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Policier/Noir/Thriller
Marpay : Luxure sectaire
 Publié le 30/08/20  -  9 commentaires  -  6456 caractères  -  70 lectures    Autres textes du même auteur

Une personne, dont l'identité reste anonyme, prétend avoir trouvé un maître spirituel capable de libérer ses disciples du désir charnel. Le chemin qui mène à la "libération" passe par le déchaînement de tous les désirs, de toutes les pulsions latentes qui encombrent la conscience des adeptes de la secte...


Luxure sectaire


J’ai toujours considéré cet homme comme une sorte d’archange, d’envoyé spécial, mais j’utilise le diminutif « maître » lorsque je m’adresse à lui, en toute humilité. Avant de le rencontrer j’ai vécu une vie soi-disant normale, marquée par de nombreuses souffrances et une bestialité abjecte, comme tout animal en proie à ses pulsions. À l’époque, je sentais bien qu’il devait y avoir une cause à toute cette douleur, cette confusion, mais jamais je n’aurais pu trouver le chemin de la libération seul, sans l’aide de mon maître. C’est pourquoi j’ai décidé de rendre public mon processus d’épuration, en espérant que ce témoignage puisse vous ouvrir les yeux sur l’esclavage immonde dans lequel nous vivons tous sans nous en rendre compte.


Tout d’abord, je dois bien humblement admettre que j’ai toujours eu un insatiable penchant pour la luxure, bien camouflé derrière une muraille de justifications. Il me semblait tout à fait légitime, malgré les nombreuses souffrances reçues et imposées, de désirer, d’aimer le sexe ; quel dépendant n’est pas, au fin fond de lui-même, amoureux de ses chaînes ? Cela malgré quelques éclairs de lucidité, le triste constat de ces années de perdition : un brasier jamais éteint, la fissure du manque qui vous tenaille à tout instant, et son lot de complications qui vient avec. Jamais en paix avec soi-même et les autres, toujours à la recherche d’une satisfaction qui s’éloigne à mesure que vous rampez vers elle, le sexe n’est que le sexe, mirage qui augmente la soif à mesure que l’esclave vide sa gourde. Telle était ma condition avant de commencer les séances avec le maître.


Au début, la luxure n’était pas le sujet central de nos entretiens, même si certains disciples mentionnaient à mots couverts leurs difficultés personnelles à propos du sexe, à savoir : sa férocité, sa force d’ancrage, ses acoquinements avec certains élans si naturels en apparence. Puis, après m’être familiarisé avec les grands principes de notre doctrine (qui ne peuvent être révélés dans ce récit), j’en suis venu à mentionner ce sujet lors d’une discussion. On me fit savoir que le sexe, bien qu’étant chose naturelle, était une forme d’énergie qui se devait d’être transmutée en amour pur, mais que le chemin pour parvenir à ce résultat était long et cahoteux. Comme je souffrais de ma condition animale et que je voulais rejoindre les serviteurs de la Lumière dans leur grand œuvre, je décidais, quelques mois seulement après ma rencontre avec le maître, de me soumettre à ce grand processus de transmutation.


Les premières séances furent plutôt agréables : on me demandait de révéler mes fantasmes, mes rêves les plus secrets, et loin de me punir on y donnait suite avec les moyens du bord, soit d’autres disciples ou des gens engagés à cet effet. J’aimais assouvir mes fantasmes devant tout le monde, bien prendre mon temps et savourer la luxure dans tout ce qu’elle peut donner, mais très rapidement je sentais monter le néant que porte le sexe, sa qualité intime qui le relie aux bas-fonds, à l’animalité, mode de répétition sans fin. Je devais également rapporter tous mes états d’âme aux témoins de ces séances, en allant jusqu’au bout du possible dans ce que le sexe avait à offrir pour ensuite livrer mon esprit aux consciences angéliques qui me guidaient.


Ces exercices nécessitaient beaucoup d’efforts tant du point de vue physique qu’émotionnel, puisque nous servions également de chair à canon aux fantasmes des autres disciples engagés sur la voie du grand renoncement. Inutile de dire qu’en dehors des séances, nous n’avions plus de vie sexuelle ; nous nous contentions de lire quelques grands textes sur l’ascétisme et la transmutation de l’énergie sexuelle en amour pur. Tel était notre but : transformer cette énergie animale, brute, qui teinte tous nos motifs, nos actions d’une couleur arriviste et obscure. Peu à peu, je sentais que l’acte lui-même se vidait de son sens, qu’il n’était qu’une forme d’amour dégradé, une manière comme une autre de dilapider son énergie. Le dégoût augmentait, de même que le rythme des orgies qui ne cessaient d’être plus somptueuses de semaine en semaine. Parfois, de longs moments de pénitence et de repentir nous menaient à l’autre versant de la luxure : le maître châtiait nos consciences subjuguées par la débauche, nous réduisant à moins que rien, nous faisant voir dans toute sa nudité notre condition misérable de créature esclave de ses désirs. Orgies de tristesse, orgies de honte. Peu à peu, le maître nous guidait vers l’autre rive.


Afin de ne pas décourager le lecteur, je ne mentionnerai pas ces longs passages à vide, ces nuits obscures de l’âme où l’être se sent coupé, séparé de tout ce qui l’entoure. J’escamoterai volontairement certains épisodes de la crucifixion pour aller directement à celui de la résurrection, le jour béni de la grande transmutation. Cette déchirure entre la satisfaction externe de tous les plaisirs et l’impossibilité d’atteindre la plénitude de l’âme, ce contraste entre l’ange et l’animal devaient un jour aboutir à cet amour pur qui ne vient d’aucun geste, d’aucune intention polluée. Ce jour arrive sans qu’on s’y attende, comme une lumière qui vous frappe de plein fouet. Le désir se dissout dans l’univers, vous n’êtes plus ce corps, cette énergie brute : à jamais vous êtes identifié à la lumière fondamentale qui ne désire plus que l’amour, le bonheur des autres. Bien sûr, le courant sexuel circule encore en vous et montre un chemin, une direction, mais vous n’êtes plus tenu de lui obéir, car vous n’êtes plus ce corps. Désormais, si vous y accomplissez un désir, c’est seulement pour aider les autres ou transmettre un message d’amour, mais cela ne vous fait plus souffrir. C’est ce que l’on appelle, en termes courants, devenir un ange. À tout jamais.


Si vous croyez qu’il y a un prix terrible à payer pour obtenir cette libération, vous avez raison. Mais ce qui vous attend au bout du chemin est d’un tout autre ordre que la vie obscure et tourmentée que vous connaissez, celle du désir sexuel et de ses chaînes. Pour le moment, je ne veux rien dire d’autre sur le maître, les anges et mon état actuel de plénitude, mais seulement ceci : si le chemin vous interpelle, si l’appel se fait pressant, faites-moi signe. Je vous présenterai au maître, et s’il sent que vous êtes prêt, il vous montrera en quoi consistent nos séances ; à la maison-mère, nous en avons filmées quelques-unes à titre d’exemple.


 
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   Anonyme   
16/8/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↑
À mes yeux, la dernière phrase de ce texte indique sans ambiguïté sa visée humoristique ! J'aime bien la vision ainsi développée d'orgies auxquelles on se livre pour enfin vaincre ses démons, et même c'est pénible, oh là là, avec les fantasmes de tous les autres à satisfaire...

Je ne crois pas que vous ayez inventé l'idée, il me semble que des hérétiques, aux temps anciens, ont conçu la doctrine de pécher un max afin de hâter l'iniquité des temps et donc la venue du Jugement dernier. Ça se tient, et ces sectateurs faisaient preuve d'un bel esprit de sacrifice !

Là, il s'agit d'épanouissement personnel, un peu comme des alcooliques qui prendraient cuite sur murge sur torchée pour finir par se dégoûter de l'alcool... Bon courage.

Je trouve l'idée cocasse, donc, la trajectoire de son exposition logique, sobre, avec quelque chose d'évident une fois admises les prémisses tordues qui la gouvernent. Qu'est-ce qu'il faut pas inventer pour jouir en bonne conscience !

   Anonyme   
17/8/2020
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour,

Je n'entre pas dans le détail mais cette nouvelle, bien rédigée, manque sa cible avec cette malheureuse phrase de conclusion qui la classerait plutôt dans la catégorie "humour noir" !
Dommage car les descriptions de l'auteur (ou de l'autrice car les deux genres grammaticaux cohabitent bizarrement) sont assez pertinentes pour ce que l'on sait du monde des sectes.

Je regrette cette conclusion qui casse l'ambiance.

   Donaldo75   
24/8/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Je suis agréablement surpris par la qualité de cette nouvelle sur un thème presque tabou. Je trouve que le ton désincarné va bien avec la dérive sectaire que relate ce fidèle, ce sujet, cet esclave ou que sais-je encore pour qualifier la domination et la servitude qui le lient au maître et à ses principes. En ce sens, c'est effrayant, cru de réalité tellement tout ce qu'il raconte semble crédible, décrit bien le degré d'asservissement auquel il est arrivé. Et le thème en lui-même est dérangeant, alors qu'il exprime une forme d'aberration souterraine qui existe partout dans le monde et représente une des plus vilaines réalisations de l'espèce humaine.

Bravo !

   maria   
30/8/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bonjour Marpay,

Un texte original dans le fond et dans le ton.

Le narrateur s'impose au lecteur : il dit clairement qu'il ne raconte pas tout. C'est lui qui décide.
Lui, esclave de sexe et soumis ensuite "à une sorte d'archange" libérateur, est pour une fois comme un maitre qui guide, qui conseille.
Guérir du sexe avec du sexe, pourquoi pas ? Cette méthode étant, par exemple, employée pour dégoûter du tabac.

De la fin une question m'est venue : combien d'argent le Maitre va t-il gagner avec les vidéos ?
D'autres sont possibles, et c'est aussi pourquoi j'ai bien aimé cette nouvelle.

Bonne continuation ici, Marpay, et merci du partage.

   placebo   
31/8/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour,
Moi aussi, j'ai buté un peu sur la dernière phrase, qui apparait ou comme humoristique, ou maladroite, mais rompt un peu avec le reste du texte.

Il y a une partie non racontée mais qui fait me fait frissonner (je suis en train de lire un roman policier macabre, association d'idées) : "car vous n’êtes plus ce corps." "C’est ce que l’on appelle, en termes courants, devenir un ange. À tout jamais." "Si vous croyez qu’il y a un prix terrible à payer pour obtenir cette libération, vous avez raison."
Après avoir soumis les disciples émotionnellement, physiquement, jusqu'où le maître les mène-t-il ?

Le chemin est clair. Le narrateur, en parlant de ses anciens malheurs avec sincérité, peut espérer créer une connexion avec des proies.
Cette question de l'infini du désir est très philosophique en tout cas, cela me rappelle des cours et me fait remonter quelques années en arrière.

Bonne continuation,
placebo

Edit : je parle d'un narrateur, mais à la relecture…

   Lulu   
16/9/2020
 a aimé ce texte 
Vraiment pas
Bonjour Marpay,

J'ai eu bien du mal à m'accrocher et à lire intégralement ce texte qui m'a semblé lourd. Le titre ne m'avait pas du tout attiré. Il ne faisait aucun écho... Puis, j'ai lu l'exergue, laquelle m'a amenée à penser encore à tout autre chose que le sujet lui-même. Le thème du désir charnel me semblait a priori plus global, mais il ne s'est manifestement restreint qu'à l'un de ces aspects, ce qui m'a profondément ennuyé.

L'interpellation du lecteur, "vous", qui revient toujours m'a paru lourde. En tout cas, c'est aussi en cela que j'ai trouvé ce texte lourd.

Le choix de cette narration est voulue ainsi, mais ce côté "témoignage" ne m'a semblé ni drôle, ni grave, ni même, pardon de le dire, et c'est juste un retour de lecture, ni même intéressant.

   papipoete   
16/9/2020
 a aimé ce texte 
Un peu
bonjour Marpay
être esclave de quelqu'un , de quelque chose implique d'en baver dans cette pénitence ; ramer sur une galère sous les coups de fouet, nettoyer la merde d'un cotonnier qui la pose sous le nez de son " négro ", casser des cailloux à longueur de journée sous la schlague d'un SS...
être esclave de son sexe, impose-t-il d'en baver au moment d'un quelconque coït ? Un maître es-luxure pourra-t-il faire disparaître ce trouble, si pour son disciple l'esprit qui réfléchit et décide se trouve placé entre les cuisses ?
NB vaste débat que nous ne pouvons même pas rapprocher des amours animales ; celles-ci annonçant le moment d'assurer la nouvelle progéniture ( pas à tout bout de champ ) et voyons la sexualité chez les bonobos ( qui n'a pas de finalité reproductive )
Là point d'esclavage du sexe, mais moyen social de résoudre les " sautes " d'humeur du clan ( et c'est Madame qui s'y colle ! )
Vouloir se sortir du sexe à tout prix, pour rien alors que celui-ci peut simplement ne pas devenir essentiel, mais un " dessert " entre humains qui s'aiment, plutôt qu'un ascète se privant de tout !
Mais le cheminement de votre héros, n'est pas tout-à fait mauvais, puisqu'il pourrait viser à le freiner, voir le stopper quand vient à passer une fille, une femme qui n'a rien demandé et découvre l'horreur...

   Anonyme   
17/10/2020
Bonjour Marpay,

Guérison du mal par le mal, du poison par le poison, du fruit défendu par une Orange Mécanique.
Thérapie dont le but n’est pas la guérison, mais la satisfaction du maître, qu’elle soit sexuelle ou financière, et dont la promotion se fait toute seule par les membres aussi abusés que convaincus. Un grand classique des sectes, j’imagine, mais qui pourrait également être transposé dans bien des domaines moins tabous. Nous dirons plus largement qu’il s’agit d’une technique de marketing par parrainage.

Ceci est plutôt bien démontré par un narrateur inconscient du processus qu’il démonte, mais par un texte, quoi qu’à l’écriture correcte, se révélant parfois un peu longuet par la redondance.

J’ai parfois buté sur des termes me semblant approximatifs. Un seul exemple, le premier : « J’ai toujours considéré cet homme comme une sorte d’archange, d’envoyé spécial, mais j’utilise le diminutif « maître » lorsque je m’adresse à lui […] » Diminutif de quoi ? D’archange ? D’envoyé spécial ? Ne s’agirait-t-il pas plutôt d’un sobriquet, ou d’un autre terme plus compatible avec la déférence que conçoit le narrateur à l’égard du personnage qu’il désigne ?

   cherbiacuespe   
2/3/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
n'aime pas
Côté performance, l'écriture est précise, claire, simple. L'histoire est bien élaborée en forme de témoignage direct et le lecteur est pris parfois comme un juré, parfois comme un spectateur à convaincre.

Côté fond, je n'ai pas réussi à intégrer l' histoire, je n'ai pas été touché, je n'ai pas été transporté. Dommage.


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