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Nector93 : Quartiers
 Publié le 05/03/22  -  8 commentaires  -  6820 caractères  -  36 lectures    Autres textes du même auteur

Promenade au cœur de Saint-Denis, cité des rois déchus…


Quartiers


Le quartier des Francs-Moisins rigole, des comédiens jouent sur son ventre. Sur chaque palier la scène a pris place, les spectateurs improvisés déambulent dans les cages d’escalier, les tirades se mêlent aux odeurs de cuisine. Au sixième étage, du sable a été déversé au pied d’une Juliette qui fait son Shakespeare devant les yeux ébahis des gamins de l’immeuble. Le voisin du premier lit des poèmes d’Édouard Glissant avec une rare intensité. Plus haut, ce sont des mamans du quartier qui s’offrent une scène de boulevard. Tous portés par une douce envie de « déclamer » construite dans le temps, au gré d’ateliers réguliers, ici même, au milieu de la fragile poésie de quelques tours.


Cité Allende, Université Paris 8. Un boulevard pour séparer deux mondes. D’un côté une héritière érudite du mois de Mai, de l’autre les grandes barres de logements sociaux rongées par une précarité galopante. La douce folie d’un professeur d’université fit tomber quelque peu les palissades de ces univers distincts d’une rue. Les graines de rébellion semées anarchiquement par la jeunesse de ces quartiers furent recueillies avec attention par quelques enseignants. Le hip-hop a explosé à Saint-Denis dans cette période, des gamins se servirent des micros, des bombes de peinture comme un exutoire à leur désarroi, à leur colère. Cette parole franchit les portes de l’université pour s’afficher publiquement. Du haut de leurs mots et d’une grande sincérité, une jeunesse immigrée et prolétaire occupait le devant de la scène. Les passerelles du savoir critique, de la poésie urbaine, firent lien pendant un temps. Même si aujourd’hui une certaine normalisation a freiné l’énergie contestataire de l’ancienne faculté de Vincennes, ils n’ont pas encore réussi à mettre en cage les rêves qui continuent de pousser dans la tête des enfants de Saint-Denis.


Les portes de la basilique s’ouvrent sur la lumière rasante de la place Victor-Hugo, cœur même de l’histoire de Saint-Denis. De l’ancienne à l’église neuve, s’ouvre une voie qui scinde le centre-ville en deux parties égales. Hier rue Compoise, adoubée République par les vicissitudes de l’histoire, des commerces plus ou moins de pacotilles s’agglutinent aujourd’hui sur ses flancs, trois fois par semaine c’est l’un des plus grands marchés de la région qui s’installe dans sa périphérie. Une marée noire de monde se déverse alors continuellement par le bas. Aux quatre routes, de désuets imprimés politiques tombent sur le sol de nos dernières désillusions, les vendeurs à la sauvette jouent eux au chat et à la souris avec la police. Plus loin, l’aumône hésitante et les regards fuyants se perdent dans les veloutés du crack. Des corps décharnés traversent furtivement la rue sous le regard impassible des derniers buveurs de café. Bientôt la nuit prendra possession des lieux.


Un air de flamenco réveille les vieux Espagnols attablés, les regards usés portent encore la douleur de l’exil. À l’après-guerre, une petite Espagne a poussé dans le quartier de la Plaine et comme tant d’autres arrivées, Saint-Denis s’est enrichie du limon des vagues d’immigrations successives. Même si aujourd’hui les logements insalubres laissent progressivement place à la rénovation urbaine, l’histoire ne s’efface pas si facilement. Les pas des flamencistes remontent dans les dédales de nos mémoires. Les rêves brisés des révolutions trahies, l’absolue nécessité de partir rapidement, les hésitations à quitter le pays pour d’autres, la misère qui pousse au col, l’espoir de vivre mieux. De l’Espagne au Maghreb en passant par le Portugal et l’Afrique, Saint-Denis est ainsi devenue une ville-monde. Les fragiles carrioles des Bretons au début du siècle avaient ouvert la voie. L’emploi des industries polluantes, concentrées en banlieue nord pour ne pas indisposer le bourgeois parisien, s’offrait aux nouveaux venus. Pendant longtemps la condition ouvrière, aussi bien par sa dureté que ses solidarités, a structuré la vie sociale et politique de la commune. Avant que la course effrénée au profit sonne l’heure de la grande désindustrialisation. Toute la ville fut progressivement retournée, mise à sac. La précarité s’amplifia déraisonnablement. La figure de l’immigré, autrefois si transparente – notamment au regard de son haut degré d’exploitation –, devint soudain un problème. On tenta alors de dissimuler la pauvreté rampante sous le tapis d’une mixité sociale vendue par des politiciens en costume-cravate et pour la plupart n’habitant même pas Saint-Denis. Comme si la question sociale pouvait être résolue par un impossible éparpillement dans l’espace géographique.


Lamaze tousse, deux bretelles d’autoroute enserrent le quartier. Saturé par l’odeur des pots d’échappement, l’hôpital lâche ses ambulances s’éparpiller dans la ville. Ce soir, le trajet est court. Juste au coin de la cité d’en face. Des cris stridents courent sur les épaules des immeubles. Au sol, un jeune homme nage dans une mare de sang. Les urgentistes, arrivés vite, tentent de réanimer la victime. Mais les efforts sont vains, la mort a déjà fait sa sale besogne. Bientôt la nouvelle va se répandre, un gamin est encore tombé pour rien, si ce n’est des rivalités de bandes, de quartiers. Même incompréhension, même indignation… Les politiques et les journalistes en déplacement vont encore nous resservir le même discours sur la violence de la société et l’urgence d’y apporter des réponses fermes. Trente ans de rodomontades, de mesures toujours plus sécuritaires n’ont rien changé sur les réalités de vie dans les quartiers populaires. La violence est le symptôme d’une misère sociale et symbolique toujours plus importante. Les aspirations de beaucoup se rétrécissent autour de son chez-soi, sa barre d’immeuble, son territoire. Les fenêtres vers l’extérieur se sont fermées progressivement. L’espoir s’est tari dans le caniveau de notre société de consommation et de ses illusoires aspirations.


Plus loin, le tramway nous mène vers la gare. Une formidable fourmilière humaine se déploie ici chaque jour. Se croisent le travailleur matinal happé par sa dure besogne, les harangues de contrebande du vendeur de cigarettes, les pas pressés des cadres dynamiques, les silhouettes chaloupées du reste de la nuit. Toute cette humanité se disperse inexorablement sur le parvis d’une aurore paresseuse. Dans l’autre sens, la foule s’engouffre dans le tube du tunnel, disciplinée et prête à affronter la grisaille du quotidien. Chacun déjà replié sur son intérieur, sur ses peines, ses joies. Armé d’un écran, d’une paire d’écouteurs, on se protège de l’extérieur en se coupant du monde et de l’intolérable intrusion que représente l’autre dans cette promiscuité subie. De toute façon, à quoi pourrait bien servir de se parler ? On a déjà une famille, quelques amis, un travail… La vie est belle.


 
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   Marite   
6/3/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Très bien écrit cet historique de Saint Denis, quartier de Paris, depuis la moitié du 19ème siècle ... " St Denis s’est enrichi du limon des vagues d’immigrations successives...". Rien ne semble avoir été laissé de côté dans ce condensé et l'évolution démographique y est bien décrite sans jugement aucun. La conclusion, très représentative de l'actualité, est concise, réaliste et précise :
" ... le tramway nous mène vers la gare. Une formidable fourmilière humaine se déploie ici chaque jour ... la foule s’engouffre dans le tube du tunnel, disciplinée et prête à affronter la grisaille du quotidien. Chacun déjà replié sur son intérieur, sur ses peines, ses joies ... à quoi pourrait bien servir de se parler ? On a déjà une famille, quelques amis, un travail… La vie est belle."

   Donaldo75   
6/2/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Allez, je commente au fil de ma lecture ; l’écriture est fluide et les phrases pas trop longues, ce qui rend la lecture plus facile à conduire. L’analyse sociale tient lieu de réflexion sans tomber dans la dissertation de premier de la classe. C’est un tableau, en fait, ou une photographie ou une série de polaroids ; l’exercice est en général risqué parce que malgré la catégorie qui laisse à penser qu’il n’y a pas d’histoire, le lecteur attend quelque chose à se mettre sous la synapse. Eh bien, là, justement ces polaroids ou photos ou tableaux ou quoi qu’ils soient ne terminent pas en clichés ou en excuses vaseuses pour servir la soupe à un bataillon d’arguments mal dirigés comme je l’ai lu parfois. Du coup, j’ai trouvé un réel intérêt à lire ce texte et Saint Denis sort de sa légende urbaine pour montrer une réalité et un passé plus complexes.

   Anonyme   
8/3/2022
Modéré : Commentaire non argumenté.

   Corto   
5/3/2022
 a aimé ce texte 
Un peu
Aïe ! Ce texte abordant un contexte que j'ai bien connu me parait rater sa cible. J'y trouve certes un "récit" mais bien peu de ton de vie, cette vie qui pourtant aurait tout pour déborder et faire vibrer le lecteur.

Je pourrais citer bien des extraits mais je n'en garderai que deux:
"Un air de flamenco réveille les vieux Espagnols attablés, les regards usés portent encore la douleur de l’exil. À l’après-guerre, une petite Espagne a poussé dans le quartier de la Plaine et comme tant d’autres arrivées, Saint-Denis s’est enrichie du limon des vagues d’immigrations successives". Pourquoi ici ne pas créer un ou deux personnages, un dialogue, des expressions significatives de cette "douleur de l'exil" ?

Autre exemple avec le marché: "des commerces plus ou moins de pacotilles s’agglutinent aujourd’hui sur ses flancs, trois fois par semaine c’est l’un des plus grands marchés de la région qui s’installe dans sa périphérie." Pourquoi ne pas créer les images, celles des vendeurs, celle des acheteurs, celle de l'ambiance de tout marché populaire ? pourquoi ce résumé plat comme un projet de rapport officiel à soumettre à un chef de service ?

Vous l'avez compris j'apprécie la thématique mais pas son traitement qui me parait bien fade, surtout au vu de la dimension sociale traitée.

Une autre fois ?

   Anonyme   
8/3/2022
Modéré : Commentaire non argumenté.

   widjet   
7/4/2022
 a aimé ce texte 
Bien
Une promenade qui n'a rien de légère.

L’auteur prend le parti, et c’est son droit, de dresser un tableau sombre de Saint Denis. L’écriture coule toute seule, facile, mais l’état des lieux n’est pas exempt de tournures poétiques (les dédales de nos mémoires, les veloutés du crack, l’aurore paresseuse…) où plane la nostalgie mais surtout le désenchantement et une forme de fatalisme (ou de déterminisme).

La dernière phrase (qui rappelle le "Tout va bien" de Orelsan), cynique, cloture ce texte au ton résolument désabusé, mais plutôt bien senti.

W

   Ingles   
7/5/2022
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Nector93,

Un texte riche, qui se promène entre la fiction et le documentaire, tu as raison l'écriture s'accorde aux deux.
L'introduction théâtralisée pourrait se filer dans les autres parties, Saint-Denis est une belle scène !
Me revient en mémoire les vendeurs de "maïs chaud" au dessus de leurs caddies devant la gare.
Ingles

   Lavekrep   
26/1/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
bonsoir Nestor,
un texte bien écrit qui nous offre un contre-champ des images diffusées sur des chaînes d'info. On voit et l'on entend les vagues successives de gens remplis d'espoir qui viennent s'écraser sur une plage de misère.
On entend des poèmes déclamés, des musiques qui se mélangent et qui donnent naissance à des airs nouveaux.
On voit "Qu'ils se contentent de si peu et qu'ils ont si peu de colère" ( vers de "J'entends, j'entends" d'Aragon paraphrasé)
Est-il possible d'avoir une belle vie quand il vous faut courber le dos pour garder son travail, ses amis, sa famille ?
Et enfin, comme le chantait Brel:" Serait-il impossible de vivre debout ?".
Joli zoom, à vous relire, Lavekrep Codaraque.


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