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Sentimental/Romanesque
Nachtzug : Les entailles sur nos routes
 Publié le 23/04/12  -  6 commentaires  -  19323 caractères  -  85 lectures    Autres textes du même auteur

Il a des blessures qui l'emmènent loin, trop, alors elle, elle va le rechercher. Et puis il y a l'enfance. Et puis il y a la maison de famille. Et puis tout le reste.


Les entailles sur nos routes


J’ai posé ma main sur la poignée, je l’ai serrée très fort pour retenir le bruit, et je l’ai fait craquer, et j’ai poussé la porte ; elle m’a semblé lourde. Je lui en ai voulu parce qu’elle a mis du temps à te laisser toute la place, tout entier ; le blanc de la porte courait sur toi comme une main sur un rideau, un soir de première – un rideau rouge, mais toi aussi tu étais blanc.

Je ne suis pas venue avec Papa et Maman tout à l’heure, je sais que j’aurais dû. Je sais que je devrais les prendre dans mes bras, les aider à marcher, faire leurs courses, les obliger à manger, donner des nouvelles aux voisins et appeler la famille. Je sais que je devrais répondre au téléphone, mais je ne le fais pas.

Je vais au travail tous les jours, je dis bonjour, je souris, je parle de tout et rien mais surtout pas de toi, il n’y a pas de raison, tout est normal, tu vas revenir.

Avant, je parlais tout le temps de toi. Je disais « mon frère », je disais « Dorian » sur le cercle de ma bouche, je t’ajoutais à la fin des phrases.

Un rythme immuable, une discipline discrète, une marche indestructible.

C’est ma manière à moi de refuser, catégoriquement.

Quand on m’a dit, un soir d’hiver – les feux des voitures klaxonnaient jaunes derrière ma fenêtre –, j’ai reposé le combiné, calmement, j’ai regardé fondre du beurre dans la poêle, j’ai allumé la télévision. Et puis j’ai bu une gorgée de vin, du rouge, du Bordeaux, du premières côtes-de-blaye, en regardant ces reflets un peu brumeux sur la vitre noire. Alors le verre a explosé sur la vitre, et comme je ne peux pas crier, j’ai ramassé des poignées de verre, et je les ai pressées dans mes paumes. Puis sur les cuisses, sur le cou – le plexus –, j’ai crié.

Quand j’ai commencé à hurler sur mon visage, j’ai soudain pensé à ce que tu allais dire, je me suis arrêtée ; j’ai pensé que tu allais le voir, que tu allais pleurer. Puis une réflexion est venue, je l’ai empêchée d’entrer.

Après je ne sais plus.

J’ai fermé la porte parce que je ne veux pas des regards des autres.

Ils ont mis un drap sur ta peau, un drap tendu en une courbe froide, là au début de tes côtes. J’imagine qu’on ne peut pas avoir chaud, qu’on ne peut pas ramener ses jambes et se blottir contre soi, sous un drap comme celui-là.

Tu as la peau blanche, bien trop blanche, je veux m’approcher pour voir si tes paupières sont violettes.

Je ne peux voir tes lèvres qu’à travers une bulle déformée, un plastique peut-être rayé, un peu opaque, alors elles paraissent lointaines, très lointaines, comme un souvenir dans une boule de verre.

Tu as quelque chose dans ta gorge, quelque chose dans ta bouche, je désire ta bouche, sans doute comme une preuve sensuelle de ta vie, de ton existence – comme si c’était toi qui l’avais ouverte.

Il y a du violet au bord de tes cils. Tes paupières ne tremblent pas.

Ce corps posé sur des draps blancs, ce corps qui semble si raide, pétrifié, fait penser à une veillée funèbre, il ne manque que des cierges dans le noir. Cela peut paraître étrange mais au fond, le seul signe de toi, c’est ce plastique sur ton visage, et la soufflerie régulière d’une machine qui respire à ta place.


Ton absence me terrorise. Ton absence me broie les poumons. Je sens les cervicales craquer.

Parce que je pensais que tu serais loin, que tu serais une silhouette immobile de l’autre côté de l’abîme, que je courrais vers toi sans jamais pouvoir t’atteindre, que je serais sans voix.

Mais tu es parti. Tu n’es pas là. Au fond, c’est à peine si je reconnais ton corps – trop blanc trop grave trop vide. Dans un sens, c’est très étrange, comme si je te rencontrais – car ce corps est autre. Je tourne la tête, à droite, à gauche, j’ouvre la bouche, je fais quelques pas, mais l’air compact rentre dans ma gorge comme de l’acier, j’ai mal à m’arracher la peau.

Si quelqu’un débarquait, quelqu’un de la famille, je le battrais à mort.

Je tombe dans le vide

le vide est long

le vide est incompréhensible

Je crois que j’essaie, finalement, de le toucher, de le mesurer, de le visualiser, je veux comprendre ce qu’il manque pour que tu sois là, je veux te ramener, absolument, te ramener, un poing sur mon ventre.

Je te vois soudain et j’ai affreusement mal aux lèvres.


Tu conduis, le moteur moutonne sous le capot gris, l’asphalte est foncé et les champs jaunes. Tu tournes un peu la tête vers moi, tu souris, et ce sourire-là me jette contre le mur, ce sourire et ces yeux… C’est là : ce qui manque. Un fluide, une substance, une épaisseur mouvante. Un quelque chose. Ce quelque chose qui a quitté ce corps-là – et alors l’altérité.

Je pourrais mourir pour ce quelque chose

les hommes se tuent pour ce quelque chose

on aime quelque chose

Sans un sourire, on deviendrait fou.

Je ne sais plus ce que je t’ai dit ce jour-là, je ne sais plus ce que je t’ai dit tous les jours comme celui-là ; j’entends nos voix, comme des oiseaux au printemps, au bord d’une rivière, quand les yeux de l’herbe pensante se ferment sur ses lèvres heureuses. J’entends nos réponses, les poings serrés à la fin des mouvements, les grands traits sur une grande toile, la profondeur de ta voix, l’intensité de ta voix – je la reconnais si parfaitement que la résonnance tremble jusqu’au cœur des os.

Quand je m’entends, moi, l’altérité me pique légèrement.

Tu es d’une beauté suffocante, une beauté solaire, ton quelque chose m’irradie, je me souviens que j’ai posé la tête sur ton épaule, je sens encore le tissu lavé de ta chemise rose pâle sur ma joue.

Je n’ai pas assez dit.


Je connais cette route, tu connais cette route.

C’est rare que nous y soyons seuls.

Ma joue contre ton épaule, j’essaie de sentir le vide sur les sièges arrière, j’essaie de faire remonter cette émotion jusqu’à ma lèvre pour qu’elle explose sous la vague.

Je regarde le bitume noir, on peut presque encore le sentir. Tu dis que c’est bizarre d’avoir refait cette route, vu que personne n’y passe.

Toi tu sais conduire, tu agrippes le volant, les deux bras parallèles, les cornes d’un taureau noir et tes muscles qui se tendent, les muscles de tes bras comme une main qui s’étend sur la peau. C’est une sorte de voyage que de parcourir les muscles de tes bras.

Tu tiens la bête à distance, tes bras sont plus forts qu’une tonne de viande, tu la maîtrises, tu la commandes.

Nous connaissons ces champs, tous ces champs, toujours, là c’est le coin des chardons bleus et puis là il y a un arbre, un seul, j’y ai toujours vu des pendus.

Mais nous connaissons surtout la forêt ; à droite, juste là, il y a les promenades, toujours les mêmes, celles de chaque week-end, celles des vacances.

J’avais peur des serpents l’été

alors tu marchais devant.

Il y a le dernier virage, alors je me redresse, je m’éveille, les vitesses tremblent – tu as ce geste de papa, ce geste nerveux – tu coupes le contact, soudain il y a la maison, et les oiseaux sur l’été.

Je ne veux pas encore sortir

Je veux écouter, comme tout est parfait, je veux sentir l’odeur de l’habitacle, te regarder ouvrir la portière et sortir – ton dos fait toujours de ces arabesques.

À ce moment, Mamie et Grand-Père doivent sortir de la maison, ouvrir le portique, on vient de toutes parts, des exclamations et des « Salut ! », on s’embrasse, tu ne ressembles à personne.

Mais là la maison semble vide, elle ne dit rien, sans doute ai-je voulu que nous ne soyons que tous les deux, sans doute que les lieux deviennent plus solennels quand ils abritent une mémoire.

Tu ouvres les volets, les volets de bois, la lumière est un éclat de rire suspendu, tu me regardes dans la lumière, moi je vais pleurer

je t’en supplie reviens

Les mains sur les hanches, dans le soleil qui baigne la cuisine, ta chemise – tu ne portes que des chemises.

Je t’en supplie

Tu allumes toutes les pièces, pourtant il y a du soleil, tu les allumes pour que l’ombre recule, l’ombre en moi, petite j’avais peur du noir. Maintenant j’ai peur des ombres, j’ai peur que tu t’en ailles.

Alors je te suis dans chaque pièce.

Il y a toujours des fantômes, le brouhaha joyeux, le bruit des couverts sur les assiettes, les prénoms qu’on lance.

Je me revois petite, dans une robe blanche, mon prénom m’est étranger.

Je tombe et Maman court – tout cet amour m’étrangle tu sais.

Puis les fantômes s’évaporent.

Tu disais toujours que tu n’avais pas de place à table, tu disais cela en souriant doucement.

Mamie m’a dit que bébés, tu avais essayé de me tuer.

C’est là que tu t’es tu

Je lui en ai voulu

Tu te trimballes avec tout ça, et tout ce qui, tous les jours, passe devant toi, tout ce que disent les gens, parfois tu te demandes si l’amour n’a pas un goût de cendres froides.

Tu dis que c’est fou, comme les petites culpabilités parfois grossissent, dérangent. Comme la culpabilité, c’est instinctif, élémentaire, obsédant. Chez la plupart des gens (tu ajoutes).

Tu souris, tu dis que parfois tu oublies. Tout ça.

Et puis moi, tu sais, je voulais que tu dormes du côté de la porte pour que le tueur te tue en premier.

Tu dors encore du côté de la porte.

Pour me protéger.

Et puis de toute façon, c’est une règle de galanterie.

J’ai toujours peur des portes et des courants d’air.

La lumière de tes mots s’écoule doucement, joyeusement ; sur la crête des vaguelettes le soleil ricoche, tu racontes l’enfance, les jambes nues dans les vignes, l’herbe qui te fascinait, les fleurs des pommiers, et la sieste dans les chaises longues. Tu t’étrangles un peu sur les mots croisés – Mamie à la table de jardin –, alors je te regarde de plus près, tes yeux bleus avalent les vitres des fenêtres, le bleu s’épaissit dans le verre.

Tu parles du goût des cerises, et des desserts aux fraises. Je me demande si tu en parles pour dire que cela va te manquer – la crème chantilly et les fruits frais. Le vin au soleil, les piqûres de guêpes, le garde-manger dans la grange où mûrissent les fromages.

Je croyais que tout cela t’était un peu étranger. Je croyais qu’il te manquait quelque chose jusqu’aux éclats de rire – tu interromps tes collègues pour raconter une histoire, ils renchérissent, toi tu bois ta bière au goulot, et puis tu ris, ou tu acquiesces, et puis tu parles.

J’avais l’impression qu’il te manquait quelque chose et j’aurais bien voulu savoir ce que c’était.

Ou alors, quelque chose te gênait sous ta chemise, comme une sorte d’insecte.

Peut-être que c’était de la mélancolie. Celle des yeux bleus. On la voit plus sous le soleil.

Là il y a la chambre – il y a plein de chambres, mais il y a surtout la nôtre – et avant, l’escalier qui grince. J’ai toujours eu peur qu’il se brise ; quand j’étais petite, je me cramponnais à la rampe, au cas où.

Tu dis qu’il faudra repasser une couche de cirage.


Un jour à Noyers, il y a eu un orage. Un orage soudain – on sent la pluie, ses pas qui s’approchent sur les épaules chaudes, mais un orage survient, toujours, comme une course ou le froid. Un orage si violent que la pluie comme du nylon striait le ciel jaune. Les pavés se sont mis à luire, et j’avais les pieds trempés. Je ne voulais pas courir trop vite, pour la fraîcheur de la pluie, la caresse glissante des paquets d’eau, pour ma robe sur moi comme un désir qui m’enserre.

Tu avais une mèche, surtout, une petite, en virgule au-dessus de l’arcade sourcilière et tes cils perlaient.

À Noyers quelque part, il y avait un café, un hôtel, et des places pour nous, pas très loin de la porte, pour sentir l’odeur de la pluie l’été. Le ciel jaune.

Il était dix-huit heures peut-être, mes mains autour de la tasse, la fumée sur mes lèvres mobiles, tu souriais, que d’un côté, je crois que tu pensais déjà que tu n’avais pas envie de rentrer.

Et puis il y a eu une panne d’électricité, les cris amusés, ils ont allumé des bougies et soudain, une boule dans ma gorge, ton visage paraît beau et triste, comme si tu regrettais moi j’ai envie de hurler, de hurler que si, tu peux revenir.

Ce soir-là dans cet hôtel, c’était pizza à volonté, nous nous sommes regardés, il y avait quelque chose comme un éclat d’enfance dans tes yeux, et tu souriais des deux côtés.

Alors nous sommes restés.

Il y a eu la chambre ensuite, la chambre noire au silence d’après-fête, les gestes soudain plus lourds, les vêtements un peu froissés, un peu d’alcool en vagues dans l’air.

Nous n’avions pourtant pas tant bu que ça.

La pluie tombait toujours, la fraîcheur sortait des murs, tes bras nus et ta chemise blanche, tu faisais mine d’arranger les couvertures.

Cette nuit-là la pluie éclatait par terre, il y avait de la pluie partout, une pluie d’été fraîche qui crève le ventre rond du ciel, l’odeur de la pluie et des draps propres sur nos peaux, nous avons cru à une fugue, à une évasion, je me mordais les lèvres parfois pour ne pas sourire toujours.

Tu as payé au matin, ta chemise blanche retroussée aux manches, ton pantalon d’un beige tirant sur le vert, la main dans la poche arrière, des billets, une carte, le jeu de tes muscles affûtés.

J’ai pensé à l’élégance.

Tu m’as souri, tes longs doigts sur le verre de la porte, j’ai pensé qu’on allait rentrer. Dehors, la pierre était encore humide, ça sentait les gouttes d’eau sur les épaules. Nous sommes restés là, dans l’air désert, quelques instants, et puis nous avons baissé la tête, un peu ri, tu tournais les clefs de la voiture doucement entre tes doigts.

Alors nous ne sommes pas rentrés.


Je ne veux pas rentrer. Toi non plus. Tu conduis d’une main, je regarde ton bras, j’aime ce rire doux partout sur ton visage.

Je pourrais rester là avec toi. Non, je ne pourrais pas : je voudrais.

Notre grande évasion.

Nous roulons en France. Nous irons jusqu’à l’Espagne, ou l’Italie. Il y aura d’autres hôtels, les petits-déjeuners le matin, des aires d’autoroute, de petits cafés sur la place de l’église, du bon vin, tes chemises.

Et puis il y a la chaleur de l’Espagne le soir, la nuit orangée dans les bars, et puis les hanches qui tanguent dans les ruelles, les dos sur le bord de mer. Ta main au bas de mon dos.

Parfois, au bout d’une route, tu dis dans un souffle : « On dirait le village du bout du monde » et tu ouvres grand tes yeux bleus, et tes lèvres éclosent d’un baiser comme une fleur.

J’aime les cafés à Madrid. Surtout celui, à la gare, un matin ; tu vas prendre des croissants aussi, pour accompagner le café.

Burgos, Madrid, Cáceres, Córdoba, Toledo, Sevilla, Valencia, Barcelona, et puis les bouts du monde qui s’égrènent, et ces noms tout au bout de la langue, LL…LL… Tu te souviens… Il y a des déserts aussi parfois, un village blanc d’Andalousie, une fois, et puis ce chocolat, au bord d’une route large qui traverse une étendue de sable rouge.

Sur les places le soir, je te prends la main.

Parfois je m’arrête, pour te regarder marcher, parfois tu cours devant, pour me regarder arriver.

Fuir avec toi

Tu avais proposé qu’on vive ensemble.

Parfois je viens te chercher, à la Préfecture de Police et nous déjeunons, tout au bord d’une vitre.

Tu me fais penser à New York.

Le roulement de tes hanches sur l’esplanade blanche – le soleil gicle jusque sur ton visage –, le cuir noir de ta ceinture, sur ton ventre plat. Tu marches vite, les épaules droites et souples, l’odeur du café sur le revers de tes lèvres, les sandwichs, debout, avec les collègues, les rires francs et un peu gras comme une grande tape dans le dos, le cliquetis unique du revolver.

Le soleil écarte les bras comme un prêtre, le ciel bleu dans le verre fait mal aux yeux.

Tu manges des crèmes glacées en gardant longtemps la bouche fermée sur la cuillère, on dirait que tu la suces, moi le froid me fait mal aux dents.

Alors j’émiette un muffin au chocolat.

Tu me fais penser à New York.


Les enfants font les feuilles ou les oiseaux dans le jardin, on peut dire toupie aussi, il faut faire attention en mettant la table.

Je sens le tissu de ma robe aller et venir sur mes jambes nues, je sais que tu le regardes, on dirait un peu tes lèvres.

L’ombre des arbres moutonne sur toi, tu restes sur le banc le bras passé autour de quelqu’un qui virevolte – la grande table tendue de blanc –, tu as ce sourire du temps qui passe au sud de la France, tu écoutes les insectes, l’air lourd dans les brins d’herbe.

On pose les assiettes, elles sont d’une porcelaine ronde et pleine qui donne envie d’y croquer. Il faut relustrer les couverts mais moi ce que je préfère ce sont les verres, j’y vois déjà le rouge lumineux du vin, faire tinter la transparence un peu plus loin que nos doigts et le goût de la terre, du soleil et des fruits rouges, là où la lèvre est la plus charnue.

Tu parles peu. Je crois que tu aimes écouter le carillon des couverts, comme si tu allais y déceler quelque chose.

Les voix épaissies par la chaleur s’élèvent, on écoute les histoires, on félicite Mamie. Parfois, quelqu’un te pose des questions, mais rien ne change jamais vraiment pour toi, il y a tes collègues, ton travail, tu ne peux pas trop en parler, parfois tu dis que tu es une boîte de Pandore.

Tu réponds doucement, sans regarder la personne, ton bras cherche, quelque chose, entre les verres et les carafes.


Nous passons d’une chambre à l’autre, la nuit, quand tout le monde dort. Nos pieds nus sur le parquet qui grince font tout au plus comme la course des rats musqués dans le grenier.

Nous ne nous quittons pas à l’aube.

Nous descendons ensemble pour le petit-déjeuner.

Alors parfois, un chat crie dans l’une des gorges. Mais vite, le couteau continue de beurrer la tartine, ça crisse de pain arraché, on fait chauffer du lait et on verse le jus de fruits.

Ça te fait rire.


Le velouté brun des feuilles ronronne sur ta peau, sur les tissus, tu es calme, le soleil chante au bout de tes cheveux – surtout là, sur la tempe –, je glisse mes cils sur ton visage, tout près, il y a quelque chose qui a peur, et quelque chose qui désire dans la fin d’été qui dort.

On dirait une photo, ou un souvenir.

Tout le monde est parti, parce que ça riait trop fort, parce qu’à la fin comme au début, il y a toi et moi quelque part.

Nous ne fermons jamais la porte à clef pourtant personne ne l’a jamais poussée

Ça te fait rire.

Je crois que parfois, tu es amer ; tu n’en dis rien, mais il se forme un dépôt rouge et friable au coin de tes lèvres et tes traits un instant s’assèchent.

Ça ne dure jamais longtemps.

Ils se sont évaporés. Il reste l’été, la maison, la voiture. Je veux repartir, ailleurs, je veux les routes, les pauses, les aires, les bouts du monde et l’aube dans un village de France. Mais tu ne bouges pas.

Tes pommettes s’éclaircissent doucement sur le jardin, le bleu de tes yeux se lève comme un matin. Tu te rapproches de moi, je sens les muscles de ton bras, ta poitrine qui se soulève et la joue contre toi j’écoute les yeux grand ouverts le quelque chose tout contre mes lèvres.

Et je t’enserre, mon bras nu contre ton ventre tendu et doux, le quelque chose qui bat dans ton ventre.


On l’a éclaté, ton ventre, et puis on te l’a bandé ; mais moi je vois le rouge – je voudrais le boire, je voudrais le prendre sur ma peau pour que jamais tu ne la quittes – je vois le rouge fleurir sous les gazes blanches.

Tu es plus blanc qu’elles. Plus pâle. Je me demande si là où tu es, il y a la maison, le banc, le soleil, si tu souris imperceptiblement dans les bruissements de l’après-midi…

Je pense au cliquetis.


 
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   Anonyme   
11/4/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Je ne suis pas certain d'avoir tout compris tant les circonvolutions de votre écriture m'ont parfois égaré. Votre style a beaucoup d'élégance mais a tendance à surenchérir dans les sentiments, les petits détails et en devient dur à suivre. Un peu plus de simplicité ne nuirait pas à la compréhension.

Cette histoire de deuil est finement retranscrite mais tourne en rond, on finit par se lasser. À la moitié du texte tout a déjà été dit, le reste sombre dans la répétition. On comprend que la narratrice souffre, beaucoup, mais ensuite ? Elle semble presque se complaire dans cette douleur qui l'hypnotise, qu'elle alimente sans cesse par des réminiscences.

En définitive elle est en plein travail de deuil, quand tous les souvenirs doivent s'évacuer un par un pour que la paix de l'âme revienne. De là à en faire tout un récit ...

   leni   
23/4/2012
 a aimé ce texte 
Pas
C'est un texte très difficile à suivre et compliquéLes souvenirs reviennent à l'esprit et c'est long très long de faire son deuil Vous auriez du faire plus simple et plus court Malgré une écriture superbe
j'ai eu beaucoup de peine à finir votre texte J'avais l'impression de relire ce qui avait déjà été dit Sujet difficile j'en conviensJe n'ai pas accroché Désolé

   Palimpseste   
23/4/2012
 a aimé ce texte 
Un peu
(deuxième essai - mon commentaire aurait-il disparu ?)

Je suisun peu comme Jano: je ne suis pas sûr d'avoir tout compris ni de ne pas m'être perdu dans les circonvolutions du texte.

Plusieurs fois, j'ai trouvé que certaines répétitions était plus proches de la répétition que de la figure de style (reprise des mots altérité ou moutonner, "Tu me fais penser à New-York", "ça me fait rire").

Certainees tournures me laissent perplexes. Elles sont plutôt pas mal, mais pas complètement à leur place: "je disais « Dorian » sur le cercle de ma bouche", "les feux des voitures klaxonnaient jaunes derrière ma fenêtre", "le moteur moutonne sous le capot gris", "Mamie m’a dit que bébés, tu avais essayé de me tuer", "Le velouté brun des feuilles ronronne sur ta peau", ...

Je trouve également le texte long, mais un deuil est quelque chose qui doit se passer en longueur... Pas facile de faire court avec ce qui doit prendre du temps!

(évidemment, comme pour tous les textes qui parlent de deuil, il est difficile de faire la part entre l'exercice littéraire et l'écriture thérapeutique... Si ce texte est dans la seconde catégorie, mon commentaire doit être mis en perspective de la partie "non littéraire" de la production).

   Anonyme   
23/4/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Moi j'aime cette écriture, j'aime un texte qui prend des risques. Alors évidemment c'est poétique et tortueux, c'est torturé (mais contenu), c'est pas de la SF, ça plait moins, sauf à moi qui goûte ce genre qui y va, en force, en tremblements. D'un souffle tout peux tomber. Ou se redresser. Toujours est-il que ça bavarde pas, c'est élaboré.

Un beau style. C'est vrai que ça me plairait s'il y en avait davantage de ces beaux styles sur Oniris... :)

   toc-art   
25/4/2012
Bonjour,

j'ai beaucoup aimé le style de ce récit, il y a quelque chose d'hypnotique dans l'agencement des phrases et des souvenirs et, contrairement à d'autres, je n'ai pas ressenti de lassitude ou de longueur parce qu'il me semble que les répétitions apportent chaque fois quelque chose de plus, vont plus loin dans l'aveu et l'exploration des sentiments.

Peut-être est-ce moi, mais j'ai vu dans cette relation fraternelle un inceste au goût de cendres, quelque chose qui rendait la vie du frère impossible à vivre. Je me trompe peut-être, je relirai sans doute plus tard mais quoiqu'il en soit, j'aime autant le thème que la façon dont il est traité.

bonne continuation.

   caillouq   
2/5/2012
Je n'adore pas ce style de récit - c'est toujours délicat de présenter la violence des sentiments sans sombrer dans la grandiloquence, mais dans son genre, c'est bien écrit. J'ai apprécié le côté charnel des expressions et des images - même si vers la fin, ça ne me suffisait plus pour contrer une certaine lassitude due au rythme, au style assez répétitif, et à la raréfaction des "indices", à la succession très construite, qui faisaient rentrer dans l'histoire au début. J'ai pas mal tiqué sur l'"altérité", vraiment too much pour mon goût (trop ostensiblement littéraire, ou alors c'est juste parce que j'ai pas compris et ça m'a vexé), et qui revient deux fois. Reste le fond. J'ai lu le texte deux fois, et les deux fois j'ai été gêné par le fait que cette histoire soit celle d'un inceste. Option haute: j'ai été gêné parce l'écriture très impliquée, très passionnelle, donne l'impression qu'auteur et narrateur ne font qu'un, et je me sentais confident malgré moi d'un texte trop perso. Ce qui peut être considéré comme une réussite. Option basse:
c'est l'impression que la situation d'inceste a été plaquée sur un discours d'amoureux-se en situation de regrets pour donner plus de pathos au texte. Comme si l'auteur avait peur de ne pas toucher suffisamment le lecteur avec juste une histoire de fille qui a mal parce que l'homme qu'elle aime (avec son coeur et avec ses tripes) est dans le coma. Ou ailleurs, ou que c'est fini. Impression mitigée, donc.


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