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Fantastique/Merveilleux
marogne : La grotte
 Publié le 01/01/08  -  9 commentaires  -  9605 caractères  -  167 lectures    Autres textes du même auteur

Il est des lieux qu'il vaut mieux ne pas visiter.


La grotte


24 Décembre 1966


Quand vous lirez ceci, moi, Axel Xietl, j’aurai quitté ce monde, enfin libéré de ce cauchemar interminable qui débuta il y a dix ans. Je ne sais pas si quelqu’un lira un jour ces lignes, mais je dois laisser un témoignage sur cette horrible malédiction qui a détruit ma vie. L’heure n’est pas encore venue pour que je puisse rendre publics les faits dont je vais témoigner ; l’avancée spirituelle de l’humanité n’est pas assez développée pour croire à ces zones où les esprits supérieurs sont les seuls à pouvoir s’aventurer, à pouvoir s’extraire du matérialisme scientifique balbutiant de notre époque. J’ai donc choisi de confier les faits à ce manuscrit, que vous venez sans doute de trouver dans un lieu bien étrange pour vous ; cela démontre un esprit curieux, et c’est ce qu’il faut.


J’avais toujours ressenti une attirance pour l’étrange, ces choses dont on ne sait pas expliquer l’origine, et que le commun rejette par peur ou par mépris, ces choses que la maigre intelligence communément répandue ne permet pas de concevoir. Ce goût s’accompagnait d’une attirance morbide pour l’histoire des anciennes civilisations mythiques, essayant de trouver au travers de leurs traces dans la littérature, une vérité primordiale que je soupçonnais confusément devoir expliquer la raison de notre présence dans ce monde. J’étais devenu un spécialiste de l’art préhistorique, ne pouvant croire à l’unisson des tenants de la science officielle, qu’il n’y avait pas dans ces signes des messages d’une intelligence qui nous dépassait. Ces inclinations m’avaient peu à peu détourné de mes contemporains que je trouvais dangereusement insouciants, et c’est dans les forêts les plus profondes que je cherchais l’atmosphère propice à la réflexion et au travail intellectuel.


C’est au cours d’une de ces expéditions que je découvris la grotte. C’était dans un sombre vallon oublié, où des arbres plusieurs fois centenaires, aux branches torturées et recouvertes de lianes et de lichens, semblaient comme monter la garde. Les habitants de la région, à l’esprit obtus et dégénéré, avaient essayé de me dissuader d’y pénétrer pour je ne sais plus quelle raison imbécile. Avec le recul, je dois reconnaître que dans la brume visqueuse qu’était leur pensée, ils avaient néanmoins dû ressentir quelques lambeaux de la vérité que leur inculture ne leur permettait pas d’exprimer. Quand on pénétrait dans ce vallon, la lumière semblait disparaître, comme engloutie, pour laisser place à une luminescence verte oppressante ; nul oiseau ne venait troubler la quiétude des lieux, nul animal ne semblait oser venir affronter ce royaume végétal. Je passai plusieurs après-midi à errer sous les frondaisons menaçantes, sentant mon esprit s’ouvrir à des concepts que je n’avais jusque-là qu’effleurés. C’est en fin de journée, l’obscurité tombait, que je découvris la grotte. Je devais reconnaître plus tard que dans mes pérégrinations, je m’étais approché de plus en plus de l’antre, comme attiré par une force inconnue et singulière. L’entrée en était un trou obscur, situé entre deux grands rochers qui semblaient monter la garde et provenir du plus profond du globe terrestre, comme la partie émergée de quelque monstre abject. La lumière semblait fuir l’entrée qui brillait d’un noir de jais, irréelle. Dans le tumulte de ma pensée d’alors, chose funeste, je décidai d’y retourner le lendemain pour explorer ce que je sentais confusément avoir été préservé de l’atteinte de l’homme pendant des millénaires.


C’est avec un équipement réduit à une vieille corde de chanvre, et une antique lampe à carbure qui avait servi dans le passé à travailler au plus profond des mines que je me lançai dans l’exploration de la grotte. Chose étrange, après une dizaine de mètres d’étroit boyau où je dus ramper, la grotte s’élargissait pour former un couloir aux parois lisses visqueuses, au sol uni et dans lequel je pouvais me déplacer debout. C’est dans la lumière tremblotante de la flamme que je vis les premiers dessins. Ils représentaient des animaux et des créatures vaguement humaines, du type de ceux que les ignorants attribuent aux ancêtres de l’homme actuel, voyant dans la représentation des figures anthropomorphes des stylisations d’eux-mêmes. Coupable orgueil qui empêche de voir la vérité sous la surface des choses. J’avais toujours conçu un mépris profond pour ces soi-disant spécialistes. Pour eux, et malgré la précision des détails des figures animalières, ces formes humaines ne pouvaient être que des symboles. J’avais compris moi que c’était la représentation fidèle de ceux qui avaient peint ces fresques.


Au fur et à mesure que je progressais, les figures devenaient de plus en plus nombreuses. Je me trouvais après près d’une heure de marche, pendant laquelle je m’étais constamment enfoncé de plus en plus profondément, dans une vaste pièce circulaire, vide à l’exception de quelques grotesques pierres qui semblaient comme des sièges au milieu même de ce que je ressentis comme étant un temple. Je m’y assis pour me reposer, et étudier les innombrables figures peintes sur les parois, et qui ici représentaient des choses informes, innommables et effrayantes. Quel était le peuple capable d’exprimer autant d’effroi et d’abîme avec des figures apparemment si simples ? Les suivre m’avait plongé dans un état quasiment hypnotique, et je m’assoupis en remarquant que la flamme de ma lampe s’était éteinte, alors que je discernais toujours aussi bien les démoniaques représentations.


Je ne sais combien de temps je restai ainsi assoupi. Je n’avais comme souvenir que des images qui semblaient provenir de rêves ou de cauchemars. Des foules bigarrées et grotesques, un rythme angoissant venant du tréfonds de la terre et qui semblait comme l’expression même de la vie de l’inanimé. De ces images effroyables j’ai essayé en vain pendant tout le reste de ma misérable existence à en former une signification. Et nombre de matins m’ont trouvé épuisé, l’esprit vide, dans mon lit, couvert de sueur, en proie à un délire où je revivais cette funeste expédition.


Quand je me réveillai, la lueur que je croyais avoir perçue avait disparu, j’étais plongé dans des ténèbres impénétrables. Je récupérai la lampe et m’aperçus que le robinet d’alimentation était fermé, chose que je ne me rappelais pas avoir faite. J’avais des allumettes et fébrilement je rallumai la lampe. Le sol autour de moi portait la trace d’une multitude de pas, comme si une foule immense s’était tenue dans cet étroit espace. Les scènes sur les parois produisaient sur mon esprit fatigué un sentiment d’horreur, et je me levai pour m’enfuir. Je butai, à la sortie du temple sur un objet gisant sur le sol et que je n’avais pas jusqu’alors remarqué. C’était un disque de ce que je pensais être de l’ivoire sur lequel était gravé un des hideux personnages des parois. Dans ma fièvre, je le pris et m’enfuis en courant.


C’est hébété, trempé de pluie et de sueur que je me retrouvai le soir même chez moi. Depuis ma vie a été un cauchemar sans fin, et c’est la raison pour laquelle j’ai décidé d’en finir ce soir, et de retourner à ce que j’ai compris être mon vrai destin.


J’avais toujours été taciturne durant la première partie de mon existence ; mes connaissances mettaient cela sur le fait que je n’avais jamais connu mes parents qui m’avaient confié à des cousins avec de quoi survenir largement à mes besoins jusqu’à la fin de ma vie. On n’avait jamais su où ils avaient pu trouver ce trésor de pièces d’or aux motifs étranges, et auxquels je finis par trouver une lugubre ressemblance aux figures de la grotte. Après cette expédition, je devins pratiquement reclus, progressivement je me détachais du peu de relations que j’avais établies, pour me réfugier dans l’étude des innombrables livres de la bibliothèque familiale qui recelait des ouvrages que je pensais uniques. Ce retrait du monde fut aussi favorisé par un changement de l’attitude des gens à mon égard. Quelques mois après ma visite à la grotte, je remarquai dans le regard de ceux qui me connaissaient comme une interrogation muette, qui se transforma petit à petit en des expressions de dégoût ou d’horreur. Je cessais de rechercher toute compagnie quand un des plus fidèles m’interrogea sur la modification de mon apparence physique. Il trouvait que mon visage s’était allongé, ainsi que mes membres, alors que je devenais pratiquement squelettique à force de maigreur. De mon côté je développais une aversion de plus en plus forte à la lumière ; je vivais chez moi avec tous les volets fermés, et je découvris que j’étais capable de voir de plus en plus clairement dans l’obscurité.


C’est hier matin que j’ai dû reconnaître l’évidence. Mon corps a effectivement mué. En me regardant dans le miroir de la salle de bains, je ne reconnus plus l’image qui avait été la mienne pendant des années, j’avais un étranger devant moi. Quand j’examinai mes pieds, je fus saisi d’horreur. Ils s’étaient élargis, et une peau était apparue entre les orteils. Je reconnus alors les traces sur le sol que j’avais remarquées à mon réveil dans le temple.


Demain, aux aurores, je vais retourner à la grotte. Je sais que je n’aurai besoin d’aucun équipement, je rentre chez moi, dans le monde qui a toujours été le mien sans que je le sache. Je sais que je vais retrouver là-bas mes parents, je ne sais si ce sera une vie heureuse ou un cauchemar, mais je serai chez moi parmi mes semblables, pour l’éternité, attendant le moment où nous pourrons reprendre possession de notre terre.


Vous qui lisez ceci, tremblez, votre vie est menacée.


 
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   Cassanda   
2/1/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↓
L'idée est sympa et je me suis laissée prendre dans cet univers au fil de ma lecture.

Quelques petites choses m'ont interpellées et auraient sûrement pu être corrigées lors d'une relecture :
-l'utilisation du mot "imbécile" dans un texte dont le style est très soutenu et qui casse un peu ce dernier,
- bon nombre de répétitions,
- et la formule "semblaient comme monter la garde", où le "comme" me parait de trop et alourdit la phrase.

En tout cas, merci de ce moment agréable,

Cass'

   Lariviere   
2/1/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Cette nouvelle "La grotte" est courte et donne à peine un apercu d'une belle écriture qui est celle de Marogne, apparemment.

Je dis aparemment parce que j'attend de lire un autre récit pour confirmer cette impression, mais c'est vrai que le style de cette nouvelle, teinté de retenu tout "germanique" est de façon générale plutôt bien mené.

L'écriture est maitrisé, dans l'ensemble. Juste une chose, à ce propos :

Je suis entierement d'accord avec Cassanda pour le "comme" superflu qui alourdit une bien jolie phrase du troisième paragraphe : ..."aux branches torturées et recouvertes de lianes et de lichens, semblaient comme monter la garde."

Il me semble que c'est une des rares maladresse dans ce texte et c'est déjà une performance.

Les phrases sont bien construites, la musique est belle.

Au début de la nouvelle, l'accroche où le personnage se permet de parler directement aux lecteurs pour leur dire, sur un ton de confession, qu'il ne sera plus là lorsque ceux ci liront ces lignes, est classique mais efficace et donne dores et déjà, l'envie d'aller plus loin.

Le cheminement et la progression est bonne, même si j'aurais aimé voir ce texte court un peu pus développé pour exploiter tout son potentiel de "réel-fantastique." Je l'ai dit le style froid, soutenu, maitrisé me fait penser au courant allemand du réalisme-magique. Des similitudes aussi avec les écrivains russes du XIX ieme comme Tolstoï ou Dostoïevesky. C'est bien, parce que c'est un style agréable à lire, quand il est maitrisé. C'est le cas ici.

La narration nous entraine sans nous heurter dans de belles descriptions, à la fois sobres et évocatrices (j'ai particulièrement aimé la découverte de la grotte). Les premiers paragraphes où le décor "psychologique" de l'homme où apparait en filligrane, sa relation à son milieu et ses semblables me plait particulièrement aussi. Elle me semble cohérente et pourvu d'une certaine densité de réflexion.

Si bémol il y a, c'est que justement vu le style aisé, j'aurais aimé voir sur le fond (de la grotte ?) une intrigue plus haletante encore. Je l'ai dit d'abord par un développement plus important, mais aussi par un thème peut être plus palpitant, ou en tous cas un traitement plus étoffé. L'idée de cet homme et de cette grotte me semble juste suffire à créer un postulat à une véritable dégradation "existentielle" du personnage. Ceci est fait trop rapidement à mon gout, ici... J'aurais aussi aimé voir toute les possibilités fantastiques que crée l'atmosphère de la grotte se développer pleinement, peut être même en rendant la chose tellement palpable et puissante, que le personnage en ressorte très éprouvé...

Je suis sur que le développement de ce récit aurait donné quelque chose d'encore plus puissant...

En conclusion une belle nouvelle dans un style plaisant et maitrisé, qui aurait, je pense, gagnée à être développer davantage pour être plus palpitante...

Merci pour ce petit moment de lecture.

PS : Merci Macalys pour ton post en dessous. J'ai rectifié. Je ne pensais pas effectivement que la nouvelle datait de 66, mais il y a eu une confusion avec le titre "La grotte". Autant pour moi...

   macalys   
2/1/2008
Une petite remarque de correctrice : attention, cette nouvelle n'est pas de 1966, elle est beaucoup plus récente (24 décembre 2006 il me semble), mais lors de la correction on supprime la date et le titre de la nouvelle (pas les titres intermédiaires, de chapitre par exemple), pour ne laisser que le texte.

Mais ici, si la confusion est possible, il faudra peut-être rétablir la date véritable.

   james   
7/1/2008
Pendant la lecture de ce texte je n'ai pas pu m'empêcher de penser à Lovecraft. Ce texte s'inscrit dans la droite lignée de cette littérature. On est saisi par ce texte, la façon dont il est construit, par l'écriture et surtout le rythme. Par contre je supprimerais volontiers la dernière phrase "Vous qui lisez..." Elle n'a pas lieu d'être de mon point de vue. A ranger parmi les meilleurs textes que j'ai lues sur ce site.

   Anonyme   
8/1/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bien écrit. Bien mené, haletant du début à la fin, style dynamique. Bon texte. Un bon moment de lecture

   widjet   
6/5/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Plus courte que "les peintures rupestres" mais bénéficiant des mêmes qualités (descriptives, narratives et d'ambiance) et aussi des mêmes défauts à savoir la difficulté de faire basculer le lecteur dans un plus grand effroi....La faute à (je pense) un problème de dosage, un trop plein de déséquilibre entre le descriptif/narratif au détriment de quelque chose de plus "rythmée" ou de plus "sensationnel". Je ne sais pas comment l'exprimer mais le rythme parfois trop indolent finit a force par "normaliser" un évènement extraoirdinaire (le manque de "!" y fait aussi). On lit sans toujours se rendre compte du côté hors norme de ce qui se trame...)
Je suis pas certain d'être clair....Désolé.

En tout cas cela reste comme d'hab de bonne facture avec un gout prononcé pour le fantastique/paranormal

Widjet

   kakoufo   
16/6/2008
 a aimé ce texte 
Bien
L'ombre de Lovecraft plane sur cette nouvelle.

Entre ceux qui ont du sang de profonds dans leur veines et que l'océan rappelle et ceux dont les ancêtres se sont commis dans d'ignobles rituels qui les raménent vers des états primitifs ... voici Axel. Comprenne qui pourra !

En une petite nouvelle on a un condensé d'un des sujets de predilection du maitre : le retour vers un état antérieur de l'humain.
Le format court plaira sans doute au non-initiés qui s'attacheront surtout au style, mais je trouve que pour ce genre de theme le passage se fait trop vite et n'à pas le temps de donner toute sa saveur.

Par contre le "Vous qui lisez ceci, tremblez, votre vie est menacée" est de trop et casse l'ambiance.

   xuanvincent   
17/6/2008
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai de nouveau apprécié cette histoire de marogne, dont le thème est proche de "Les peintures rupestres".

L'histoire me paraît bien écrite, peut-être même presque un peu trop par moments.
Petit détail : "visqueuse" est utilisé à la fois pour les parois de la grotte et pour l'esprit obtus des gens de la région.

J'ai apprécié le début, prenant. Egalement la progression vers le fantastique (qui effraie).

La fin m'a plu (un peu moins la dernière partie du final).

   Selenim   
30/4/2009
 a aimé ce texte 
Bien
A la recherche des écrits de Axel Litxen/Xietl après l'excellente Lettre à HP, je suis tombé sur La grotte.

Premier constat. Nous sommes en 1966, quarante années après les évènements de Modane. Litxen est définitivement Xietl.

Ce texte est antérieur, du moins pour la publication, à Lettre à HP.

On se retrouve plongé dans ce monde malsain avec plaisir.

Des souvenirs de nuits blanches me reviennent, accroché à ma feuille de perso, essayant de survivre face à l'horreur des Grands Anciens, déambulant dans les ruelles putrides d'Arkham.

Cthulhu est à l'œuvre et son ombre plane sur ce texte.

Brrrrrrr.

Selenim


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