Partie I :
- C’est donc ce que tu vas faire ? Me parler de toutes ces choses ? Pourquoi ? Je ne peux plus rien t’apporter visiblement, tu ne m’as pas appelé depuis plus d’un mois maintenant. La dernière fois que tu as eu besoin de moi était le 26 avril 2007 lorsque c’était notre anniversaire.
- Je le sais bien, Colin, mais j’ai besoin de te rappeler maintenant, donc si je te redemande, tu dois venir, n’est-ce pas ?
- Certes ...
- Tu veux vraiment m’aider cette fois ? Et même si tu n’acceptes pas, tu n’as pas vraiment le choix. Si je veux que tu m’écoutes, tu devras m’écouter, car tu es là maintenant.
- Je t’écouterai dans ce cas, mais ne sois pas trop long.
- Nous verrons cela, ce n’est pas à toi de décider ce que je vais te dire, écoute-moi et ne discute pas, je décide. Pourquoi refuserais-tu une nouvelle fois de m’écouter ? J’ai besoin que tu m’écoutes !
- Allons-y, tu vas me raconter nos souvenirs ? Tu le sais très bien, évoquer ces moments te gêne encore, tu ne les as pas encore oubliés, tu les regrettes toujours. Tu ne pourrais pas m’oublier un peu ? J’aimerais vivre moi aussi dans un autre endroit que ton esprit torturé.
- Et si je te dis que j’en ai besoin ? C’est mon droit, non ? Je t’écris pour que tu m’écoutes, et tu es prisonnier dans mon esprit qui n’a jamais cessé de t’idolâtrer, aussi pitoyable que tu puisses être ! Tu devrais prendre cela comme un honneur venant de celui qui t’a toujours aimé, venant de moi, Vivien.
- Un honneur ? Tu me mets en cage et m’obliges à te lire, comment oses-tu venir me parler d’honneur pour une personne vampirisante comme toi ?
- Parce que, tu es honoré d’être dans cet écrit, n’est-ce pas ?
- Non.
- Tu l’es !
- Non.
- Tu dois l’être.
- Mais je ne le serai probablement jamais, je t’ai abandonné, tu t’en souviens ? Qui doit être en position de tortiller ? L’abandonné ou l’abandonneur ?
- Peu importe ma position, je suis supérieur à toi.
- En quoi ?
- Je suis supérieur à toi, c’est tout alors écoute-moi.
- Je t’écouterai. Mais n’espère pas avoir un traitement de faveur de ma part, n’espère pas ma gentillesse qui serait de toute façon fausse.
- Je ne l’attends pas, mais je veux réévoquer tous ces souvenirs avec toi.
- Je les connais déjà, même s’ils me sont bien indifférents aujourd’hui.
- Ils ne le sont pas pour moi, Colin.
- C’est bien pour cela que je suis avec toi à supporter tes plaintes incessantes. Le pire est que tu rêverais de tout me dire sans retenue, mais cette crainte de ne plus te contrôler est encore avec toi. Arrête cette retenue, arrête d’être aussi méprisant envers tout (sauf envers moi) et dis-moi les choses clairement, que diable, lâche-toi !
- Nous verrons cela, mon but est de me remettre en question sans t’oublier, tu penses pouvoir m’aider pour cela ?
- Et tu poses encore cette question ?
- Je ne fais que demander ...
- Rassure-toi, tu pourras le faire, je suis prêt à tout écouter, mais ne retiens pas tes larmes, tes rires et tes excès de colère, sinon je m’en irai.
- Je fais ce que je veux.
- Dans la mesure où tu m’appelles, non.
- C’est à toi d’être là pour moi, tu peux bien faire cela pour moi, celui que tu as presque oublié ?
- Oui, allons-y, je t’attends pour commencer.
- Nous y sommes, commençons donc par notre rencontre, tu le veux bien ?
- Je ne fais que t’attendre
Partie II :
- Tu te souviens du 15 avril de l’année 2006 ?
- Ces souvenirs sont bien éloignés maintenant, Vivien, tu ne peux pas me demander de m’en rappeler en détails.
- Moi je m’en souviens très bien. Avant nous ne parlions que par téléphone et par écrits, mais ce jour-là a été différent, veux-tu que je t’en fasse le résumé ?
- Agis à ta guise, surtout que je ne m’en souviens presque pas, donc il va falloir me redonner quelques éléments pour aider ma mémoire. Je me tais, continue.
- J’ai traversé une petite partie du pays pour aller au Havre, près de chez toi, une matinée du 15 avril où je suis parti à onze heures de chez moi, si je pouvais te décrire tout ce que je ressentais ce jour là, j’en aurais pour des heures... la première fois que j’allais te rencontrer, j’en étais encore à ces émotions restées puériles. J’allais passer cinq jours chez toi, toi qui as toujours su me faire exister autrement que par le fils de mes parents, l’ami de quelqu’un, le frère de ma grande soeur, maintenant, j’existe. J’existe ! Même encore aujourd’hui, j’ai appris à exister et à bien le montrer aux autres.
- Cela ne m’étonne pas de toi...
- Fais un effort... bon je continue. J’ai attendu bien trop longtemps avant de te rencontrer, je suis parti à midi et demie du train pour être au Havre à quinze heures ! Trois heures dans ce fichu train en comptant les changements à Paris, c’était bien difficile à attendre. Tu imagines l’angoisse ? Trois heures passées sans te parler sachant que j’allais te rencontrer juste après ! Trois heures... les trois plus longues heures de ma vie probablement !
- Tu étais si pressé que cela ?
- Probablement, mais d’une certaine façon, j’avais peur. C’était si nouveau pour moi ! J’allais embrasser quelqu’un pour la première fois, et je savais que j’allais le faire, je savais que tu allais le faire, j’étais terrifié, comment on embrasse ? Comment on aime ? Comment je vais faire en le voyant ? Comment je vais attendre ces trois heures ? Je n’en pouvais plus !
- Je devais être excité de te voir ce jour là, probablement...
- On parle de moi là je crois... pourquoi écrire sur moi pour parler uniquement de toi ?
- Possible.
- Ensuite, je suis sorti de ce train et tu étais là, toi, Colin, tu m’attendais insouciamment adossé sur ce poteau et en me voyant, tu as eu cette petite réaction et ce regard particulier me disant « tiens, le voilà », j’étais là, et cela te faisait rire. Tu étais incroyablement sûr de toi, comparé à mes membres tremblants.
- Tu étais mort de peur.
- Puisque je viens de te le dire ! J’avais plutôt peur et toi, tu étais tellement confiant, je ne savais pas comment faire, et le pire a été à l’arrière de la voiture, tu t’en souviens ?
- Je me suis essayé à un premier baiser et tu as tourné la tête tellement tu avais peur.
- Exact, et tu as dit « tu fais le timide », c’était drôle, tellement drôle, mais j’avais vraiment peur. Ce premier baiser a dû attendre. Je suis alors entré dans cette étrange voiture rouge ressemblant à une très petite camionnette, à l’arrière de la voiture et toi à l’avant avec ta mère au volant. Et ainsi, tu as fait quelque chose dans cette voiture, quelque chose que je ne pourrai jamais oublier.
- Qu’ai-je donc encore fait ?
- Non, ce n’est pas quelque chose de mauvais, tu as profité d’un instant où ta mère regardait autre part pour me tendre ta main derrière le siège de la voiture, comme si le monde nous appartenait. Qui y prêtait attention à cette main à l’exception de nous ? Personne. Personne à part mon âme, personne à part mon cœur battant de plus en plus fort, personne à part mon bonheur.
- Cela t’a tant marqué ?
- Bien sûr, je ne pouvais être plus heureux et cette main valait tous les baisers du monde, vraiment. Elle les valait, crois-moi. Ainsi, tu as tenu ma main tout le trajet durant jusqu’à notre arrivée chez toi.
- Chez moi, tu devais être impressionné, non ?
- Plus spécialement par le fait que j’allais monter dans ta chambre que par celui de voir ton couloir. J’ai pris mes affaires, j’ai gravi cet escalier gigantesque et j’ai senti tes lèvres effleurer mon cou et ta main me dire d’avancer.
- À côté de ce dont tu te souviens, j’ai une mémoire vraiment limitée, tu as toutes ces images en détail dans ta tête, c’est assez effrayant.
- J’aurais trouvé cela plutôt effrayant si je ne m’en souvenais pas. Je ne veux pas les oublier, ces moments, ils ont été probablement les plus importants de ma vie, pourtant, j’ai vécu bien d’autres choses positives et négatives, mais cette expérience a de loin été la plus grande de ma vie.
- Tu préfères les écrire par peur des les oublier ?
- Oui.
- Mais crois-tu vraiment que tu les oublieras ? Tu ne m’as pas appelé dans ta tête depuis bien longtemps déjà, tu avais peur d’oublier tout cela ?
- Oui. Mais laisse-moi continuer.
- Je t’écoute.
- Tout s’est passé ensuite tellement vite, tu as été tout pour moi, tellement tout qu’un jour j’en ai pleuré sans savoir pourquoi. J’ai pleuré, pleuré, pleuré en cherchant pour quelle raison je pleurais, mais je ne savais pas pourquoi. Tu es venu, et tu m’as dit froidement que pleurer était inutile, que cela t’énervait de me voir dans cet état, même si je m’étais excusé.
- Tu m’en veux pour ça ?
- Bien sûr ! C’était peut-être ennuyant de me voir pleurer, mais c’était ma toute première fois, pas toi. J’étais peut-être trop émotif en ces moments, mais je n’ai jamais retrouvé cette émotion avant une autre fois dont je te parlerai plus tard.
- Pourquoi plus tard ?
- Parce que ! Nous en sommes aux évènements d’avril 2006, pas à ma vie d’après !
- D’accord, ce n’est pas moi qui écris.
- Tout à fait, je décide tout dans cet écrit, tu dois te contenter d’écouter.
- Me revoilà dans ce beau rôle...
- Exactement, et tu dois par respect de l’honneur que je te fais, te taire ! Enfin non, ne te tais pas, mais écoute-moi !
- Je ne vais pas te le répéter encore, je t’écoute ! Je suis là pour toi, tu m’as appelé, tu m’as comme invoqué encore une fois pour me dire tout cela, tu ne vas pas me le reprocher encore, non ?
- J’ai d’autres choses à te reprocher.
- Lesquelles ?
- Tu les connais. Tout cela pour dire que ces moments ont été magiques, jamais je n’avais vécu de cette façon, tu me crois lorsque je dis ça où tu crois que j’exagère encore ?
- Il y a des deux...
- Possible, mais j’étais sincère dans cette expressivité trop forte, enfin je suppose.
- Tu supposes ?
- Oui ! Je ne te disais pas tout ce que je ressentais, sinon tu aurais déjà pris la fuite !
- Pour aller où ?
- Loin de moi, je suppose.
- Tu supposes ?
- Tu aurais eu peur en voyant tout ce que j’avais au fond de moi ! Même moi je ne le savais pas vraiment encore, ou peut-être même que je ne le sais toujours pas et il est possible que je ne le saurai jamais. J’étais plutôt perturbé à cette période, vois-tu ? Tout cela était de ta faute !
- On y revient ...
- C’est pourtant vrai ! Tu es entré dans ma vie à une vitesse folle sans me laisser le temps de mesurer mon propre bonheur, mes propres envies, et à la fin de ce séjour, j’étais vraiment triste de partir.
- Tellement triste que tu as failli pleurer.
- Si je n’ai pas pleuré, c’est parce que tu m’en as en quelque sorte empêché, c’était peut-être trop puéril pour monsieur Colin, et tu m’as dit « si l’on se quitte aujourd’hui, c’est pour mieux se retrouver ».
- Je t’ai dit une telle phrase ?
- Oui. Et finalement, je suis parti, avec toi. Tu as pris une partie du trajet de train avec moi et nos routes se sont séparées à la gare de Rouen, je t’ai vu partir dans la foule, me repassant dans ma tête toutes ces images avec toi comme un album photo personnel. La fois où tu me tins la main pour la première fois, la rencontre avec ta sœur, le moment où tu m’as acheté une glace à la violette alors que nous étions à la mer, la fois où tu m’as présenté tes amis, les coups de fil que je passais à mes amis une fois chez toi, la toute première fois où je t’ai parlé au téléphone où mon écran de télévision était sur Lara Croft et où tu me parlais de Shining, un film de Stanley Kubrick, bien d’autres moments encore vinrent s’ajouter à ceux-ci.
- Tu repartais chez toi ?
- Pas vraiment, j’allais passer trois jours chez une amie, ensuite dès mon arrivée, j’allais chez des amis de lycée, je retournais chez moi une nuit et enfin, je devais aller chez mon amie Morgan le 26 avril.
- Ah ce fameux 26 avril ...
- Oui, une date inoubliable tellement elle fut remplie.
- Que de mauvaises choses ?
- Non, ne t’en fais pas.
- Tu vas donc me parler de ce qui s’est passé après mon départ chez mon ami de Caen ?
- Oui, et tu devais t’estimer heureux que je te laisse y aller.
- Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre...
Partie III :
- Ensuite, que s’est-il passé ?
- Tu es donc parti chez ton ami, et moi je passais quelques jours chez mon amie de Paris, Margot. J’avais passé de fort bons jours avec elle, une femme très accueillante m’avait hébergé pour être avec Margot, elle nous a emmenés dans un parc d’attractions très grand où j’eus très peur même, Margot m’avait emmené dans un manège en hauteur, et j’ai peur du vide.
- Je m’en souviens, tu me le disais souvent.
- Pendant ce temps, tu me disais que tu étais avec des amis pendant plusieurs jours et que nous ne pourrions pas nous appeler.
- Je devais finir ce séjour le 26 avril il me semble.
- Oui, tu m’en avais parlé le jour où j’étais chez Morgan. Je rentrai donc de Paris deux ou trois jours après, heureux de me retrouver enfin chez moi, avec tellement de choses à raconter, même Morgan ne savait pas que j’étais avec toi, elle ne savait pas que celui pour qui j’aurais fait n’importe quoi était un garçon. Elle ne le savait pas... Le 24 avril, j’étais invité et la soirée se passa fort mal, c’était une soirée dans une tente et personne ne nous a prévenus, j’ai passé une nuit horrible dont le souvenir me fait encore rire. J’avais pour seule couverture mes habits et un bout de duvet, j’avais pour seul oreiller un sac et il pleuvait et j’étais à l’entrée de la tente, coincé dans la boue et la tôle qui servait de palier.
- J’imagine la bonne soirée que tu as passée. Tu te souviens d’Alexandre ?
- Alexandre... Je l’ai appelé ce jour-là. Il était l’un de nos amis en commun, Alexandre. Je n’étais pas très rassuré à l’idée qu’il essayait de te séduire. Il me disait toujours qu’il nous soutenait, qu’il ferait tout pour nous aider, et regarde tout cela maintenant...
- Ne disais-tu pas que tu voulais parler des évènements d’après ton départ de chez moi ?
- Oui, tu as raison. Je suis finalement rentré le matin avec ma meilleure amie, et tu n’étais pas là, je n’ai eu qu’Alexandre pour moi. Dès le soir je m’étais endormi tôt et nous nous étions manqués. Tu étais venu et j’ai eu cette surprise le lendemain matin, le jour du 26 avril.
- Tu avais même passé le message à Alexandre, mais je n’étais pas là.
- Je le sais, mais je ne t’en veux pas.
- C’est faux.
- Je ne t’en veux pas.
- Tu ne m’en veux plus.
- Peut-être, mais j’étais plus en manque de ta présence qu’irrité de ton absence ; puis je n’étais pas vraiment seul, j’avais Alexandre et il me parlait même de m’acheter un passe pour avoir des réductions pour les billets de train.
- Ce fameux passe...
- Il représentait beaucoup à mes yeux même si cela me gênait quelque peu de devoir le laisser me le payer, mais avais-je vraiment le choix ? Je ne pouvais pas refuser cette offre trop alléchante.
- Combien de jours s’étaient écoulés depuis ton arrivée à Paris et cette matinée du 26 avril ?
- Cinq jours il me semble. J’étais parti de chez toi peu de temps après ce moment, la matinée si insouciante d’un jour dont je me souviendrai toujours.
- Je m’en souviens aussi, mais je ne me rappelais plus de la date.
- Je n’ai jamais cessé de l’oublier et en quelque sorte de célébrer tous les 26 de chaque mois.
- Tu y étais attaché à ce point ?
- Il était comme une malédiction ce fameux jour et je ne pouvais pas y échapper. Je ne t’ai jamais dit tout ce qui s’était passé ce jour-là, où chaque seconde, de minuit à onze heures cinquante-neuf, était aussi précieuse qu’un diamant.
- Tu peux me le dire maintenant, je t’écouterai même s’il est trop tard, un an et deux mois après.
- J’aurais aimé t’en parler avant, mais le sort en a décidé autrement et tu ne peux le changer. Laisse-moi te raconter ce jour inoubliable du début à la fin.
Partie IV :
- En me réveillant ce jour là, je me souviens avoir poussé un cri de terreur dès mon réveil en criant « oh non, Colin », c’était plutôt drôle.
- Pour quelle raison ?
- Parce que je n’avais pas vu que tu avais essayé de me contacter sur mon téléphone et mon étourderie pendant mon sommeil m’avait bien puni...
- Tu avais passé une mauvaise nuit, c’est probablement pour cette raison.
- Si j’avais su à quoi m’attendre ce jour si beau, je crois bien que je serais resté au lit quelques heures encore...
- Et tu crois qu’en le faisant, tu aurais changé cette journée ?
- C’est ce que je me suis toujours dit, mais avec cette année pour réfléchir, je pense que tu as raison, on ne peut changer le cours d’une journée par la simple volonté, surtout qu’on ne sait jamais ce qu’il se passera demain ; c’est l’une des seules choses dont on peut être sûr.
- Comment a commencé cette journée ?
- Je me suis levé de bonne humeur étrangement. J’étais heureux de me lever, heureux d’aller passer cette journée chez Morgan avec mes meilleurs amis : Jérémy, Myriam et une autre fille était venue, Maud. Ces prénoms te sont inconnus, mais je préfère les nommer.
- C’est faux, tu me parlais souvent de Myriam. Cette fille comme les autres représentait quelqu’un d’important à tes yeux, je me trompe ?
- Bien sûr qu’elle est importante, c’est quelqu’un qui a probablement changé ma vie, je ne l’oublierai pas, je ne prétends pas faire mon chemin avec elle toute ma vie, car seul demain nous le dira. Donc je devais aller chez Morgan avec Myriam, tu me suis ?
- Oui.
- Et toi, tu ne me parlais plus, tu devais probablement dormir ou être avec tes autres amis. J’étais très content de cette rare journée où j’étais enfin avec mes amis, un moment si heureux que j’allais passer, un moment qui commença d’ailleurs très bien, nous arrivâmes les premiers chez elle. Je m’en souviens encore, nous avions même fait un gratin dauphinois que Morgan a raté. Ainsi, j’ai passé avec eux l’un des meilleurs après-midi de ma vie. Pour l’une des premières fois, personne ne vint perturber cette journée parfaite.
- Que s’y était-il passé ?
- Des choses qui peuvent paraître bien banales. Jérémy et Morgan s’entendaient toujours très bien à cette période, et nous avions tous passé un bon moment. Cette journée était pleine de rires, pleine d’entrain, j’étais le plus heureux du monde. Tu imagines, Colin ? J’étais avec le meilleur des garçons du monde et je passais une après-midi avec des gens que j’aimais de tout mon cœur, sans les éléments perturbateurs du petit groupe d’amis que je m’étais fait.
- Je ne devais pas assez bien te connaître à ce moment là, mais cette journée avait pour toi son importance, tu me parlais souvent d’eux, tu les idéalisais.
- Je les idéalisais, oui. Mais ce temps est révolu à présent. À la fin de la journée, nous devions aller voir un film que tous voulaient regarder, mais j’avais déjà assisté à une séance de cinéma sur ce film, c’était avec toi, donc nous sommes allés en voir un autre, et tout le monde a été finalement satisfait de cette projection.
- Comme si cette journée était parfaite.
- Elle l’était, nous sommes sortis finalement pour prendre à manger, des hamburgers même et prendre un autre film en location pour le regarder chez Morgan. Même que Jérémy avait coincé la carte dans le distributeur de vidéos. Qu’est-ce que j’ai ri... et juste après cela, tu m’as appelé ; toi ; Colin, tu m’as appelé.
- Je venais de me réveiller...
- Je m’en souviens encore, c’est toi qui me l’as dit, tu disais des choses si réconfortantes, que tu allais à nouveau te coucher, que tu étais fatigué et que tu allais rêver de moi probablement. J’étais si heureux... que pouvais-je demander de mieux ? Mon cœur se serrait tellement je me sentais épanoui. J’avais tout ce bonheur, pour moi tout seul ! Tu imagines ?
- À ce moment, je ne le savais pas...
- Ce n’est plus important maintenant.
- Alors pour quelle raison m’as-tu rappelé aujourd’hui ?
- Je voulais cette journée pour nous deux, elle est à toi.
- J’en suis honoré...
- Tu comprends vite. Ensuite, je devais aller chercher la carte que Jérémy avait perdue au distributeur, enfin, j’accompagnais Morgan. Et à ce moment, je lui ai tout dit, elle m’a demandé comment ma dulcinée s’appelait, et je lui ai répondu...
- Colin.
- Exactement, et elle a répondu « mais c’est un garçon alors ? » et je lui ai chanté tes louanges à toi, mon amour à moi, mon propre bonheur. Elle était heureuse, heureuse pour moi et riait encore de la bêtise de Jérémy. Enfin, nous sommes repartis et nous sommes rentrés tous les cinq chez Morgan, une dernière fois avant le lendemain. Cette fois, mon téléphone sonna, mais ce n’était pas toi, c’était Alexandre, il me parla quelques instants et sans que je ne m’en soucie outre mesure, il me dit « attends-moi, je te reparle dans quelques minutes. » J’ai raccroché et je suis reparti m’amuser.
- Que faisait-il ?
- Il te parlait. Je suis donc retourné dans le salon, Myriam imitait les chanteurs qu’elle voyait à la télévision, Morgan et Maud riaient et Jérémy me regarda, moi, le garçon toujours au téléphone, revenir à la civilisation. Je les ai prévenus qu’Alexandre allait me rappeler et je ne pensais pas à ce qui allait arriver après, je les regardais juste s’amuser, sans penser une seule seconde qu’une heure après, ma vie allait basculer.
- Je me suis senti presque responsable de ce moment.
- Je ne voulais pas te croire lorsque je l’ai su, tu ne regrettais rien. La seconde d’après, le téléphone sonna à nouveau ; et cette journée bascula. Alexandre était différent. Moi même je n’y pensais pas, je n’y faisais pas attention, aveuglé par toute cette douceur. Mais quelque chose était vraiment différent des autres fois ; et en riant, je dis « Il ne veut plus de moi peut-être ? » et son silence me glaça le sang. C’était une blague, n’est-ce pas ?
- J’aurais aimé.
- Je ne pouvais pas le croire, il mentait, de toute façon, il voulait t’arracher à moi, tout ça n’était qu’un mensonge, je lui demandai des explications, mais il ne m’en a pas données. Tu ne pouvais pas partir, tu m’aimais, n’est-ce pas ? Tu me l’avais encore dit il y avait une heure de cela. C’était faux, c’était un mauvais rêve, j’allais me réveiller, cette si belle journée ne pouvait finir ainsi, c’était impossible, impossible.
- Pourtant, tu voulais t’en rendre sûr, n’est-ce pas ?
- Tu te souviens de ce moment toi aussi. Je t’ai téléphoné, et lorsque tu as décroché et entendu ma voix, le son du téléphone fut la seule réponse à mon « peux-tu m’expliquer cela ? ». Tu as coupé ton téléphone, tous les moyens de te contacter, tu les as coupés. D’une seconde à l’autre.
- Je m’en souviens.
- Tais-toi, c’est à moi de parler. Tu as fait sombrer mon empire en dix minuscules secondes, tu as brisé cette confiance en l’avenir, tu m’as brisé moi, en ce 26 avril 2006 aux alentours de 21 heures.
Partie V :
- Que s’est-il passé ensuite ?
- Je ne m’en souviens plus très bien. J’ai encore des images, mais elles sont floues. Alexandre est resté près de moi toute la soirée pour essayer de me calmer, et les autres sont restés calmes. Ils sont venus me voir à un moment et je remarque que c’est la seule fois où ils m’ont vu pleurer. La première et la dernière fois. Je n’ai presque pas dormi cette nuit là, Alexandre est resté et j’ai perdu tout, en une soirée, en dix minuscules secondes.
- Je voulais t’en parler moi-même, mais il l’a fait avant. Je ne sais pas pour quelle raison il l’a fait, mais il t’a prévenu en plein milieu d’une soirée.
- Tu imagines tout ce que cela aurait changé, tous les anniversaires auraient été le 27 au lieu du 26 ! Tout aurait changé, cette journée aurait été totalement transformée.
- Certes, mais elle t’aurait évité bien des malheurs devant autant de gens.
- Je ne pense pas. Le malheur aurait été toujours là, je le sais. Mais les jours d’après furent les pires.
- À partir de là, je ne faisais plus partie de ta vie, je ne peux pas savoir tout ce que tu as pu vivre après. J’ai presque disparu. Je vais donc te raconter le chaos que tu as laissé derrière toi, enfin, le chaos que ton départ a laissé.
- À cette époque, je ne pensais pas t’avoir tant fait de mal. Tu étais peut-être comme tout être humain abandonné, tu allais me détester, me dénigrer, mais cela ne m’importait pas vraiment.
- Je le savais, le début n’a pas forcément été le plus difficile, après cette journée, les personnes présentes à cette soirée ont été plutôt compréhensives, mais les autres ont mal réagi. J’avais vu comme tout le monde aidait son prochain lorsqu’il était en peine, et j’avais pensé que cette fois, c’était à moi, c’était mon tour, mais penses-tu, personne n’est venu me voir à part Myriam. J’ai eu droit à quelques phrases réconfortantes de la part d’une fille de ma classe qui s’appelait Anaïs, mais j’ai eu des réactions totalement intolérables.
- Comme lesquelles ?
- Tout d’abord, te souviens-tu de Marion ?
- Non.
- Elle avait été plutôt sèche en apprenant mon départ, mais juste avant que je ne parte, nous avions parlé et elle m’a soutenu, jusqu’à la fin de mon séjour chez toi, et un jour, elle est venue me dire quelques insultes parce que ma tristesse n’était pas comparable à celle des autres, sous entendant qu’elle était inférieure.
- Stupide.
- Elle n’était pas stupide. Elle aussi était comme moi, et cela n’a rien donné de bon, nous avions pris de la distance, mais un jour, elle s’est excusée et à présent, nos relations sont devenues à nouveau normales. Elle me manque.
- Tu ne vas pas te mettre à pleurer pour si peu tout de même. Je t’ai dit de pleurer si tu en ressentais le besoin, mais pas de pleurnicher pour espérer attirer mon attention.
- Qu’en sais-tu ?
- Je te connais, je suis dans ton esprit depuis un bon moment déjà. Je suis le grand Colin.
- Grand, seulement de taille, tu es petit. Infiniment petit.
- Je n’en suis pas si certain, mais continue, je dois finir de t’écouter.
- Ma mère n’a pas non plus approuvé, et petit à petit, les choses ont dégénéré avec ce traître d’Alexandre. Il a commencé à se mettre de mon côté et à vouloir que je lui offre mon corps, mais jamais je n’ai accepté, je t’aimais trop pour cela. Il s’est montré patient envers moi, gentil et attentionné, donc je lui ai pardonné cette erreur.
- Il te voulait vraiment ?
- Oui. D’après ce qu’il m’a dit, je crois que oui et c’était plutôt clair. Mais cela ne me dérangeait pas. Ce n’était pas si grave, ensuite, il a commencé à te parler de plus en plus même s’il me disait qu’il te détestait, et il me défendait toujours. Il a toujours été là pour moi, toujours à me parler, pour me protéger. Puis un jour, tu es tombé amoureux de lui et il a accepté ton amour, il est venu tout me dire. Il me racontait des détails inutiles de votre vie sexuelle, me disait à quel point c’était bien d’être avec toi, mais je prenais sur moi. Même si j’en avais des douleurs au ventre, c’était le seul moyen d’entrer en contact avec toi, le seul. Je ne pouvais pas le laisser passer pour une simple douleur.
- Il t’a menti. Je n’ai jamais laissé mon corps à ce menteur. Nous ne nous étions pas adonnés à de tels actes. Tu me crois ?
- Si tu me le dis... mais à ce moment, je le croyais. Cet Alexandre, cette Marion, ma mère, Colin et mon échec scolaire du moment, tout s’accumulait jusqu’à ce que je sente ma tête exploser. J’ai attendu ainsi un an. C’est long un an. J’ai fréquenté d’autres personnes après toi, cherchant en chacun d’eux une part de toi, mais aucun ne t’arrivait à la cheville, aucun ne me faisait ressentir ce que toi tu m’as donné.
- Je n’en suis pas peu fier.
- Tu as de quoi être fier, personne n’a le droit de se jouer de moi comme cela. Depuis ton départ, je suis devenu quelqu’un de mauvais.
- Qu’en sais-tu ?
- Je vais te le dire.
Partie VI :
- Tu avais perdu ta naïveté, celle dont j’avais su jouer. C’était presque trop facile.
- Arrête. Tu n’as pas joué avec celle-ci, c’est seulement ce que je pensais. Tu n’es pas le grand manipulateur méchant que je m’obligeais à croire que tu étais. Tu n’avais juste plus aucun sentiment pour moi. La passion, l’amour, l’affection, tout était parti.
- C’est peut-être pour cette raison. Tu m’aimes encore ?
- Non, je ne t’aime plus à présent, j’aime seulement le souvenir de nous difficile à regarder dans un miroir.
- Tu as toujours besoin de moi.
- Je ne t’oublierai jamais, pas aussi facilement que les autres. Mais je n’ai plus besoin de toi, j’avais peur avant, de te dire adieu, mais je me suis promis de le faire le jour de notre anniversaire. Puis tu es revenu.
- Je suis revenu, c’est vrai.
- Ce 12 avril 2007, je m’en souviens toujours. J’ai eu si peur ce jour-là, tout ce dont je rêvais depuis un an se retrouvait sous mes yeux, au moment où je m’en doutais le moins.
- Je suis avec toi à présent.
- Je le sais, mais je dois construire quelque chose de nouveau, viser peut-être la personne qui sera susceptible de me faire ressentir autant de choses que toi.
- Tu l’as trouvée ?
- Je ne sais pas. J’espère la trouver, mais je te le dirai une fois certain que tu auras un successeur digne de ce nom. - Finalement, tu t’es également lassé de ton amour pour moi.
-J e voudrais vivre maintenant, pouvoir marcher sans te voir partout où je suis, quitter cette chambre qui empeste l’odeur des larmes versées pour toi, fuir mon antre de Colin, fuir ce mois d’avril dont je me souviendrai chaque jour de ma vie. Je t’ai dit adieu, et je le pense toujours.
- Alors tu peux voler de tes propres ailes aujourd’hui ?
- Je peux, mais j’ai encore besoin de t’avoir près de moi, en simple souvenir, mais je voudrais que tu quittes mon esprit.
- Tu as réussi à le faire il y a un mois, tu pourras le faire aujourd’hui encore, n’est-ce pas ?
- Je pourrai, mais j’aimerais t’invoquer encore quelques fois, seulement quand j’aurai besoin de toi.
- Je resterai. Mais ne cherche pas à me remplacer.
- Te remplacer ? Jamais. J’aurais aimé le faire, mais je sais que personne ne viendra changer nos souvenirs. Tu as habité mon esprit un an durant, et tu l’habiteras encore quelque temps, mais laisse-moi respirer un peu ! Je veux vivre maintenant, mais il y a des jours comme celui ci, ce 14 juin 2007 où j’ai besoin de te rappeler à moi, comprends au moins mon besoin de voir plus haut que ton ombre.
- Tu aimais la voir. Même si elle te faisait pleurer, tu as aimé vivre avec elle.
- C’est vrai, mais maintenant, c’est fini. Je peux m’occuper de toutes ces choses seul, je suis devenu un grand garçon, tu sais ?
- J’aimerais bien te croire.
- Je ne sais pas comment finir. J’aimerais aller ailleurs, t’oublier, mais je ne peux plus. Il serait temps pour moi de clore cette période, cette année de Colin, pour en finir avec cette thérapie.
- Regarde ce qui s’offre à toi maintenant, mon ombre ne te sera pas suffisante éternellement, même si quelques passions te la font oublier pour un petit moment.
- Je ne pourrai pas empêcher certains souvenirs de surgir de ma mémoire, quelques mémoires qui vont se dégager du monstre qui les protège. Ils me feront rappeler à quel point ces temps étaient difficiles mais pour quelques semaines de bonheur, cela valait peut-être la peine, tu ne crois pas ?
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