Le philosophe français pense qu’il existe des obstacles épistémologiques. Ils peuvent être attribués à un défaut, à une « lourdeur » propre à l’esprit humain. Celle-ci fourvoierait le chercheur. Elle pousserait son esprit à dériver au-delà des résultats clairs, objectifs, fournis par l’expérience et la théorie. L’imaginaire projetterait en effet sur ces résultats des images ou des concepts flous. Dans ce cas, seule une psychanalyse, affirme Bachelard, pourrait détruire ces représentations (concepts ou images). Elles sont en effet formées, pour Bachelard, par l’inconscient individuel.
En fait, Bachelard traque ce qu’il appelle « images superficielles ». Ces dernières seraient particulièrement dangereuses, scientifiquement parlant. Elles feraient aisément dériver toute tentative de rationalisation. L’origine de ce type d’images pourrait se situer dans une « mythologie scolaire ». Bachelard prend pour exemple l’image de la source à laquelle une ondine pourrait être trop facilement associée. Les égarements de la raison peuvent être repérés a posteriori, lors d’une orientation rétrospective de l’esprit vers son propre cheminement. L’élimination de ces obstacles devient alors une constituante normale du processus scientifique. L’élimination de l’obstacle est synonyme de purification des bases du travail. Bachelard redéfinit alors le progrès scientifique. Il ne se limite plus alors aux systématisations paradigmatiques, issues des processus d’accumulation de savoir et d’observations empiriques. Avant Bachelard, on pensait la méthodologie scientifique linéaire. Le philosophe introduit une rupture rétrospective.
Quels sont les principaux obstacles épistémologiques ? Le philosophe met en exergue deux principales causes d’égarement :
1. Le « primat de l’observation première » : l’impression, l’intuition première prend le dessus sur l’étude rigoureuse.
2. La volonté de parvenir d’emblée à des généralités ; nourrie par des images abusives, la volonté tend à systématiser ce qui n’est pas fondé rationnellement.
Bachelard évoque également l’« obstacle verbal ». Il pousse le chercheur à prendre pour principe d’explication une image caractérisant culturellement le mot évoquant l’objet d’étude. Autre exemple : l’« obstacle animiste ». Il consiste en une extension abusive des valeurs dites vitales dans l’étude des phénomènes naturels. C’est le cas de la reproduction des vivants lorsqu’on parle de « règne de la libido » dans la nature. Le philosophe met, finalement, en garde son lecteur contre les dangers de ce qu’il nomme la « connaissance quantitative ». Mesures et calculs ne suffiraient pas. Il serait impératif de traquer et de mettre à mal tout obstacle épistémologique. L’auteur conclut finalement, dans la continuité de son développement, emploie une formule synthétique : « psychologiquement, pas de vérité sans erreur rectifiée ».
La psychanalyse a une importance « thérapeutique » majeure chez Bachelard. Elle est la seule pratique à même d’éradiquer l’image perturbatrice. Le philosophe fonde son travail sur les recherches de C.G.Jung ou encore de Lacan qui privilégient la pratique à la théorie. La psychanalyse, chez Bachelard, a pour but de détruire l’inconscient de l’individu ou tout du moins lui permettre de lui échapper. Sa fonction est donc thérapeutique. L’auteur évoque sa « philosophie des quatre éléments ». Les piliers de l’imagination seraient l’air, l’eau, le feu et la terre, conformément aux croyances antiques occidentales. Ces quatre éléments seraient des « archétypes de l’imagination ». Pour comprendre comment fonctionnent ces éléments dans notre imaginaire, prenons par exemple les images terrestres. Il peut s’agir de « métal, pierre, bois et gommes ». En tout cas, l’idée « terre » englobe toute image évoquant la stabilité et la tranquillité. Ces images inconscientes font obstacle à la connaissance objective. L’auteur rectifie plus tard cette position extrême. Sa psychanalyse s’attache alors à un niveau moins profond que la psychanalyse classique. Une zone du psychisme où se mêlent conscient et inconscient pour donner naissance à la rêverie. Bachelard renonce finalement à la psychanalyse pour, je cite « oser [se] livrer [lui-même] à la conscience d’imaginer ». L’imaginaire, en voie de revalorisation, ne lui fait plus peur.
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Il faut souligner la distinction opérée par Bachelard entre l’imagination créatrice, dynamique, et la « simple » imagination reproductrice. L’imagination reproductrice serait le fruit de l’image perçue. Ce type d’image mentale n’intéresse pas l’auteur. En revanche, l’image créée est l’objet d’une véritable étude philosophique. L’imagination créatrice génère la rêverie. Elle intervient, selon Bachelard, avant la perception (« le psychisme humain se formule primitivement en images »).
Bachelard déploie une véritable réflexion sur les images. Les derniers livres sur les images, dans lesquelles Bachelard abandonne la psychanalyse, se rattachent à la phénoménologie (étude des phénomènes en tant qu’il s’agit de phénomènes perçus). Le philosophe centre son travail sur l’image poétique qu’il considère particulièrement dynamique, profonde et créative. Enfin, au centre de la rêverie, la parole devient le lieu d’une prolifération artistique. Tous les facteurs de l’imagination poétique sont rassemblés dans cette formule : « le rêveur, le monde, parole et l’image ».
Avec l’image créatrice, l’imagination travaille une matière et obéit à un dynamisme. Cependant l’imagination dynamique est davantage valorisée chez Bachelard. Elle agirait davantage et de manière plus bénéfique sur l’esprit humain. Bachelard souligne que l’alouette n’est jamais décrite dans sa forme ou sa couleur. On évoque en général son mouvement ascensionnel, mouvement enthousiasmant et exaltant. Autre exemple, l’intérêt que nous portons au feu est dû à la place primordiale de cet élément dans nos rêveries, pas à son utilité. À ce stade, les éléments de la rêverie auraient une réalité psychologique. Les images ne sont pas réelles, comme le sont les choses de la réalité quotidienne, mais plutôt comme un dynamisme, un élan. Bachelard cherche la nature de la réalité de l’image de la rêverie. Il la considère d’abord comme une réalité psychologique. Il pense ensuite à un surgissement langagier, à une profusion surnuméraire, inutile de mots, créatrice car rien ne lui préexiste dans le monde.
L’image dynamique serait directement liée à la volonté humaine. Le but de Bachelard est de trouver des images pour renouveler nos archétypes inconscients. Littérature et poésie serviraient alors à « réanimer un langage en créant de nouvelles images ». Créer de nouvelles images, c’est mettre en place un dynamisme nouveau pour l’esprit. Bachelard parle d’« espace affectif », de « besoin de séduire de l’imagination », qui travaille « là où va la joie ». L’examen d’images littéraires permettrait de raviver notre volonté, entre autres, de connaître. La littérature et la poésie constituent, dans ce cas, une « explosion du langage », riche de sens et de dynamisme.
Pour conclure, l’imaginaire qui projetterait sur les travaux scientifiques des images ou des concepts flous n’est pas longtemps considéré par Gaston Bachelard comme le seul type d’imaginaire. Il ne faut pas pour autant négliger qu’au fil du temps, perdure l’implication de l’imaginaire dans le processus trompeur. L’image mentale ne se limite tout simplement plus à une perturbation. L’imagination dynamique est peu à peu reconnue comme le moteur de la volonté humaine. Son rôle dans la progression scientifique devient prépondérant.
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