2022, la mode du voyage en van aménagé bat son plein. Avec comme promesses de partir faire le tour d'un pays ou de plusieurs, en évitant le coup des locations et avec l'espoir de s'offrir les meilleurs paysages. Hugo et Clémence ont claqué la porte de leurs boulots pour ce rêve, lui de son poste d'acheteur dans le milieu ferroviaire et elle du cabinet d'architecture où elle aurait pourtant pu faire carrière. Mais la trentaine arrivant, ils avaient voulu s'offrir une aventure, « la dernière avant les gamins et la retraite », répétait ironiquement Hugo à leurs familles et à leurs amis. L'achat de leur maison roulante et son aménagement avait été une tannée, des week-ends complets à apprendre à manier la perceuse. Mais la vie de nomade les a rapidement charmés, car si on met de côté le compte en banque qui se vide, il y a presque un retour à une simplicité ancestrale : trouver de la nourriture, de l’eau, un endroit où faire ses besoins, un endroit où dormir et profiter de l'environnement.
Ce 20 juin 2022, le couple, accompagné de leur bichon maltais nommé Bouchon, a passé la journée dans la ville de Tarifa au sud de l'Espagne. Là, l'océan Atlantique embrasse la mer Méditerranée, créant en sa jonction le détroit de Gibraltar. Chaque Européen devrait venir voir ce paysage, voir le continent africain si près qu'il semble accessible à la nage, observer ce minuscule bras de mer qui semble pourtant faire tant différence entre les hommes. À ces réflexions, Hugo et Clémence remontent dans leur van, et se félicitent de ne pas avoir craqué sur les cocktails et les tapas de Tarifa, chaque dépense ayant un impact direct sur le temps du voyage. Bouchon lui est toujours heureux de retrouver son territoire roulant. Grâce à une application de leur Smartphone, ils ont choisi un spot pour dormir. Clémence n'a qu'à toucher deux fois l'écran pour que le GPS commence à leur indiquer la route. Forts de leurs expériences, ils pensent avoir trouvé l’endroit parfait, dans les montagnes avec vue sur le détroit. Son accès semble assez compliqué pour dissuader les énormes camping-cars qui parcourent l'Europe et les propriétaires un peu trop pointilleux avec leurs véhicules.
Le Renault Master qu'ils ont surnommé « Tagada », à cause de sa couleur rouge un peu passée, tiré par ses 130 chevaux grimpe facilement la petite montagne, et doucement cahote sur le chemin de gravier. L'écran annonce que le spot n'est plus qu'à 200 mètres, tout semble bien se passer. Clémence pilote, les yeux rivés sur le chemin, évitant avec habilité les nids-de-poule. Hugo en copilote est tout aussi concentré sur les branches des arbres pouvant taper le Van. Bouchon lui, essaye de tenir en équilibre sur la route cahoteuse. « C'est là, regarde », dit Hugo désignant un passage sur la gauche. « Tiens on va avoir des voisins ce soir », répond Clémence en découvrant l'esplanade de terre et les véhicules qui s’y trouvent déjà. Il y a un van jaune, un Iveco de la même famille que Tagada, sûrement aménagé par leurs propriétaires, style utilitaire avec deux fenêtres, un D sur la plaque : des Allemands. Il y a aussi un vieux camping-car Hymer, qui sent l'aventure et le baroudage. Sur les spots, les nomades d'expériences côtoient les newbies de la route. À l’avant du camping-car, deux chiens sont attachés, un labrador et un husky. Ce dernier prévient de l'arrivée de Tagada en poussant de longs hurlements plaintifs. Sur le toit du Hymer est accroché ce qui ressemble aux rêves de tout rider : surf, planche à voile, paddle, du matériel qui doit représenter plusieurs fois le prix du véhicule fatigué qui les transporte. Un B sur la plaque : des Belges.
Clémence manœuvre pour trouver la position la plus plate pour Tagada, Hugo essaye de calmer Bouchon qui aboie sur le husky, tout en essayant d’aider Clémence. Après soixante jours de voyage, la machine est rodée, installation de la plaque de gaz, mise en route du repas, douche en plein air, installation du salon de jardin. Hugo s'ouvre une bière en regardant du coin de l'œil les deux véhicules voisins. « J'espère qu'il va pas hurler toute la nuit ce chien », glisse-t-il à Clémence qui regarde la vue sur le détroit. Deux véhicules, mais pas d'humain, la porte du Hymer est ouverte, un voilage blanc cache l’intérieur. Le van allemand semble fermé, pare-soleil sur toutes les fenêtres, les propriétaires sont sûrement partis se promener. Bouchon est en train de renifler ce nouvel environnement, se fige à l'apparition d'une vache accompagnée de deux veaux, puis reprend sa découverte olfactive. Toujours pas rassasié, le couple goûte ce nouveau paysage. Clémence part chercher un coin pour uriner et prend Bouchon avec elle, le petit animal sautille de joie à l'idée de la balade. Le husky émet une nouvelle plainte au ciel, on dirait presque qu'il pleure. Hugo, seul, remplit les gourdes au bidon d'eau potable du coffre, il observe les deux chiens. Le labrador est amorphe, alors que le husky alterne les gémissements et les hurlements, tourne sur lui-même et n’arrive pas à se poser, quand soudain il se fige, les oreilles plaquées en arrière. Depuis l’intimité du camping-car, un homme fait son apparition. Cheveux décolorés, grand, torse nu, l'homme ayant tout du stéréotype du surfeur semble sortir d'une sieste. La plaque belge donne envie à Hugo de lancer un « bonsoir ! » mais l'homme le devance avec un « hi » timide, sûrement un Flamand. À peine le temps pour Hugo de répliquer un « hello » murmuré, l’homme s'avance vers le husky gémissant, se saisit de la longe qui traîne par terre et le frappe deux fois. La bête, sous la violence des coups, pousse un glapissement de douleur qui tord les tripes d’Hugo. Puis l'homme disparaît de nouveau dans le camping-car, sans un mot. Hugo reste un instant paralysé par la scène qui vient de se dérouler, puis il essaye de refouler les mauvais sentiments et ne sachant quoi faire, continue de remplir les gourdes.
22 heures, le soleil commence à décliner, Clémence commence l'installation du lit, Hugo fume une clope. Au fond de lui la violence de la scène lui a laissé un goût amer. Il regarde le van jaune, toujours fermé, aucune trace de vie, il s’y perd en conjectures : peut-être que les propriétaires dorment dans la forêt, peut-être qu'ils se sont perdus, peut-être qu'une fuite de gaz les a tués et que deux cadavres reposent là juste à côté. Il partage ses réflexions avec Clémence, qui se moque gentiment de lui « t'es taré, c'est juste des Allemands, ils se sont couchés à 20 heures et demain ils seront partis super tôt. « D'ailleurs si tu veux qu'on fasse la rando, je veux me coucher moi ! » « OK, OK, je vais promener la pelle et j'arrive. » Promener la pelle est une expression pour ne pas dire « je vais chier ». Hugo s’enfonce légèrement dans la forêt, tourne un peu pour trouver un endroit où il peut faire son affaire tranquillement. Dans cet environnement, le moindre craquement fait grandir la pointe d’angoisse logée dans son ventre. Avec le sentiment d'être un peu ridicule, il commence à se dépêcher, voulant raccourcir le plus possible ce moment, quand un déplacement sur sa gauche lui fout carrément les jetons. Il braque sa lampe frontale sur l’endroit, mais il n’y a rien, il bat quand même en retraite, tout en se persuadant que c’était un animal et en maudissant sa couardise. En revenant de son excursion, le regard d’Hugo se pose sur le Hymer, la fenêtre de côté est entrouverte, juste un peu poussée vers l'extérieur, le bras de l'homme dépasse, la vitre en plastique sombre empêche Hugo de voir l'homme à l'intérieur, la lueur rougeoyante d'une cigarette brille au bout des doigts. La scène de la longe lui revient en tête, il essaye de s'en débarrasser comme il peut. Au passage d’Hugo, le canidé pousse quelques gémissements, Hugo sent son estomac se tordre de nouveau, il aimerait avoir le courage de se rebeller, de défier ce mec, d’aller maintenant toquer à sa porte pour lui dire ce qu’il pense. Ou au moins, il aimerait avoir le courage de fuir, d’avouer à Clémence qu’il ne le sent pas cet endroit, cette nuit. Il regarde une dernière fois la côte marocaine où maintenant les lumières des villes et des routes découpent la nuit, plus proche le rocher de Gibraltar est illuminé par la ville à son pied. Alors qu’il essaye de se rassurer dans sa contemplation, ces lointains signes d’activité humaine renforcent le sentiment d’isolement et de danger sur cette esplanade au milieu de la nature, l’inquiétude s'ancre dans les tripes d’Hugo. Alors, il va se réfugier dans le van, où une douce chaleur est répandue par la bouilloire, où Clémence est déjà plongée dans son bouquin abrité sous un plaid, où il prend le temps de caresser Bouchon. La petite bête qui, calée dans son panier, en-dessous du lit, lève la tête pour lui lécher tendrement la main. Le van, sa maison, le rassure un peu. Il grimpe dans le lit, refoule un mélange de sentiments mitigés, d'inquiétudes et de tristesse en essayant de se concentrer sur sa respiration, puis finit par s’endormir.
Hugo se réveille, le husky est en train de hurler dans la nuit, un long cri de loup qui transperce l’atmosphère. Le sommeil lourd et les boules Quies de Clémence le laissent seul à gérer la peur qui l’envahit. D’une pression sur le côté de son téléphone, il consulte l’heure : 2 h 27, puis il écoute. Dehors, il entend le vent dans les arbres, il se concentre, il entend un bruit de pas, peut-être, un autre qui s’approche, peut-être, quelqu’un s’approche des portes arrière du van, c’est presque sûr. Il tend la main à la recherche de sa lampe frontale quand soudain la porte arrière du van s’ouvre violemment. À peine le temps de voir la silhouette du surfeur se découper dans la lueur de lune, que quelque chose s’abat sur Clémence. La peur paralyse Hugo, il est sans défense.
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2022, la mode du voyage en van aménagé bat son plein. Hanna et Wilfried à 45 ans ont quitté leurs boulots dans la com pour se lancer dans l'aventure de la #Vanlife. Se décrivant comme des mordus de tech et d'aventure, ils sont des influenceurs en devenir, en tout cas selon leur business plan.
Wilfried conduit sur une petite route de montagne cahoteuse, les quatre roues motrices et les suspensions de leur van les transportent confortablement vers le spot. Cela permet à Hanna de faire la douzième story Insta de la journée sur leur compte @traveltotheparadise. Ce nom est floqué sur le côté et au-dessus des plaques d'immatriculation du van. « Là c'est le moment que j'adore les viewers ! Les dernières secondes avant la découverte du spot, de la vue et de la question fatidique ! « Est-ce qu'il y aura des voisins pour faire un apéro ce soir ??? D'ailleurs répondez au sondage, qu'est-ce qu'on boit ce soir cocktail ou vin ?! » Le visage d’Hanna se referme, elle poste la story et checke ses mails « fait chier toujours pas de réponse pour le partenariat sur le panneau solaire… ». « On arrive, on arrive », prévient Wilfried. Le van tourne sur la gauche, Hanna enclenche la vidéo sur son Smartphone « NOUS AVONS DES VOISINS !!! Wouhou, regarde Will, des Français, des Allemands et des Belges avec un CC SO VINTAGE, trop classe ! #vanlife les gars !!! ». Hanna éteint la vidéo en même temps que sa fausse exubérance, « je vais pas publier ça on entend les chiens aboyer ». Attachés au Hymer, ils sont trois, un labrador, un husky qui hurle à la mort et un petit bichon maltais qui aboie sans arrêt. Wilfried gare le van qui, de lui-même, se met à niveau. « Wahou, regarde cette vue Hanna, je vais sortir le drone on va se faire une jolie vidéo ! » Hanna regarde les vans un par un. « On dirait que les Allemands et les Français sont pas là. C'est étrange non ? » Will est déjà en train de sortir son nouveau jouet, un drone de dernière génération avec une caméra résolution 10K. « Bah, ils sont partis faire un tour dans la forêt, avec cette merveille je vais les retrouver. Font chier ces clebs… » Un homme sort du Hymer, un grand blond torse nu, mal réveillé, à la mine peu avenante. Hanna lance un « hello ! » enjoué, l'autre lui répond d'un signe de la tête et fixe quelques secondes Will, semblant évaluer quelque chose. Puis il se retourne et donne un coup de pied dans le bichon maltais qui glapit de douleur. Ça a comme résultat de le faire taire quelques secondes, lui et le husky, puis l'homme entre de nouveau dans son camping-car, les chiens gémissent. « Quel connard », souffle Will à Hanna. Cette dernière est gagnée par la peur et l'effroi, mais elle décide de les garder pour elle. Will lui reproche déjà assez d’être trop trouillarde pour la vanlife.
Alors que Will se débat avec le calibrage de son nouveau jouet, Hanna est en train de faire la cuisine sur les plaques à induction du van. Devant elle, est accroché son Ipad, elle attend désespérément les likes, les commentaires et les vues. Soudain elle sursaute, derrière la vitre, l’homme la regarde, il est assis sur le marchepied de son camping-car. Son regard froid, accentué par le bleu délavé de ses yeux, empêche Hanna de couper le contact visuel. Il est en train de frotter un marteau avec un chiffon, étrange occupation. L’angoisse envahit Hanna comme une vague, quand sursaut de nouveau ! « Les saucisses sont cuites ? » C’est juste Will. « Va t’installer, je fais la vidéo où je t’apporte le repas, les viewers adorent quand c’est moi qui fais à manger. » Hanna se sent d’un coup petite, insignifiante, au rang d’une enfant, elle voudrait partir maintenant, mais Will ne voudra pas, Will se moquera d’elle plutôt. « Allez, hop hop, on a encore la vidéo du drone à shooter et c’est pas toi qui vas faire le montage hein ?! » Elle abandonne l’idée de se faire entendre et se prépare à jouer une fois de plus la comédie pour l’objectif.
La nuit est tombée et la douche chaude n’arrive pas à diluer la mauvaise intuition d’Hanna. Elle en veut à Will, de ne pas avoir vu son malaise, de ne jamais faire de pause dans ce projet de devenir influenceur. Mais elle rationalise, elle se dit qu’elle est crevée, elle se dit qu’au fond elle doit avoir tort. Elle enfile son peignoir et sort de la petite salle de bain et se paralyse d’effroi. En face d’elle Will la regarde bière à la main, sourire aux lèvres, yeux rougis par les heures d’écran, derrière lui dans l’encadrure des portes arrière, l’homme aux yeux bleus, le marteau à la main, sans émotions. « Montage terminé, vidéo en ligne ! » s’exclame Will. Hanna pousse un cri, le bras de l’homme s’abat.
Cette nuit-là une vidéo sur le compte @traveltotheparadise a été publiée à 23 h 04, une vidéo faite par Will avec son drone. On y voit depuis le ciel le détroit de Gibraltar puis l'objectif tourne sur les montagnes, l'engin se rapproche d'une petite esplanade au milieu de la montagne, apparaissent alors trois vans : un jaune, un rouge tirant sur le rose, le noir et gris flambant neuf bien connu des followers et un camping-car Hymer. Les trois chiens attachés à ce dernier regardent le drone, on dirait que le husky et le bichon aboient, mais on entend seulement la musique « sous le vent » interprétée par Céline Dion et Garou. Puis l'image ce concentre sur Will et Hanna enlacés, Will tient la télécommande du drone dans une main, Hanna regarde avec amour Will, puis le couple s'échange un baiser, l'image se coupe et apparaît en lettres blanches sur fond noir #VanLove. Cette vidéo est le dernier post du compte @traveltotheparadise.
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2022, la mode du voyage en van aménagé bat son plein. Mais Juan s'en branle. Son vieux C15, c'est son seul bien, le seul truc qui se rapproche d'une maison pour lui. Son mode de vie, c’est l'héritage d'une longue histoire de personnes vivant en marge de la société. À 21 ans, Juan vit un peu dans des squats, un peu sur la route, un peu partout et surtout nulle part. Trop tôt dans son existence, la bêtise des adultes a bousillé son cerveau et son estime de lui. Après des parents maltraitants, les institutions avaient pris le relais d'une éducation faite d'injonctions et de postures paradoxales à rendre fou n'importe qui. À 18 ans, alors que le système lui souhaitait bonne chance en le mettant dehors sans rien, il avait trouvé refuge chez les squatteurs, les punks, les teufeurs. Un milieu parfois rude, où il faut savoir se défendre, savoir éviter les drogues qui tuent, gérer et accepter les excès et la violence. Mais le seul milieu avec le cœur assez gros pour accepter un gamin comme Juan. Un jeune adulte qui ne sait pas toujours gérer ses émotions et qui a vite tendance à utiliser les poings pour se faire comprendre.
La veille il était dans des grottes gérées par une bande d'anarchistes, dans les hauteurs autour de la ville de Grenade. Il y avait rencontré une Italienne, ils étaient pas du même monde, c'était une fille de prof, une étudiante en socio ouverte d'esprit, elle avait craqué sur ce petit Espagnol mignon et mystérieux. C'est elle, avant qu'ils couchent ensemble, qui lui avait parlé de ce spot dans les montagnes au-dessus du détroit de Gibraltar, elle lui avait même proposé qu'ils y aillent ensemble, elle avait l’impression d’être amoureuse. Lui était parti en lousdé dès le matin, échappant à ce regard amoureux, fuyant un nouveau futur, comme il avait fui son premier appart et son premier boulot.
Sur la route cahoteuse, les mains crispées sur le volant, il pense à son cubi de vin et au pétard qu'il va allumer en arrivant pour apaiser ses démons intérieurs. Ces pulsions de mort qui vivent dans son corps et qui régulièrement lui gueulent que c'est sa dernière journée d'existence, qu'il n'y aura pas de lendemain. Tournant à gauche, dans un grincement dont seul son C15 a le secret, Juan aperçoit trois vans, un jaune, un rouge pâle et un énorme machin de bourge, gris et noir. Il y a aussi un camping-car Hymer, bien installé avec trois chiens, un labrador, un husky gueulant à la mort et un bichon aboyant. Il dit tout haut, en espagnol et à lui-même « bah y en a des enculés ici ! ». Il monte un peu le son, histoire de faire chier avec sa hardtech, et avant même d’éteindre le moteur, le pied encore sur l’embrayage il allume son cône euphorisant. Le camion n'est pas de niveau, mais Juan ne sera pas en état de s’en rendre compte pour dormir. Son palace c’est une mousse à même le sol, une gazinière et une bouteille de gaz fixées avec des tendeurs, le reste de ses affaires se rangent et se dérangent au bon plaisir de la route.
Juan coupe finalement la musique, il sort et va pisser un coup. Chemise ouverte sur un corps sec et musclé, taillé par le travail saisonnier, torse bombé, épaules droites, Juan a toujours une allure confiante et intimidante. Une fois soulagé, se retournant vers les véhicules, il s'attarde sur les trois clébards. Le petit bichon jappe dans sa direction, Juan se rapproche doucement, sourit à la bête, essaye de l’amadouer. C’est le husky qui réagit à cet appel, oreilles en arrière, il s’allonge. Le labrador lui semble s’en foutre. Juan s’approche, à quatre pattes, il tend la main au husky qui d’abord doucement se rapproche, montre un peu les dents, grogne, puis finit par s’oublier dans cette main amicale. Le bichon vient réclamer sa dose de câlins, et Juan enchanté par la beuh participe avec plaisir. Il regarde le collier du husky, gravé sur un médaillon un nom « Ulf, perro grande », il dit à haute voix. L’homme qui se tient à côté de lui le surprend, un grand mec, torse nu style surfeur, avec une sacré sale gueule se dit Juan. « Holà Chico », l’homme lui fait simplement un signe de tête, froid et reste là à le regarder. Il en faut pas beaucoup pour faire monter la pression dans le corps de Juan, putain d’humain. Il refoule l'envie de partir en couille, de chercher la merde, il se relève et s’écarte. Les yeux bleus de l’homme l'accompagnent. « Un problema ? », l’homme ne répond pas, il repart vers son camion en lâchant un « cono de su madre ». Quelques ecocups de vin et quelques pétards plus tard, Juan décide de partir faire une balade dans les environs. Il emmènerait bien un ou deux chiens avec lui, mais une petite voix s’impose à lui, « Juan, pour moi, est-ce qu’une fois sur deux tu pourrais te dire, je la fais pas cette connerie ? », c’est le conseil d’une des dizaines d’éducateurs qu’il a eus dans sa vie, Lucia, une des rares qui a peut-être servi à quelque chose.
Il n'aime pas trop les chemins, alors il prend direct dans la forêt, s’écorcher sur les ronces et les branches ne le dérange pas, la douleur physique ne lui fait pas peur. Il suit pendant un moment une coulée, puis arrive dans une petite clairière. Le spectacle d’un drone écrasé par terre le fait marrer, il ne fait pas attention à la terre fraîchement retournée sous ses pieds, car son verre est vide, il a oublié son cubi, il doit faire le plein. L’ivresse monte, le mélange alcool beuh agit comme une pommade sur ses blessures. Le retour est une vraie aventure, il saute une branche, fait une roulade, se pète la gueule dans un buisson et se marre, puis emporté par le jeu, il décide d’avancer comme un ninja de la forêt. Arrivé en surplomb de l’esplanade, il surprend l’homme en train de mater d’un peu trop près son C15. Le type fait le tour, puis se dirige vers le van rouge et entre, sans gêne et sans précautions, quelques secondes plus tard il en ressort avec une bière à la main. « Il est pas chié le mec. » Puis il entre de la même façon dans le van de bourge, le gris et noir, et ressort avec une saucisse dans l’autre main. L’homme s’approche des chiens, tend la knacki dans leur direction, les laisses se tendent, mais l’homme reste juste à une distance frustrante. Les chiens aboient, l’homme pose sa bière au sol, approche la saucisse, la retire d’un coup sec et met une gifle au husky qui fou de rage redouble de furie. Juan entend le bruit de l’animal qui s’étrangle avec son propre collier. Il en a vu des connards avec leurs chiens, mais là, la pommade dans son sang et dans son cerveau vire au vinaigre. Il descend calmement sur l’esplanade et se dirige droit d’un pas mesuré vers le Hymer où l’homme est en train de mâchonner sa saucisse devant les chiens. Dans le cerveau de Juan, un bouton a été pressé, une décision a été prise. C’est une technique qui s’apprend avec l’expérience de la bagarre, une technique de ceux qui savent que le premier coup peut décider du reste. Juan avance vers l’homme qui se tourne vers lui, toujours cette sale gueule se dit Juan en lui adressant un sourire chaleureux. « Hey hombre… », il lui dit en guise d'appât, en lui envoyant un large crochet du droit direction la pointe du menton. La tête de l’homme fait plus d’un quart de tour sur elle-même, avant que son corps s’écroule au milieu des chiens qui ne perdent pas une seconde pour se jeter sur lui. Quel bordel ! Juan attrape la cheville du mec pour la retirer des crocs des canidés, il crie des « no ! No! Puta No ! » Le husky de l’autre côté joue à la corde avec un bras, pendant que le bichon secoue la chevelure blonde dans tous les sens, les aboiements du labrador ajoutent à la confusion. Le husky saute à la gorge du surfeur, du sang gicle, Juan a une pensée pour Lucia.
« Tu sais Juan, le monde est injuste, toi avec ton histoire t’as encore moins le droit à l’erreur que les autres, alors préserve-toi Juan. » Lucia lui avait dit ça alors qu’elle quittait son poste d’éducatrice, lui laissant une nouvelle blessure. Cinq jours après les faits, Juan fut arrêté par une voiture de la Guardia Civil. Dans son C15, les policiers y trouvèrent un labrador, un husky et un bichon maltais. Après plusieurs années de prison, attendant son procès, il fut déclaré coupable des meurtres de cinq Allemands, deux Français et un Belge. Son passé, son profil de gamin de l’Assistance publique, sa gueule, firent penser aux enquêteurs qu’ils n’avaient pas besoin de se fatiguer plus que ça en recherche. Le juge, son propre avocat, les jurés, tous de bonne foi, guidés par leurs propres stéréotypes, suivirent le mouvement, et on le condamna à la prison à perpétuité.
Et les chiens tu te demandes ?
Je te comprends.
L’histoire, faisant la une des média, un éducateur canin connu sur les réseaux sociaux publia une pétition pour clamer l'innocence des bêtes et éviter leur euthanasie. En un mois, plus d’un million de personnes y imposèrent leurs signatures électroniques. Nos amis les bêtes trouvèrent refuge dans une famille aimante avec un grand terrain, au milieu de la campagne, où ils vécurent une vie heureuse loin de la vanlife.
Soulagé ?
Tant mieux.
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