Portail
 Publié le 18/03/25  -  2 commentaires  -  2873 caractères  -  35 lectures    Autres textes du même auteur

Rendez-vous amoureux dans un jardin abandonné.


Rue du Portail


Nous avions rendez-vous, 35, rue du Portail, et devions nous aimer là, dans ce jardin abandonné où l’herbe grimpe plus haut qu’elle ne le devrait, où les arbres s’unissent à la pierre taillée et portent sur leurs écorces les formules incantatoires des amants de passage, cœurs gravés, initiales enchevêtrées, flèches naïves plantées dans le destin, ce taureau fou lâché dans l’arène du Temps, telles de dérisoires banderilles censées prémunir les amants de l’usure inexorable des amours d’ici-bas.


Nous devions nous retrouver dans le silence complice de ce bosquet oublié. Je m’y suis rendu. La porte était ouverte. Mon cœur s’emballait dans cet enclos touffu accueillant depuis des lustres de secrètes et délicieuses rencontres. Je guettais ta silhouette, ton odeur, ton rire, j’espérais la soie de ta peau. Je me pensais en avance à notre rendez-vous, connaissant ta si belle impatience.


Je me suis assis sur une pierre cubique, vaguement ornée d’un motif végétal en bas-relief, en partie effacé par l’érosion. Attentif au moindre bruit, je percevais la délicate complainte que psalmodiait le vent sur l’herbe souple, perlée çà et là de grains de lumière qui dansaient et s’accouplaient follement.


Un bousier, besogneux Sisyphe miniature, roulait son rocher d’excréments ; quelques papillons obstinés se lançaient dans une chorégraphie aérienne à la fois compliquée et répétitive, et je percevais en détail le frissonnement d’une infime vie épigée, dont l’empire se situe sur l’épiderme du monde et qui devenait peu à peu mon univers intime, mon « grouillonnement ». Et le temps a passé comme coulent les siècles.


Je n’ai pas eu froid, la première nuit. Ni les suivantes du reste. Et je t’attendais encore ce jour où, tout doucement, mes racines ont fouillé cet humus, traversé des tunnels humides entre des ruines de marbre qui m’indiquaient le chemin à emprunter pour accéder à l’eau nourricière, où je m’enfonçais avec délectation. Pour mes feuilles nouvelles, je bus longuement ce liquide parfumé au mycélium et sentis monter en moi toutes les promesses enivrantes de mes belles forces végétales.


Je pénétrais alors plus en profondeur mes membres souterrains, les étalais loin autour de mon buste de bois et de mon panache de branches. Et je t’ai enfin retrouvée. De l’extrémité de nos radicelles timides, fines comme des ondes, nous nous frôlâmes alors longuement dans la tiédeur complice de ce profond terreau et la parfaite moiteur de nos amours de catacombes, comme le firent jadis Philémon et Baucis, tendrement couchés sous la plume d’Ovide.


Les pierres de la vieille basilique, en nos racines enchevêtrées, furent les témoins de l’idylle de nos corps métamorphosés. En cette crypte de l’an mil, nos chevelures souterraines forment désormais un linceul protecteur aux ossements millénaires, 35, rue du Portail, je me souviens du rendez-vous.


 
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   papipoete   
18/3/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
bonjour Marceau
je vins t'attendre là où nous avions rendez-vous, auprès de cet arbre séculaire, qui vit tant d'ébats amoureux, entendit tant de serments, de déclarations d'amour...tu ne vins pas et je t'attendis, des jours, des siècles
or, voilà que tu m'as rejoint, enfin alors que nos corps redevenus poussière, s'enlacent de leurs racines, pour les siècles et des siècles...
NB pas trop long pour moi, et ma vision, je me suis laissé porter par ce récit, qui me rappelle Esmeralda et le Bossu de Notre Dame, que la mort réunit pour l'éternité.
l'avant-dernière strophe me plaît particulièrement, avec cette personnalisation des héros de radicelles.
( mon raisonnement est l'idée de ce que m'inspirent vos lignes )

   Myndie   
19/3/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Marceau,
Effectivement, votre texte est un peu le mythe de Philémon et Baucis revisité ; cependant, j'ai préféré y trouver l'illustration mi-fantastique, mi-poétique et tellement attendrissante de l'expression « prendre racine » .

Si j'avais une remarque « négative » à formuler, ce serait pour vous dire que j'ai trouvé un peu long le premier paragraphe, composé d'une seule proposition ; même sans le lire à voix haute, on se sent au bord de l'essoufflement en arrivant au point final.
Ceci mis à part, j'ai adoré l'originalité du sujet et le traitement que vous en faites. J'aime la suggestivité des images qui le jalonnent, les expressions pleines de couleurs, de mouvements, de lumière et de sons. Il y a aussi tous ces effets de style, petites étincelles de poésie qui donnent vie au texte, alitérations en b, en f, assonances en « pi » :
« Un bousier, besogneux Sisyphe miniature, roulait son rocher d’excréments »
«le frissonnement d’une infime vie épigée, dont l’empire se situe sur l’épiderme du monde »  .

J'aime aussi beaucoup cette expression :«  la parfaite moiteur de nos amours de catacombes »

Au final, vous m'avez offert un très beau moment de lecture et pour ça, merci infiniment.


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