Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Réalisme/Historique
MecLouffi : Faits d'hiver
 Publié le 22/06/15  -  6 commentaires  -  8304 caractères  -  69 lectures    Autres textes du même auteur

Petit essai tiré d'un fait divers publié en 1901 dans un journal local.
Un muletier sans doute bien pris de boisson tue un compagnon en le prenant pour un malfaiteur.


Faits d'hiver


14 février 1901


Décembre et janvier étaient passés dans la douceur, mais depuis le début du mois, le froid avait imposé son carcan de glace sur la région. Dès le 4 février le mercure affichait 20 degrés au-dessous de zéro.

Le vent du nord avait pris le 10, après deux jours de neige, décuplant jusqu'à l'insupportable la sensation de froid polaire ; la bise vous découpait le corps en plusieurs morceaux, aucun vêtement n'assurait le moindre confort au-delà du quart d'heure.

Rivoire, le viticulteur et trufficulteur réputé de Margès, devait livrer un voyage de bois de chauffe chez un notable bien connu, mais frigorifié, de Romans.

Il aurait trop froid pour y aller et parmi ses domestiques, un seul était de taille à livrer de ce temps : Auguste Burais ! Question taille, il était pourvu : 2 mètres sous la toise et 115 kilogrammes sur la bascule au conseil de révision de 1895 l'année de ses vingt ans. Comme ils étaient cantonnés à Rodez ses collègues de chambrée le surnommaient, non sans humour, le Colosse.

Croisez-le dans les bois quand il ne fait pas trop clair, un peu de loin : vous croyez voir un ours et votre sang se glace tant que vous ne le reconnaissez pas, si vous l'avez déjà rencontré bien sûr.

L'homme est massif, trente ans avant le Panturle de Giono, ce n'est même pas un morceau de bois, c'est plus encore : c'est un arbre qui marche !

Il a ces gestes un peu saccadés des automates que l'on montrait dans les foires ; pourtant, dès qu'on l'aborde, on découvre des traits de visage fins comme ceux d'une femme et une voix douce et posée qui séduisent d'autant plus que le géant est cultivé. Il a lu Victor Hugo, il sait utiliser la règle de trois, il est féru d'histoire et de géographie ; le jour du certificat son grand-père l'a gardé avec lui pour faire les foins car l'orage menaçait. Il l'aurait réussi sans cela pour la plus grande joie de son instituteur ; d'ailleurs celui-ci le surnomme Jean Valjean ; une fois, il devait avoir dix-sept ou dix-huit ans, devant tous les consommateurs de vin rouge du Bon Coin, le café le plus fréquenté du village, il a sauvé, in extremis, trois tonneaux d'un demi-muid chacun d'une éventration certaine et d'une forte hémorragie, en retenant la charrette qui les transportait et qui avait pris la pente vers le Cabaret Neuf alors que le livreur rentrait les mules sans avoir mis le frein ! Ce géant peut s'émouvoir jusqu'à pleurer des larmes énormes bien sûr, au mariage de sa sœur comme à l'enterrement d'un voisin.


Bref, ce 14 février, sur le coup des 8 heures du matin, Auguste, ses deux mules, sa charrette et son chargement de bûches se mettent en branle : il fait froid, le vent n'a pas faibli dans la nuit, les bêtes frissonnent, leurs sabots font sonner le sol glacé et on ne verra pas le soleil aujourd'hui ; devant la mairie il consulte le thermomètre : 23 degrés en dessous de zéro ; il pense qu'il lui faudra une heure pour rejoindre le pont du Chalon, plus une pour Peyrins, ça descend mais par ce gel il vaut mieux monter, c'est moins risqué. Ensuite deux pour Romans, rejoindre le cours Bonnaveaux et l'enseigne du notaire Maître Deflouse, passer au dépôt des frères Dipneuse et charger les tonneaux pour les prochaines mises en barriques de la cuvée 1900, autant pour retourner, plus les arrêts pour se recharger en consommable liquide.

Au même moment, Ferdinand Rebol quitte le pont du Chalon avec un attelage de mules et un chargement de bois qu'il va livrer au Bourg du Péage et chargera ensuite un voyage de ciment et de sable. Burais et Rebol se connaissent, ils sont conscrits ou peu s'en faut. Chacun va décharger puis recharger les mules et la meule, tant qu'à faire.

Sur le retour, à la sortie de Romans, ils se rencontrent au passage à niveau et s'arrêtent au Café Fleuri pour boire un coup, enfin, façon de dire quoi. En 1901 un travailleur qui tombe ses 5 litres de blanc et même de rouge quotidiennement ne saurait être considéré comme un alcoolique !

Quand ils sortent du bistrot, il est 16 heures environ, le ciel plombé ne laisse rien présager de bon, leur démarche et leur façon d'insulter leurs mules non plus ; le père Chastel qui les a servis évaluera à trois ou quatre le nombre de bouteilles consommées.

Les longs fouets de cuir claquent et maltraitent les bêtes plus qu'il ne faudrait. Ils s'avancent en convoi sur la route de Mours, négligeant le Café de la Place car la pause aura lieu à Peyrins.

La température reste basse, il neige, une neige si fine, si froide et si légère qu'on se demande quand elle va finir par toucher le sol. Les sabots des mules ripent sur les parties glacées de la route et quand elles pètent le petit cumulus de gaz qui s'échappe de leur fondement est parfaitement visible comme la vapeur du sifflet des locomotives. Ce repère visuel s'ajoute aux deux autres, le son et l'odeur, permettant à nos muletiers de localiser leur équipage quand, titubant un peu, ils s'éloignent du convoi.

18 heures : c'est la dernière halte à Peyrins chez Grobois ; la température baisse encore et le niveau des bouteilles aussi.

Vers les 21 heures, nos deux compères repartent. Ils sortent du village et s'engagent sur la montée de Saint-Roch. Burais va devant, il zigzague et quand il se retourne pour repérer son collègue on dirait que sa tête l'entraîne et le déséquilibre ; ses mules, elles, tirent droit, Rebol et les siennes suivent, pas loin derrière. À mi-côte, Burais se retourne encore et constate, surpris, que Rebol n'est plus derrière lui. Il arrête ses mules et fait demi-tour, le fouet en main pour aller aux nouvelles ; il s'approche de l'attelage et ne voit pas son ami, inquiet il passe derrière la charrette et aperçoit un individu qui se tient accroché à l'échelle du véhicule, côté droit. Rebol et lui accompagnaient les voitures en marchant à gauche ; pris de peur et surtout de boisson, il pense qu'il a affaire à un chemineau, il l'interpelle :


– Que fais-tu là, qui es-tu ?


Pas de réponse.

Burais, bourré, n'est pas patient et voit rouge rapidement, même s'il a bu du blanc.


– Lâche cette voiture ou je te la fais lâcher !


Pas plus de réponse.

C'était un ultimatum !

L'inconnu ne le sait pas mais va vite comprendre : déjà, Burais a levé le fouet au-dessus de sa tête et il le frappe avec le manche plusieurs fois, l'autre lâche prise comme prévu et glisse au sol.

Burais repart en tête du convoi et fait démarrer son attelage, celui de Rebol suit. Quelques mètres plus loin, pris de remords cette fois, il revient sur ses pas. Il trouve l'homme gisant dans une mare de sang, le haut du visage broyé par les coups.

Tout se bouscule dans sa tête, il doit retourner au village signaler la disparition de Rebol et le massacre de cet homme.

Il se rend au bistrot, raconte l'incident ; on réveille le garde champêtre, on prévient le maire ; les deux officiels se rendent sur les lieux avec une charrette et un adjoint, ils ramènent l'inconnu qui est bien mort ; on l'étend sur le comptoir du bistrot ; en pleine lumière, on l'identifie : c'est Rebol, qui en a manqué sur le coup.

Burais comprend sa méprise, il éclate en sanglots ; on appelle les gendarmes…


Il échappera à l'échafaud mais sera condamné au bagne. C'est à Saint-Laurent-du-Maroni qu'il séjournera, jusqu'en janvier 1915, car il était considéré comme un détenu fiable. Cette année-là verra quelques condamnés choisir d'aller sur le front, Burais en sera. Son commandant l'accueillera un mois plus tard avec des mots forts :


– Burais, on a besoin d'hommes, servez votre pays pour expier votre faute, si vous n'y restez pas, peut-être que l'on étudiera un recours en grâce. Allez, la France vous offre une nouvelle chance !


Deux jours plus tard il avance avec un groupe dans une tranchée ; il découvre l'indicible : les corps qui pourrissent, plus ou moins entiers, couverts de boue, de sang et de merde.

Il fait à peine jour, mais suffisamment pour que le tireur d'élite allemand de la tranchée d'en face puisse ajuster sa tête qui dépasse ; la balle traverse sans peine le crâne de Burais, le mélange de sang, d'os et de cervelle se disperse, arrosant généreusement ses collègues tandis que la balle vient mourir, elle aussi, contre le bord opposé.


Décidément, il ne fait pas bon être trop fort ou trop grand en ce début de 20e siècle.



 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   Anthyme   
22/6/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Une fois n’est pas coutume, je fais l’impasse sur la teneur de cette pathétique histoire …

… … … …

J’aime les textes simples dans leur facture : ils interpellent mon affect d’autant plus qu’ils ménagent mon intellect.

C’est, je pense, ce qui donne une telle force à votre narration dont la forme se met au diapason de la nature « primaire » des faits relatés.

… … … …

Bravo.

   placebo   
23/6/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↑
- "Bref" : utile ?
- "30 ans avant Giono" : l'auteur se fait plaisir, mais casse un peu l'histoire
- Vocabulaire bien en place, solide.
- "Même s'il a bu du blanc", "qui en a manqué sur le coup" : c'est une blague qui se vaut, mais qui dénote ici. Il y a des pointes d'humour ailleurs dans le texte qui passent mieux. Après, il ne faut pas forcément écouter les commentateurs, sinon il ne reste plus rien du texte à force d'épurer pour « améliorer » ^^

J'ai bien aimé ce fait divers. Les 5 litres quotidiens me rappellent "Uranus" de Marcel Aymé, avec son géant tenancier de bar descendant ses 12 litres (si mes souvenirs sont bons).

Manquant un peu de surprise après l'incipit, mais bien mené.

Bonne continuation,
placebo

   hersen   
23/6/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Une ambiance authentique. J'aime bien les histoires qui me racontent le quotidien de mes grands-parents ( enfin, façon de parler, j'espère qu'ils picolaient moins !). L'auteur ne cherche pas à faire de l'effet et il raconte simplement, sans juger quoi que ce soit. Je dirais que c'est la force de cette nouvelle. On peut certes penser que ces deux conducteurs ont la descente facile, que la méprise est dramatique, mais on nous raconte le froid, on nous raconte comment on voyageait à l'époque, on nous raconte une livraison de bois. Du coup, c'est le lecteur qui voyage dans une autre époque.
Des petites blagues qui à mon avis, n'apportent rien ( Burais voit rouge même s'il a bu du blanc) mais ça ne gêne pas, c'est l'auteur qui décide.
Auteur qui a su adapter un style efficace pour une " reconstitution", en quelque sorte, qui fonctionne très bien.
Merci pour cette lecture.

   bigornette   
26/6/2015
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour MecLouffi.

L'histoire est pas mal, mais il manque à votre style le sel qui lui donnerait toute sa saveur. Il est question d'excès dans cet épisode : excès de poids, de taille, excès de froid, excès de boisson, et enfin excès de violence. Or on ne sent pas cet excès dans le style employé. Les frasques des deux compères nous sont décrits de façon presque factuelle (par exemple la température qu'il fait, le nombre de litres qu'ils ont bu ; je ne pense pas que Giono nous aurait donné des chiffres). On est entre le rapport de police et l'histoire contée au coin du feu. J'aurais préféré lire une tragédie violente et forte, avec du froid qui vous saisit les os, des litres de vin descendus, des coups de fouet, des bêtes qui gémissent, des insultes, et au final cette immense bêtise. Pour résumer, au lieu de nous expliquer ce qui se passe, faites-le-nous davantage sentir. Merci.

   AlexC   
8/7/2015
 a aimé ce texte 
Pas ↑
Hello MecLouffi,

J'aime la démarche. Restaurer un fait divers d'antan, mariant ainsi récit historique et péripéties pittoresques, attise la curiosité.

J'aime moins le respect scrupuleux du style de l'époque. Je me perds dans quelques phrases interminables. Ma tête vacille, bercée par ce ton neutre au tempo monotone. J'attends l'action, le drame, ce fait qui mérite d'être divers après une préparation plus que charitable, mais pas de bol, toujours alerte, je vois le coup venir et me spoile tristement toute surprise.

Bref, j'ai l'impression d'assister à un match de tennis à la télé sans les coups de maître de Federer et les boutades de Djoko.

J'aurais aimé que vous m'emmeniez sur les traces de nos deux compères avec un style plus élancé, serinant les phrasés surannés et les anecdotes hilarantes, comme autant de bonbons à l'ancienne : sucrés, nostalgiques et colorés.

Je tique :
"vous croyez voir un ours et votre sang se glace tant que vous ne le reconnaissez pas, si vous l'avez déjà rencontré bien sûr."
"ce n'est même pas un morceau de bois, c'est plus encore : c'est un arbre qui marche !"

Je jubile :
"Décidément, il ne fait pas bon être trop fort ou trop grand en ce début de 20e siècle."

Difficile de transformer un fait divers en nouvelle palpitante, c'est sans doute pour cela que les quotidiens régionaux sombrent dans l'oubli les uns après les autres...

Alex

   carbona   
10/10/2015
 a aimé ce texte 
Pas ↑
Bonjour,

L'idée du fait divers romancé est sympathique mais je n'ai pas été emballée. Je n'ai pas réussi à me plonger dans votre récit. Tout ce qui entoure le fait divers ne m'émeut pas, me laisse de glace. La description météorologique est longue et sans intérêt à mon sens, la description de Burais également et même la suite et fin de sa vie.

Je n'accroche pas avec la manière dont vous avez traité le sujet qu je trouve, forcée et superficielle. J'ai l'impression que vous avez essayé de broder et je n'y crois pas.

L'humour que vous glissez de-ci, de-là ne m'emballe pas non plus.

Désolée.

Merci pour votre texte.


Oniris Copyright © 2007-2023