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Réalisme/Historique
Meaban : Mikla
 Publié le 06/11/11  -  5 commentaires  -  10974 caractères  -  63 lectures    Autres textes du même auteur

Voyage(s).


Mikla


De petites vallées bordant la Margeride : vers Pébrac.


Paysage.


Il est d'une beauté grave, inquiétante. Je le traverse car je crains qu'il ne m'engouffre dans le destin de vieux bonhommes solitaires, habillés de velours.


Ils stationnent, guettant, au seuil d’amples maisons aux tuiles racornies, observant d'un œil noir les étrangers passant, d’un regard lointain.


Il y eut de grands âges où les pentes vivaient parcourues de charrois et d’amples chemineaux.


Les villages sont infimes, accrochés aux chemins s’en allant vers les cimes, tremblants sous le soleil.


Une austère abbaye accroche le versant, une sorte de gardienne muraillée de silence. Ses jardinets sont morts, les appentis ruinés par les ronces malignes.


Elle me toise fantasque, moi qui vais sur sa route.


Tout à l’heure dans l’ombre, au fond d’une pâture j’écouterai les pierres qui roulent sous la Desge, cantique infatigable qui file vers la mer.


Sur les noirs horizons, je pressens le couchant dans un air immobile. Les choses s’engourdissent, sous les courbes de l’ombre les bêtes s’assoupissent.


Une nuit pastorale où tournent les étoiles, elles piquettent l’endroit de mille aventures.


L’univers se délie au sein d’une montagne en nourrissant les sources qui percolent les heures, et les hommes demeurent au châlit de l’enfer charpenté dans le bois de ces frustes essarts.


Un temps de mansuétude.


Et le libre marcheur, le dos contre la roche, s’assoupit d’un regard sous l’amble de la lune. Mais au fil des heures les rêves s’en viendront bercés d’acrimonies.


Un calme monotone, les coqs incertains, au pressenti de l’aube, s’interpelleront alors en fines résonances rassemblant les vallées.


Et la nuit cristallise la quiétude des gens pour affronter le jour.


Viendront l’aube pérenne, la levée des brouillards et la course millénaire de l’ombre sur l’adret…



Tout à l’heure, dans la rosée du ciel je gravirai la pente qui mène aux en hauts, le chemin de l’estrade, la petite croix de fer qui scinde le chemin…



Je me disais toujours, quand mes parents vont mourir, irrémédiablement je commencerai moi aussi la course vers la vallée.


Ce vieux calvaire.


Combien de fois dans ces nuits orageuses qui canonnent les fonds, la foudre a voulu le terrasser ?


J’imagine l’éclair illuminer l’endroit éclatant de photons :

un cliché de fureur écrêtant les pinèdes, les genêts éblouis, la striure de l’averse.


La pluie, la course des saisons…


Et ma vie qui s’écoule comme une poignée de sable.


Le rythme d’un prélude sous un grand ciel d’étiage, l’étale d’un instant à ourdir la suite.


Des fils qui s’échappent, le rire des enfants sur leurs petites jambes.


S’apercevoir alors des merveilles absurdes que furent nos minutes :

ces anciennes images rangées dans un tiroir, ces captures fugaces aux couleurs abîmées.



Je m’appelle Micklajowski, enfin c’était le nom de mon père, un Polack ukrainien débarqué parmi d’autres, gare de Lens. Direction les fosses s’empoussiérer dans les travers-bancs, des types hagards rudoyés par les porions au fond des tailles.


Un de ces pauvres mecs qui ne connaissaient que la steppe, les marécages et les forêts de bouleaux. Pologne de misère, le creuset de la haine et des curés douceâtres.


Sa première descente au ventre des limons, la cage qui s’engouffre dans un puits muraillé, la course des charpentes, le frottement des guides et le câble qui vibre tendu comme une flèche.


Les molettes qui feulent au sommet des poutrelles, un chevalement de fer perché sur la recette.


Et les rues infinies carrelant les corons, paysages de suie engraissées par les pluies.


Ma mère cette petite hercheuse au destin décliné, les soirées de ducasse où l’on construit son monde, à s’enchaîner encore au licol des berlines.


Au fond d’un appentis, tremblante sous l’instinct, elle s’était laissé prendre foudroyée par l’envie. Ce désir imbécile qui saccage l’innocence.


La cuisine astiquée, les femmes au pas de porte et l’ennui des dimanches, les hommes dans les courtils barrés de palissades, les voies de chemin de fer. Décor d’indifférences parfumé de carbone, et les cœurs usés repus par les regrets.


Un jour elle est partie m’emmenant avec elle, avec un Italien du côté des Cévennes. La rudesse des mineurs et leurs plaisirs frustes avaient eu raison d’elle.


Guiseppe était rieur, d’une gaieté de Romain. De passage dans ces terres sombres et linéaires il était de l’espèce de ceux à qui l’on n’a rien appris et qu’une rage autodidacte dévore.


La mine il voulait la comprendre, pas au travers des hommes, mais par la nature des terres et de ses bouleversements antédiluviens, il serait ingénieur. Un de ces hommes intrépides sortant du sérail, courant les chantiers, apostrophant les ouvriers qui le craignaient et le respectaient parce qu’un jour il fut l’un des leurs.


Quel âge avais-je, treize ans peut-être ? De ce temps où la vie nous porte où tout va de soi puisque l’on ne connaît rien d’autre.


Il me reste de ce départ un long voyage en train, l’odeur des wagons, l’étroitesse des couloirs, l’harmonie des boggies claquant sur les éclisses.


Et la fuite hypnotique des nappes de câbles téléphoniques, réitérant inlassablement leurs ondes aux périodes lentes et régulières, de poteau en poteau…


Gare du Nord et d’Austerlitz, la foule dans les rues, les employés du chemin de fer sentant le vin qui poussaient les chariots sur les quais, des destinations fantastiques sur les panneaux de tôle remplis à la craie :


Toulouse, Limoges, Clermont-Ferrand, Saint-Germain-des-Fossés, Vichy, Le Mont-Dore, Nîmes…


Comme une naissance que cette échappée.


Ainsi donc il y avait autre chose que ces horizons barrés de terrils, aux bouts d’alignées de peupliers, jaunissants dès septembre. Les girouettes noires perchées au beffroi des fosses qui planaient sous le ciel.


L’odeur chaude et collante de vieux estaminets où les hommes s’enivraient de bières jaunes, la fumée du tabac incrustant les rideaux que les patronnes hilares ne défaisaient jamais.


Et l’harmonie du siège le jour de Sainte-Cécile jouant au patronage en vestes galonnées, échappées symphoniques vers les steppes de l’est sur les routes de Kiev.

Un des rares souvenirs où je vois la tête de Mikla mon père, troisième pupitre aux clarinettes.


Il était un peu rond, comme ces Slaves tassés sous le knout.

Son regard transparent, tant ses yeux étaient du bleu d’un ciel ukrainien, semblait animé d’un sourire perpétuel.

Mais lorsqu’il avait bu, on y voyait une rage inextinguible. De celles que l’on attrape au fond des puits, en rampant dans les tailles dans la lumière jaune des lampes.


Nous avons vécu à côté l’un de l’autre, sans tendresse particulière, il doit être mort aujourd’hui, couché sous la terre lourde de ces grands fonds d’Artois.


Cette autre chose, c’était ce voyage qui me l’offrait, derrière les fumerolles de noires locomotives.

Le front collé aux vitres tremblantes, les pays s’allongeaient. Les mornes plaines picardes, figées comme les sables d’une plage en hiver. Les banlieues sales et ferrailleuses, la brique des hangars, les sombres gazomètres. La ville sous la terre où chantent les grillons, les odeurs du métro et l’air chargé d’ozone, le claquement des portes, ces bruits inimitables.


Après Paris les choses sont différentes, les sigles de la compagnie : PLM, initiales magiques de promesses envahissent le voyageur.


C’était en juin, cette parenthèse où le jour semble infini, le soir les gares sont différentes, il y règne une atmosphère de naufrage. Les derniers trains sont comme les dernières chaloupes disponibles avant que la lumière ne sombre, les voitures d’un vert passé étaient alignées contre le quai sur la mer du ballast.


L’appel métallique et nasillard des haut-parleurs planant sur la rumeur d’une foule résonne comme le jugement dernier, un dernier avis avant l’apocalypse : la terreur d’assister impuissant et désemparé au spectacle des feux rouges du dernier wagon s’éloignant vers une nuit de promesses.


Je revois les plaques accrochées aux parois de la rame, Vichy, Clermont FD, Nîmes, Marseille.

Les marches en caillebotis, l’étroitesse des portes, le formica des parois et les images en noir et blanc fixées au-dessus des sièges des compartiments aux portes à glissière. Les cendriers en aluminium et cette fragrance si particulière.


L’odeur de l’industrie, le métal et la graisse, la présence des hommes imprégnant la moleskine et la poignée nickelée du signal d’alarme, cet univers étroit prisonnier de fenêtres isolantes du monde.


Cette nuit-là, je ne crois pas avoir dormi, mais comment en être sûr.


Quand la nuit est tombée et que les stations défilent fulgurantes et blafardes, qu’au milieu de nulle part le train silencieux stationne, et que seuls les éclats de voix des employés descendant bruyamment quelque bagage d’un fourgon donnent un sens à la relativité de temps.

Le passager qui n’a pas coutume d’aller au-delà de son univers étriqué est comme hypnotisé par cette latence.


Le tac-tac des roues sur les éclisses, le balancement soudain des aiguillages, la grêle litanie d’une sonnerie de passage à niveau, tout concourt à l’abandon, à une sorte d’introspection rêveuse dont on ne parvient jamais à dérouler le film totalement.


À treize ou quatorze ans, alors que l’enfance ferme définitivement ses portes disjointes. Le sommeil n’est plus le même, on comprend confusément que les actes graves sont souvent définitifs.


La gravité d’un départ, une croisée de chemins et l’engourdissement d’un vieil enfant dans un compartiment où il fait toujours trop chaud, les pas dans le couloir, l’odeur des cabinets, les rideaux qui s’agitent aux battants rabaissés, le linoléum couleur de sang et l’inscription : « Porte donnant sur la voie ».


De ce songe éveillé j’ai encore au fond des yeux des noms de gares :

Saint-Germain-des-Fossés où l’immensité de la marquise vide à cette heure m’avait semblé irréelle, comme si les hommes avaient disparu.

Plus loin un immense mur blanc où l’on pouvait lire pastilles Vichy. Le train y stationnait longtemps, comme une couleuvre effarée qui sacrifie sa queue. J’entendis qu’on décrochait des wagons tandis qu’une machine les attendait pour les dérouter vers quelque destination provinciale.


C’est au lever du jour, dans ces moments où le sommeil finit par vaincre les noctambules, que je voyais pour la première fois les montagnes, mes montagnes…


C’est un peu comme lorsqu’on voit la mer pour la première fois. Notre regard est comme médusé et incrédule. Au milieu des houles encore sombres des crêtes arrondies, le puy de Dôme que je savais être un ancien volcan me laissait pantelant et interloqué.


La montagne comme la mer est une leçon de modestie pour celui qui la découvre, elle nous dévoile notre insignifiance, la vacuité de nos sentiments, l’essence même de notre existence…


 
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   Anonyme   
19/9/2011
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Le rythme d'hexasyllabes et de dodécasyllabes cachés qui revient assez souvent dans le texte (surtout jusqu'à la présentation du père) m'a distraite. Je l'ai trouvé trop notable, le balancement trop régulier, du coup je le guettais et j'avais du mal à me concentrer sur ce qui était dit. Cette première partie, d'ailleurs, particulièrement soignée dans sa forme et cherchant, m'a-t-il semblé, un effet poétique, m'a paru plutôt ratée ; éparpillée, assez guindée, se regardant écrire (si j'ose dire).
La suite m'a davantage intéressée, les portraits rapidement campés du père, de la mère et de celui avec qui elle s'est enfuie. C'est parce que, là, quelque chose est dit, s'ancre dans un récit, même si l'écriture me paraît encore par moments trop chercheuse d'esbroufe. Mais je trouve que la dernière phrase enfonce avec solennité des portes ouvertes.

Au total, je pense que le texte gagnerait à être écrit avec plus de souplesse, avec une écriture qui se mettrait plus humblement au service de l'histoire racontée plutôt que (c'est du moins ce que j'ai perçu) chercher à impressionner le lecteur par sa virtuosité.

"accrochés aux chemins s’en allant vers les cimes tremblantes sous le soleil" : je trouve maladroit le participe présent suivi quelques mots plus tard d'un autre participe présent, employé comme adjectif.
"j’écouterai les pierres qui roulent sous la Desge, cantique infatigable qui file vers la mer" : ici c'est la similitude des constructions de la principale et de l'apposition qui me gêne ; je trouve le résultat assez lourd.

   Anonyme   
5/10/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Assez curieuse rêverie, ou méditation, sur le déracinement, sur l’arrachement au monde dur, noir, des mines.
Curieux style aussi, avec des phrases sans verbe et une ponctuation parfois déroutante pour la bonne compréhension du texte.
Avec de jolies expressions. Par exemple :
« …sous la Desge, cantique infatigable qui file vers la mer. »
« …Un cliché de fureur écrêtant les pinèdes, les genêts éblouis, la striure de l’averse. »
« Ce désir imbécile qui saccage l’innocence. »
Le voyage en train est très bien décrit, par touches vraies, bien observées.

Mais aussi, avec des tournures de phrases quelques fois difficiles à accepter. Par exemple :
« Je le traverse car je crains qu'il ne m'engouffre dans le destin de vieux bonhommes solitaires… »
« Une austère abbaye accroche le versant,… »
« …les sources qui percolent les heures… »
- Des assemblages de mots abscons. Par exemple :
« …sous l’amble de la lune…». Une girafe marche à l’amble. Mais la lune ?
«…l’aube pérenne…». L’aube ne dure que quelques instants. Elle ne peut être pérenne.
« …l’étale d’un instant à ourdir la suite… ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Hormis donc ces maladresses (liste non exhaustive), j’ai trouvé dans ce texte un fond sincère et bien exprimé de belle nostalgie, d’une certaine lucidité aiguë et, au bout du compte, d’une belle espérance, et d’une grande humilité devant la splendeur de la Création.

   macaron   
6/11/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Un récit mélancolique servit par une écriture soignée, ambitieuse. La première partie est un peu longue, il ne s'y passe rien! Par contre la suite m'a beaucoup plu. Vous distillez l'émotion par petites doses et le pays minier est subtilement dessiné sans cliché larmoyant, sans vulgarité. Votre mélancolie belle et méditative m'a renvoyée à quelques souvenirs lointains, un peu oubliés. Merci pour ce voyage dans le passé!

   brabant   
6/11/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bonjour Meaban,


Voyage dans le temps, voyage dans l'espace ; des profondeurs de l'enfance asservie, abêtie, à l'éveil de ... (je ne vois pas précisément l'âge du narrateur) formée au voyage, au dépaysement, l'évasion qui est une certaine forme d'exil, la prise de conscience ; des terrils du Nord mangés par les abîmes aux chevalets du Sud perchés sur les montagnes ; de l'acceptation de la mère à la révolte de la fuite (pour gagner quoi ?), sous terre, au ras des rails, la même misère... mais Dieu que la montagne est belle...

Pour connaître le plat pays minier, hérissé, et ses argiles, son sable humide et ses scories, je sais le texte authentique sur ce point ; alors je fais confiance à l'auteur pour le Midi.

Parcours initiatique et retour initiatique aux sources, je sais gré au voyageur de conserver son nom : Miklajowski, Mikla, c'est là qu'est le pivot du texte.
Et tous les Guiseppe, tous les Italiens, tous les soleils, toutes les montagnes du monde n'y pourront rien.
Il restera toujours un Ch'timi et plus avant un Polonais et un slave, héritier indissoluble de la misère.


Le ton résolument poétique du texte est à la fois un atout et un frein : il suspend, rêve et dilue, ravit... et gêne aussi la progression, l'entente, la compréhension.

ps:
- je vois mal (lol) la lune battre l'amble ; si celle-ci peut éventuellement galoper sur fond de ciel échevelé, de nuages déchirés et de branches battues par le vent, elle ne peut ni ambler, ni d'ailleurs trotter, ce qui suppose un mouvement de métronome.
- un coq par ailleurs n'a pas besoin du soleil pour chanter ; j'ai connu des fermiers obligés d'égorger le leur parce qu'ils "cocoricottaient" à toute heure de la nuit. :)

   Anonyme   
6/11/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonsoir Meaban ! J'ai beaucoup aimé ce voyage de l'enfance du Nord vers le Sud qui par la même occasion nous fait passer Du vent qui vient des Flandres A ceux de Ladrecht.
Je ne reviens pas pas sur les petites imperfections énumérées dans les commentaires précédents (que ça soit le coq ou la lune ) car ça n'a vraiment pas perturbé ma lecture ni gâché mon plaisir.
Souvenirs teintés d'une certaine mélancolie qui convient très bien à mon tempérament...
Merci Meaban...


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