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Humour/Détente
Menvussa : Rêve bateau dans un ascenseur [concours]
 Publié le 02/12/09  -  24 commentaires  -  38754 caractères  -  225 lectures    Autres textes du même auteur

Nos rêves ne nous porteront jamais plus loin qu’au bout de la nuit.


Rêve bateau dans un ascenseur [concours]


Ce texte est une participation au concours n°10 : 4x4 (informations sur ce concours).



27 novembre 3797 – 10 h 42.


Je me suis enfin décidé à monter au vingt-deux mille quatre cent vingt-septième étage de la tour cent cinquante-sept de la quatre-vingt-septième rue de… Oui je sais, vous n’en avez rien à faire.


Trois ans, quatre mois et dix-sept jours. C’est le temps qu’il m’a fallu pour mettre en application cette décision. En fait, si ma mémoire ne me trahit pas, c’est la quatorzième fois que je me présente au pied de cet ascenseur.


Procrastination me direz-vous ! Peut-être… Moi, je suis « pro » rien du tout, mais si vous insistez !


Ce matin, je ne pouvais plus, reculer. Je savais qu’il m’était impossible de faire autrement que de monter dans ce qui m’emporterait vers un monde meilleur ou me précipiterait vers l’enfer. Allez savoir pourquoi ! En fait c’est mon instinct de survie qui m’a imposé ce choix… Tu parles d’un choix. C’est ce que j’ai expliqué à madame Pulpic, ma voisine de palier.


- Non, je n’exagère pas, madame Pulpic. Regardez la brochure. Oui, je sais, elle date un peu… elle est du 1er septembre 3791, mais justement, les choses ne font qu’empirer, l’immeuble grandit. Il s’élève et s’enfonce tout à la fois. J’ai la police des étages aux trousses. Déjà deux avertissements. S’ils m’attrapent, je suis bon pour le deux cent cinquante-septième sous-sol, sans ascenseur, celui dont on ne remonte pas, vu qu’il s’enfonce plus vite qu’on ne peut en gravir les marches.


- Qu’est-ce qu’ils vous veulent ? m’a demandé madame Pulpic, avec son regard de poulpe.


Je ne m’attendais pas à la question, ça m’a fait tout drôle au niveau des intestins, un grouillement, un gargouillis, une flatulence difficilement maîtrisée. C’est vrai… qu’est-ce qu’ils me veulent ceux-là ? Alors, j’ai regardé madame Pulpic, droit dans les yeux et Dieu sait que ce n’est pas évident de fixer un poulpe sans se laisser aller à vomir son petit déjeuner, je l’ai regardée et je lui ai dit :


- Ben ! J’sais pas madame Pulpic ! J’sais vraiment pas.

- Ça doit être grave, alors ! m’a-t-elle répondu sur un ton où se mêlaient l’amertume, le dépit, l’ironie, une colère contenue et une forme de cynisme mal dissimulé. Puis elle est rentrée chez elle. Je n’aime pas madame Pulpic.


Ces précisions ont l’air de vous ennuyer… Que voulez-vous, l’idée de prendre cet ascenseur m’a toujours horrifié. C’est qu’il s’en dit des choses. On raconte les histoires les plus extravagantes, les plus terrifiantes, sur ces ascenseurs. Je ne connais personne qui soit revenu d’un tel voyage.


Je prends l’ascenseur de onze heures trente. Je sais, je suis un peu en avance, mais il vaut mieux être prudent. Une chance qu’il soit déjà là… j’ai horreur d’attendre sur un palier. J’ai eu raison de réserver une place assise, le voyage est interminable, enfin, je crois. Oui c’est hors de prix, mais ce déplacement, je ne le ferai qu’une fois dans ma chienne de vie. C’est un peu comme un pèlerinage.


Voyez-vous, je me suis bien équipé, provisions, vêtements chauds, carte, boussole, détecteur de métaux, parapluie, parachute, lunettes de soleil, bottes garanties pure soie, tente igloo et préservatifs… On ne sait jamais… il vaut mieux sortir couvert. Bref rien que le strict nécessaire.


Un guide ! J’aurais peut-être dû prendre un guide. Ils en font des jetables aujourd’hui, costauds, aux multiples ressources. Mais je parle, je parle… je ne me suis même pas inquiété de ce qui vous amène ici.


Gérard se regarde dans la glace déformante qui orne une des parois. Il se voit beau, grand, attirant, il se sait laid, petit et repoussant et trouve cela à la fois triste et comique. Il est seul sur son strapontin rouge à deux mille crédits mais ne tardera certainement pas à voir arriver ses compagnons de voyage.


Encore trente-trois minutes à attendre, il est satisfait de sa petite répétition, il se sent prêt à affronter n’importe qui. Rien de tel qu’un dialogue avec soi-même pour prendre un peu d’assurance. Tiens à propos d’assurance, il vient de se rappeler qu’il a oublié de renouveler la sienne, mauvais présage !


Une haute silhouette se présente à l’entrée de la cabine. Le départ est prévu dans trois minutes et, mis à part un petit caniche fort poli et bien pomponné, personne n’est encore monté, à ce point que Gérard se demande s’il a bien fait de louer ce strapontin.


Le thermomètre mural indique vingt-deux degrés centigrades au-dessus de zéro, la climatisation vient de se mettre en route et un haut-parleur encastré dans le plafond se met à diffuser un air ancien d’origine inconnue, dans sa version humide, érotique, lénifiante, pessimiste : Help !


La haute silhouette vient de pénétrer. Le petit caniche s’est fendu d’un « Bonjour ! », a pris un coup de pied amical dans son petit postérieur charnu et s’est mis à baver de plaisir. Du coup, Gérard préfère s’abstenir. D’ailleurs, il ne sait rien de ce voyageur, homme, femme, androïde ou robot. Non ! Pas robot… ils n’ont pas le droit de prendre l’ascenseur.


Une voix résonne dans le haut-parleur. Atone, asexuée, monocorde et tutti quanti. Elle annonce en dix-huit langues le départ imminent de l’ascenseur et continue par un petit bulletin météo.


Gérard se dit qu’il a bien fait de prévoir une petite laine et que, merde, il a oublié son ciré. Puis, sur un ton péremptoire, la voix déclare d’attacher sa ceinture.


Gérard cherche du regard la fameuse ceinture, la panique commence à le gagner, le thermomètre indique vingt-six degrés centigrades au-dessus de zéro.


Tout à coup, un sourire se dessine sur son visage, il se lève, réajuste la ceinture de son pantalon et se rassoit rasséréné, il a failli oublier qu’il n’était que dans un ascenseur, quoique, quel ascenseur !


Dans le haut-parleur, la voix a poussé un soupir de soulagement et annonce la fermeture automatique de la porte, qui obtempère aussitôt.


La cabine s’ébranle, le caniche se lèche, Gérard s’applique à garder son calme, ce qui le stresse un peu et la silhouette demeure impassible.


La silhouette. Parlons-en, justement de la silhouette, puisque nous avons du temps à tuer. Elle est grande, mince, drapée dans une toge de la tête aux pieds, ne laissant apparaître qu’une paire de lunettes aux verres fumés. « De la tête aux pieds » est une image car si on devine la première, on ne sait rien des seconds et le bon sens nous porte à croire qu’ils n’existent pas, tant il est vrai que la silhouette semble flotter.


Encore un qui veut voyager incognito se dit Gérard en tournant sa langue cinq fois dans sa bouche, vu qu’il n’a rien à énoncer à haute voix mais qu’il est toujours bon de prendre un peu d’avance. Le caniche s’arrache des touffes de poils et la silhouette, restée debout, semble changer de pied d’appui.


Vu qu’il reste vingt-deux strapontins non occupés, Gérard se dit que le drap ambulant n’a pas dû réserver de place assisse et que, respectueux du règlement, il préfère s’abstenir. Il est vrai que les contrôles sont sévères, la cabine est sous surveillance vidéo. Le caniche rougit.


La cabine ralentit, la voix off annonce : « Cent vingt-septième étage, personne ne descend. »


Ça tombe bien car Gérard n’avait pas l’intention de descendre. La silhouette n’a pas bronché, le caniche est endormi… à moins qu’il ne soit mort, ce qui serait tout de même étonnant, aucun signe précurseur n’ayant fait son apparition. Gérard est mort de rire du fait de cette réflexion toute personnelle, qu’il a bien entendu gardée pour lui. On ne sait jamais, les contrôleurs situés derrière les caméras n’ont pas toujours un sens de l’humour très développé.


Comme c’est amusant ! En voici justement un qui descend du plafond. Une petite porte s’est ouverte discrètement à l’arrière de la caméra, libérant une petite échelle de corde que notre minuscule contrôleur a descendu prestement.


Une fois au sol, il se dépêche vers le caniche pour s’assurer de l’excellence de sa respiration. Il le touche du doigt. Le caniche ouvre un œil, puis la gueule et croque le contrôleur sans autre forme de procès.


« Merde ! » se dit Gérard. « J’espère que la caméra n’aura pas filmé la scène. Le jeu des acteurs était à chier, le caniche a même failli s’étrangler avec la casquette. »


La toge de la silhouette est d’un jaune pisseux, un peu comme celles des bonzes bronzés d’Asie. Oui, je vous rappelle que nous étions partis pour en parler, mais ayant été dérangés par l’apparition du contrôleur malencontreux, ou par la malencontreuse apparition du contrôleur, je préfère changer de sujet.


Au cent vingt-septième étage donc, monte une petite bonne femme toute recroquevillée portant un cabas aux coutures usées.


Avant que Gérard n’ait pu lui poser quelque question que ce soit, elle annonce qu’elle va faire ses courses au cent trente-troisième étage.


Gérard n’est pas dupe. Il sait qu’il a vraisemblablement affaire à un espion déguisé. Mais, comme il s’en moque éperdument, il ne réagit pas. La silhouette reste zen, le caniche est pris d’une crise de hoquet… la casquette, sans doute.


Au cent trente-troisième étage, la cabine s’arrête à nouveau, la vieille descend et Gérard se dit que, vraisemblablement, il s’est trompé sur son compte, que cela n’a aucune importance mais que, par contre, au train où vont les choses, ce qui peut sembler paradoxal pour un ascenseur, le voyage risque de prendre beaucoup plus de temps que prévu et que, immanquablement, ses provisions de bouche vont finir par lui faire défaut.


Heureusement, entre le cent trente-troisième étage et le mille vingt-quatrième, l’ascenseur file bon train.


Arrivé à cet endroit précis la voix dans le plafond annonce un arrêt sans changement d’ascenseur. Sur le coup Gérard se sent un peu soulagé. La voix invite les voyageurs à se rendre dans la boutique « duty free » située juste en face, de l’autre côté du couloir, soit à environ deux enjambées et demie. La voix annonce également aux voyageurs qu’il leur faut être prudent pour traverser et qu’un train peut en cacher un autre. Gérard se cramponne à son strapontin réfrénant une furieuse envie de braver l’inconnu, sa décision est prise, il ne bougera pas. La silhouette dans un glissement traverse et disparaît dans la boutique, suivie du caniche qui, réveillé en sursaut, s’élance et se fait écraser par l’express de 13 h 48. Nous sommes bien peu de chose.


La silhouette est revenue s’asseoir, apparemment satisfaite d’avoir manqué le train, chargée d’un sandwich avarié et d’une bouteille de Bourbon douze ans d’âge.


Gérard hésite. Il voudrait engager la conversation mais sa répétition de tout à l’heure ne comportait pas de phase d’approche et il se sent un peu désemparé. « To talk or not to talk, that is the question » Cette citation, qu’il pense aussitôt erronée, vu qu’elle ne lui rappelle rien, lui est venue comme ça, l’air de rien, comme quoi il faut se méfier de ces petits riens.


La silhouette tousse et il n’en faut pas plus à Gérard pour se lancer, ce qui bien sûr n’est qu’une image car Gérard n’a pas lâché son strapontin.


- Bonjour ! Il fait beau, n’est-ce pas ?


Qu’est-ce qu’il en sait, Gérard, s’il fait beau ! Et qu’est-ce qu’il en a à faire ! Mais cette manière conventionnelle d’entamer une conversation lui convient… il adore les conventions, enfin… il croit ; car c’est sans doute la première fois qu’il s’adresse ainsi à un parfait inconnu. Gérard se dit que la silhouette n’est pas là par hasard. Qu’est-ce que le hasard ? Gérard a horreur du libre arbitre. Il se dit que cette rencontre n’est pas anodine, qu’elle va sans aucun doute lui montrer la voie. Un signe, insigne peut-être mais un signe tout de même. Et puis, c’est vrai quoi ! Gérard ne se rappelle pas avoir croisé le moindre arbitre de toute sa chienne de vie. Mais n’encombrons pas l’ascenseur avec de tels propos.


- Bonjour ! Il fait beau. Les oiseaux gazouillent, le chien est sorti et ce n’est pas pour autant que les souris dansent.


Gérard se sent rassuré, la silhouette lui semble posséder des références identiques aux siennes, le chien est sorti. Par contre… les souris…


- Qui êtes-vous ? demande Gérard.

- Qu’est-ce que cela peut vous foutre ! lui répond la silhouette sur un ton au demeurant fort amical.


Gérard réfléchit. C’est vrai ça… il n’en a rien à faire…


- C’est une convention, reprend Gérard, quelque peu surpris de l’étonnement qui semble avoir marqué un instant son interlocuteur peu loquace.

- Ah ! Vous m’en voyez ravi. Dans ce cas, je suis un fantôme.

- Un fantôme !

- Un fantôme… sans chair et sans os.

- C’est curieux !

- Comment ça curieux ?

- Disons qu’il est assez étrange de rencontrer un fantôme de votre acabit dans un cagibi tel que cet ascenseur.

- Je vois que monsieur fait dans l’humour ! Vous prenez souvent l’ascenseur ?

- Non ! En fait c’est bien la première fois.

- Alors ! Que savez- vous de l’étrangeté qu’il y a de rencontrer un être tel que moi en pareil endroit ?


Gérard se gratte la tête puis le menton. Son assurance s’émousse, sa frimousse se renfrogne, sa trogne s’assombrit. Que répondre à cela ? C’est que le bougre voilé a de la répartie !


- Vous avez sans nul doute raison. Je me suis laissé emporter par ma fougue.


Un silence se fait. Ce premier contact n’aura pas été très probant.


Idiosyncrasie ! Ce mot raisonne dans la tête de Gérard. Il lui semble qu’il tombe fort à propos pour qualifier le comportement pour le moins déroutant du drap qui lui tient compagnie. Il lui semble mais il n’en est pas sûr. Ce mot ne lui est que vaguement connu, quelques réminiscences… Il se revoit devant mademoiselle Klopf une très belle femme, aux formes avantageuses, sa psychologue attitrée. À la seconde séance elle s’était montrée d’humeur volage, elle avait usé d’un test très particulier pour sonder le « moi » de Gérard. Quelques instants, trop brefs, plus tard, son corps nu écrasé par le « sur-moi » de Gérard, encore bien jeune à cette époque, elle énonçait quelques principes psychosomatiques de forme onomatopée… tiques, auxquels le jouvenceau n’avait rien compris, absorbé, qu’il était, par l’intérêt singulièrement professionnel que lui portait mademoiselle Klopf.


À la fin de la séance, une fois recoiffée et impeccablement mise, elle l’avait regardé, lui, encore tout chamboulé, mal fagoté, gauche et maladroit sur ce divan devenu subitement trop grand. Puis griffonnant sur son calepin elle avait prononcé ce mot : « Idiosyncrasie ». Elle l’avait prononcé à voix haute, clairement, accentuant chaque syllabe, comme pour s’assurer qu’il soit inscrit à jamais dans une des petites cases perdues au tournant d’une des nombreuses circonvolutions du cerveau torturé de ce pauvre petit Gérard… Il n’avait que quinze ans !


- Est-ce que ça va ?


La voix chantante aux tonalités inhumaines du ténor enrubanné vient de tirer Gérard de sa torpeur. Il regarde sans vraiment le voir le drap animé.


- Vous désirez ? Je rêve ou vous vous inquiétez de ma santé ?

- Vous rêvez et vous rêviez sans aucun doute. Votre santé ne m’inquiète pas plus que celle de ce chien emporté par l’express sans un crissement de frein. Mais je ne tiens pas à vous voir vous affaler, cela ferait désordre.


Gérard se lève, s’étire, constate que le fantôme est assis sur le strapontin qui lui fait face et pense que l’ectoplasme a fait une entorse au règlement, à moins qu’il n’ait, lui aussi, payé une place assise ; mais dans quel cas, pourquoi avoir commencé par voyager debout ? C’est fou ce que Gérard peut gamberger. Il regarde sa montre et décide qu’il est l’heure de manger un morceau.


*****


Trois jours ! Trois jours et trois nuits que Gérard voyage ainsi ballotté entre un drap qui parle, le souvenir d’un chien écrasé et ses rêves érotiques avec sa psy libidineuse.


À l’aube de ce quatrième jour, le fantôme, se penchant vers lui, annonce : « Bateau ».


Gérard le regarde, complètement ahuri. Bateau ! Pourquoi pas chapeau tant qu’on y est ? Il est ravagé ce fantôme.

La porte de l’ascenseur vient de s’ouvrir sur une étendue d’eau immense, parfaitement étale. Gérard croit apercevoir, à l’horizon, ce qui pourrait bien être une porte, mais il n’en est pas sûr.


- Il vous faut prendre le bateau annonce le fantôme sentencieusement.

- Le bateau ? Quel bateau ?

- Celui de sept heures quarante-deux, évidemment ! reprend le fantôme avec dédain.


Les aiguilles indiquent sept heures quarante et une. Gérard passe la tête par la porte de l’ascenseur, aucun bateau en vue.


- Attention malheureux, vous allez tomber.


Tout à coup le bateau est là, devant la porte. Une passerelle vient d’être sortie, qui relie l’ascenseur au pont supérieur. Une casquette apparaît, une tête hurlante, celle du capitaine.


- Mais qu’est-ce que vous attendez pour monter ?


Sous la poussée du fantôme, Gérard s’exécute et se retrouve sur le pont d’un magnifique paquebot. Affable, le capitaine lui fait les honneurs de son bâtiment. La visite se termine par la salle des machines d’une propreté surprenante et d’un silence oppressant.


- Ce n’est pas banal ! ose Gérard.

- C’est normal, c’est du toc, répond le capitaine, en poussant son invité vers la sortie.


De retour sur le pont, tout semble plus petit. Gérard s’en inquiète et s’enquiert auprès du capitaine.


- Mon pauvre monsieur ! Si les gens connaissaient la vérité, personne ne s’engagerait sur cette galère.


Gérard assis, les fers aux pieds, rame avec assiduité. Le fantôme donne la cadence en tapant comme un sourd sur deux tambours. Le capitaine vocifère et fait claquer son fouet, car il s’ennuie à ne rien faire.


La traversée prend une journée complète et, au plafond, les lampes sont presque éteintes lorsque le capitaine, d’une voix chaleureuse annonce qu’il est temps de quitter son navire.


- Mesdames et messieurs, le capitaine vous remercie de l’avoir honoré de votre présence. Il espère que vous avez fait bon voyage. Attention à la marche en descendant et n’oubliez pas le guide, merci !


L’ascenseur se met en mouvement. Gérard constate qu’il est en tout point identique au précédent.


- C’est tout à fait normal ! annonce le fantôme.

- Normal ? mais je n’ai rien dit !

- Je lis dans vos pensées.

- Mais c’est interdit !

- Ne vous formalisez pas, nous sommes entre nous.

- Il n’en demeure pas moins surprenant que cette cabine soit parfaitement identique à la précédente.

- C’est normal, c’est la même, regardez sous votre strapontin, le sac que vous avez oublié tout à l’heure.

- Vous voulez dire que nous avons fait une boucle avec le bateau et que nous sommes revenus à notre point de départ ?

- Pas du tout ! Ce serait idiot ! Complètement idiot ! Non, c’est la cabine qui a changé de cage. On ne vous a pas parlé des changements de cage ?

- Non ! on m’avait juste prévenu qu’il faudrait parfois changer d’ascenseur.

- Que voulez-vous, les règles ont changé, des contraintes à respecter. Ascenseur, bateau, ascenseur... Il ne faut plus changer d’ascenseur.

- Mais c’est stupide ! Pourquoi pas un arbre pendant que vous y êtes.

- Oh ! mais vous ne croyez pas si bien dire, j’en connais qui ont pris cette option, pas plus tard que… il y a bien longtemps en fait !

- Et alors ?

- Alors quoi ?

- Qu’ont-ils fait ?

- Rien ! la branche a cassé.

- Mais encore ?

- Ils sont tombés.

- Où ?

- En bas !

- Vous vous fichez de moi ? Je m’en doute qu’ils sont tombés en bas, mais que leur est-il arrivé ?

- Ils sont tombés dans le grand Canyon et se sont fait éjecter de l’histoire.

- Bigre !

- Je ne le vous fais pas dire.


L’ascenseur continue son ascension car, que faire d’autre. Les étages s’enchaînent les passions se déchaînent dans la cabine où nos deux héros confinés laissent s’épancher leurs émotions les plus diverses. Rien de tel que de discuter avec un parfait inconnu pour se vider de tous ses ressentis.


La voix off se fait entendre une fois de plus. Elle annonce le sept mille six cent trente-septième étage. Le secteur semble n’être pas très sûr car la voix se fait murmure chargé d’angoisse, risque d’attaque des pirates d’étage. La voix ordonne le couvre-feu. Les lumières s’éteignent, le silence se fait total, l’ascenseur ralentit sa course et glisse sans bruit le long de ses câbles, les minutes se font éternité. Tout à coup la machine s’arrête, Gérard est projeté au sol et le fantôme au plafond. Le bruit d’un objet métallique que l’on heurte à la porte de la cabine… et c’est l’ouverture.


Rideau ! Le capitaine des pirates entre, suivi de deux acolytes alcooliques.


- Que personne ne bouge ! déclare-t-il d’une voix forte.


Gérard, assis sur le sol, tremble et ce n’est pas de froid. Le fantôme, malgré l’ordre sans équivoque, redescend lentement… c’est physique.


- Salut Marcel !


Le pirate vient de s’adresser au drap flottant sur un ton narquois. Ce dernier, trop occupé à ne pas se froisser ne répond pas.


- La bourse ou la vie !


Gérard, terrifié, fixe, les yeux hagards, le barbare assoiffé de sang et de rhum à en croire l’haleine empuantie et la petite bouteille qui pointe son goulot hors la besace qu’il porte sur le côté.


- Donnez-lui votre sac ! déclare le fantôme à Gérard pétrifié.


Ce dernier s’exécute. Le capitaine des pirates jette un œil, renifle un coup, laisse tomber un « pas terrible », trucide un de ses acolytes et repart en traînant le cadavre encore chaud derrière lui.


- Vous l’avez échappé belle !


Gérard se relève tout tremblant.


- Mais je n’ai plus rien à manger et le voyage est encore long.

- Si vous n’aviez obtempéré, vous seriez, à l’heure qu’il est, débité en tranches fines en lieu et place de votre salami.


Gérard médite. Il est vrai que ses victuailles commençaient sérieusement, au bout de cinq jours de voyage, à sentir la nourriture avariée, mais de là à penser que le pirate lui a rendu service, il y a un pas qu’il ne se voit pas franchir ; et puis ! mourir de faim ne le tente guère plus que mourir empoisonné. Que n’a-t-il donc pensé à emporter son réfrigérateur miniature à pile à combustible ?


- Je vous vois dubitatif et un rien découragé, mon jeune ami. N’ayez crainte, vous pourrez vous ravitailler en 1889.

- Comment ça au 1 889e étage ! nous venons juste de passer le 7 643e.

- Je ne vous parle pas d’étage mais d’année. Nous allons arriver en 1889.

- Mais qu’est-ce que vous me racontez ? 1889 ? mais c’est tout bonnement impossible.

- Croyez-vous aux fantômes ?

- Non ! mais je…

- Alors vous voyez que tout est possible. Et puis là, il ne s’agit que d’un trou de ver.

- Un trou de verre ?

- Oui, un trou de ver ! ne me dites pas que vous ignorez ce qu’est un trou de ver !

- Non ! bien sûr… d’où l’expression boire comme un trou ! Dites, cher fantôme, ne seriez-vous pas légèrement imbibé ?

- J’avoue que je ne vous suis pas. Mais, peu importe, nous arrivons.

- Ah ! 1889 ! La prise de la Pastille.

- Quoi ! Je pense qu’il vous faut revoir votre géographie… c’est 1789 et non 1889 la prise de la Bastille.

- Oui, bon, à cent ans près… Mais pourquoi devrais-je revoir ma géographie ?

- Parce que 1789 c’est un peu plus loin sur la gauche et trois étages plus bas.


La porte de l’ascenseur s’ouvre et le spectacle d’une rue fin dix-neuvième s’offre alors à la vue de nos deux compères. Le fantôme se précipite histoire de prendre l’air du temps. Gérard, abasourdi, s’apprête à lui emboîter le pas.


- Vous n’y comptez pas malheureux ! Vous allez vous faire absorber par ce siècle dépassé, engloutir à jamais.

- Mais vous ?

- Moi, c’est différent. N’oubliez pas que je suis un fantôme. Attendez-moi, je reviens ! le temps de vous trouver quelques commerçants ambulants.


Gérard se sent las. Ce voyage, pourquoi s’est-il donc risqué à l’entreprendre. Oui, c’est vrai, la police des étages… Mais tout ce qu’il découvre aujourd’hui lui semble tellement plus déroutant, terrifiant. Il attend le fantôme, juché sur son strapontin, regardant le spectacle de cette rue inconnue.


Le soir commence à tomber sur le décor, un allumeur de réverbère vient de le saluer en passant lorsque enfin le fantôme revient.


- Voilà ! Je vous ai trouvé : un rémouleur, un vendeur de journaux à la criée, un cireur de chaussures, une petite marchande d’allumettes, un vendeur de pommes à la sauvette qui, soit dit en passant, me semble un peu louche, un poulet.


Gérard n’en croit ni ses yeux ni ses oreilles. Ce fantôme est véritablement cinglé. Que faire d’un rémouleur, d’un cireur de chaussures et d’une marchande d’allumettes ! Il pique un journal, le panier de pommes et cherche désespérément le poulet, sous l’œil intrigué d’un képi mâchonnant son sifflet.


- Anacoluthe ? questionne le fantôme.

- À vos souhaits.

- Je ne m’adressais pas à vous mais au narrateur et de façon inopportune, laissons tomber.


Gérard de plus en plus perplexe, se gratte la tête. Le fantôme, sans nul doute, perd la boule et pour ce qui est de collationner des victuailles, la chose semble bien compromise. Juste avant que la cabine ne redémarre il a pris, des mains d’une belle, la fleur infundibuliforme qu’elle lui tendait, une sorte de lys. Ni les cris, ni les coups de sifflets n’ont pu arrêter la cabine et Gérard amusé est parti sans payer.


- Dites donc, vous n’abusez pas un peu de la situation ?

- Si peu. C’est une bien maigre consolation. Me voici avec une douzaine de pommes peu appétissantes pour tout bagage. Comme rabatteur vous ne faites guère le poids.

- Cessez de vous plaindre dans quelques centaines d’étages nous devrions pouvoir chasser du plus gros gibier.


Le voyage prend des allures d’aventure surréaliste. Le fantôme devient de plus en plus incohérent et tout cela n’est pas pour rassurer Gérard qui s’endort, l’estomac tiraillé par la faim.


Il dort d’un sommeil entrecoupé de hoquets, de ronflements, de mots incompréhensibles qui sortent tout mélangés de sa bouche entrouverte et baveuse.


Un fumet de viande rôtie vient lui chatouiller les narines. Il ouvre un œil. Au beau milieu de la cabine le fantôme a improvisé une rôtissoire. Un cuissot de chevreuil tourne lentement et l’odeur alléchante finit de réveiller Gérard.


- Tenez ! lui dit le fantôme en lui tendant un succulent morceau de viande grillée à point.


Gérard s’en saisit, remercie, goûte et se régale. Une fois rassasié il interroge son compagnon de route.


- Mais où diable avez-vous réussi à dénicher cette viande délicieuse.

- En 3300, l’année, pas l’étage. Je préfère prévenir. Nous venons par ailleurs de dépasser le onze mille huit cent trente-septième étage. Vous avez bien dormi ?

- Encore un trou de verre ? Une histoire sans fond.

- Oui un trou de ver qui m’a permis d’aller chasser en 3300 avant JC.

- Vous auriez dû me réveiller.

- C’est ça ! Pour risquer de vous voir disparaître ? Non, croyez-moi, il valait bien mieux que je vous laisse dormir. D’ailleurs il s’en est fallu de peu qu’un tigre, entré dans la cabine, ne vous emporte. Voyez donc l’état de ma toge.


Gérard regarde. Le drap du fantôme est tout déchiré. En dessous de ce drap, il n’y a rien, Gérard voit à travers. Soit Marcel, comme l’a appelé le capitaine des pirates, est vraiment un fantôme, soit c’est un nain qui fait de la lévitation. Depuis qu’il est entré dans cet ascenseur, Gérard trouve que le monde qui l’entoure est de plus en plus étrange. Et dire que le voyage n’est pas près de se terminer.


*****


Du temps a passé, beaucoup de temps.


Depuis cinq jours, Gérard demeure prostré dans un coin de la cabine. Il est seul. Son compagnon s’est volatilisé. Cette disparition ne s’est pas faite d’un coup mais progressivement sur deux ou trois mille étages. L’altitude, lui a dit le fantôme avant de disparaître. À ses côtés une gourde vide. Il n’a rien pris depuis deux jours et se sent extrêmement fatigué.


Hier, la voix off a annoncé le dépassement du vingt-deux mille cent dixième étage. Le voyage touche à sa fin, pourtant Gérard a l’impression qu’il s’éternise.


La cabine vient de s’arrêter. La voix off annonce, pleine d’entrain :


- Terminus ! Tout le monde descend.


La porte de l’ascenseur s’est ouverte sur un couloir désert. Une toute petite bonne femme vient de descendre à l’aide d’un filin de derrière la caméra de surveillance : la voix off. Après avoir regardé s’il n’y avait aucun danger, elle saute sur le sol et s’enfuit en courant dans le couloir. Pas de train pour l’écraser, Gérard est seul. Un tableau lumineux vient d’apparaître sur la paroi du fond de la cabine : un compte à rebours. Gérard comprend qu’il lui faut quitter la cabine au plus vite. Il rampe vers le couloir.


Arrivé à la porte il constate qu’il ne peut plus avancer. Sur le mur qui lui fait face, pile à deux mètres du sol, une pancarte indique, montrant par une flèche le fond du couloir : « Le Mec ».


Gérard, pétrifié, voudrait bien mais ne peut point, avancer dans ce couloir et découvrir ce Mec. Appuyé contre la paroi de l’ascenseur, il lève péniblement un pied et constate avec stupeur que c’est le couloir qui se transforme en tapis roulant et, s’engouffrant dans la cabine, lui apportant le bureau derrière lequel se cache un petit homme, portant costume sombre : Le Mec en noir.


Le bureau, manquant de basculer en butant sur le seuil, pénètre dans l’ascenseur. Sans préambule, Le Mec questionne Gérard :


- Qu’êtes-vous venu chercher ici ?


Gérard reste coi. C’est quoi cette question stupide ?


- Je répète : qu’êtes-vous venu chercher ici ? J’aimerais ne pas être obligé de répéter deux fois.

- J’ai faim et soif ! murmure alors Gérard d’une voix rauque et sèche.


Sa bouche est pâteuse et il en a vraiment assez de toute cette mise en scène.


- Mais ça ne va pas ! Vous n’avez pas appris votre texte ? Ça n’est pourtant pas compliqué ! Vous devez répondre : « La sérénité ». Je repose ma question tâchez d’y répondre correctement.


Gérard ne cherche pas à comprendre. Il est trop las. À la question, il répond ce que souhaitait entendre Le Mec et ajoute qu’il a faim et soif.


Sortis de nulle part, des femmes et des hommes s’engouffrent dans l’ascenseur, qui a pris des allures de salle de bal, l’entourent en applaudissant et le portent jusqu’à une table recouverte des mets les plus fins. Là il peut enfin se sustenter.


Une fois repu, gavé et quelque peu éméché, il se retrouve seul dans la cabine transformée en chambre à coucher avec un coin salle de bain, le tout d’un luxe digne d’un roi. Gérard jette un œil vers le plafond, la caméra a disparu ou, elle est bien cachée. Après s’être lavé et délassé, Gérard s’endort dans un lit douillet, d’un sommeil profond et réparateur.


*****


- Vous voici réveillé mon tendre ami.


Gérard ouvre les yeux et se dresse sur sa couche. Dame Guenièvre est à ses côtés. Elle passe sa main sur la figure de Gérard, le caresse tendrement.


- Vous semblez en bien meilleure forme mon doux ami.


Gérard qui émerge doucement, découvre une femme d’une grande beauté mais qui, décidément s’adresse à lui dans un langage pour le moins désuet. C’est agréable et troublant tout à la fois.


- Vous m’avez fait peur, mon cher et tendre. Vous êtes resté si longtemps entre la vie et la mort. J’ai cru vous perdre.


Gérard ne dit rien. Que dire ? Cette femme, il lui semble la reconnaître, les traits du visage lui sont familiers, il sait son nom mais semble déconnecté de la réalité qu’elle représente. Lui demander qui elle est jetterait un trouble. Alors il ne dit rien, il attend.


Puis, il se hasarde à demander de la musique.


Guenièvre claque des mains, un ménestrel fait son entrée qui aussitôt entonne une ritournelle s’accompagnant d’un luth.


- Dame Guenièvre ?

- Oui mon tendre époux !

- Ai-je dormi vraiment longtemps ?

- Très, très, très longtemps !

- Mais en quelle année sommes-nous ?

- Mais en l’an mil.


Gérard se sent désemparé… on le serait à moins. Il essaye de remettre un peu d’ordre dans ses idées. Rêve-t-il, ne rêve-t-il pas ? A-t-il rêvé ? Ses souvenirs s’étalent sur plusieurs millénaires. Quand et comment cela a-t-il commencé ?


- Dame Guenièvre, ma bien-aimée ?

- Oui mon cher et tendre.

- Quand et pourquoi me suis-je endormi ?

- Cela remonte à plusieurs mois, lors du banquet que vous aviez mandé pour fêter la dixième année de notre union.

- Fichtre, diantre ! ça ne nous rajeunit pas.


Marié depuis dix ans avec cette beauté et ne pas en garder le moindre souvenir avait quelque chose de fort frustrant. Il continue.


- Et alors !

- Alors ! La sorcière des marais est venue pour nous annoncer la fin du monde

- La fin du monde ! rien que cela !

- La fin du monde.

- Et ?

- Vous n’étiez pas d’humeur, vous aviez un peu bu, et comme elle ne voulait pas se taire, malgré vos ordres et coups de fouets, vous avez saisi votre rapière et lui avez tranché le chef d’un geste magistral. Toute l’assemblée s’est levée pour applaudir ce geste courageux car c’était tout de même la sorcière du marais.

- Et ?

- Son ventre s’est ouvert laissant sortir un être repoussant, un fœtus diabolique, le fruit de la copulation d’un monstre des marais et de la sorcière.

- Je lui ai coupé la tête et son ventre s’est ouvert ?

- C’est cela même mon tendre époux

- Et un fœtus diabolique en est sorti ?

- Qui vous a jeté un sort !

- Un fœtus qui parlait et qui m’a jeté un sort ? Et ?

- Le fœtus est retourné dans le ventre de la sorcière et on ne l’a pas retrouvé.

- Parce que, en plus, on est allé l’y chercher ?

- Bien sûr mon tendre époux, que faire d’autre ?

- On ne l’a pas retrouvé ?

- Non ! la fouille au corps n’a rien donné, même une fois dépecé, éviscéré, haché menu, ce corps n’a rien rejeté, le fœtus diabolique n’a pas été retrouvé.


Gérard est pris d’un haut-le-cœur en imaginant la scène. Quelle horreur ! Dans quel monde de barbarie a-t-il échoué. Son monde ? Ce n’est pas possible. Pourtant, elle est belle Dame Guenièvre, et ma foi, elle lui plaît bien.


- Et que s’est-il passé après cela ? Je suis tombé inanimé ?

- Non le banquet a continué jusque tard dans la nuit. Vous vous êtes affalé sur la table, endormi, ronflant comme un soudard mais au matin vous ne vous êtes pas réveillé. Il a fallu plus de cinq mois pour que s’ouvrent enfin vos yeux à la lumière, pour ma plus grande joie.


Gérard médite. Le lit est confortable et se prête bien à la méditation. Le baldaquin crée un sentiment de sécurité. La chambre curieusement bien petite pour un lit aussi imposant renforce l’idée d’un cocon, d’une matrice. Il fait chaud, Gérard ne l’avait pas vraiment remarqué jusqu’alors, mais il fait sacrément chaud. Il ferme les yeux, peut-être que s’il pouvait encore un peu dormir…


- Qu’est-ce que vous foutez là, vous ?


La voix n’est pas agressive, juste un peu crue. Gérard reconnaît cette intonation, il ouvre les yeux.


Un mouvement de recul. L’être qui le côtoie ne ressemble en rien à ce à quoi il s’attendait. Il est petit, difforme, d’apparence visqueuse. Gérard décide d’appeler sans tarder Dame Guenièvre. Elle lui doit pour le moins quelques explications.


- Vous désirez ? demande le fœtus

- Mander Dame Guenièvre.

- C’est moi !


Là-dessus le fœtus se transforme faisant place à la Dame.


- Nom de Dieu ! s’écrie Gérard. Qu’est-ce donc que cette diablerie ?

- Oh, non ! Mon tendre ami, il ne vous est point permis de jurer, que nenni.


Gérard a des sueurs froides, il s’agite. Quel est ce délire ?


- Où est le fantôme, en quelle année suis-je tombé et en quel lieu ?

- Ici, s’écrit la dame en se mutant en l’instant en un Marcel requinqué.


La voix change quelque peu d’intonation et reprend :


- Nous sommes en l’an mil et n’avons pas quitté notre ascenseur.


Gérard a fermé les yeux. Trop, c’est trop. Comment discerner le vrai du faux, le rêve de la réalité. Ses tempes bourdonnent et il se sent comme happé, entraîné dans une chute à la fois lente et vertigineuse.


- Monsieur ! Monsieur !


La voix qui l’interpelle est douce mais ferme. Il ouvre un œil. Du blanc, un drap blanc… le fantôme ? Non, une jolie petite tête aux boucles brunes émerge de la blouse qui le surplombe.


- Monsieur ! Ça va ? Vous nous avez fait peur.


Gérard ne peut pas bouger. Il est attaché sur un lit, avec un bocal relié à son bras par un tuyau ridicule. Mais qu’est-ce que je fous ici ? se dit-il.


L’infirmière est vraiment mignonne et Gérard comprend qu’il a dû lui arriver quelque chose de désagréable, genre accident.


- Que m’est-il arrivé ? demande-t-il enfin.

- Vous avez fait une chute, monsieur.


« C’est donc ça. Une chute, un traumatisme et voilà que le cerveau se fait un film. Mon Dieu, pourvu que je n’aie pas de séquelles… Mais qu’est-ce que j’ai donc été inventer… c’est pas croyable, faudrait que j’écrive un bouquin avec toutes ces conneries qui me traversent l’esprit, il se trouverait peut-être quelqu’un pour en rigoler… »


- Dites ! J’ai peur d’être un peu amnésique…

- Ne vous en faites pas, monsieur, ce sont des choses qui arrivent.

- Quel jour sommes-nous ?

- Le dix-huit, monsieur.

- Le dix-huit… mais de quel mois ?

- Monsieur me fait marcher ! Mois d’avril.

- Et, vous allez rire mais… quelle année ?

- Je ne sais pas, monsieur !

- Comment ça, vous ne savez pas !

- C’est que je ne suis qu’un personnage de second plan ! On ne me dit pas tout.

- Attendez ! Je ne comprends rien à ce que vous me racontez. Un personnage de second plan ?

- Oui, monsieur, un personnage de second plan, un petit rôle sans importance, transitoire, un bouche-trou, un faire-valoir…

- Oh ! c’est bon, j’ai compris, mais c’est complètement ridicule, extravagant, impossible… C’est quoi ce délire ?

- C’est vous qui posez la question ?

- Ben oui c’est moi ! Et puis, où sommes-nous ?

- Vache ! Vous êtes drôlement secoué. Nous sommes dans un ascenseur. Depuis le début de l’histoire vous êtes dans un ascenseur !

- Comment ça une histoire !

- Ben vous alors !

- Attendez ! c’est pour la caméra invisible ?

- Quelle caméra ?

- Allez ! Vous me faites marcher, on est bien dans un hôpital ? Vous êtes une infirmière qui se fout de la gueule de ses patients !

- Infirmière ? Elle dégrafe sa blouse.

- Quoi encore ! Vous n’allez tout de même pas vous mettre à poil pour me prouver je ne sais quoi !


La blouse glisse jusqu’au sol, suivie d’une perruque brune. Plus rien, Gérard est seul.


- Mais, elle est con cette histoire !


Une voix venue de nulle part lui répond.


- Ça ! je ne le vous fais pas dire !

- Qui parle ?

- La voix off.

- La voix off ?

- Oui, la voix off !

- Mais il est où, l’abruti qui a pondu ça ?

- Vous vous appelez Gérard, non ?...


 
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   Anonyme   
2/12/2009
 a aimé ce texte 
Passionnément
Je viens de relire trois fois ce texte sur écran, sans pouvoir m'en détacher

Merci Menvussa. (entre parenthèses tu devrais passer plus souvent)

J'aime cette imagination débridée au service d'une histoire complètement déjantée
Je crois que toutes les contraintes y sont même au delà.
J'ai adoré tous les personnages même si souvent je me suis demandé avec eux ce qu'ils foutaient là (depuis Madame Pulpic jusqu'à l'infirmière)

Et c'est ça l'art de l'auteur les clins d'œil permanents au lecteur, la prise de recul, autodérision, un sens du rythme époustouflant (j'en suis encore essoufflée), un travail sur la longueur, bref.

Merci. Je viens de passer un moment de lecture assez inoubliable. Pour l'instant mon favori


Xrys

PS J'oubliais, c'est un des rares textes que je vais imprimer pour me le relire au moins une fois par an (ordre de mon médecin)

   Lapsus   
3/12/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Oui, l'imagination est débordante et l'écriture débridée, ce qui confère à l'ensemble une grande liberté de ton mais aussi un caractère déconstruit et facile.
Les personnages interviennent et les lieux surgissent au seul gré d'une histoire résolument fantasque qui n'a de linéaire que la montée de l'ascenseur.
Cet ascenseur, d'ailleurs, est bien plus effrayant que le fantôme qui le squatte un moment. On peut évaluer sa vitesse à 0,2 m/s, soit 90 fois moins rapide que celui des tours modernes (18 m/s), cette machine en fonction en 3797 se révèle quatre fois plus lente que celle de la Tour Eiffel en 1889.
C'est la chute d'Alice au pays des merveilles, mais en version lente.
[Edit : après un aimable retour par MP de l'auteur, j'avoue ne pas avoir saisi le sens de cette histoire. Oui, ça monte et ça ne descend pas, mais l'analogie n'est pas insensée.]
Ici pas de lapin blanc, mais une galerie de personnages non moins inattendus et absurdes, flirtant parfois avec des clichés (cf. l'ambiance de l'an 1000 relookée style les Visiteurs).
Gérard rebondit plaisamment de Charybde en Scylla, et la grande question qui nous taraude est : où va-t-il s'arrêter ?
Au milieu de ce foisonnement éclectique et de cette confusion spatio-temporelle, l'auteur finira peut-être par reprendre le contrôle.
Le trop est parfois l'ennemi du bien.
[Edit : "La mécanique de l'absurde est celle de la raison. L'absurdité, c'est obligatoirement logique, c'est ça qui est inquiétant." Raymond Devos
La nouvelle est essentiellement délirante, mais non absurde.]

   Anonyme   
2/12/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Franchement jouissif.
OK, je suis bon public, étant une grande fan de l'absurde (y a pas longtemps, en forum, on évoquait Robert Scheckely, tu m'y fais un peu penser).

OK, le "point faible" est qu'on peut qualifier ça de facile, en ce sens qu'il est inutile de se soucier de la cohérence ou de la chronologie du récit. C'est exact. Mais à côté de ça, cette plongée en absurdie est agréablement déroutante, et je n'ai pas décroché du début à la fin, me vautrant avec plaisir dans ce délire. Et l'exercice n'est pas aussi évident qu'il n'y parait.

J'ai relevé quelques petites maladresses par ci par là (mais j'ai la flemme de me replonger en détail dans le texte pour partir en chasse, surtout qu'il y en a fort peu), mais qui ne nuisent pas à la lecture.

En tout cas, j'ai passé un bon moment !

   LeopoldPartisan   
2/12/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Citation : « Gérard, tant que tu passais tes journées à écouter MicK Jéjère et les Beatles, passe encore, mais que tu fumes du hackique... non! Ta mère en a trouvé dans tes poches et tu nous empestes les cabinets avec ça. » (Michel Gérard Joseph Colucci)

Trêve de plaisanterie, voici une nouvelle dont la verve débordante et dévorante, m’a littéralement tenu scotché d’un bout à l’autre. Dans la première partie, je me suis un peu vu au pire dans un univers me rappelant celui du cinquième élément de Luc Besson (film qu’à son niveau j’ai bien apprécié) et au mieux dans l’univers nettement plus sophistiqué des cités obscures de Schuiten et Peeters. Parfois aussi dans l’univers de Milo Manara :" HP et Giuseppe Bergman". J’ai particulièrement apprécié la galerie des personnages parfois truculent parfois éminemment sympathique.
Mon seul bémol pour cette histoire, le réveil en l’an mil : je m’explique, j’étais complètement plongé dans les images du film, car l’une des forces réelles de l’écriture de Menvussa, c’est de me l’avoir carrément faite oubliée, tant son talent de conteur est captivant ; lorsque par un curieux effet de zapping, je me suis retrouvé dans les Visiteurs . Je suis absolument pour le choc des cultures, mais celui là est comment dire: un peu trop hard à mon goût. Un peu comme si soudainement l’on passait en un seul clic d’une scène cruciale de L.A. Confidential à l’arrivée de Navarro et de ses mulets chez Ginou pour le déjeuner.
Parfois aussi certaines tournures humoristiques et citations qui quoiqu’elles se veuillent des clin d’œil à nos références, alourdissent le propos. En fait rien de bien grave en regard de l’excellent moment que j’ai passé avec GERARD.
Encore...

   Anonyme   
2/12/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Captivée et...morte de rire. Il y a une bonne humeur absurde qui enveloppe ce texte qui est remarquable. Un véritable exercice d'équilibriste pour faire rire sans lasser. Burlesque et loufoque au service des contraintes. Ou plutôt, des contraintes aux services du burlesque.

J'ai beaucoup aimé. Merci pour ce bon moment.

Vous vous appelez Gérard c'est ça? :-)

   Eric-Paul   
2/12/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
C'est un peu déjanté..juste ce qu'il faut!

le " j'ai rarement vu ça" de clotûre est un peu trop convenu
mais j'ai passé un très bon moment dans cet ascenceur...
quand bien même il met un peu de temps à démarrer.

Prend le temps d'une lecture des aventures de l'inspecteur Widjet... je suis certain que tu vas adorer. Vous êtes fait pour coscénariser un prochain texte !!!!

   Anonyme   
2/12/2009
 a aimé ce texte 
Bien
Ca n'a ni queue ni tête, on ne sait où donner de la tête, à quoi se référer.

Cette ascension m'a été aussi pénible que pour le personnage au début, en milieu de partie l'humour déjanté m'a captivé, mais après je suis retombée au fond de mon siège.

Que dire sinon que j'aurais supputé que l'auteur de ce texte a fait exprès d'écrire comme un fou et qu'il s'en ait pas mal sorti.

Chapeau, Menvussa !

   MissGavroche   
3/12/2009
 a aimé ce texte 
Passionnément
Un vrai bonheur à lire, de l'absurde comme j'aime le lire, de l'humour, du talent, merci pour ce rêve eveillé

   Meleagre   
3/12/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'ai plongé avec plaisir dans le début de cett histoire, qui se présente comme une nouvelle de science-fiction assez prometteuse : le cadre familier mais transformé d'un ascenseur, une époque marquée par des inventions originales, un trajet en ascenseur qui prend des allures de voyage intersidéral, des personnages hauts en couleur, un comique de situation et un comique de mots.
La première moitié n'a fait que confirmer ces bonnes impressions.
Mais, ensuite, l'intérêt se perd, se dilue un peu : l'histoire passe en revue des personnages, des lieux et des temporalités qui n'ont plus la même saveur, l'espace-temps se brouille, et on change subrepticement de registre (de la science-fiction à l'absurde). Surtout, c'est long, trop long à mon goût.
Je crois que l'auteur a voulu réunir en un seul texte toutes les contraintes : l'ascenseur, le bateau, et des allusions à l'arbre et au grand canyon ; les 4 mots bizarres (d'ailleurs, anacoluthe me semble employé à mauvais escient) ; les 4 personnages (enfin, où est le simple d'esprit ? est-ce Gérard ?) ; et 3 des 4 époques (je ne crois pas avoir vu la période préhistorique).
Mais c'est trop pour un seul texte, qui n'a pas de vraie cohérence. Je me suis perdu dans les méandres de l'ascenseur, et je me refuse à essayer de comprendre la dernière section.
Un si long texte était une gageure ; merci Menvussa de l'avoir tentée.

   jaimme   
3/12/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Je me suis beaucoup amusé en absurdie, et j'ai même franchement ri plusieurs fois (la dernière fois fut le nain en lévitation caché sous le drap du fantôme). Mais mon intérêt s'est nettement dilué à partir de l'an mil. Là j'ai trouvé que cela sentait le remplissage, car jusqu'alors il y avait un fil rouge très clair, puis... j'ai dû me perdre à un étage, c'est sûr.
Ou... c'est un rêve et cela n'a pas plus de logique que celle que l'on veut bien prêter aux rêves. D'accord, je suis cette non-logique, mais reste l'intérêt du lecteur. Après avoir ri, rêvé, souri, admiré l'histoire pendant des jours d'ascension, la fin m'a déçu. Et cela me fait d'autant plus râler que tout ce qu'il y a avait avant été un régal.
Bon, c'est relatif: un million de trouvailles. Je ne vais pas faire le difficile pour une fin onirique et qui change un peu trop de registre à mon goût.
Merci Menvussa.

   Anonyme   
7/12/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'ai beaucoup aimé, c'était très agréable à lire.
J'ai adoré, en vrac : 'il voulait prendre l'air du temps' ; la voix off qui s'enfuit ; les 'conventions' '; c'est normal, c'est du toc ; etc ...

'Le voyage prend des allures d’aventure surréaliste.' résume assez bien l'esprit du texte. Il y avait un petit côté 'Alice au pays des merveilles', j'ai trouvé. L'absurde, les glissements de situations abracadabrantesques mais qui se suivent pourtant avec une certaine logique, les dialogues, les personnages secondaires.

Non, franchement, c'est excellent. Original et bien écrit, avec un parfait respect des contraintes ( bravo tout particulièrement pour ça !), j'adhère !

   Selenim   
7/12/2009
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
J'ai été vraiment très ennuyé face à ce texte. On est en face d'une preuve manifeste d'imagination débridée et débordante. Il y a une créativité fertile mais que je trouve mal canalisée.

Ce texte, et ça n'engage que moi, repose totalement sur l'univers loufoques et les situations abracadabrantes.

J'aime bien l'absurde, mais quand il est opposé, confronté à une norme, à une réalité qui lui donne tout son contraste. Dans ce texte, au départ, je me suis référé à notre réalité pour rire de cette écart entre la norme et l'absurde. Le soucis, c'est que sur la longueur, même la norme n'existe pas. On se retrouve plongée dans une sorte d'Alice au pays des acides. Décapant mais indigeste.

J'ai lu le texte trois fois, pour arriver à dégager une ossature, pour me raccrocher à un squelette qui me donnerait l'impression de ne pas être une bille de métal sur la table de flipper géante de l'auteur.
Finalement, trois billes, trois tilt !

Une prochaine fois peut-être.

Selenim

   Anonyme   
9/12/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↑
mor-te de ri-reuuu !
Bon j'ai failli lâché la rampe de l'ascenseur en cours de route et être précipitée dans l'abîme de ta folie Menvussa, mais j'ai bien ri !
A n'en pas douter tu a l'humour décapant juste comme il faut en cette saison, c'est loufoque à souhait, et rien que pour ces rires ou sourires déclenchés chez moi, merci, et bravo !
Bon, après, c'est un peu tiré par la perruque parfois quand même, à cause des contraintes casées pas "façon puzzle" mais façon bouteille de butane, lourdes et voyantes, enfin, j'ai trouvé.
Mais mon impression générale reste positive, c'est potache intelligent et jamais méchant, une gageure réussie en tout les cas en ce sens...

   Anonyme   
9/12/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Menvussa

C'est pas une lecture facile, pour moi en tout cas, j'ai lâché la rampe plusieurs fois, mais je suis têtue alors je suis revenue, encore et encore.
J'ai eu beaucoup de mal avec la première partie, mea culpa, l'écriture n'y est pour rien, c'est juste que je me suis fatiguée à suivre tes pirouettes et tes virevoltes.
J'ai commencé à apprécier l'histoire à un peu plus que la moitié du texte. La partie avec Dame Guenièvre est un régal, la fin, un grand plaisir.
Je le savais qu'il fallait insister. Ce qu'il en ressort, au vu de la qualité des dialogues, c'est que j'ai bien envie qu'un jour tu nous fasses lire une pièce de théâtre. Aussi déjantée que celle-ci ou moins, à toi de voir.
Merci pour ce texte et félicitations car ce concours n'était pas simple.

   florilange   
11/12/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Aussi absurde & débridé que Boris Vian ou Eugène Ionesco, je ne crois pas qu'il faille à tout prix chercher 1 logique dans ce texte.
J'ai adoré. Tout. Les jeux de mots, les références, les situations.
Le style, aussi, très pince sans rire & 1 seule faute d'accord m'a sauté à l'oeil. Pour l'instant, c'est mon texte préféré.
Merci Menvussa,
Florilange.

   colibam   
13/12/2009
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
Il y a des textes qui vous empoignent les neurones pour ne plus vous les lâcher, vous emportant dans un tourbillon d'émotions, de sensations, sur des terres à l'imagination fertile.

J'ai A-DO-RE ton histoire, qui m'a évoqué deux BD parmi mes préférées :
L'autre monde, de Rodolphe et Magnin (j'engage vivement tous les oniriens à lire les deux tomes de cette pure merveille) et La Tour, de François Schuiten et Benoît Peeters (Les Cités Obscures, un must).

D'emblée, le lecteur est saisi par le mystère de cet ascenseur vertigineux.
J'ai donc pris place aux côtés de Gérard, dans cet ascenseur de 11h30, comme si je prenais un train vers une destination inconnue pour glisser le long de cette tour vivante à la croissance prodigieuse.

En attendant le départ, je trépigne d'impatience, comme on peut le faire au départ d'un nouveau manège et mon imagination brasille (merci pour toutes les idées que m'a inspiré cette lecture-voyage).

Le trajet s'avère passionnant, débordant d'imagination. L'humour est omniprésent, les mots virevoltent, les dialogues et les situations baignent dans l'extravagance.

J'ai adoré cet arrêt sans changement d'ascenseur avec visite de l'espace Duty free et puis surtout cette aube du 4ème jour, où les portes s'ouvrent sur une immense étendue d'eau étale, immobile, silencieuse. Une porte barre l'horizon avant qu'un immense paquebot n'apparaisse soudain.
Changement de décor mais pas d'ambiance. On sent toutefois qu'il se passe quelque chose d'anormal derrière tout cela, une sorte de sentiment poisseux nous envahi, le rêve se ratatine sur l'ébauche d'une réalité désenchantée (« c'est normal, c'est du toc... si les gens connaissaient la vérité, personne ne s'engagerait sur cette galère »).

L'ascenseur continu sa progression entre les arbres, les chutes possibles dans le Grand Canyon, l'angoisse et le couvre-feu instauré par la présence des pirates d'étages et ces changements d'époques (ça, j'ai vraiment adoré !) au fil des étages.
Nos voyageurs s'arrêtent ainsi en 1889 pour se dégourdir les gambettes et « prendre l'air du temps » (j'aime beaucoup cette expression).

Le final est tout aussi magique avec la scène surréaliste du terminus, le réveil en l'an 1000, sans oublier la singularité de la scène ultime...

Félicitations pour avoir utilisé toutes les contraintes sans que cela ne se sente.

Je suis réellement admiratif, j'aimerai pouvoir écrire ce genre de feu d'artifice créatif.

Un grand bravo donc pour avoir accouché du voyage extraordinaire de Gérard au pays des merveilles.

   widjet   
14/12/2009
Désolé Menvussa, mais je n’ai pas pu aller au bout. Je n’ai lu que la moitié du récit et ce n’est pas dans mes habitudes. C’est pourquoi je n’évaluerai pas.

Ce n’est pas tant que ce soit complètement décalé, non ce n’est pas cela, pas du tout même… c’est juste que… comment dire… j’estime, pour ma part, que l’absurde même et surtout lorsqu’il est volontaire implique malgré tout un minimum de structure, une charpente qui me permet de garder le cap qui fait que même lorsque je suis perdu, bah l’architecture qui encadre ce tourbillon foutraque soit solide pour maintenir mon intérêt pour m’aider à poursuivre. Je ne te cache pas que le style y est pour beaucoup et je dois avouer que pour avoir lu la quasi-totalité de tes textes je ne suis pas très client de ton écriture (no offense). Je n’y peux rien et toi non plus.

Enfin, dans ce texte, trop de choses me semblent parachutés, catapultés un peu trop brusquement pour moi (sans compter ses abus d’adjectifs et ses apartés de l’auteur qui à mes yeux ne fonctionnent pas et annihile le ressort comique…c’est comme si tu donnais une explication à une blague…des exemples au hasard « Gérard se sent désemparé… on le serait à moins »… » La silhouette reste zen, le caniche est pris d’une crise de hoquet… la casquette, sans doute »).

Mais surtout il manque quelque chose d’essentiel à ce texte, c’est le rythme. Et le rythme ne se résume pas à bombarder son texte de rebondissements et d’évènements si ceux-ci ne sont pas un peu accompagnés, annoncés. Là, ça saute un peu trop du « coq à l’âne » (sans doute encore ces fichues contraintes) : Madame Pulpic, la haute silhouette, le fantôme…Tout se succède vite, trop vite, pas le temps de créer l’armature autour de ces situations et cette énergie (car tu ne te ménages pas, j’en conviens !) mal canalisée. Je m'y suis perdu, noyé...emmerdé pour tout dire.

Je ne suis pas aussi persévérant que mes collègues et dès lors que je perds le fil, j’ai du mal à récupérer la bobine. Sans doute que j’ai du passer à côté de certains textes qui comme on dit « se méritent », mais je continue de penser qu’un auteur doit (par le biais de son style notamment) permettre au lecteur de lire certes en le « challengeant », mais avec quand suffisamment de confort. Pour ma part, je ne me suis pas senti confortable dans ce magma trop confus, trop débridé (dans le mauvais sens du terme), une fichue impression de mots jetés sur le papier au gré de l’inspiration. Cette impression de « précipitation » ne m’a pas quitté durant les 15 pages parcourues.

Ne prends surtout pas mal ce que je vais te dire, mais tu devrais et seulement si tu le souhaites (si ce n’est pas déjà fait) jeter un œil sur ce que fait Aldenor qui à mon avis est celui qui maîtrise le mieux « la folie contrôlée ».

Pour finir, je tenais quand même à reconnaitre cette énergie farouche, ce plaisir palpable (et sans doute assez jouissif) qui te caractérise et que je salue sincèrement. J'aime beaucoup qu'un auteur puisse s'amuser et que cet amusement soit visible sur papier et c'est définitivement ton cas. C'est pourquoi je tenais aussi (par respect pour toi et ton travail) poster ce « pseudo commentaire », incomplet, peut-être erroné puisque la lecture n’ayant pas été intégrale. Donc merci de prendre tout ceci avec toute la distance nécessaire, surtout que ton texte a séduit la quasi majorité, ok ?

Maintenant, il y a un constat assez évident et un peu embêtant (ou pas, d'ailleurs), mais qui parait se confirmer texte après texte, à savoir que je semble être assez hermétique au style Menvussa. Chacun en tirera les conclusions qu’il souhaite.

Bonne chance pour le concours !

W

   Anonyme   
14/12/2009
 a aimé ce texte 
Bien
Je salue l'imagination débridée qui court le long du récit mais j'ai eu du mal à m'intéresser à cette histoire. L'écriture est relachée par endroits et j'ai noté quelques lourdeurs-en particulier les adresses au lecteur trop appuyées- Histoires de cabine(s) où l'auteur veut perdre délicieusement le lecteur, mais qui finissent par lasser. C'est mon ressenti et encore bravo pour la performance, pas totalement aboutie.

   aldenor   
14/12/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
L’idée de départ, cet ascenseur tentaculaire, est magnifiquement surréaliste. J’ai apprécié l’humour, la spontanéité dans le traitement, les enchaînements inattendus.
Je trouve quand même quelques étages de trop et je me serai passé des clins d’œil au lecteur.
La fin est sympathique mais il y avait peut-être moyen d’atteindre des zones plus élevées que cette entourloupette. Il fallait je crois finir sur une image frappante.
J’ai noté en passant la mention du mot « surréaliste », qui devrait être banni d’un texte surréaliste.
En gros, je trouve que l’auteur a délayé son texte, comme inquiet d’aller trop loin, dans les clins d’oeils, la distanciation par rapport à son texte, les moments d’humour facile.
Tout cela, dit dans l’optique d’un texte se voulant surréaliste, et l’auteur me détrompera peut-être sur ses intentions.
En tous cas je me suis bien amusé.

   Ninjavert   
16/12/2009
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Aaah Menvussa.

J'étais impatient de lire ton texte : un titre accrocheur, une longueur conséquente, et des goûts communs en SF qui me laissaient espérer le meilleur.

Malheureusement, la sauce n'a pas prise. Trop long, trop décousu, trop "n'importe quoi" à mon goût. Je ne sais pas exactement ce qui m'a dérangé, mais je n'ai pas accroché.

Ce type de texte ne peut pas faire l'unanimité chez les lecteurs. Trop étrange et "inconventionnel", justement.

Je ne suis pas un gros fan de l'absurde, mais je sais l'apprécier quand je le trouve bien fait et dosé comme il faut. Nous partageons un amour commun pour Fredric Brown qui reste (à mon sens) LA référence en SF burlesque. Je me bidonne comme un bossu en lisant "Martiens Go Home" ou "L'univers en folie". J'apprécie aussi l'absurdité en BD, avec des titres comme le formidable "De cape et de croc", ou la formidable série des "Philémon". Mais ici, ça n'a pas marché pour moi.

Il m'a manqué une histoire, principalement. Peu importe la quantité d'absurdités, de bizarreries, de péripéties débiles qui se présenteront sur la route, si je sais d'où je pars et où je vais. Là, mystère. Que vas-tu faire, Gérard, dans cette galère ? D'où viens tu ? Où vas tu ? Notre personnage s'y perd lui-même ne sachant plus vraiment ce qu'il vient faire. Ah si, la police des étages, se souvient-il.

Et quoi ? C'est tout ? Fi du pourquoi ? Fi du vers où ?

Je pourrai me passer de ces justifications si, toi même en tant qu'auteur, nous donnait l'impression que tu savais clairement où tu veux nous emmener. Même si pour se faire tu nous mets 18 fois la tête à l'envers et nous retournes le cerveau comme une chaussette. Là, j'ai eu l'impression que même pour toi, c'était un peu du n'importe quoi, un grand fourre-tout, un vaste sac où tu as jeté pèle-mêle un déluge d'idées, de délires.

Ce "non sens" m'a dérangé. L'absurde (pour moi) doit comme l'ont dit Selenim et Widj il me semble, posséder une structure, une logique, une architecture.
L'absurdité naîtra du fait que cette logique nous semblera à nous (et souvent au héros), illogique, justement. Mais la cohérence existe, à un niveau donné. Le fantôme donne cette impression : il ne s'étonne de rien car tout lui semble normal. Pourtant il accomplit les choses les plus bizarres pour Gérard (et pour nous). Lui, est absurde, oui. Le reste, je n'ai pas vraiment trouvé.

Il y a aussi une importante notion de contraste : l'absurde tire son absurdité en tranchant avec la normalité. Cette normalité peut ou non être la notre, et l'absurde seront justements les événements en décalage avec cette normalité :

- Notre normalité parsemée d'événements absurdes
- Une normalité absurde, parsemée d'événements normaux (pour nous) qui, du coup, deviendront absurdes dans l'histoire.

Bref, je me comprends et je suppose que toi aussi. Je n'ai pas retrouvé ça ici et ça m'a perdu et (je l'avoue) un peu ennuyé.

Je me fais peut être une idée très personnelle de l'absurde, ou très incomplète. J'ai vu des forums sur ce thème récemment, je vais aller y jeter un oeil pour voir ça :) Mais en l'état, c'est ce que j'attends d'un texte absurde et qui m'a manqué ici, où je n'ai trouvé que du n'importe quoi.

Ceci dit, c'était rigolo. J'aime beaucoup le personnage du fantôme, le seul qui ne m'ait pas donné l'impression de sortir de nulle part et de ne servir à rien. Il m'a fait penser à l'étrange visiteur dans "Le voyage de Chihiro" de Myazaki.
Les péripéties sont sympathiques, même si je les ai trouvé inégales. Tout comme l'humour, omniprésent. On sent tout du long la dérision, le second degré, l'auto-dérision aussi, bien sûr. Pas une seconde je n'ai douté que tu avais pris énormément de plaisir à écrire ce texte. J'aurai aimé en prendre autant à le lire.

Là il s'agit plus de sensibilité personnelle et de sens de l'humour. Certaines blagues m'ont fait rire, d'autres pas, certaines m'ont arraché un sourire. Pas de norme en la matière, c'est juste ma personnalité en cause (et je pense être assez exigeant (par rapport à mes critères personnels qui ne sont aucunement un gage de qualité) en humour).

Que dire de plus ? Ton écriture est agréable et fluide, simple et efficace. Rien de superflu (dans l'écriture), ça n'est pas ça qui m'a causé des difficultés de lecture.

Non, l'écueil véritable fut la longueur. Une longueur pénible du fait de l'absence totale de motivation (ces fameuses raisons et but, que je n'ai pas trouvées), l'impression que le texte aurait pu être moitié moins long ou continuer à l'infini, ça n'aurait rien changé à l'histoire.
Le rythme a aussi pour moi été totalement absent. On monte, en s'arrêtant des fois. Point. Pas de tension, pas de rebondissements (les pirates ne sont qu'un étage comme les autres, ils ne sont pas plus impressionnants que le duty free). Tout est à la même intensité, ça donne une impression de molesse et de langueur que j'ai trouvée un peu soporifique.

Comme certains, j'ai moins aimé le passage en l'an mille que le reste (même si le foetus démoniaque m'a bien plu).

Au final, tu nous perds un peu trop : par les motivations bien floues d'un voyage inhabituel, par les situations absurdes, par le voyage temporel, par les identités multiples (qui est vraiment Gérard ? Le mari de Guenièvre ? Le voyageur du futur ?), par ...

Bref, comme tu n'apportes pas de réponse, j'ai achevé cette lecture sur la même note que le reste : un sentiment brouillon, dans lequel tu t'es indéniablement éclaté mais qui m'a laissé sur la touche.

Concernant les contraintes, tu en as joué en respectant scrupuleusement certaines (dont le minimum était quatre dans le cadre du concours, chose largement faite), en faisant des allusions gratuites à d'autres (amusantes, d'ailleurs), qui au final m'ont fait chercher à voir lesquelles tu avais respectées et lesquelles tu ne t'étais pas emmerdé à réellement embarquer. Sympathique.

Au final, un ascenceur intéressant, qui a embarqué trop de monde avant moi et dans lequel je n'ai pas envie de monter. Mais pas de souci, j'attendrai le prochain ;)

Merci m'sieur !

Ninj'

   Anonyme   
16/12/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
:°))
Merci Menvussa... j'ai vraiment aimé.
Même si c'était prévisible, j'ai vraiment apprécié la décomposition de l'histoire (qui n'est pas si nulle que ça finalement^^).

Plein de clin d'yeux cinémato, littéraires, c'est riche, absurde sans l'être... j'ai vraiment aimé.

Alors est-ce que je décortique, est-ce que je décortique pas, je me suis longtemps posé la question.
En fait j'ai vraiment eu l'impression de suivre les tourments d'un auteur qui veut faire vivre un truc à son personnage mais qui n'y arrive pas alors il réessaie encore, encore...

Oui oui oui it was sympathetic.
Merci beaucoup.
Bonne chance pour le concours.

   Bidis   
18/12/2009
D’abord, l’auteur a peur que son lecteur s’ennuie : « Oui je sais, vous n’en avez rien à faire. » « Ces précisions ont l’air de vous ennuyer… » Pourtant, son écriture emballe, et entraîne… vers où, l’on ne sait pas, mais enfin l’on y va.
Et puis, ce n’est pas du tout tant que ce texte ennuie, mais il fatigue. Arrivée à la page 5, je n’en peux plus. Je me mets à survoler. Et puis j’abandonne, je ne suis même pas à la moitié de la nouvelle, mon word dit qu’il y a onze pages...
Car ce n’est pas tellement que je ne comprends pas. C’est qu’il me semble qu’il n’y a rien à comprendre, qu’on est dans un délire et qu’il n’y a pas de raison que cela s’arrête jamais.
Bien écrit et de ce côté, rien à dire, c’était très plaisant. J’irai lire de l’auteur quelque chose de plus cohérent. Ceci est inévaluable pour moi. Je vais prendre un petit café et deux fortifiants avant d’aller commenter une autre nouvelle…

   Anonyme   
9/3/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Trois ans, quatre mois et dix-sept jours. : j'ai cru qu'il s'agissait de temps mis pour monter ou pour lire cette pochade à l'envers. Et puis, ne pas aimer madame poulpic au petit déjeuner, bizarre !
"Je ne connais personne qui soit revenu d’un tel voyage" : ben, s'il faut les redescendre, ça ne m'étonne pas.

A ce stade je commence à avoir les zygomatiques qui se décrispent. Je pressens le ras de marée, le tsunami en devenir.

Quand vous évoquer le pélerinage, je ne puis m'enpêcher de penser à ST Jacques de Compostelle et par association d'idée je me demande si vous avez composté(lle) votre billet ?

"La cabine ralentit, la voix off annonce : « Cent vingt-septième étage, personne ne descend. »" : moi non plus. Je continue ce voyage de plus en plus délirant (ne faut-il pas s'élever dans la vie ?) tout en me méfiant des contrôleurs derrière les caméras (je deviens parano).

Il semblerait que le caniche ait fait le bon choix pour son petit déjeuner : un contrôleur est bien plus digeste que madame Pulpic. j'en hoquette de rire.

Bon, je ne commenterai pas toutes les saillies "sottes et grenues" dont est farci ce texte car il me faudrait beaucoup trop de temps.

Bien écrit, bien troussé (comme la psy !), l'idiosyncrasie étant une prédisposition particulière de l'organisme qui fait qu'un individu réagit d'une manière personnelle à l'influence des agents extérieurs je ne vois pas où est le problème.

Bravo

   Anonyme   
1/1/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Je l'avais déjà lu une première fois sans oser commenter. J'y reviens. Ici il y a une chose exceptionnelle et particulière : un humour qui décoiffe. C'est loufoque à souhait mais c'est raconté avec un tel sérieux qu'on finit par se prendre au jeu. Dérision, anticipation, art de conduire le récit, savoir faire et savoir dire.

"Gérard se regarde dans la glace déformante qui orne une des parois. Il se voit beau, grand, attirant, il se sait laid, petit et repoussant et trouve cela à la fois triste et comique. Il est seul sur son strapontin rouge à deux mille crédits mais ne tardera certainement pas à voir arriver ses compagnons de voyage."

"À la fin de la séance, une fois recoiffée et impeccablement mise, elle l’avait regardé, lui, encore tout chamboulé, mal fagoté, gauche et maladroit sur ce divan devenu subitement trop grand. Puis griffonnant sur son calepin elle avait prononcé ce mot : « Idiosyncrasie ». Elle l’avait prononcé à voix haute, clairement, accentuant chaque syllabe, comme pour s’assurer qu’il soit inscrit à jamais dans une des petites cases perdues au tournant d’une des nombreuses circonvolutions du cerveau torturé de ce pauvre petit Gérard… Il n’avait que quinze ans !"

Un vrai talent de conteur.


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