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Sentimental/Romanesque
monlokiana : Aada, téré ak djinné [concours]
 Publié le 28/09/11  -  13 commentaires  -  21134 caractères  -  125 lectures    Autres textes du même auteur

Guet N’dar… Cette langue de terre bordée d’un côté par l’océan Atlantique et de l’autre par un bras du fleuve Sénégal étonne le visiteur par ses maisons si basses. Il y a encore quelques dizaines d’années, aucune maison n’avait d’étage. Ce n’est que récemment que quelques étrangers ont bâti des demeures plus hautes, malgré la réprobation des premiers habitants qui se souvenaient de l’interdit jeté par Mame Coumba, la déesse titulaire des eaux…


Aada, téré ak djinné [concours]


Ce texte est une participation au concours n°11 : Mythologies (informations sur ce concours).


L' Afrique traditionnelle est la plus difficile à comprendre car bourré de traditions, de génies, de djinns... Difficile de la décrire quand on ne la connait pas. Donc, un grand merci à Palimpseste d'avoir accepté de relever le défi en travaillant ce bout de texte avec moi.


***


Seize heures… Dix-sept heures… Dix-huit heures…

L’heure du retour de la pêche est largement dépassée et les hommes sont toujours en mer !

Fatiguées d’être restées debout toute la journée, les femmes s’assoient au bord du fleuve, le visage dans les mains. Les anciens du village, bien droits sur leurs chaises pliantes, mâchent des noix de cola en fixant la ligne d’horizon.


Au loin, l’ombre des grandes pirogues se dessine enfin. Un petit garçon, assis juste à côté de sa mère se met à crier de joie en se levant :


- Gnigui niaw ! Kool len, Gnigui niaw ! [Ils arrivent ! Regardez, ils arrivent !]


Les femmes se redressent à leur tour. « Dieu soit loué ! Allah est grand ! crient-elles. »


Les hommes rament de toutes leurs forces jusqu’au ponton…


Visiblement mal à l’aise, les pêcheurs silencieux quittent leurs gilets de sauvetage en évitant le regard des femmes. Ils les savent taraudées par une question brûlante : aura-t-on à manger ce soir ?


Pas un mot…


Silence…


Une femme plus impatiente que les autres se rue vers les embarcations.


Vides ! Rien ! Pas le moindre poisson !


Comme tous les jours depuis deux semaines, les pêcheurs Guet Ndariens luttent jusqu'à l'épuisement pour jeter les filets, les lignes et les casiers. Ils les remontent avec un espoir de plus en plus pathétique, même si leurs muscles disent que tout est vide. Comment a-t-on pu en arriver là ? La mer qui a nourri leurs aïeux est devenue un désert moins peuplé encore que l'immense Sahara. Les dunes foisonnent de serpents, d'insectes et de drôles de mammifères. Pour ceux qui savent, on peut y survivre car la vacuité du Sahara n'existe que pour les ignorants.


Les pêcheurs baissent la tête et se hâtent de regagner leur maison. Derrière eux, les visages des femmes sont crispés de désespoir : les garde-manger ne tiendront pas jusqu'à la fin de la semaine. Même en rationnant, même en partageant, même en serrant toutes les ceintures, les faits sont têtus. Dans moins de trois jours, on passera de la disette à la famine…



************



Rama fait partie de ces ménagères au panier vide depuis quinze jours. Elle parcourait le village depuis toujours pour revendre quelques légumes frais achetés au marché. Son mari Moussa occupe toute ses journées à la construction du pont qui reliera Guet N’Dar à Looda. Il dirige la centaine d’hommes qui travaillent sur le chantier. Tous le respectent et reconnaissent en lui un notable bien avisé.


Rama rentre chez elle, en proie à de sombres pensées. Sa cadette Astou, un beau brin de fille en pleine éclosion, a déjà la taille si menue ! Que deviendra-t-elle quand la nourriture manquera ?


Franchissant le seuil de la maison, Rama voit justement Astou se préparer à sortir. Pourtant la nuit vient de tomber et chacun sait que les rues ne sont pas sûres dans un village aussi peuplé. Certains désœuvrés n’hésitent pas à sortir leur couteau pour voler les vieillards ou abuser des jeunes filles.


- Où vas-tu donc, ma fille ?

- Je vais chez mon amie Naty réviser le cours de mathématiques. L'examen est dans deux semaines et je ne comprends rien aux équations du deuxième degré. Elle a promis de me les expliquer.

- C'est bien savant, tout ça. Mais n'est-il pas trop tard pour t'y rendre ?

- Elle habite à côté. J’en ai pour une heure. Je te le promets.


Rama pense combien l'échéance de deux semaines lui paraît lointaine, alors qu'elle ne sait pas comment préparer à manger dans trois jours. Pour ne pas alarmer sa fille, elle décide de lui laisser un peu de liberté. Qu'elle aille étudier les mathématiques ! Si ça ne lui remplit pas l'estomac, du moins sa tête sera bien pleine.


Tournant le coin de la rue, Astou inspire fort. Son cœur s'accélère. Ses jambes flageolent légèrement. Son amie a été mise dans la confidence hier : au diable les équations ! Astou a rendez-vous avec Ousmane, un garçon qui embrase ses sens autant de ses bras musclés que de son regard profond et intensément amoureux. Le jeune homme vient chaque nuit visiter ses rêves et disparaît le matin dans la brume laissée par quelques inconvenances imaginaires…


Si Astou marche avec des jambes de coton, l’excitation de rejoindre le garçon n’est pas seule en cause. Elle mesure la force du tabou qu’elle s’apprête à briser. Dans ce quartier populaire, c’est le rôle du père de choisir le mari de ses filles. La famille se concerte, inventorie les prétendants, évalue les dots, calcule les alliances et donne un avis souverain. Le cœur n’a traditionnellement qu’un rôle très secondaire, alors qu’Astou a décidé de lui donner la primeur, en violation complète des coutumes. Mais qu’importent les coutumes des anciens, quand on est jeune et amoureuse ?


Ousmane habite non loin de là, dans une maison à la limite de Guet Ndar et du marché de Ndar. Il est seul ce soir et ce rendez-vous avec Astou lui donne plus de fièvre que n'importe quelle maladie. Chaque soir, elle occupe ses songes et ne les quitte qu'avec le soleil levant, effaçant prudemment la trace de son passage onirique.


Quelques bougies, une musique douce…

De la fenêtre entrouverte un air lourd ventile la maison…


Fébrilement, il vérifie sans cesse l’heure. Astou a quelques minutes de retard… Et si elle ne venait pas ? Mais Ousmane a confiance en la jeune femme. La ponctualité n’est peut-être pas dans sa nature, mais la constance, si.

Voilà des mois qu’Ousmane attend ce soir où il sera seul chez ses parents. Il mesure aussi le poids de sa responsabilité. Si leurs corps s’unissent ce soir – et les deux en sont dévorés de désir – Astou perdra toute chance par la suite de pouvoir se marier avec un autre homme. Il ne s’apprête pas à recevoir simplement une jeune fille qu’il convoite, mais plutôt sa future épouse.


Assis sur son lit, il pense à ce corps et aux baisers dont il couvrira chaque centimètre carré dans quelques minutes. Cette fille l’a littéralement ensorcelé à la dernière Rawanté Gaal, la course de pirogues sur le fleuve, où les équipages rivalisent de force et d’adresse. Parce qu’il avait laissé gagner son meilleur ami qui relevait d’une maladie, Ousmane n’avait pas conduit son esquif à la victoire. Impressionnée par ce geste, Astou avait remis le grand prix à un autre pêcheur mais son regard ne pouvait se détacher de celui d’Ousmane.


Dans la soirée qui avait suivi la course, elle avait dansé au rythme endiablé des tam-tams. Le garçon avait été subjugué par son corps, ses cheveux, ses hanches et ses immenses prunelles noires posées sur lui.


Les yeux d’un lion croisant ceux d’une biche… Dans cet improbable creuset était né un amour interdit.


Astou devint sa seule passion : des petits rendez-vous secrets de dix minutes, des baisers échangés entre les quartiers mal éclairés de Guet Ndar…


Revenant à la réalité quand il entend frapper à la porte, Ousmane bondit et l’ouvre à la volée. Sa bien-aimée est là, qui entre.


Ousmane remarque le trouble de la jeune femme. Il l’enlace délicatement pour que sa chaleur lui transfuse de la sérénité. En quelques minutes, le rayonnement d’Ousmane calme les tremblements d’Astou et ravive son ardeur amoureuse.


L’un dans les bras de l’autre, leurs corps se mêlent plus intimement que ceux de siamois.


Après un temps largement suffisant pour réviser dix ans de mathématiques, ils retombent épuisés sur le lit.

La tête posée sur sa poitrine, Astou allonge une jambe sur celle d’Ousmane. Elle entend son cœur cogner à toute vitesse.


- Un jour on ne se cachera plus, je te le promets, dit-il en lui passant sa main dans les cheveux.

- Nous ne sommes pas les premiers à désobéir…

- Oui sans doute… Mais j’ai peur pour toi… La coutume…


Elle l’interrompt en posant son index sur ses lèvres.


- Je ne la respecterai pas si j’aime vraiment, dit-elle pour clore la discussion.


L’heure tourne jusqu’à imposer le retour à la réalité. Il est temps pour Astou de rentrer.


Ousmane déteste ce moment. Astou remet son pagne et redevient – presque – la jeune fille qu’elle était en venant.

Il tente de la retenir en caressant sa main, en embrassant son cou.


- Reste encore un peu, je t’en prie, murmure-t-il. Ne pars pas encore. Togal…

- Je ne peux pas, comprends. Je dois vraiment y aller. Il se fait tard. C’est promis, da gnou guisane té watt. [On se reverra.]

- Astou…

- Oui ?

- … Je t’aime éperdument. Ma vie ne compte plus pour moi au regard de la tienne. C’est étrange d’aimer une personne et de se sentir prêt à tout pour elle, même à mourir s’il le fallait.


La jeune femme comprend le sens de ses mots et lui jette un regard amoureux. Elle aussi éprouve cet étrange sentiment.


Un dernier baiser et elle sort de la chambre. Elle traverse fiévreusement les longues ruelles de son quartier, attentive à ne pas être reconnue à cette heure par un voisin.


Rama veillait anxieusement en attendant le retour d’Astou. Soulagée de la voir revenue, elle admire sa fille à qui les mathématiques donnent un sourire si radieux.



************



Une belle journée ensoleillée vient illuminer les rues étroites de Guet Ndar.

La chaleur écrase les berges du fleuve. Tous sentent le soleil taper aux épaules comme pour essayer de les enfoncer dans la terre sèche et dure.

Les enfants partent se baigner après l’école, bien contents de retrouver un peu de tiédeur, même si l’eau peut largement servir à la vaisselle – voire à préparer les infusions. Braillards et heureux, tous entrent dans le lit du fleuve et s’y égayent. Les bambins s’éclaboussent les uns les autres, tandis que les plus grands plongent et crawlent sur des dizaines de mètres.



************



Astou rentre du lycée et vient trouver sa mère dans la cuisine.


- Je ne passerai pas la journée ici, Yaye.

- Pourquoi donc ?

- Je dois retourner au lycée, à mon groupe de révisions.

- Allons Astou ! On est samedi ! Tu as vu comment il fait beau aujourd’hui ? Abandonne un peu tes cahiers et va prendre un bain au fleuve. Ça te fera du bien !

- Non maman, je dois vraiment y aller. Je reviendrai avant le dîner. C’est promis ! Juré !


Rama soupire en regardant longuement sa fille. Elle ne comprend pas toujours que celle-ci préfère étudier plutôt que de se divertir.


- D’accord. Vas-y…


Elle sourit, prend son sac à dos et pose un baiser sur la joue de sa mère.



************



Au dernier chant du muezzin, les enfants de Guet Ndar sortent de l’eau.

Ils se séparent en riant et promettent de se revoir le lendemain pour reprendre leur baignade.

Mais un enfant tombe en franchissant le seuil de sa maison… Comme une masse, un sac vide ou une corde dressée qu’on lâche.

Le cri de sa mère qui habite au plus près du fleuve déchire la quiétude de la soirée. Il est vite couvert par cent autres. En quelques minutes, tous les gosses s’effondrent dans l’entrée de leurs maisons.

Les plus grands accoururent aux nouvelles de ces hurlements de douleur poussés par leurs mères. Sortant de l’eau avec toute la force d’une nage forcenée, ils rejoignent leurs maisons et s’y effondrent sur leurs cadets. Garçons ou filles, ils s’affalent dans les entrées, sans entendre leurs mères.

Les parents absents de chez eux pour accueillir leurs enfants trouvent ceux-ci inanimés, les frères et les sœurs entassés les uns sur les autres au gré de leur arrivée au logis.

L’heure du dîner arrivée, Guet Ndar est vide de ses jeunes. Presque tous s’étaient baignés et gisent maintenant inanimés, respirant faiblement.


Rama et Moussa attendent anxieusement le retour de leur fille. Celle-ci franchit sans encombre la porte. Ses parents remercient le ciel qu’elle ait préféré ses études à la baignade.



************



Se glissant dans les rues du village sous son apparence humaine, le génie Alioune entend les palabres et écoute les mères raconter la torpeur qui a saisi leurs enfants. Son cœur bat la chamade. Il a déjà entendu une histoire semblable et sait avec certitude que c’est un coup de sa redoutable sœur.


Combien de fois l’a-t-il vue, hurlant des imprécations à l’adresse des villageois et finir par les faire tomber malade ? Il lui suffisait souvent de presque rien pour déclencher une épouvantable colère qui s’achevait dans le malheur. Plusieurs marins, trop hardis, ont payé de leur vie de l’avoir croisée au mauvais moment. On n’explique pas leurs noyades, mais Alioune sait que Mame Coumba les provoque sans remords, parfois pour de simples peccadilles.


Croisant Moussa sorti réconforter ses voisins désespérés, il l’aborde. Les deux hommes se serrent la main et discutent du mystérieux désastre qui s’abat sur Guet Ndar. Moussa bénit ce fameux cours qui a retenu Astou au lycée.


- Et si tu venais chez moi ? propose Alioune. J’ai des choses à te dire et je pense que tu peux m’être utile.

- Bien sûr, allons-y…


Ensemble, ils traversent un dédale de ruelles, se faufilant dans des quartiers éloignés jusqu’à arriver à la résidence d’Alioune.

Il habite une véritable maison Guet Ndarienne : une immense cour ouverte en patio sur des chambres.


Alioune vérifie qu’ils sont bien seuls. Son invité et lui s’installent dans le salon autour d’une table basse.


- Je sais d’où vient la maladie qui frappe les enfants, Moussa. Je sais aussi pourquoi les pêcheurs rentrent bredouilles depuis deux semaines.

- Que se passe-t-il ? Diakhlé na gniou ! [Nous sommes tous si inquiets !]

- Tout cela vient de ma sœur, Mame Coumba. Depuis plusieurs mois elle se plaint de la hauteur de vos maisons. Elle se venge des jeunes générations qui ne respectent pas cet interdit ancestral.

- Allons Alioune ! Cela fait des décennies que nous n’avons plus aucun signe de vie de la déesse titulaire des eaux. L’obligation des maisons basses est finie et enterrée ! C’est du passé…

- Pas du tout ! Ma sœur n’est jamais partie et n’a jamais autorisé la construction de maisons hautes ! Elle est bel et bien présente aujourd’hui, de plus en plus en colère contre les étrangers de Guet Ndar qui construisent ces maisons trop élevées. Les bruits des ouvriers dérangent sa tranquillité. La nouvelle génération Guet Ndarienne ne croit pas à son existence. L’offrande des dix vaches égorgées devant le fleuve n’est plus respectée depuis de nombreuses années. L’heure de sa vengeance a sonné. Dans un premier temps, elle a fait fuir le poisson et maintenant elle lance la maladie sur vos enfants.


Moussa le fixe longuement. Peut-être a-t-il raison, après tout ? En y réfléchissant bien, tant de malheurs ne peuvent pas arriver en même temps.


- Admettons que ce soit vrai, finit par dire Moussa… Que pouvons-nous faire ?

- Attends-moi une minute, lui répond Alioune en s’éclipsant.


Moussa regarde autour de lui, sceptique sur ce qu’il vient d’entendre. Calmer la déesse des eaux est essentiel pour faire revenir le poisson à Guet Ndar. Mais Mame Coumba est une capricieuse. Comme dit le vieux dicton de Guet Ndar « Bou tayé mou wékh, bou souba mou honke », aujourd’hui elle est blanche, demain elle est rouge.


Alioune revient avec sur la tête un large récipient rond en terre cuite. Il le donne à Moussa.


- J’ai mis dans ce canari du lait, de l’eau bénite et des gris-gris. Son charme est extrêmement puissant.

- Que dois-je en faire ?

- Fais-le verser dans les eaux du fleuve par une femme vierge. Le pouvoir de ma sœur sera affaibli pour une lune, vous laissant le temps d’organiser le sacrifice des vaches et de détruire les habitations impies. Demain, Inch Allah, les enfants iront mieux dès l’aube. Ils pourront retourner s’amuser dans l’eau comme d’habitude.

- D’accord. J’y vais de ce pas.

- N’oublie pas, Moussa : il faut absolument que tu donnes le canari à une femme vierge… Sinon ce pourrait être catastrophique. Je viendrai te voir demain matin, avant l’aube. Je veux être parmi vous quand les enfants s’éveilleront, pour dire à tous ce qu’il faut faire pour calmer Mame Coumba.


Moussa acquiesce et court chez lui, le canari bien calé sur la tête.



************



De retour chez lui, il se rend dans la chambre d’Astou, qui ne dort pas encore. Assise sur son lit, la jeune femme pensait à Ousmane, un sourire lointain sur ses lèvres.


Elle se redresse en voyant son père entrer.


- Ma fille, je suis heureux de te trouver encore éveillée.

- Qui se passe-t-il ?

- Tu dois m’accompagner jusqu’au fleuve et verser le contenu de ce canari dans les eaux.

- Mais papa, une épidémie ravage le village. Est-ce bien le moment d’aller au fleuve ? J’ai passé beaucoup de temps à réconforter les voisins dont les enfants sont malades. Je suis fatiguée et demain sera encore une longue journée.


Moussa sait qu’Astou est une tête de mule. Il change de ton et se montre moins conciliant.


- Ce n’est pas une épidé… Maintenant tu obéis ! Enfile immédiatement ton pagne et viens avec moi ! Sans discuter !


Ne voulant pas attiser cette incompréhensible colère, Astou enfile son pagne, prend le canari et suit son père jusqu’au fleuve.


Astou entre seule dans l’eau et verse le contenu du canari. Autour d’elle se forme un tourbillon et le fleuve se teinte d’ocre. Des bulles remontent à la surface comme si mille poissons respiraient juste en dessous de la surface. Astou plonge les mains dans l’eau pour essayer de déceler la source de ce bouillonnement, mais c’est en vain qu’elle cherche une explication.


Quand elle revient sur la berge, son père est redevenu calme, presque joyeux. Revenant vers leur maison, ils parlent sereinement ensemble. La nuit tombe. Moussa est heureux de penser que les enfants retrouveront leur existence normale d’ici quelques heures.


Quand Astou franchit le seuil de sa maison, elle s’y écroule. Moussa prend peur et couche sa fille dans son lit. Comme il lui tarde que le soleil revienne !


S’il se promenait près du fleuve, il le verrait maintenant arborer une sombre couleur rouge sang. Les poissons, effrayés, sautent à la surface comme s’ils étaient devenus fous.


Mais contrairement aux autres enfants, paisiblement endormis, Astou développe une forte fièvre. Elle transpire au point de mouiller son lit cinq fois de suite. Elle délire, pousse des cris, s’arrache les cheveux.


Moussa et Rama la veillent toute la nuit, priant à tour de rôle pour son repos.



************



Comme promis, Alioune rend visite à Moussa juste quand le ciel blanchit. Celui-ci explique que sa fille est tombée malade en versant le canari dans fleuve.


Le frère de la déesse lui explique ce qui s’est passé :


- Je regrette mais ta fille n’est plus vierge. J’en ai eu peur en longeant le fleuve tout à l’heure : il est rouge comme le sang qu’elle a perdu. Le charme fonctionnera pour les enfants du village, mais pas pour elle. Elle mourra dès le lever du soleil.


Moussa reste interdit, comme si on venait de lui planter un couteau en plein cœur.


- N’y a-t-il pas un moyen de la sauver ? demande-t-il désespéré.

- Il est tard, Moussa, mais peut-être pas trop tard. Il me faut maintenant un sortilège extrêmement puissant pour la sauver in extremis. La vie de ta fille ne sera épargnée qu’en échange de celle du garçon qui a pris sa virginité. Et alors le fleuve perdra sa couleur de sang quand il aura reçu la vie de l’un ou de l’autre.


Moussa et Rama entrent dans la chambre de leur fille et s’assoient à côté d’elle. Astou ouvre ses yeux remplis de larmes.


- Astou, tu n’es plus vierge ! s’exclame Rama, désespérée. C’est fini, jamais notre famille ne lavera cette honte qui…

- Rama ! coupe Moussa. Ce n’est pas le moment, je t’en prie ! Astou, écoute, dis-moi, qui est le garçon qui a pris ta pureté ?

- Je… ne… vois personne… finit-elle par articuler.

- Arrête de mentir ! s’emporte son père... S’il te plaît, dis-moi son nom et on pourra te sauver. Tu vivras encore.

- Qu’est-ce que… vous allez… lui faire ?

- Seule ta vie a de l’importance. Le garçon qui a pris ta virginité n’a plus le droit de vivre. Dis-moi son nom ! Dépêche-toi car tu as pris dans ton sang toute la malédiction que Mame Coumba a jetée dans le fleuve. Les enfants vont guérir quand le soleil reviendra, mais tu vas mourir pour avoir versé le canari. Il devait être vidé par une femme vierge et tu avais ma confiance. Tu as trahi tes parents. Dis-nous le nom de ce garçon !


Astou reste sans réponse.

Tournant son visage mouillé de larmes vers la fenêtre où le ciel est maintenant d’un bleu très pâle, elle attend le premier rayon de son dernier soleil.


 
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   Anonyme   
9/9/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Belle histoire, belle fin. Une fois de plus, je ne reconnais pas le mythe évoqué (peut-être est-il africain), mais j'ai apprécié cette atmosphère au début très terre-à-terre, qui fait intervenir sur le tard les dieux ; j'aime aussi qu'ils vivent parmi les hommes et discutent avec eux !

   wancyrs   
21/9/2011
 a aimé ce texte 
Un peu
Au fond, l'histoire en soi est belle. On sent une envie de bien dire les choses, mais la forme utilisée n'est pas parfaite. J'ai bien aimé cette intrigue amoureuse dans un village en crise, et même si on prévoit déjà la fin catastrophique, on se laisse quand même emporter par la narration ; dommage que celle-ci soit assez hésitante...

"Ensemble, ils traversent un dédale de ruelles, se faufilant dans des quartiers éloignés jusqu’à arriver à la résidence d’Alioune.

Il habite une véritable maison Guet Ndarienne : une immense cour ouverte en patio sur des chambres."

Ici, la syntaxe est approximative.

"De retour chez lui, il se rend dans la chambre d’Astou, qui ne dort pas encore. Assise sur son lit, la jeune femme pensait à Ousmane, un sourire lointain sur ses lèvres."

Ici, la concordance de temps est mauvaise. Pourquoi "pensait" alors que l'action est au présent ?

Ensuite, un bémol dans cette phrase :"
- J’ai mis dans ce canari du lait, de l’eau bénite et des gris-gris. Son charme est extrêmement puissant."

Eau bénite et gris-gris ? le Christianisme n'est-il pas ennemi de l'animisme ?

   Lunar-K   
22/9/2011
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Une histoire d'amour fort traditionnelle : un amour interdit et le sacrifice inévitable de l'un des amants pour l'autre... Une belle histoire, certainement, mais naïve...

Cela dit, elle a pour elle (l'histoire donc) de se dérouler dans un contexte assez particulier : l'Afrique et ses traditions. La vengeance des dieux qui (quels qu'il soient) n'aiment jamais être délaissés est aussi un sujet fort commun mais qui permet ici d'illustrer un thème assez actuel : l'occidentalisation de la jeunesse africaine. Cette opposition entre tradition contraignante et volonté de liberté de ces jeunes est bien rendue, je trouve. De façon simple et, ici encore, naïve, mais explicite.

Le seul moment où le récit parvient à davantage de complexité ne me paraît malheureusement pas assez exploité. Je veux parler du moment où le père conduit sa fille à la mort, sans s'en douter (bien sûr). Un mécanisme assez courant dans les mythes et qui permet d'illustrer l'inéluctabilité du destin, la toute puissance des dieux qui parviennent toujours à leur fin : la vengeance ici.

Un autre point intéressant de ce texte tient à la nature même de l'animisme. Les dieux n'y sont pas étrangers à l'homme et au monde, mais vivent parmi eux et les influencent "de l'intérieur" en tant que "forces de la nature" répandant famine et maladie ou, au contraire, prodiguant leurs conseils. Ce sentiment est un peu atténué par l'anthropomorphisme d'Alioune (mais j'avoue ne pas trop savoir à quoi/qui il correspond donc...).

La forme correspond assez bien au fond : (trop) simple. Une écriture fort immédiate, pas vraiment maladroite, mais qui manque de profondeur et ne parvient dès lors pas à traduire les différents sentiments représentés : la détresse des mères en face de leurs enfants malades, du père face à la mort prochaine de sa fille,... Cela reste assez superficiellement décrit, c'est dommage car ça aurait pu approfondir les différents personnages, assez caricaturaux en l'état.

Une expression me semble assez représentative de cette naïveté et du manque de profondeur des sentiments décrits : "leurs corps se mêlent plus intimement que ceux de siamois". Personnellement, je trouve cette comparaison à la limite du ridicule... Je pense qu'il y avait largement moyen d'intensifier davantage l'émotion, les personnages, etc. (cela vaut pour tout le texte, pas que pour cet extrait).

Au final, un texte plein de bonnes intentions, c'est vrai. Mais à la réalisation parfois trop simpliste et à la limite de la caricature. Une intrigue déjà vue cent fois, des personnages superficiels,... Il y a des idées intéressantes, mais qui gagneraient à être mieux et surtout plus développées que cela.

   Anonyme   
28/9/2011
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Pour ma part mes louanges iront à l'écriture : classique, précise, chaloupée. Je n'ai pas trouvé de choses qui me paraissent maladroites. La nouvelle est structurée, peut-être trop riche, trop fournie en détails. L'histoire se lit, le point de vue des auteurs est perceptible, ça, ça va.

Mais je ne trouve pas le mythe parce que je n'ai pas de culture suffisante en la matière, j'aurais aimée être aiguillée davantage. On ne m'aurait pas dit que c'était dans le cadre d'un concours... C'est la grosse faiblesse du texte.

   Anonyme   
28/9/2011
 a aimé ce texte 
Un peu
Je trouve ce texte d'une écriture fluide, avec la naîveté des légendes qui donne le goût d'aller jusqu'à la fin sans se casser la tête. Dommage que j'ai deviné la chute bien avant la fin ( Une femme vierge pouvait sauver la situation)
Astou n'était plus vierge et naturellement mourra pour son bien-aimé.
Un texte simple, d'une écriture soigné, un mythe africain bien actualisé, je crois.

   Anonyme   
28/9/2011
 a aimé ce texte 
Bien
Je ne sais pas s'il s'agit de mythologie ou d'une pratique de sorcellerie traditionnelle, mais j'ai bien aimé ce texte simple et bourré d'une sorte de tendresse pour ces gens de Guet N'dar.
Et finalement Mame Coumba a gagné puisqu'elle a eu la vie d'Astou, celle qui voulait transgresser les tabous.
Encore faut-il savoir jusqu'où croire à ces pratiques de sorcellerie, de gri-gri et de mauvais oeil.
La mise en page, à force d'être aérée, l'est peut-être un peu trop. Du coup, la scène entre Astou et Ousmane m'a semblé un peu longue, un peu délayée.
Mais ce n'est pas bien grave, allez !

   brabant   
28/9/2011
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,


Ben oui, c'est pas mal. J'ai ressenti une émotion certaine quand le texte a basculé (le texte est bien construit avec une charnière centrale) et j'ai deviné que le malheur allait s'abattre sur Astou.


J'ai cependant ressenti aussi un trop plein de didactisme dans ce texte. Vous voulez tout expliquer comme si vous seul(e)s saviez et je me suis agacé d'être pris pour un ignorant (ex.: mais oui je sais qu'il y a de la vie dans le désert, je sais les mariages arrangés, la dot etc...), d'où une certaine froideur (car vous ralentissez l'histoire avec toutes ces explications), une certaine rigidité qui fait que le récit, à plusieurs reprises, paraît emprunté, guindé, artificiel.

Trop noble aussi.

Il y a encore quelques formulations peu heureuses.


Heureusement quelques pointes d'humour, de dérision, réussies, viennent le ponctuer ici et là, et apporter un peu de fantaisie.



En conclusion, pour moi, un travail très honnête. Les auteur(e)s ne se sont pas moqué(e)s de leur lecteur.

   macaron   
28/9/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Une histoire simple et belle, prenante. L'écriture est soignée et relate à merveille les relations humaines dans une communauté africaine. Les dieux vivent parmi les hommes et peuvent leur venir en aide directement même s'ils ont fauté. Une grande différence avec nos monothéismes intransigeants! Une histoire d'amour qui se termine bien, par la mort sacrificielle de l'amante.

   Charivari   
28/9/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Globalement, j'ai aimé.
Je trouve que l'expression, qui pourrait paraître naïve, est en fait très adéquate pour un conte. Il y a même çà et là de vraies trouvailles -> le regard du lion et celle de la gazelle, ou alors
par contre, d'autres expressions sont un peu maladroites : les poissons deviennent fous, les corps comme deux siamois... Dommage.
Mais en général, c'est très vivant.
De plus, on est tout à fait dans l'atmosphère. on sent que les auteurs connaissent bien l'Afrique, et ses traditions. Le côté "explicatif" -obligatoire pour les néophytes comme nous- est bien mené et parfaitement intégré à l'histoire. Le syncrétisme islam-animisme est très bien vu, je trouve, ainsi que la dialectique tradition -modernité. J'ai juste un peu tiqué sur l'eau bénite, du rite chrétien, je n'ai pas bien compris ce que ça venait faire ici.

en fait, mes deux reproches sont les suivants :
-Beaucoup de personnages, on a pas le temps, en tant que lecteur, à s'habituer à tous ces noms. Une fois ou deux, j'ai du revenir quelques lignes auparavant pour être sûr de bien comprendre.
-L'histoire est sympa, mais pas transcendentale. Dommage.

Mais c'est du bon boulot, pour moi

   David   
1/10/2011
 a aimé ce texte 
Pas ↑
Bonjour,

C'est joli, ça ressemble à "Roméo et Juliette" mais je ne doute pas que Shakespeare a dû piquer le thème à un lointain auteur qui l'a inventée bien avant l'apparition de l'écriture. L’héroïsme des deux partenaires et leur passion commune animent le récit mais... c'est une propagande de planning familial à l'ancienne, il y a un amalgame de la pureté du corps et de l'esprit, un mélange qui n'a pas lieu d'être, on ne peut être "impur" de corps, ça n'a pas vraiment de sens, et il vaut mieux être responsable qu'apeuré par des mythes. Plutôt offrir des cours d'équitation à une jeune fille que de lui donner à lire votre histoire, ou celle de Shakespeare d'ailleurs, ça lui éviterait de se prendre la tête avec ces vieilleries qui la font passer pour un trophée, un pompon de manège.

Il n'y a pas de gène à la lecture, c'est assez fluide, un peu trop construit peut-être. Le style colle bien aux personnages principaux, et il ne suffirait pas d'avoir leur âge pour rendre cela. Ce n'est pas mal fait, mais ce n'est pas la naïveté que je préfère, je n'y reviens pas plus, ça manque d'une maturité, qui ne tient pas au nombre des années je crois, mais à la façon de prendre le temps d'écrire de plus long paragraphes, pour donner plus d'intensité aux passages plus courts.

   aldenor   
2/10/2011
Un bon point pour la diversité avec ce mythe africain.
Une écriture simple, franche, pour un récit quand même trop linéaire.
Et puis finalement c’est plus l’histoire d’une relation amoureuse qu’une transposition du mythe de Mame Coumba. A la limite, il se peut que les conditions du concours ne soient pas respectées.
Je n’ai pas tous les éléments pour l’affirmer, mais je n’ai pas trouvé sur Internet de références à un couple équivalant à celui de Astou / Osmane dans le mythe de Mame Coumba.

   Bidis   
6/10/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Dès le départ, on est pris par l’histoire et l’on sent le besoin de poursuive la lecture jusqu’au bout. Les personnages sont bien campés, ils existent dans l’esprit du lecteur, ce qui n’est pas tellement facile à réaliser je trouve. La chute est attendue mais logique et découlant tout naturellement d’un texte sans complication.

Ceci dit, on a affaire ici à un personnage mythique, Mame Coumba, et non à un mythe (de « muthos » = légende, c'est-à-dire un récit expliquant le pourquoi et le comment de ce qui arrive aux humains.) Donc, pour moi, il y a légère erreur dès le départ dans la compréhension du thème imposé, ce qui déforce un peu mon évaluation.

   Anonyme   
11/12/2011
À la suite de mon inscription à Oniris une personne très sympathique m'a accueilli et conseillé d'oser commenter, donc j'ose.

Ne me sentant pas encore avoir le droit, ni la capacité, de porter un jugement constructif sur la qualité de l'écriture je me contenterais de réagir sur deux points.

Le premier me semble être une erreur de formulation.
Dans le texte il est dit:
"Parce qu'il avait laissé gagner son meilleur ami qui relevait d'une maladie, Ousmane n'avait pas conduit son esquif à la victoire."
Dire que son meilleur ami relevait d'une maladie c'est comme dire qu'il a été engendré par elle.
Le fait de laisser gagner son meilleur ami "à cause" de sa maladie "relève" de la générosité. (Est engendré par la générosité.)

Pour le deuxième, je ne comprends pas vraiment la phrase.
Dans le texte il est dit:
"Elle transpire au point de mouiller son lit cinq fois de suite."
Est-ce que cela veut dire qu'elle urine cinq fois de suite ou est-ce que cela veut dire qu'elle transpire abondement cinq fois de suite ?
La phrase n'aurait-elle pas dû être:
"Elle transpire à un point tel qu'il fallut changer les draps cinq fois de suite."

Ceci étant dit j'ai vraiment apprécié et notamment les inclusions de texte en langue d'origine suivie de leur traduction.
Merci pour ce très beau texte.


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