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Réalisme/Historique
MissNode : Carnet d'un voyage intime en Cévennes
 Publié le 06/03/20  -  13 commentaires  -  8612 caractères  -  100 lectures    Autres textes du même auteur

Un haïbun est un texte composé d'un récit poétique et de haïkus.


Carnet d'un voyage intime en Cévennes


pays de légendes

épopées des résistants

une initiation


Avant de mettre mon premier pied en Cévennes, encore enfant, ce nom était pour moi imaginaire, et les contrées qu'il désignait aussi ; ils appartenaient à l'univers des légendes, au même titre que la forêt de Brocéliande – à cause de ses fées – ou le pays de Gévaudan – à cause de sa bête redoutée. Ils ne pouvaient pas exister, puisque ces contes n'étaient pas réels.


Jusqu'au jour où je visitais la Porte des Cévennes.

À cet endroit pousse une bambouseraie unique au monde, célèbre pour avoir accueilli dans le temps le tournage du film « Le Salaire de la peur ».


Entrer dans les Cévennes par les allées de bambous géants, parfois lisses et brillants, parfois tressés comme en macramé, ce fut le prolongement de mes rêveries d'enfant dans ma réalité d'écolière ; soudain, la féerie disposait d'un décor grandiose bien réel, fait de la transparence des dégradés de verts, de la souplesse des forêts dansant d'un poids léger au rythme des vents.


Chacune des allées ouvrait sur un espace exotique (pour ma petite expérience de voyageuse de sept ans), baigné de la lumière artistique particulière à toutes ces collines et vallées : parfois un village de bambous sur pilotis, parfois une clairière aux arbres majestueux ornés de fleurs improbables nées d'une force créatrice délicate ; des mares et leurs lotus et leurs fontaines ; puis les serres du jardin des plantes, couveuses de merveilles d'autres fleurs tarabiscotées, d'autres feuilles apaisantes ou carnivores.


Le soir venu, je pleurai de quitter ces lieux, aux prises avec le charme ensorcelant de ce pays de châtaigniers, mêlés à cent essences d'arbres dans une même forêt, où la lumière blonde invite à pénétrer dans la profondeur des sous-bois, à survoler les crêtes et les drailles, à se couler dans les vasques des rivières transparentes.


à perte de vue

les pompons des châtaigniers

poumons des collines


Depuis lors, mes rêves d'enfance n'ont eu de cesse que le vent ne me rabatte vers les Cévennes. Puisque ce pays de légendes existait réellement, tous les projets devenaient possibles. Mon âme avait respiré trop fort lors de cette découverte si éphémère : il lui fallait regagner ces contrées où mon corps s'était senti étrangement plus libre que sous les écrasements du soleil marseillais, celui de mes origines.


« L'homme est conduit par l'aveugle qui est en lui » (Jean-Claude Izzo, probablement dans son roman policier « Chourmo »). C'est certainement cet aveugle en moi qui m'a poussée, devenue adulte et mère de famille, à revenir en Cévennes pour y travailler et y vivre, quelque trente ans plus tard.


Mon couple est arrivé là fracassé de l'intérieur, il a explosé un an après notre installation dans ces collines où le froid de l'hiver rappelle celui des montagnes, et où la nature impose les retrouvailles avec l'authenticité en soi et dans ses actes – jusqu'au sacrifice des relations fondées sur trop d'artifices.


C'est alors que le pays m'a enveloppée de son hospitalité, et c'est là que j'ai trouvé refuge, asile protecteur et rassurant contre un quotidien agressif et déstabilisant : j'ai commencé mon voyage à la découverte des sentiers, des rivières et des cols, qui seuls ont été capables de me ramener à ma juste place de petit être humain au faîte d'une Terre immense.

Je partais à pied du mas où j'habitais, tous les jours, avec mon gros chien noir mi-griffon mi-beauceron, rapportant du petit ou du gros bois, visitant le mont qui m'offrait domicile et chauffage, par les chemins des sangliers, parfois.

D'autres fois, c'était la longue balade de trois heures, départ en voiture au hasard des cols et vallées voisins, puis suivant les pistes en randonnée pédestre, toujours accompagnée du chien.


crépitent les feuilles

nos pas s'arment de patience

traverser l'hiver


Cette terre est consolante. Les rivières ont accueilli tous mes chagrins, qui ont pu couler là pour me laisser respirer, avant de poursuivre sur les chemins de la vie. Le vert des Cévennes est trop profond pour rester de marbre, il attendrit les cœurs, car même la pierre est friable, où l'arbre se déploie comme les bambous, dans l’autrefois de mes jeunes années.


Cette terre possède les sagesses ancestrales qui savent accorder l'homme et la nature environnante, et de cette harmonie ont surgi des merveilles – les cultures en terrasses typiques, reconnues patrimoine universel, notamment.


Ces sagesses ont poli toutes les aspérités de mes révoltes inutiles et usantes ; elles m'ont enseigné, étape par étape, les nécessités du temps qui passe et du temps qu'il fait ; l'incontournable solidarité pour survivre dans ces contreforts montagneux ; le sacrifice du confort en contrepartie du luxe offert par l'exubérante nature ; tant de leçons encore, qui ont remodelé, remembré même, ma personne ; au fil de tous ces voyages sur tous ces sentiers, et ces déménagements de mas en maison de village et appartements.


Car mon domicile suivait mes voyages intérieurs : après les rudes apprentissages de l'hiver cévenol dans un mas isolé en pleine colline, suivirent les non moins rudes enseignements de la vie de village soumise à la rumeur, dans un appartement près de l'unique grand' place.


écrire une vie

pour déceler le sentier

pas à pas créé


Aujourd'hui, cette terre m'a apprivoisée. Apaisée de tous mes voyages – dans les collines comme à l'intérieur de moi – j'en ai fait mon pays d'attache, mon ancrage s'est déplacé depuis celui de mon pays de naissance vers ces lieux d'adoption.


Car mes explorations m'ont offert de remettre au goût du jour tous mes rêves de jeunesse, l'un après l'autre extirpés de la gangue d'un quotidien pesant – qu'il est difficile de se passer du confort lorsqu'on y a goûté !


Tout a commencé grâce à des symptômes physiques terriblement affaiblissants. Un ordre impératif du corps : changer de vie. Reconquérir la féminité pour laisser désormais en sommeil la maternité ; laisser s'exprimer une créativité trop longtemps muselée.


Pas à pas, j'ai reconnu le sentier sous la châtaigneraie qui mène jusqu'à ma maison désormais, nichée incognito dans cette verdure si bienfaisante pour les humeurs d'une nostalgique. Les craquements de mes pas sur le plancher m'ont été familiers, le poêle m'a enveloppée de ses chaleureux ronronnements. Je me suis mise au jardin – puisque deux terrasses de ces spécimens typiques me sont réservées –, au plaisir de m'accorder aux rythmes des cieux et terre.


Je m'assois à mon bureau devant la baie vitrée ouverte sur les essences mêlées d'acacias, pins et lilas, et j'écris du bout de mes doigts sur mon clavier. J'en ai véritablement rêvé, assise sur mes premiers bancs d'école jusqu'à ceux des amphis de l'université. M'y voici. Jubilation.


les feuilles volantes

d'un carnet abandonné

l'automne écrivain


Enfin... la vie m'offre l'équilibre parfait entre heures de loisirs et heures de travail... enfin ! Mon tempérament fougueux – à me jeter avec démesure d'énergie, de temps, dans le moindre projet professionnel – se trouve ainsi canalisé par des horaires réduits, par de longues coupures entre les périodes de travail... de quoi apprendre à relativiser sur le caractère indispensable de ma petite personne.


Les affres du temps libres !... là aussi, il s'agit d'apprivoisement, celui des heures vierges à peupler essentiellement de peu d'actes hormis celui d'écrire et, qui sait ?, à inventer dans ce vide apparent le germe d'un projet de façonnage. Histoire de ne pas façonner qu'avec les mots, mais aussi avec les mains. Une création de livres-objets, reliés savamment, dans les règles de l'art, inventés, aussi, mais sans extravagance : un livre mérite d'être reconnu du premier coup d’œil.


Finalement, du creux de ce nid est né un amour. Surprenant. Tranquille. Amical et torride. Advenu, contre toute attente, sur ma propre initiative d'invitation pour un verre à partager. Très longtemps attendu en soi, pour la rencontre elle-même et pour qu'elle dure. Mais surtout, depuis toujours désiré tel qu'il se vit. Sans rendez-vous mais partageant presque un quotidien. Sans beaucoup de mots, ni pour parler du fond de soi, ni pour analyser les fondements de la relation. Mais avec beaucoup de complicité et de confiance.


lumière lunaire

sur le drap nu des amants

silence complice


 
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   plumette   
6/2/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
un texte d'une grande sincérité qui rend hommage à un pays d'adoption et qui fait une sorte de retour sur soi sensible, qui m'a beaucoup touchée.

Un parcours : un parcours dans la nature et dans "sa propre nature"

Je conçois bien l'écriture ainsi, à la fois dans l'intime et l'universel .

L'écriture est soignée, travaillée pour coller au plus près de l'être, de son essence.

L'insertion des Haïkus est un plus qui crée comme un fin liseré autour.

Merci pour ce partage!

J'ai vraiment aimé ce texte et me suis sentie proche de celle qui l'a écrit.

   Donaldo75   
11/2/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,

Ce récit probablement autobiographique est très bien écrit; à aucun moment je ne me suis senti - en tant que lecteur, évidemment - mis de côté ou exclus pour un monologue égocentré et j'ai pu découvrir ce pays. L'insertion des haïkus ajoute de l'atmosphère à l'ensemble - même si j'avoue ne pas être fan de ceux proposés ici - et de la poésie au texte qui n'en manque déjà pas.

En temps normal, je ne suis pas vraiment client de ce type de récit qui a tendance à m'endormir ou me lasser; ici, la durée et la mesure sont suffisamment bien calibrés pour que je reste en éveil jusqu'à la fin. Le rythme est assez lent - du moins, dans ma lecture - et peut-être un peu plus de lyrisme relèverait le tout, mais ce n'est qu'un avis de lecteur, pas un conseil à l'auteur.

Bravo !

   Alfin   
6/3/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour MissNode,

Voici un récit poétique qui pourrait entrer dans la nouvelle catégorie proposée sur le site !

Beaucoup de douceur et de rêve dans ce texte. La narratrice parle sans rancœur d'une vie qui arrive maintenant à son accomplissement (je n'ai pas dit la fin). La vie a posé pendant des années des petites briques pour construire comme un aboutissement, l'ensemble présent aujourd'hui.

Ce récit en forme de récapitulatif poétique est très beau, la plume est légère et on ressent la justesse dans l'écriture.

Personnellement, si j'apprécie l'effort et la qualité, je reste sur ma faim, j'ai été touché par les rêves de la fille de 7 ans et j'aurais voulu vivre cet émerveillement plus en profondeur. L'apaisement est une émotion qui ne transporte pas le lecteur, c'est vrai, mais le message de la plénitude qui se trouve dans la simplicité est très bien exposé et ensuite intégré par le lecteur.

Donc c'est une belle réussite qui pourrait aller plus loin pour bouleverser un peu, avec peu de moyens, son lecteur qui ne s'identifie pas trop à la narration (enfin moi, pour être précis).

Merci beaucoup pour cette belle lecture !

Et au plaisir de lire l'opus suivant !

Alfin

   maria   
6/3/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour MissNode,

C'est avec un immense plaisir que je suis entrée dans tes Cévennes, et je suis ravie que "ces sagesses ont poli toutes les aspérités de mes révoltes, inutiles et usantes".
C'est magnifiquement écrit, doux. Mais surtout, tout a l'air si simple, comme si tu voulais suggérer au lecteur que lui aussi pouvait faire un tel "voyage intime".
Bravo pour ta réussite "histoire de ne pas façonner qu'avec les mots, mais aussi avec les mains".
Merci pour ce savoureux moment de lecture.

   Corto   
6/3/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Lire cette nouvelle c'est pénétrer dans une vie qui se développe, s'aventure, s'affirme jusqu'à l'étape de l'épanouissement qui peut regarder avec paix le chemin accompli.

"Entrer dans les Cévennes par les allées de bambous géants, parfois lisses et brillants, parfois tressés comme en macramé, ce fut le prolongement de mes rêveries d'enfant dans ma réalité d'écolière". Avec cette phrase c'est tout un élan vital qui se met en place et l'ensemble de la narration fait pénétrer le lecteur dans une évolution qui poursuit son chemin.

Le style est à la fois captivant et charmeur.
L'alternance avec quelques haïkus complète bien cette sensation d'évanescence qui pourtant reste sensible à l'essentiel "le pays m'a enveloppée de son hospitalité, et c'est là que j'ai trouvé refuge".

La relation à cette terre qui vous fait du bien car faisant écho au rêve d'enfance est très bien rendue "cette terre m'a apprivoisée. Apaisée de tous mes voyages – dans les collines comme à l'intérieur de moi".

Voici un texte à la fois d'aventure, de recherche, d'apaisement.

Grand bravo à l'auteur.

   hersen   
6/3/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Je redécouvre ce texte que j'avais déjà lu il y a quelques temps, t'en souviens-tu ?
Il porte une belle poésie, et c'est un art que de savoir intercaler des haïkus au fil du texte.
C'est une démarche très intéressante, même si je la trouve légèrement déstabilisante; il y a une sorte d'antinomie entre un texte long et un haïku, et le haïbun oblige une gymnastique d'esprit (parce qu'il me faut toujours un certain temps pour "sortir" d'un haïku, car il porte dans sa brièveté tout un pan de littérature).

le ton de la vie écoulé est très apaisé, même si on devine qu'il y a eu des hauts et des bas. La poésie et son parti pris en font une belle histoire et non pas "moi je".
j'aime la démarche, autant celle de changer de vie que ce que tu en as fait sous cette forme particulière.
c'est réussi, la Miss !

   OiseauLyre   
6/3/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Votre manière d’articuler les haïkus (au passage, frappants de simplicité et de beauté) est un apport incontournable à ce journal intime. Il approfondit l’idée que l’on se fait de la narratrice.
Sur la forme, l’écriture est très fluide et la simplicité, voulue ou consentie, renforce cette impression de voyeurisme du lecteur qui contemple un fragment de vie, de l’intérieur. L’effet est très réussi. L’ensemble est touchant.
Sur le fond, j’ai connu les Cévennes et je ne peux que me reconnaître dans certains passages et descriptions. Vous ravivez quelques souvenirs bienvenus.
Merci.

   Malitorne   
7/3/2020
 a aimé ce texte 
Bien
La catégorie ne me parait pas très appropriée, j'aurais davantage vu le texte dans les "Réflexions/dissertations" car c'est quand même d'une introspection dont vous nous parlez. Vos rapports aux Cévennes, à votre vie passé et cette nouvelle union. C'est soigneusement écrit et vous rendez bien compte du charme qui s'opère avec une région aimée. Je connais aussi les Cévennes et me rappelle d'une jolie balade au col de L'Homme Mort, le nom m'avait frappé. La bambouseraie d'Anduze également, bien sûr.
Le fait d'intégrer des haikus, à l'instar d'un ancien concours du site, n'est pas une mauvaise idée, bien qu'ils soient de valeur inégale. Ça apporte des moments de pause, une autre façon de voir les choses.

   MissNode   
7/3/2020
C'est ici que l'on peut discuter, et lire mes remerciements : http://www.oniris.be/forum/viendez-en-cevennes-t27905s0.html#forumpost384776

   Luz   
7/3/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour MissNode,

J'aime bien cette nouvelle sur les Cévennes. C'est une région que j'apprécie beaucoup :
- les vasques des rivières transparentes (vers le secteur Les Vans, Joyeuse,...)
- les pompons des châtaigniers
- les chemins des sangliers
Un très beau texte agrémenté de haïkus superbes ; bravo !

Luz

   Robot   
8/3/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Il est rare que je sois séduit par les récits de souvenirs. Pourtant, celui-ci sous forme de confidences a retenu mon attention du début à la fin. Les haïku qui titre les paragraphes sont comme un résumé préalable à la lecture et donnent une indication intéressante sur ce qu'il y a à découvrir ensuite.

Les parties en prose nous racontent le déroulement de quelques moments de vie. Le texte parsemé aussi de passages poétisés n'est pas pour rien dans l'attrait que j'ai ressenti.

Des photographies biographiques bien exprimées en mots.
La promesse du titre est tenue.

   Anonyme   
29/3/2020
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonjour MissNode

La lecture de ce texte est agréable. La ligne est claire.
Le ton, sincère, est celui de la confidence. La forme est pudique et la fin heureuse. Ce texte "feel good" tombe au bon moment. La nature, le village et l'ami nous reposent en même temps que vous.

Il y a tant d'essences d'arbres nommées que je n'ai pu m'empêcher de penser à Giono. À "Que ma joie demeure" pour le lyrisme et au "Hussard sur le toit" pour le récit stendhalien, en plus court ;)

J'ai beaucoup apprécié.

   Anonyme   
13/4/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Merci de ce partage où la communion avec la nature est source de sentiments profondément humains.
J'aime cet équilibre du bruit et du silence et les images lumineuses et simples nous renvoient à la complexité souvent coupable des sentiments humains.
Très belle maîtrise.
Dans notre humanisme tourmenté, nous cherchons à assouvir nos sentiments en utilisant la nature, la voilà qui nous protège sans rien demander en retour, c'est ce qu'on appelle du grand art.
Votre rythme dans le récit est constant et apaise en ces temps troublés.
Bravo et merci !


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