(1) l’origine
Mathieu attendait dans l’espace exigu qu’il avait appelé la salle de contrôle. Il regardait attentivement l’écran qui scintillait, attendant de voir se réaliser ce pour quoi ils s’étaient lancés dans cette incroyable aventure. Si tout se passait comme prévu, à partir de minuit on devrait voir apparaître toutes les cinq minutes un nouveau point lumineux indiquant l’ouverture d’une nouvelle porte, et le mécanisme serait enclenché. Pour le moment, seule la porte dans laquelle il se trouvait était représentée. Il avait encore une heure à attendre ; il savait que Marc était sur place ainsi qu’Aurélie ; Jean-Baptiste, qui avait eu la destination la plus difficile, devait être encore en chemin. Ils faisaient une bonne équipe tous les quatre, et avaient su conjuguer leurs capacités et leurs savoirs. Mais qu’avaient-ils trouvé ? Ils devraient le savoir bientôt. Au fur et à mesure que l’échéance approchait, il ne pouvait s’empêcher de commencer à redouter le moment où toutes les portes seraient activées. Une angoisse sourde, sans doute causée par l’exiguïté de la pièce et la solitude, montait en lui. Avaient-ils eu raison de céder à leur curiosité ? De toute façon il était trop tard, et pour ne pas céder à l’impatience, il se remémora le début de leur histoire, six mois auparavant.
Tout avait commencé dans la bibliothèque de l’Institut de Paléontologie Humaine à Paris. Pour finir le mémoire qu’il préparait, il avait pu, grâce à l’entremise du professeur Hugues de Querrois, venir consulter quelques ouvrages sur l’art lithique du désert du Sinaï de la période de l’Âge du Bronze. Par hasard, il était tombé sur un ouvrage représentant une coupe de la pyramide de Chéops, montrant les galeries et les chambres mortuaires. Il griffonnait sur un papier quelques croquis quand une voix le fit sursauter.
- Bonjour jeune homme ! Étrange lieu pour s’intéresser à l’égyptologie ? Ici c’est plutôt sur des époques beaucoup plus anciennes que l’on travaille généralement. - Bonjour. Oui, je travaille d’ailleurs sur la période de l’Âge du Bronze, mais j’ai été attiré par cet ouvrage, et je m’émerveillais sur la pureté géométrique de ces monuments. - J’étais venu pour cet ouvrage justement car il est connu pour la précision de ses plans. J’en ai besoin pour une expédition que j’organise cet été pour faire des relevés suivant une nouvelle technique. Je suis le professeur Jean Courtois. - Enchanté, je m’appelle Mathieu. Je suis étudiant à l’école normale. Vous allez utiliser une nouvelle technique, de quoi s’agit-il ? - C’est une méthode qui a été mise au point par un des professeurs de votre école, Éric Mongolfier, vous le connaissez ? - Oui, c’est un physicien. Je suis étonné qu’il travaille sur ce type de sujet. - On développe aujourd’hui des méthodes d’études transverses pour bénéficier de nouveaux angles de vue. Il s’agit de quelque chose de relativement simple. Éric Mongolfier a proposé d’utiliser un nouveau type d’appareil très léger et maniable, capable de produire des rayons électromagnétiques, pour faire des « scanner » de monuments. Il a développé le matériel et les algorithmes nécessaires à l’interprétation des données. Nous avons fait des tests sur quelques monuments en France, et nous sommes prêts pour une campagne en Égypte cet été.
À son retour à l’école, Mathieu sollicita un entretien avec Éric Mongolfier, son professeur principal. Après quelques semaines plus rien ne lui était étranger de cette nouvelle technique ; le professeur, flatté de l’intérêt que Mathieu portait à son invention, lui avait proposé de participer à l’optimisation des logiciels d’analyse qui devaient être adaptés pour pouvoir traiter l’énorme flux de données qui allait être collecté sur un monument de cette taille. De ce travail en commun naquit une certaine amitié, et c’est presque naturellement que le professeur proposa à Mathieu de participer à l’expédition. Quinze jours après, il arrivait au Caire.
De la grande cité méditerranéenne il ne vit pas grand-chose, tout excité par l’impatience de commencer au plus vite. La première chose à faire sur place fut d’installer tout autour de la pyramide six grands mats sur lesquels les focaliseurs de rayons se déplaceraient en séquence pour couvrir tout le volume de la pyramide. Les rayons seraient produits dans un laboratoire spécialement installé dans un container, l’énergie étant fournie par la décharge d’accumulateurs qui avaient été mis en charge depuis déjà un mois. En effet, la puissance nécessaire était énorme, et les lignes électriques de la région n’auraient pas pu supporter une telle demande. Au-dessous des focaliseurs, ils installèrent sur chaque mat des récepteurs qui permettraient d’enregistrer les signaux après leur traversée du monument. Mathieu avait été chargé d’installer le système informatique qui enregistrerait les données et qui procéderait à une première analyse rapide pour en vérifier la pertinence, et éventuellement modifier le protocole de l’expérience. Une semaine de travail fut nécessaire pour tout mettre en place, et ils finirent juste à temps pour profiter du créneau offert par les autorités du site.
Les mesures se déroulèrent sans problème, même si on craignit à un moment de ne pas avoir suffisamment d’énergie pour terminer. Mathieu avait proposé que des séquences de tir soient refaites en modifiant très légèrement les angles d’attaques. Il ne savait pas exactement ce qui le gênait dans les images reconstituées par l’ordinateur, mais il avait convaincu.
Toutes les mesures furent terminées le jeudi soir conformément au planning initial. Le vendredi avait été réservé pour le démontage du matériel. La journée avait été bien remplie, et c’est exténués qu’ils se retrouvèrent le soir à leur hôtel. Il était prévu de passer le week-end sur place avant de rentrer à Paris, un peu de détente après le labeur.
Mathieu passa une mauvaise nuit. Il ne pouvait pas chasser de son esprit les images de l’intérieur de la pyramide reconstruites par l’ordinateur. Elles défilaient sans cesse, tournoyaient en un flamboyant maelström de couleurs et de formes. Quelque chose était là, quelque chose qu’il ne voyait pas. Le matin, avant d’aller prendre le petit déjeuner sur la terrasse, il se remit devant son écran. Ses efforts furent vains, et c’est de mauvaise humeur qu’il rejoignit ses camarades au buffet.
- Alors Mathieu, tu as passé une bonne nuit ? - Elle aurait pu être meilleure. Je n’ai pas arrêté de penser à la pyramide. J’ai l’impression d’être passé à côté de quelque chose. - Allons, allons ! C’est simplement le plaisir d’avoir obtenu de magnifiques relevés. As-tu remarqué l’extraordinaire précision des détails ? On distingue presque chaque pierre de la maçonnerie. En particulier, le toit de la chambre haute est rendu de façon extraordinaire. Le travail qui a été exécuté par les bâtisseurs de ce monument est d’une rare perfection ; ce toit est d’une homogénéité étonnante. On dirait qu’ils ont voulu que de quelque côté que l’on regarde, la construction apparaisse de la même manière, alors qu’elle est cachée sous des dizaines de mètres de pierres.
Mathieu marqua un temps d’arrêt, son verre de jus de mangue à la main. Il regardait fixement Jean Courtois comme pour lire sur son visage la solution à un problème. Il partit en courant à l’intérieur de l’hôtel. Il en revint cinq minutes après avec son ordinateur.
- Regardez, voilà ce qui n’allait pas. Au-dessus de la chambre, quel que soit l’angle de vue, il y a le même arrangement de pierres. Ce n’est pas possible à ce degré de précision là. On dirait le même dessin reproduit plusieurs fois. - Ne crois-tu pas que ce pourrait être un défaut du logiciel ? - Non, cela forme comme une zone cylindrique, à l’extérieur on distingue des irrégularités dans la façon dont les blocs ont été posés. Si ce n’était pas impossible, je dirais qu’il y a là quelque chose qui nous empêche de voir l’intérieur de ce cylindre ; mais rien ne peut arrêter les rayons que nous avons utilisés. - Est-ce que ce pourrait être le même type de phénomène que ce qui est utilisé dans les avions pour effacer le bruit des réacteurs et du vent, quelque chose qui créerait des rayons du même type que ceux que nous avons utilisés, et qui les renverrait après les avoir modifiés de façon à les brouiller ? - On ne sait pas faire cela. Je n’arrive pas à concevoir par quelle technique un tel effet pourrait être réalisé. Et puis il faudrait de l’énergie. Et il n’y a pas de source d’énergie à l’intérieur de la pyramide. - Écoute, notre permis d’exploration court encore pour aujourd’hui, et la pyramide est fermée au public pour je ne sais plus quelle raison. On sait parfaitement où se trouve ce cylindre. Il est juste au-dessus de la chambre haute, et très proche de la paroi de la galerie si on en croit les mesures. Allons voir ! Nous aurons peut-être la possibilité de comprendre.
Peu de temps après ils se trouvaient au pied de la pyramide, encore une fois écrasés par sa monumentalité, mais aussi excités par la passion de l’aventure. Étaient-ils sur le point de faire une découverte historique ? Arrivés à l’entrée de la chambre haute, ils empruntèrent la galerie d’évacuation qui débouche sur une des faces de l’édifice. D’après les cartes qu’ils avaient imprimées, la zone singulière était à portée de main. Ils explorèrent minutieusement le passage, et hors quelques gravures, ne virent rien de particulier.
- Professeur, est-ce que vous connaissez ce hiéroglyphe ? Il est étrange. - Laisse-moi le voir de plus près s’il te plaît. Éclaire-moi ! C’est en effet bizarre, ce n’est pas un hiéroglyphe, on dirait plutôt un signe de reconnaissance. Attends que je distingue mieux, on dirait la représentation d’un globe en perspective, avec la superposition d’un tétraèdre irrégulier, ou alors un masque le nez, les yeux et la bouche. La gravure me semble aussi ancienne que la construction.
En disant cela, Jean Courtois passait ses doigts sur l’étrange signe, comme s’il voulait le tracer à la manière sophistiquée de l’écriture des caractères chinois. Soudain un bruit sec se fit entendre. Une porte s’était ouverte dans la maçonnerie juste devant eux, à la hauteur de la gravure. Ils y entrèrent sans prendre le temps de réfléchir, la porte se referma.
Il régnait dans la pièce une étrange luminescence bleutée qui permettait de distinguer son contenu. Une colonne surmontée d’un plateau translucide était placée au milieu, un tabouret accolé à la paroi supportait un petit coffre ; sur la paroi cylindrique, un cadre rappelant un écran se devinait. En face de l’écran se trouvait un panneau rempli de signes rappelant de très anciens hiéroglyphes. Mathieu et Jean Courtois restèrent un moment sans plus oser bouger, les yeux rivés sur ce qu’ils voyaient, le souffle coupé. Le professeur se rapprocha du panneau de signes pour essayer de les identifier. Mathieu se déplaça vers le coffre, l’ouvrit. À l’intérieur il y avait quatre cristaux roses, de forme rhomboédrique. Ils semblaient faits d’une matière rappelant le verre. Inconscient sans doute, il en prit un, le soupesa. L’objet était très léger. Il le reposa, et allait vers le piédestal quand le professeur l’appela.
- Mathieu, je crois que certains de ces signes ont une lointaine parenté avec les plus anciens hiéroglyphes que nous connaissons. Je peux en décrypter quelques-uns. Il est question du chiffre quatre, et d’une porte… Ce signe-là représente le voyage… Ici, il faut rassembler les quatre clés… Non ! Pas les clés, mais les quatre cristaux, ou alors les cristaux sont des clés. - Il y a quatre cristaux dans le coffre, est-ce que ce pourrait être les clés ? - Attends ! Il faut placer les clés dans leurs berceaux… Les berceaux sont dans des endroits différents… Le temps est important… Il faut les placer en même temps dans leurs berceaux. - Est-ce qu’il y a une description des berceaux ? Est-ce que les lieux où sont les berceaux sont indiqués ? - Je ne vois rien sur les berceaux, ou je ne connais pas les signes. Je ne peux en deviner qu’un sur deux… Il me semble qu’ici il y a une description des lieux mentionnés… Oui, il y quatre lignes, et devant chacune, le signe du berceau. Pour le premier, un soleil ; pour le deuxième, un soleil et une lune ; pour le troisième, la nuit ; et enfin pour le quatrième, simplement une porte. - Professeur, venez voir ici ! Le plateau sur le piédestal ! Il est creusé en son milieu, il pourrait bien accueillir un des cristaux. - Essayons, prends-en un. - Est-ce que vous pensez que c’est prudent ? On ne sait rien de leur usage. - Essayons, tout semble avoir été préparé pour être utilisé facilement ; ce texte est comme un mode d’emploi. Ce ne peut pas être dangereux.
Mathieu prit un des cristaux, et le déposa délicatement sur le plateau. Il s’y adaptait parfaitement. Après quelques secondes, il devint lumineux, et le panneau sur la paroi s’illumina. Le signe découvert à l’entrée, le globe et son tétraèdre, apparut sur l’écran, un des sommets était lumineux, les autres seulement suggérés. Le signe du soleil apparaissait à son côté.
En fin d’après-midi, Mathieu et le professeur étaient de retour à leur hôtel, perdus dans un silence pesant. Dans son sac Mathieu avait trois cristaux. Ils avaient découvert la porte du soleil, la pyramide de Chéops.
(2) En Amérique centrale
Mathieu, Marc, Aurélie et Jean-Baptiste étaient affalés dans les fauteuils du salon des parents d’Aurélie, dans leur appartement du boulevard Saint-germain. Ils étaient en vacances en Indonésie, et les quatre camarades pouvaient en profiter à leur aise. Ils s’étaient rencontrés en seconde au lycée Charlemagne, et depuis ne s’étaient plus quittés bien qu’ils n’aient pas tous suivi le même parcours. Ils partageaient un goût commun pour l’histoire et la littérature.
Mathieu, grand, mince, la mèche rebelle, et l’air d’être constamment en train de penser à autre chose était le scientifique de la bande. Il ne savait pas exactement encore ce qu’il allait faire, et hésitait entre un métier d’ingénieur, et une carrière dans la recherche et l’enseignement.
Jean-Baptiste était le sportif ; passionné de rugby, il ne jouait plus, mais des années de pratique lui avaient donné une carrure impressionnante qui en faisait le compagnon idéal lors de virées nocturnes. Il avait choisi d’enseigner la physique dans un lycée, ce qui lui laissait amplement le temps de faire du sport et de travailler sur l’histoire des Mayas, passion qu’il s’était découverte lors du voyage qu’ils avaient fait tous les quatre au Mexique deux années auparavant.
Marc était le littéraire. Il avait commencé des études de journalisme, et avait déjà décroché de nombreuses piges dans des journaux, dont un grand quotidien national. Il excellait à faire des rapprochements amers entre la vie politique contemporaine et ce qui s’était passé dans l’histoire, apportant une touche toujours vaine à ce qui passionnait le moment.
Aurélie, après avoir suivi quelque temps des études de mathématiques, avait décidé qu’elle serait archéologue. Elle voulait appliquer à cette science la puissance des outils mathématiques pour identifier l’ordre et le sens dans ce qui semblait être le hasard. Grande, brune aux yeux bleus, elle ne laissait personne indifférent. D’allure frêle, elle était néanmoins d’une grande résistance, et accompagnait ses trois camarades dans toutes leurs expéditions, jusqu’au trek qu’ils avaient fait l’année précédente dans l’Himalaya.
C’était le début du mois d’août, et ils s’étaient donné rendez-vous pour boucler leurs préparatifs de voyage au Pérou. Un mois de montagne et de visites de sites archéologiques, tout ce qui les passionnait. Mais ce n’était pas du Pérou qu’ils discutaient en cette fin d’après-midi, mais de l’Égypte. Mathieu leur avait raconté les faits d’un ton froid et professionnel, se gardant de laisser apparaître l’excitation qui le remplissait d’impatience. Si ses camarades avaient au début montré un intérêt certain à sa relation, ils étaient manifestement en train d’hésiter sur la façon d’interpréter son histoire. Il lui fallait apporter une preuve, et il sortit de son sac les trois clés en cristal. Elles scintillaient dans ses mains et n’avaient rien perdu de leur étrange luminescence.
- Voici les cristaux qui étaient dans le coffre, j’en ai pris trois, laissant celui qui semblait destiné à la pyramide sur place ; si comme je le crois ils correspondent chacun à un lieu différent, et doivent être utilisés au même instant, il n’était pas utile de l’emporter, il faudra y retourner pour s’en servir.
Chacun de ses trois camarades prit une des clés, et l’observa à la lumière déclinante. La fascination qu’il avait ressentie là-bas se reproduisait chez eux. Ils ne pouvaient en détacher leurs yeux, cherchant à comprendre et à nommer ce qu’ils avaient entre leurs mains.
- J’ai fait appel à plusieurs spécialistes en minéralogie, et aucun n’a pu me dire l’origine de ces cristaux ; ils considèrent que ce sont des objets manufacturés, mais ne peuvent imaginer quelle technique a été utilisée. Nous n’avons bien entendu rien tenté qui puisse les détériorer ; leur dureté est supérieure à tout ce que l’on peut trouver sur terre. Le diamant ne les raye pas. - Avez-vous remarqué – dit Jean-Baptiste – l’impression étrange de chaleur qui s’en dégage. Est-ce qu’ils pourraient être radioactifs ? - Non, ils ne le sont pas, je l’ai fait vérifier. En fait, leur température semble constante, et n’a pas varié depuis l’intérieur de la pyramide ; c’est comme s’ils étaient insensibles au milieu ambiant. Ils restent à vingt-cinq degrés exactement. - Tout cela est passionnant, intervint Aurélie, ce sont de véritables œuvres d’art, voyez la pureté des angles et le poli des faces, et surtout cette lumière qui semble sourdre de la matière elle-même. Il faut absolument que nous trouvions les autres chambres secrètes. Est-ce que tu penses Mathieu que le glyphe que vous avez découvert, ainsi que les commentaires décryptés par le professeur, pourraient nous indiquer où elles se trouvent ? - Ce ne peut être que ça, rajouta Marc, d’après ce que Mathieu nous a dit, tout a été fait pour que des personnes puissent se servir de ces cristaux, quel que soit leur usage. Et il fallait qu’ils s’en servent en même temps dans les quatre lieux, l’écran dans la chambre doit permettre de contrôler ce qui se passe dans les autres, sans doute très éloignés de la pyramide. - Oui, c’est ce que je pense, répondit Mathieu, si on suppose que la sphère représentée par le glyphe est le globe terrestre, le point central se trouve bien à la latitude de la pyramide de Chéops. Il ne reste plus qu’à localiser les autres. - C’est une représentation en perspective, il n’est pas évident de placer les autres points sur des lieux précis, mais je dirais que l’un d’entre eux semble être en Amérique centrale, sans doute au Mexique ; je mettrais le deuxième, celui sur la droite, en Chine. - Attendez ! Le soleil et la lune étaient mentionnés pour qualifier un des sites ! Est-ce que cela ne vous dit rien ? Rappelez-vous notre voyage au Mexique, dit Aurélie. - Teotihuacan ? - Oui, l’allée des morts, la pyramide du soleil et la pyramide de la lune, des monuments dont l’architecture est très proche de ce que l’on voit en Égypte Il y a même des théories qui considèrent que ce sont les mêmes peuples qui ont construit ces monuments malgré la distance et l’océan qui les séparent. Et puis, il s’agit aussi d’un tombeau.
Un moment de silence s’établit, chacun réfléchissant aux conséquences de ce qui venait d’être dit. Ils sentaient être au bord d’une découverte formidable, alliant histoire et science, à la frontière du possible. Quelle avait été la civilisation capable de réaliser ces chambres, car ils étaient persuadés qu’il y en avait quatre, ces étranges clés et le mécanisme qu’elles semblaient commander ? Étaient-ils encore là ? À quoi pouvaient bien servir les clés ? À les appeler ? À découvrir d’autres manifestations de leur puissance, de leur savoir ? Ce fut de toutes ces questions qu’ils débattirent le soir, dans un restaurant grec du Quartier Latin. C’était, sans qu’ils eussent besoin de l’exprimer, devenu leur projet commun ; ils se lançaient dans la découverte du pourquoi et du comment de ce que le hasard avait mis à leur portée.
Le lendemain ils changèrent leurs billets, et réservèrent quatre places sur le premier vol pour Mexico
L’entrée sur le site de Teotihuacan est toujours une expérience à couper le souffle. Ils arrivèrent par l’entrée située face au temple de Quetzalcóatl, et sur leur gauche l’allée des morts se déployait, majestueuse, avec tout au fond, minuscule malgré sa taille gigantesque, la pyramide de la lune. Il était facile d’imaginer sur toute la longueur de l’allée des milliers de ces Indiens dont le nom même a été oublié, acclamer leurs armées, ou les processions religieuses, au milieu des temples colorés en rouge, en bleu, en jaune. Quand les Aztèques conquirent la lagune de Mexico, on ne savait déjà plus quel était le peuple à l’origine de ces constructions. Frappés d’admiration, ce ne pouvait être pour ces hardis bâtisseurs eux-mêmes, que l’œuvre de dieux.
Ils empruntèrent la voie jusqu’à la place de la lune, laissant sur leur droite la majestueuse pyramide du soleil et sa chambre mortuaire récemment découverte, visitèrent le palais du Quetzal papillon, traversèrent le temple du jaguar et admirèrent les perroquets des fresques du temple des escargots à plumes. Vers midi, ils étaient au sommet de la pyramide du soleil, essayant d’imaginer comment progresser dans leur recherche.
- Si on peut croire à un parallèle entre ce que tu as vu en Égypte et ce site, on pourrait faire l’hypothèse que la chambre secrète se trouve au sein de cette pyramide, à proximité de la chambre mortuaire qui vient d’être découverte. Il ne reste donc plus qu’à trouver comment y pénétrer, intervint Aurélie. - Mais à Chéops, j’ai été aidé par la découverte d’un glyphe qui marquait l’entrée de la chambre. Ici, les peintures sont relativement rares. À part celles que nous avons vues tout à l’heure, je n’en connais pas d’autres ; et dans celles-ci, je n’ai rien vu qui se rapproche du globe terrestre et des quatre sites, répondit Mathieu. - Si glyphe il y a, il est peut être à proximité immédiate de la chambre, il faudrait pénétrer dans la galerie mise à jour, et inspecter les parois. Malheureusement, la visite n’est pas libre, et j’ai compris que pour le moment, pour des raisons de sécurité, les touristes n’y sont pas admis. - En effet, Marc – intervint Jean-Baptiste, mais vous avez vu en bas à droite, les palissades. Je crois bien que c’est là que se situe l’entrée du couloir. On peut y pénétrer, il suffit de les sauter. C’est dimanche, il ne doit pas y avoir de chercheurs en ce moment. J’ai apporté un passe, si l’entrée est fermée par une serrure ou un cadenas, je dois pouvoir l’ouvrir. - Oui, il faut essayer, dit Mathieu, mais il y a encore trop de monde, il faut attendre d’être plus près de l’heure de fermeture. On pourrait aller vers le musée, il y a des cactus magnifiques si je me rappelle bien. - On pourrait en profiter, dit Aurélie, pour aller visiter le dernier palais ouvert au public. Il est situé en limite de site. J’en ai vu quelques photographies sur internet, il y a des fresques vraiment étonnantes, c’est le palais de Tepantitla.
Les quatre camarades descendirent les dangereux degrés, Jean-Baptiste en courant, Mathieu aidant Aurélie, pour gagner l’arrière de la pyramide, et se diriger vers l’entrée nord-est du site. Il fallait marcher près de trois quarts d’heure pour atteindre le nouveau palais, et les touristes étaient rares. C’est pratiquement seuls qu’ils entrèrent dans l’enceinte de ce qui rappelait une petite ferme. Dès qu’ils pénétrèrent dans la pièce principale, ils furent frappés par la magnificence des fresques. Des multitudes de représentations humaines y figuraient, évoluant dans ce qui semblait être une cité, occupées à des tâches usuelles : jardinage, récolte des cactus, processions, chasse au papillon, combats de rue, écartèlement… Au milieu du mur principal figurait la montagne de la création, le Tlalocan. C’est en s’approchant de ce motif qu’Aurélie et Mathieu poussèrent presque simultanément un cri de surprise.
- Regardez, venez vite, s’exclama Aurélie ! Au milieu de la montagne, le glyphe de Mathieu.
La montagne était représentée par une pyramide ; par son sommet surgissait un petit personnage, comme propulsé dans les airs, après en avoir traversé l’intérieur depuis son centre. Deux routes ou tunnels semblaient rejoindre le lieu central, provenant de la droite et de la gauche et peuplés de figures. Autour de la zone centrale, un anneau complexe, représenté de la même façon que les tunnels, encerclait le point d’où partait la voie menant vers le sommet. Au milieu de la scène, incongru, le glyphe trouvé dans la chambre secrète de Chéops marquait le point de convergence même de l’ensemble de la construction.
Mathieu porta la main à son veston, et en sortit le cristal qu’il avait amené, les autres avaient été laissés à Paris.
- Dès que nous nous sommes approchés de cette figure, j’ai senti comme une pulsation au niveau du cristal, et une augmentation de température. Regardez comme il est devenu brillant, il émet de la lumière, et d’autant plus qu’on l’approche de la fresque. - Pose-le sur le glyphe, Mathieu, demanda Marc.
Mathieu s’exécuta, et dès que le cristal eut touché la paroi, celle-ci se déroba, et ils se trouvèrent devant une volée d’escaliers qui descendait dans l’obscurité. Il n’y avait personne avec eux dans la pièce, sans réfléchir davantage, ils s’y précipitèrent. Dès qu’ils furent tous à l’intérieur, la paroi se reconstitua.
Le cristal émettait maintenant une lumière continue qui leur permettait de progresser. D’après Jean-Baptiste, qui avait toujours eu un sens de l’orientation très développé, ils se dirigeaient vers la pyramide du soleil. Au bout de quelques centaines de mètres, leur marche fut interrompue par une paroi portant en son centre le glyphe. Mathieu posa le cristal sur la figure, et ils se retrouvèrent dans une pièce circulaire, construite sur le modèle de celle que Mathieu avait trouvée à Chéops. Il n’y avait pas de coffre à cristaux ici, mais bien une colonne au centre. Mathieu, presque par réflexe, posa son cristal sur l’emplacement creusé à son sommet.
Devant leurs yeux ébahis, la pièce s’illumina, un écran se dessina, reproduisant encore une fois le symbole ; le point de gauche, celui où ils se trouvaient, brillait d’un éclat bleu, juste à côté deux hiéroglyphes, un représentant le soleil, l’autre la lune. Derrière eux, juste en face de l’écran, un portique se dessina sur la paroi.
- Pour l’écran, c’est exactement comme en Égypte, confirma Mathieu, mais là bas, il n’y a pas eu apparition d’une porte comme celle-ci. - Et bien, empruntons-la, puisque porte il y a, dit Jean-Baptiste ; et à peine eut-il fini qu’il disparut dans la paroi. Quelques secondes plus tard, il réapparut, son visage reflétant la plus extrême stupéfaction. - C’est incroyable. Je me suis retrouvé dans la chambre de Chéops. Cette porte y conduit instantanément ; et ça marche dans les deux sens. - Ils empruntèrent tous l’étrange porte plusieurs fois. Rien n’était perceptible, aucune sensation de mouvement. Un instant ils étaient au Mexique, l’autre instant en Égypte
Pour vérifier s’ils étaient vraiment sur le continent africain, Marc s’aventura hors de la chambre. Il revint quelques minutes après, et leur montra sur l’écran de son appareil photo numérique, la grande galerie. Ils comprenaient maintenant la signification de la fresque par laquelle ils avaient pénétré dans cette chambre. Ils avaient trouvé la chambre centrale et la deuxième porte, restaient à trouver la troisième ainsi que le point d’arrivée. Et alors ils sauraient.
Le soir même, ils faisaient leurs bagages pour rentrer à Paris.
(3) Dans l’empire
Le pianiste interprétait une pièce de Scott Joplin ; l’acoustique n’était pas fameuse dans cet immense espace, mais la musique accompagnait parfaitement la perspective majestueuse qui s’ouvrait sur les immeubles illuminés de l’île de Hong Kong, soulignée par la saveur, d’un Lagavulin, un des meilleurs purs malts. Le bar du Régent était l’endroit idéal pour profiter de cette vue, dans une ambiance sophistiquée, et à l’abri de cette chaleur lourde et humide qui règne l’été sur la presqu’île. Marc les avait décidés à faire cette escale pour allier le plaisir du tourisme à leur quête, et pour voir de leurs yeux comment cette ancienne colonie britannique avait rejoint le monde de la Chine populaire. Ils prendraient le lendemain un vol de China Air pour Xi’an.
De retour à Paris, ils avaient travaillé sur la localisation de la troisième chambre. Elle devait se situer en Chine, et plutôt dans le centre, bien qu’il fût difficile de relever avec précision les coordonnées exactes du lieu sur le glyphe qui était maintenant le plan de leur recherche. Ils avaient eu des difficultés pour allier « la nuit » à un emplacement précis. Aurélie avait fait remarquer que pour les deux autres emplacements, les chambres avaient été construites dans des monuments « historiques », quoiqu’anciens, et chaque fois il s’agissait d’une pyramide. Il fallait donc chercher en Chine des équivalents. Les montagnes sacrées du Sichuan, le mont Emei, le bouddha de Leshan, avaient été abandonnés, de même que la cité interdite ou le palais d’été. Les constructions chinoises avaient été traditionnellement érigées en bois, et peu avaient survécu aux agressions du temps et des hommes. C’est dans cet oubli des acquis matériels du passé qu’il fallait chercher, d’après Marc qui s’enflammait sur le sujet, la facilité des Chinois à faire table rase et recommencer dans de nouvelles voies. Il avait suggéré de chercher autour de l’idée de l’ensevelissement, un tombeau pouvait véhiculer l’idée de la nuit, et pouvait avoir subsisté au travers des âges. Ensevelissement, tombeau, pyramide, c’est tout naturellement qu’ils décidèrent d’aller à Xi’an, là où se trouve le tombeau du premier empereur de Chine, sous une colline en forme de pyramide.
Xi’an est une des rares grandes villes chinoises à avoir conservé son rempart. De forme carrée, aux rues tracées en lignes droites et formant un maillage régulier, Xi’an conserve ce que l’on appellerait en Europe un charme médiéval. C’est sans doute oublier que ces murs surmontés de tours semblables à des palais, aux toits richement décorés, avaient pour utilité première la chose militaire. Xi’an est aussi la dernière grande ville de la route de la soie, là où les marchands musulmans venaient livrer leurs marchandises exotiques et d’où ils repartaient chargés des trésors de l’artisanat, dont la précieuse soie dont le secret fut gardé jusqu’au passage de Marco Polo. C’est une des rares villes où la nourriture emprunte à la cuisine du Moyen-Orient, où le mouton supplante le cochon si répandu dans la cuisine chinoise. Le soir de leur arrivée, c’est dans le plus fameux restaurant de raviolis qu’ils allèrent dîner, vingt-quatre variétés y étaient au menu, de quoi permettre d’avoir le temps d’affiner leur plan pour le lendemain.
Autant au Mexique, ils avaient une piste, même si elle s’était révélée en partie fausse, autant ils étaient ici dans le noir complet. Ils n’avaient qu’une connaissance très superficielle des monuments de Xi’an. Comme tout le monde, ils avaient vu les images de l’armée enfouie, et s’étaient étonnés du travail qu’avait représenté la fabrication de ces milliers de personnages, chacun ayant un visage différent. Il allait falloir avancer pas à pas, et la première étape serait une visite guidée du site, avec l’objectif de recueillir autant de renseignements que possible.
Le site est assez proche de la ville, et ils y arrivèrent en début de matinée. Il n’y avait que l’embarras du choix pour organiser une visite guidée, et c’est avec « Fleur de Lotus » qu’ils se dirigèrent vers la fosse principale.
- Le site a été découvert en mille neuf cent soixante quatorze, par hasard. Vous verrez d’ailleurs à la sortie, dans la librairie, le découvreur lui-même qui pourra vous dédicacer un livre. C’était un paysan qui labourait son champ, et qui buta sur un des soldats que nous allons voir. Le lieu de sa trouvaille a été dégagé, il constitue la fosse numéro un, la plus grande. Depuis, plusieurs autres fosses ont été trouvées. Voilà, nous sommes à la fosse principale. Voyez ces soldats alignés comme prêts à la bataille. Ils sont tous différents les uns des autres, et tournent le dos à ce que l’on pense être le tombeau de l’empereur Qin Shi Huandi. À l’origine ils étaient tous armés, mais les armes ont été volées. La légende dit que les ouvriers qui ont construit cet ensemble ont tous été tués à son achèvement pour ne pas qu’ils en dévoilent les secrets. Tous, sauf quelques-uns qui se firent discrets. Quelques années après, une révolte paysanne éclata dans la région. Ils n’avaient pas d’armes, mais un des anciens ouvriers était un des leurs. Il savait que les soldats enterrés en avaient. Enterrés, est sans doute un terme mal approprié, car les soldats n’étaient pas à proprement parler ensevelis, ils étaient placés dans des galeries souterraines, dont le toit était formé de treillis de roseau. Après que les paysans eurent pris les armes, ils y mirent le feu, et la terre tomba sur les statues, les préservant jusqu’à aujourd’hui. On peut voir sur les murets, entre chaque rangée de soldats, les traces des roseaux. On a trouvé quelques armes de cette époque. Elles ont conservé intact leur tranchant ; on ne sait pas aujourd’hui comment, il y a plus de deux mille ans, ils avaient pu forger ces épées et ces sabres. - Vous dites qu’ils tournent le dos au tombeau de l’empereur ? On sait où il est ? demanda Aurélie. - Oui, la légende dit qu’il se trouve sous la colline artificielle devant laquelle vous êtes passés en venant de Xi’an. On dit que l’empereur fit construire un palais en échelle réduite, au milieu d’une reproduction de la Chine d’alors, avec les fleuves eux-mêmes représentés par des rivières de mercure. Le site n’a pas encore été exploré, on a trop peur de détériorer les vestiges que l’on pourrait y trouver. Les soldats que vous voyez ici n’ont pratiquement plus de couleurs, alors qu’ils étaient éclatants quand on les a découverts. L’air entraîne sur les pigments une réaction chimique qui les détruit, on n’a pas encore su trouver un traitement pour les protéger. On attend donc d’être capable de le faire pour en exhumer d’autres. Par contre, on a fait quelques forages sur la colline, et on a trouvé de fortes proportions de mercure, des teneurs bien plus élevées que ce que l’on trouve ailleurs que sur la colline. Ici, dans la fosse numéro deux, ce sont des officiers. L’armée est placée tout autour du tombeau, pour faire face à l’ennemi. La surface totale est énorme, et le nombre de statues inimaginable. On a trouvé au nord des régiments de cavalerie. Pas très loin, on a trouvé un chariot de bronze, richement décoré, que l’on pense être de la suite de l’empereur. Il est à l’échelle un tiers, et nous allons pouvoir l’admirer au musée dans lequel il a été reconstitué. Voilà, les chariots en bronze ! Remarquez l’extrême précision du dessin des chevaux et des conducteurs. Voyez les flèches dans leur carquois, le fouet pour encourager les montures, la porte du chariot qui s’ouvre encore, et qui est décorée de signes gravés dans le bronze.
Aurélie et Jean-Baptiste s‘étaient approchés le plus près possible de la porte du char. Ils appelèrent à leur côté Mathieu et Marc. Sur la porte, le glyphe, leur glyphe, trônait au centre du panneau, entouré de figures anthropomorphes. Mathieu posa sa main sur le cristal qu’il avait dans la poche intérieure de sa veste, et secoua la tête négativement. Si Xi’an était peut-être le lieu de la troisième chambre, ce n’était pas à proximité de cette pièce. Il fallait sans doute aller à l’endroit où le char avait été trouvé. Le reste de la visite passa très vite, tout absorbés qu’ils étaient à essayer de trouver le moyen de s’approcher du tumulus.
Le soir, Marc et Mathieu se connectèrent sur internet pour essayer de trouver le maximum de renseignements sur le plan du site, et sur les recherches qui s’y déroulaient. Après plusieurs heures de travail, ils tombèrent sur un article récent qui mentionnait un projet de recherche portant sur la conservation de la peinture des statues mené en collaboration avec une université de Paris. Le sponsor français était cité, c’était le professeur Jean Courtois. Le décalage horaire aidant, il était encore temps de lui téléphoner.
Le lendemain matin, ils pouvaient imprimer une recommandation du professeur à destination de son collègue chinois sollicitant, pour ses quatre élèves méritants, une visite complète de l’ensemble des fouilles autour du tombeau de l’empereur. Il fallut quelques jours pour obtenir une entrevue avec le professeur Ma qui les reçut le plus aimablement du monde. La visite fut organisée le mardi suivant, jour de fermeture du site au public. Le professeur Ma ne pourrait pas les accompagner, mais son assistant, monsieur Chu, leur ferait visiter tous les lieux sur lesquels des travaux étaient en cours ; en particulier, ils pourraient visiter la fosse où avait été trouvé l’attelage exposé au musée.
C’est la main posée sur le cristal que Mathieu suivit la visite spéciale menée par Chu. L’assistant du professeur s’était révélé un expert du site et des légendes qui étaient parvenues jusqu’à l’époque moderne. Il connaissait tous les chercheurs qui y travaillaient ; grâce à son anglais parfait, ils avaient pu discuter avec les différents responsables en place, tous plus passionnés les uns que les autres. Ils constatèrent que bien que le site soit protégé, cette protection était plutôt bon enfant, et qu’il ne semblait pas y avoir de moyens très perfectionnés, ou de garde très organisée. Le cristal resta désespérément froid et inerte dans la fosse de l’attelage, et les quatre amis se décourageaient sentant venir la fin de la visite. Pour quitter le site, ils empruntèrent la porte nord ; leur guide voulait leur montrer une curiosité à l’extérieur de l’enceinte. Exactement dans l’axe nord-sud par rapport au centre du tumulus, se trouvaient deux rochers formant comme des menhirs. Leur guide les assura que ces pierres dressées ne devaient rien à l’homme, et que c’était pour cela qu’elles n’avaient pas été incluses dans le périmètre protégé, mais qu’il avait voulu les leur montrer car il connaissait les menhirs de Bretagne, et pensait que le parallèle était intéressant. Déjà en s’approchant des pierres, Mathieu sentit contre sa peau la pulsation qu’il avait ressentie près du temple de Tepantitla à Teotihuacan. Quand ils furent entre les deux rochers, le cristal était chaud comme au Mexique avant l’ouverture de la porte, et il émettait de la lumière. Entre les deux rochers, sur une dalle grossièrement aplatie, le glyphe gravé profondément dans la pierre retenait les derniers rayons du soleil.
Ils attendirent deux ou trois jours avant de retourner aux rochers, aux aurores, pour tâcher d’éveiller le minimum d’attention. Comme au Mexique la pose du cristal sur le glyphe fit apparaître l’entrée d’un escalier qu’ils empruntèrent rapidement. Après une descente d’une dizaine de mètres, le couloir s’orienta plein sud, vers le centre du tumulus. Au départ il était creusé dans la roche, mais très rapidement, ce fut comme une galerie de mine, étayée par des bois millénaires. Après en avoir sondé quelques-uns, rassurés par leur état, ils continuèrent leur progression. Quand ils furent, d’après leur estimation, à la verticale de l’abord immédiat du tumulus, la galerie s’élargit considérablement et ils se trouvèrent dans une pièce immense, au toit supporté par des centaines de colonnes, et remplie d’une multitude de personnages de cour, richement habillés et portant tous les attributs du pouvoir et de la noblesse.
Ils empruntèrent, parmi les nombreux passages qui s’offraient à eux, le plus large, et celui sur lequel semblaient se trouver les personnages les plus riches. Après avoir traversé plusieurs ruisseaux de mercure sur de magnifiques ponts de marbres décorés des symboles de l’empire, ils arrivèrent au palais impérial. Au milieu de celui-ci une dalle portait le glyphe. Le cristal, posé sur celui-ci, donna accès à la troisième chambre. Comme à Teotihuacan, la porte créée par la pose du cristal sur son berceau donnait accès à la chambre de la pyramide de Chéops. C’est presque blasés qu’ils firent l’aller-retour pour s’en assurer.
De retour à Xi’an, et visitant la pagode de l’oie sauvage, ils commencèrent à réfléchir à la dernière chambre. Pour celle-ci, il ne pouvait pas être question d’un monument, il n’y avait rien de connu dans ces zones reculées et désertes de l’océan Austral. Une nouvelle énigme à percer, la dernière ; ils avaient trouvé la troisième porte, celle de la nuit, le tombeau de Qin Shi Huandi.
(4) Les portes
Le mois d’août se terminait à Paris, encore engourdi de la chaleur estivale. Bientôt les Parisiens allaient revenir, chassant les touristes, et rendre la circulation dans les rues de nouveau impossible. Le mois de septembre était encore un mois de vacances pour Aurélie, Jean-Baptiste, Marc et Mathieu, bien que Marc ait quelques commandes d’articles à honorer. Mais il fallait se préparer à la nouvelle saison universitaire, et les journées étaient bien pleines en préparatifs de toutes sortes, en expéditions chez les libraires spécialisés, et en inscriptions.
Poussés par Marc, ils voulaient comprendre les relations qui devaient exister entre les trois portes découvertes au cours de l’été. Convaincus par Mathieu, ils voulaient attendre d’avoir découvert la dernière chambre et compris ce qu’amènerait l’enclenchement du dispositif pour communiquer. Jean Courtois, en vétéran du petit monde des découvreurs, partageait la même position, craignant que d’autres ne tirent bénéfice du travail fait. Ils s’étaient réparti la tâche, Marc et Jean-Baptiste iraient dans les bibliothèques, Mathieu et Aurélie utiliseraient internet. Cet arrangement satisfaisait d’autant plus Mathieu qu’il ressentait de plus en plus l’envie de partager plus souvent des moments avec Aurélie, mais avec Aurélie seule.
Les ouvrages savants qu’ils purent consulter traitaient parfois des similitudes architecturales existant entre les monuments d’Égypte et ceux des civilisations précolombiennes, mais nulle part ils ne trouvèrent de pistes reliant ceux-ci à l’empire du Milieu. Si l’origine du peuplement des Amériques était encore discutée, plus personne ne semblait considérer sérieusement une épopée transatlantique. Sur internet, la moisson fut beaucoup plus riche, mais il était difficile de distinguer ce qui pouvait être sérieux du loufoque. Quelques sites voulaient démontrer que c’était des extra-terrestres qui avaient construit les pyramides, jusqu’à en faire des vaisseaux spatiaux comme dans les bandes dessinées de Bilal, mais les détails donnés comme ayant valeur de preuve étaient ridicules. Et rien ne se rapprochait de ce qu’ils avaient vu ou expérimenté durant l’été. Mais si eux-mêmes avaient mis sur internet ce qu’ils avaient découvert, n’aurait-on pas au mieux considéré cela comme une aimable plaisanterie d’étudiants désœuvrés ?
C’est par hasard qu’Aurélie tomba sur le site de l’auteur d’un livre édité uniquement en langue anglaise, et qui racontait l’histoire de l’eunuque Zheng He qui au tout début du quinzième siècle était parti de Chine à la tête d’une immense flotte de plus de vingt-trois mille hommes pour visiter le monde. Bien avant les Européens, ils avaient sillonné les océans et relevé les continents pour l’empereur. Partis initialement en direction de l’Ouest, une première escadre fut envoyée vers les mers australes, et on pense qu’elle y découvrit l’Australie après un long périple. Le reste de l’Armada continua vers la pointe de l’Afrique. De là, trois expéditions se séparèrent ; une se dirigea vers les Amériques, avec comme point de chute la côte mexicaine, une alla explorer ce qui est aujourd’hui le nord de l’Europe, la troisième pénétra en méditerranée. À son retour, le régime politique avait changé, l’empereur était mort, son successeur avait décrété que la Chine devait se replier sur elle-même. Les bateaux de l’Armada furent détruits, les cartes et les récits de voyage brûlés. Zheng He finit paisiblement ses jours dans la province de Canton, dans un monastère. Bien que ce périple ait été effectué plus de quatre mille ans après la date de construction des chambres secrètes, il y avait là un parallèle troublant. Il était étrange de constater que, dès le départ, le chef de l’expédition avait prévu de finir avec quatre expéditions, comme s’il savait ce qu’il allait trouver. On suppose qu’une carte du monde, rescapée des destructions fut ramenée en Europe par Marco Polo, et cachée dans la bibliothèque royale de Lisbonne. Ainsi, les grands explorateurs portugais, loin de partir à l’aveuglette, auraient simplement emprunté les voies établies par le voyageur chinois. Et si cela avait été le cas pour lui aussi, s’il avait lui-même disposé d’une carte du monde ? Une carte qui aurait été héritée par on ne sait quelle voie, des constructeurs des chambres, créant ainsi un lien entre les lieux utilisés. C’était à cette conclusion que les quatre amis étaient arrivés. Hypothèse hardie, mais qui n’était pas plus étrange que l’existence de ces portes permettant de voyager instantanément d’un continent à l’autre. Ils n’expliquaient pas la destination nordique, elle ne correspondait pas à une des destinations de leur glyphe, mais ce pouvait être un détail.
Fin septembre, le dernier jour de l’été, ils firent le point de ce qu’ils avaient glané pour décider de la suite.
- Nous savons qu’il y a trois chambres, une qui s’ouvre en effectuant une séquence précise sur un signe gravé dans la pierre ; c’est la chambre principale. Les autres s’ouvrent à l’aide de ces cristaux dont on ne connaît pas la constitution, résuma Mathieu. - La chambre de Chéops est particulière, rajouta Aurélie, elle semble être un point de départ, les trois cristaux y étaient entreposés. C’est aussi à cette chambre que mènent les portes que nous avons trouvées au Mexique et en Chine, et c’est cohérent avec la fresque du Tlalocan. Il n’y a pas de communication entre Teotihuacan et Xi’an, et aucune porte ne s’est ouverte quand Mathieu a activé le mécanisme la première fois. - Je pense que les cristaux devaient être pris en Égypte, et ensuite amenés sur le lieu où ils devaient être utilisés, intervint Jean-Baptiste, beaucoup de précautions pour des êtres pour lesquels les distances ne semblaient pas être un problème. Je ne pense pas que la quatrième chambre soit du même type que celles que nous avons visitées. D’abord, elle ne peut pas correspondre à des lieux autant chargés d’histoire, et elle est positionnée de manière très différente sur la mappemonde.
Marc avait suivi la conversation, soucieux, pendant que ses camarades s’enflammaient sur la question de la découverte des chambres secrètes, comme si c’était une course au trésor, sans se poser la question, qui pour lui était essentielle, du pourquoi de tout cela. Pourquoi ce luxe de précautions quand les déplacements semblaient si faciles pour les constructeurs de ces chambres et du mécanisme d’ensemble ? Pourquoi avoir choisi des lieux aussi éloignés les uns des autres ? Et pourquoi cette symétrie sur le globe ? Que pouvait bien cacher la dernière chambre, qu’arriverait-il si, comme ils semblaient vouloir le faire, ils posaient tous les cristaux dans leurs berceaux ?
- Jean-Baptiste, as-tu pu trouver des indications pour le dernier lieu ? demanda Mathieu. - Cela a été difficile, mais c’est la télévision qui m’a apporté la réponse, du moins je le crois. Durant un reportage sur des expéditions sportives dans les mers australes, il y avait un reportage sur les îles Kerguelen. Et en particulier, ils ont montré une curiosité géologique qui avait été nommée « porte » des îles Kerguelen au moment de sa découverte. Ça n’a rien à voir avec ce que nous avons visité jusqu’à présent, mais c’est prometteur. - Qu’est-ce que c’est ? - Il s’agit de deux grandes colonnes de pierres, de quelques dizaines de mètres de haut, et séparées d’une quinzaine de mètres. Auparavant il y avait une sorte de linteau qui reliait leurs sommets, d’où le nom de porte. Il s’est écroulé au début du dix-neuvième siècle. Regardez, j’ai là l’impression d’une photographie d’époque. - Si c’est bien le lieu que l’on recherche, il est hors d’atteinte pour le moment, c’est le plein hiver austral, ces îles sont inatteignables. Si on veut y aller, il faudra attendre l’hiver. Je propose que l’on y aille pendant les vacances de Noël. - On pourrait ne pas tous y aller ensemble. Nous avons vu au Mexique et en Chine qu’avec un cristal il était relativement aisé de trouver les chambres. Il suffirait que l’un d’entre nous y aille avec un peu d’avance, et que nous convenions d’une date et d’une heure pour placer au même moment les cristaux dans leurs berceaux – proposa Mathieu. - Oui, je suis d’accord – acquiesça Aurélie, il faut vraiment que nous allions au bout. Je proposerais d’ailleurs, pour le symbole, que nous choisissions le vingt-quatre décembre à minuit, pour faire le lien entre les berceaux et une naissance. - Oui, et je suis volontaire pour l’expédition australe – dit Jean-Baptiste ; même en été là-bas, ça promet d’être une partie de plaisir. - Je vois que vous vous êtes déjà décidés, intervint Marc, je suis avec vous, mais il faut essayer de faire décrypter les glyphes trouvés par Mathieu à Chéops, et ceux que nous avons trouvés dans les autres chambres. Il y a peut-être un message important. Jean Courtois doit pouvoir nous aider à la tâche.
Le dernier trimestre de l’année passa comme un clin d’œil, dans le travail, et dans l’excitation de leur plan pour la fin de l’année, car ils ne doutaient pas de trouver la dernière chambre et de tenter l’expérience telle que décrite dans les signes trouvés au cours de l’été. Le professeur Jean Courtois avait progressé dans le déchiffrage des différents panneaux dont ils avaient ramené des photographies. La tâche était difficile, car il était évident que ceux qui savaient utiliser et mettre en œuvre de telles technologies avaient un vocabulaire que n’avaient pas les Égyptiens qui ont laissé à Champollion et à ses successeurs les textes qui ont permis de déchiffrer les hiéroglyphes. Jean Courtois était aussi un spécialiste de l’écriture maya, cela l’avait aidé dans quelques cas, car certains signes semblaient être utilisés parfois comme signifiant, parfois comme phonème. Les trois chambres donnaient à peu près les mêmes informations, et celle de Chéops voyait son rôle central confirmé. D’après la compréhension parcellaire à laquelle ils étaient arrivés, il semblait que l’ensemble du mécanisme devait être enclenché lors d’un événement bien précis qu’ils n’étaient pas arrivés à déterminer. Le déclenchement de l’opération devait être décidé par le chef qui envoyait depuis Chéops trois messagers avec chacun un cristal vers les autres chambres. Il était clair que tout se mettait en route quand les quatre cristaux étaient placés dans leurs berceaux. Depuis le Mexique et la Chine, les messagers devaient rejoindre Égypte, ensuite les trois devaient rejoindre par le même moyen la dernière porte dans l’hémisphère sud, pour le dernier départ, ou pour l’arrivée ; ils ne savaient pas faire la différence, avec les signes à leur disposition, entre les deux notions. Il semblait enfin que ce départ, car ils retenaient cette interprétation sur la base de la fresque mexicaine, se ferait en dehors de la dernière chambre.
Jean-Baptiste partit une semaine avant Noël. Il avait précisément planifié son voyage, et était au pied de la dernière porte le vingt-trois décembre. La mer était déchaînée, et le vent soufflait en tempête. Il lui avait été difficile de rejoindre les deux colonnes, glissant sans cesse sur des rochers couverts d’algues. La rupture du linteau initial avait laissé trois gros blocs au pied des colonnes, baignés par les vagues. À cet endroit, le cristal restait complètement inerte, il s’y attendait, et repartit en direction de la falaise. Il ne lui fallut qu’une demi-heure pour trouver la dernière chambre, tout à fait similaire aux trois autres. Il ne lui restait plus qu’à attendre le lendemain minuit pour mettre la dernière main à leur projet. Il pouvait d’ici là envoyer un message à ses camarades pour leur faire savoir que tout était en place.
Mathieu regarda une dernière fois sa montre, il avait décidé de commencer, ses camarades suivraient à cinq minutes d’intervalle chacun. À minuit cinq pile, le symbole de Xi’an s’illumina, Marc était ponctuel, dans l’instant qui suivit, la porte se dessina, et Marc apparut. Cinq autres minutes et Aurélie les rejoignit. Ils attendirent tous les trois la lumière de Jean-Baptiste ; la mappemonde s’illumina, les quatre points des chambres secrètes clignotaient. Une nouvelle porte se dessina à l’opposé de l’écran, ils s’y engouffrèrent, et arrivèrent dans l’instant dans la chambre de la falaise sur l’îlot principal des îles Kerguelen.
Depuis cette chambre ils avaient vue, via un écran, sur la plage au bout de laquelle s’élevaient les colonnes qui marquaient la porte. Une chaussée était apparue devant leurs yeux, allant de la falaise à la porte, là où un instant auparavant il n’y avait que des rochers. Le clignotement des symboles sur le globe terrestre s’était accéléré, et leur couleur passait alternativement du bleu au rouge. Ils descendirent sur la plage et, empruntant la chaussée, coururent vers les colonnes de pierre. Celles-ci avaient changé d’allure, et par un extraordinaire phénomène, les montants étaient devenus translucides. Des éclairs verts tentaient d’en relier les sommets, sans succès. Au clignotement lumineux de la mappemonde s’était ajouté un son qui semblait vibrer au même rythme. Depuis l’endroit où ils étaient, et malgré les embruns, ils l’entendaient encore, de plus en plus en plus angoissant à force de monter en fréquence.
(5) L’alarme
Dans l’immense salle de contrôle des colonies, dans laquelle on se déplaçait en lévitation, tous les mondes explorés étaient représentés ainsi que les principales routes commerciales au travers de l’univers. Cet immense planétarium en trois dimensions avait surtout été utilisé au début des conquêtes, et était tombé en désuétude au fur et à mesure de la progression de la technologie. Il n’était plus utilisé aujourd’hui que comme centre de surveillance au cas où une colonie déciderait de déclencher un signal d’alarme. C’est ce qui se passa ce jour-là, une petite planète aux confins de la zone contrôlée se mit à clignoter sur un rythme qui allait s’accélérant, alternativement rouge et bleue. Le garde de permanence alla immédiatement signaler à son supérieur le déclenchement du signal d’alarme.
Après examen de la position de la planète, ils décidèrent de ne pas ordonner une opération immédiate. Il s’agissait d’une planète explorée il y a très longtemps, et abandonnée après quelques millénaires d’exploration car le climat n’évoluait pas de manière favorable à l’établissement des colons. Tout le système solaire dont cette planète était la troisième avait d’ailleurs été abandonné, et plus aucun vaisseau n’avait été signalé à proximité. Il n’y avait pas de source d’énergie exploitable qui aurait pu lui conférer un rôle de relais.
Le responsable du centre était néanmoins intrigué par le déclenchement, sur ce monde abandonné, d’une alarme que seuls les colons devaient savoir utiliser. Il décida d’aller en référer au commandant de la base, surtout après avoir noté que l’alarme, après avoir atteint un son continu d’une fréquence très élevée, s’était tue aussi subitement qu’elle était arrivée.
- Nous avons constaté le déclenchement d’une alarme sur une planète d’un système solaire très lointain. D’après nos enregistrements cette planète a été abandonnée il y a très longtemps, et aucun colon n’y était resté. J’ai pensé qu’il s’agissait d’un signal intempestif. J’ai néanmoins été troublé par sa nature et son arrêt subit, et j’aurais souhaité en discuter avec vous pour essayer de comprendre ce qui s’est passé. - Vous dites que le signal a disparu après avoir duré quelque temps ? - Oui, excellence, et le son était particulier, sa fréquence, basse au départ, a augmenté continûment. - Est-ce que la couleur de l’alarme était rouge, comme ce devrait être le cas, ou alors alternativement rouge et bleue, au rythme du son ? - Alternativement rouge et bleue, et effectivement, les couleurs changeaient avec la même fréquence. Est-ce qu’il s’agit d’une alarme spécifique dont on ne nous aurait pas donné la signification ? - Oui, mais j’ignorais que de tels dispositifs étaient encore activés. Au tout début de la colonisation, nous n’étions pas sûrs d’avoir les moyens de nous défendre contre des agressions dans les mondes visités, agressions par des créatures pensantes, ou par des virus ou autres maladies qui pourraient être ramenés chez nous. Nous avions alors mis au point un dispositif très puissant, et qui ne devait être utilisé que de manière exceptionnelle. Ce dispositif permettait de déclencher la destruction de la planète, en focalisant quatre sources d’énergie gamma sur son centre. C’était un dispositif d’urgence, et il était couplé à une porte d’évacuation instantanée menant à la zone sous surveillance renforcée de la cité. Je viens d’ailleurs de recevoir l’information que des signaux indiquant le début d’activation d’une de ces portes étaient arrivés il y a peu, mais que bizarrement, rien ni personne n’était apparu. Il semblerait que la porte ne soit pas arrivée à établir la connexion. Ce dispositif a été abandonné il y a longtemps, car jugé trop dangereux, son déclenchement ne permettait pas de revenir en arrière, et pouvait détruire des mondes habités, ou riches de matières premières pour le futur, sur uniquement des présomptions. Tous auraient dû être désamorcés. - Que s’est-il passé alors ? Est-ce que l’arrêt de l’alarme signifie que la planète a été détruite ? - Demandez à ce que l’on vérifie sur le champ si la planète est toujours représentée dans le planétarium. - C’est fait votre excellence, la planète a disparu. - Et bien alors cela en est fait de ceux qui ont déclenché le mécanisme ; il ne pouvait pas être mis en service par hasard ou par erreur, il nécessitait une action volontaire de plusieurs personnes coordonnées. Ils ne devaient sans doute pas savoir ce qu’ils faisaient, mais il est trop tard. Il n’y a plus qu’à espérer que l’intelligence qui avait dû se développer sur ce monde n’était pas trop avancée. Il faut néanmoins éviter que de tels incidents, même si sans conséquence, se reproduisent. Merci de faire faire une analyse de tous les enregistrements du début de la colonisation et d’identifier toutes les planètes sur lesquelles ce dispositif avait été installé, de façon à pouvoir dépêcher des équipes de techniciens pour s’assurer de la mise hors service définitive du dispositif de destruction.
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