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Sentimental/Romanesque
nemson : Un singe à cymbales en guise d'américain merguez
 Publié le 27/05/09  -  12 commentaires  -  20531 caractères  -  76 lectures    Autres textes du même auteur

Un après-midi, une envie, une fête foraine.


Un singe à cymbales en guise d'américain merguez


J’étais venu pour un américain-merguez. D’ordinaire je ne suis pas amateur de fêtes foraines, mais quand j’ai aperçu le bras articulé d’un manège au-dessus des camions alignés, j’en ai eu envie d’un coup de cet américain-merguez, et l’odeur des baraques à frites qui s’infiltrait par l’aération du tableau de bord n’arrangeait rien. J’ai fini par me garer près du port à bateaux.


Les parfums et les musiques étaient tout emmêlés et les hurlements des mômes dans les loopings venaient s’y ajouter. Je me suis mis dans la file devant la première camionnette de l’avenue. Sur le toit, le patron avait déplié une enseigne mal foutue qui disait : « Gégé la frite ». Je ne sais pas pourquoi mais la plupart des marchands de frites s’appellent Gégé, c’est vendeur peut-être. Le type des autos-tampons a balancé quelque chose d’incompréhensible dans son micro avec une voix de nez, et puis il a envoyé, dans des enceintes monstrueuses « le rital » le tube de Claude Barzoti. Des ados excités se sont jetés dans les bagnoles vides abandonnées sur la piste.


Le patron était un gros rougeaud avec des gestes lents mais il se débrouillait toujours pour laisser tomber deux ou trois frites de la barquette, il devait patauger dans la purée. Sa femme en était le contraire, sèche et nerveuse comme un pince-oreilles, elle s’agitait devant les friteuses et remettait toutes les deux secondes une mèche poisseuse derrière l’une de ses oreilles. Au-dessus des friteuses, sur une étagère, il y avait toute une gamme de soda en petites bouteilles de verre. Le liquide avait viré au glauque et la couleur des étiquettes était depuis un bail partie avec la fumée des graisses. Si l’Orangina était millésimée, on avait une petite fortune sous les yeux.


À droite des autos-tampons, deux jeunes types en bras de chemise s’échinaient à taper dans un punching-ball qui pendait d’un appareil. Le ballon en cuir remontait sous les coups et allait percuter une plaque de métal nichée sous la partie avancée. Sur le devant, il y avait la reproduction d’une pin-up des années 50. La pin-up s’éclairait plus ou moins selon le score du gars. Ils avaient l’air de prendre ça considérablement au sérieux. Leurs avant-bras étaient couverts de tatouages foireux, des croix, des poignards, des fleurs.


Quand j’ai commencé à m’intéresser à elle, j’ai d’abord cru que c’était un garçon à cause de l’attirail de cow-boy qu’elle portait. Il n’en restait plus qu’un étui vide, qu’elle avait en ceinturon, et le chapeau froissé qui pendait derrière les épaules. Les deux couettes qui jaillissaient des tempes ne laissaient aucun doute, c’était bien une fille, une huitaine d’années je dirais.


Elle était postée devant un manège. Pas un de ces manèges américains avec des spots lumineux et de la musique électronique, non, un manège tout con avec un toit rond en pente et des chevaux qui montent et descendent le long d’une barre chromée. Elle observait les gamins en selle et quelques-uns, qui l’avaient repérée, lui lançaient des regards insolents. Et puis, à chaque tour, revenait ce cheval vide de cavalier, et ils semblaient se fixer ces deux-là, en tout cas pour ce qui est du cheval, j’en suis à peu près certain, cet enfoiré lui envoyait un petit sourire de fils de pute en bois vernis qui disait quelque chose comme : « Qu’est-ce que tu crois ? Que tu vas pouvoir me grimper ? C’est pas pour toi tout ça ma p’tite ! »


De temps en temps, elle se retournait vers la camionnette, et regardait deux hommes dans la file devant moi. L’un des deux portait une glacière de camping en plastique bleu. Il venait de l’ouvrir pour en piocher deux canettes de bière dégoulinantes, Et CROYEZ-MOI si vous voulez, mais le deuxième gars les a décapsulées AVEC LES DENTS ! C’était un type d’une trentaine, un blouson en cuir noir avec « NO FUTUR » riveté dans le dos. L’autre, celui à la glacière, avait juste un débardeur, noir aussi, avec une tête de husky en quatre couleurs imprimée sur le bide. Ils commençaient à pas mal tituber et la glacière s’allégeait.


Le patron du manège a lancé un pompon un peu crade qui pendait au bout d’une ficelle. Les gamins se sont mis à brailler en se dressant sur leurs chevaux pour tenter d’attraper le truc mais le mec tirait sur la ficelle et le pompon s’envolait. La petite cow-boy se dressait sur les pieds à chaque tentative d’un gamin et claquait dans ses mains pour l’encourager. Et puis finalement un des gosses, un petit blondinet, a réussi à choper le truc et a fait un tour d’honneur en le tenant à bout de bras. La p’tite s’est approchée pour l’applaudir et le blondinet l’a toisée en levant le pompon un peu plus haut. Va savoir pourquoi mais elle a cru que le blondinet allait le lui lancer et elle a tendu les mains. Ou peut-être a-t-elle juste voulu tenter pour voir ? Toujours est-il qu’il ne s’est rien passé du tout et le blondinet a disparu derrière le manège qui s’est arrêté.


Elle est restée quelques secondes les mains tendues dans le vide, puis a laissé retomber les bras et s’est essuyé les paumes sur son short. Elle s’est dirigée vers nous, s’est arrêtée à hauteur du gars à la glacière et s’est mise à tirailler sur le débardeur à tête de husky.


Les deux types discutaient en ricanant et m’avaient l’air bien imbibés. Celui au débardeur commençait à tanguer sérieusement et semblait ne pas s’apercevoir de la présence de la gamine. C’est au moment où il s’est penché pour aller pêcher deux nouvelles canettes et qu’elle a passé un bras autour de son cou, qu’il a réagi. Elle lui a soufflé quelque chose dans l’oreille en lui désignant le manège, il a fait un geste en frappant ses poches avec une expression désolée et elle s’est écartée. Lui s’est redressé en tendant les canettes à son acolyte qui nous a refait illico son numéro de fakir avec les dents.


Une fille boudinée dans un collant léopard avait rejoint les deux jeunes nerveux devant le punching-ball. Elle engloutissait une barbe à papa qu’elle tenait comme une grosse fleur en toc et s’envoyait des bouchées de la taille d’un poing entre deux éclats de rire. Les deux gars commençaient à se bousculer pour la place devant l’appareil et ça devenait de plus en plus sérieux entre eux.


La petite cow-boy était sortie de mon champ de vision. Celui à la glacière ne semblait pas s’en inquiéter. J’ai balayé les alentours, mais je ne la voyais pas. L’angoisse est montée, et des images d’infos télé avec des visages de gosses disparus me sont venues à l’esprit.


Elle était juste à ma droite. Devant un présentoir vitré où étaient empilées plusieurs colonnes de boîtes de la taille d’un jeu de cartes. Des boîtes roses ou bleues sur lesquelles était imprimé « plaisir d’offrir ». Elle tirait sur les petits tiroirs en inox, placés sous les colonnes, au cas où, mais évidemment ça ne s’ouvrait pas. Elle est passée à côté, là où était posé un gros cube de plexiglas sur un socle. À l’intérieur s’entassaient des petites peluches multicolores, des animaux surtout, d’ici je pouvais voir le museau d’un phoque bleu écrasé contre le plastique transparent.


La file s’est avancée d’un cran et l’autre a bougé sa glacière. La petite a posé son visage contre le plexiglas avec les mains autour, apparemment elle avait repéré quelque chose qui l’intéressait. Sur le plafond du cube était suspendue une pince à trois branches comme une minigrue et des manettes installées devant permettaient de la diriger, il suffisait d’introduire une pièce et le tour était joué.


La fille au collant léopard a poussé un gloussement perçant à moitié étouffé par la barbe à papa et puis d’un coup j’ai vu le visage de la petite s’illuminer : elle venait de sortir une pièce de monnaie d’un orifice de l’appareil, probablement oublié par quelqu’un. Elle a jeté un regard périphérique et j’ai piqué du nez vers mes chaussures. Elle a introduit la pièce et le cube s’est éclairé en envoyant l’air de « pirouette cacahuète » en version électronique. Elle a empoigné les manettes et la pince s’est mise en branle. Du côté du punching-ball, une sonnerie stridente s’est répandue, un des types avait dû péter le score.


Elle tirait la langue qu’elle maintenait serrée entre les lèvres. Elle y allait avec précaution. La pince s’est avancée puis est descendue pour se déposer sur le tas et la gamine s’est mise à sautiller en claquant les mains. Je me suis décalé un peu de la file pour voir où elle en était. La pince était retombée ouverte autour d’un petit singe à fourrure : un de ceux qui tiennent une paire de cymbales avec une clé plantée dans le dos. Maintenant, le plus dur restait à faire. Il s’agissait de remonter le singe et de l’amener au-dessus d’une ouverture qui donnait dans un réceptacle à l’extérieur. Elle s’est remise aux manettes. Elle ne respirait plus. Le singe s’est élevé doucement. J’avais l’impression que ses jambes tremblaient, mais ce qu’il y a de certain c’est que des gouttes de sueur ont perlé juste à l’avant des couettes. En atteignant le sommet du cube, le mouvement s’est arrêté brusquement et le singe est sorti des pinces. Une cymbale est restée accrochée dans l’extrémité d’une des trois branches et la petite s’est figée avec les yeux ronds comme des sous-tasses. Elle a lâché doucement les manettes, le singe pendouillait dans un mouvement de balancier. Elle s’est frotté les paumes l’une contre l’autre, s’est humecté les lèvres et s’est remise aux manettes sans jamais lâcher le singe des yeux.


Elle est restée immobile quelques secondes pour réfléchir à une stratégie. Et puis subitement elle s’est crispé en tirant une manette vers elle les mâchoires serrées. Ça a démarré brusquement, le jouet s’est mis à tourbillonner et arrivée à mi-parcours, la pince a largué le singe qui est retombé mollement sur le tas. Elle est restée bouche ouverte. Ses mains ont doucement quitté les manettes, elle a laissé reposer son visage contre le plexiglas et elle a enlacé le cube en observant le singe.


J’ai quitté la file. Je me suis approché en sortant trois pièces de monnaie que j’avais au fond des poches.


- On peut avoir la place ? je lui ai fait.


Elle était encore dans la purée de la déception. Elle s’est redressée et m’a dévisagé. Ses yeux étaient d’un bleu délavé et une fine cicatrice partait du menton pour mourir en fourche sous la commissure d’une lèvre. Elle s’est écartée sans dire un mot.


- Hé ! j’ai fait, je sens que c’est mon jour de chance !


Elle m’a contemplé avec son air de quelqu’un qui s’est gouré de bus et qui attend pour voir où ça va l’emmener. J’ai embrassé la première pièce et l’ai introduite dans la fente. Le cube s’est illuminé avec « pirouette cacahuète » en prime.


- Regardez-moi ça ! j’ai dit avec une stupide voix d’animateur TV pour enfant, qu’est-ce que c’est que ce petit singe qui se moque nous ? On va te sortir de là toi ça va pas tarder !


La pince s’est déplacée, est allée percuter la cloison du fond et s’est échouée lamentablement derrière le tas.


- Bin mince alors qu’est-ce qui s’est passé ??!

- Faut appuyer là ! sur le bouton pour faire tomber la grue, elle m’a fait timidement, sinon ça tombe trop loin...

- Hé t’as l’air de t’y connaître toi en grue à singe ! j’ai répondu, avec ma voix de clown débile.

- Je regarde souvent, elle a soufflé doucement.


Après avoir embrassé ma deuxième pièce je l’ai enfilée dans la machine,"pirouette cacahuète" commençait à me taper sur les nerfs. Pour ce coup-là, j’avais compris le principe, c’était à la portée d’un gamin de deux ans, suffisait d’attendre que la pince passe au-dessus de la cible et d’appuyer sur le bouton planté au-dessus de la manette pour la larguer.


Elle s’est planté dix centimètres avant en se refermant autour du cou démesuré d’une petite girafe jaune. Je l’ai remontée, ramenée jusqu’au-dessus de l’ouverture et la pince s’est ouverte. La girafe a effectué une jolie vrille en chutant et elle s’est étalée à deux doigts maximum du bord de l’ouverture.


On s’est regardé, silencieusement. Puis j’ai exhibé ma dernière pièce en gueulant « BALLE DE MATCH ! » j’ai rajouté « TIN TIN TINNN ! » histoire de la voir sourire, mais j’ai juste eu droit à son air de paumée dans le bus.


Ce qui s’est passé ensuite tient du prodige. Tout s’est déroulé dans une fluidité surnaturelle. La pièce qui glisse dans la machine, la pince qui part et retombe en plein sur le singe, la remontée et le retour vers l’ouverture sans un accroc, puis le largage dans le trou et pour finir le « Ding ! » d’une cymbale heurtant le fond du réceptacle. Et tout ça en six secondes maxi, et en un seul mouvement.


Je suis resté interloqué. J’ai retenu un « bin merde alors ! » pour le sortir entre mes dents. Elle s’est mise à sautiller en claquant des mains, j’ai dû attendre de sortir le singe du réceptacle, de sentir sa fourrure chatouiller mes doigts pour y croire.


- Bin tu en as donné du fil à retordre toi !


J’ai dit ça en collant le singe sur mon nez, ça ne l’a pas fait rire du tout. Je crois même qu’elle m’a pris pour un débile.


- Et si tu avais un singe comme ça, tu l’appellerais comment ?

- Joseph ! elle m’a lâché sans réfléchir.

- Oh ? pourquoi Joseph ?

- À cause de Joseph le singe...

- ah bin oui ! j’ai fait en prenant la tête du gars qui a tout compris.


Je me suis accroupi et lui ai tendu le singe.


- Joseph le singe préfère être avec toi, et puis si tu ne m’avais pas aidé...


Elle a jeté un œil du côté des deux types dans la file. Et puis elle a attrapé le singe. Bizarrement, son premier geste a été de le sentir. Elle a de nouveau regardé vers le type à la tête de husky.


- Faut que j’aille voir mon père maintenant, elle a fait.

- C’est une bonne idée, j’ai répondu, moi je vais...


Je n’ai pas eu le temps de finir ma phrase, parce que quelqu’un a hurlé derrière moi et ça m’a électrisé.


« MANON !!! »


J’étais encore accroupi, je me suis redressé et retourné. Elle devait avoir dans les 25 ans, une teinture blonde avec des racines et les cheveux rassemblés derrière. Elle portait le même débardeur que le type à la glacière, la tête d’un chanteur de rock remplaçait l’husky.


- Qu’est que tu fous avec ma fille !!!


Elle n’était pas épaisse mais nerveuse, limite hystérique.


- Rien, j’ai répondu calmement, elle m’a aidé pour le jeu, je lui ai fait un cadeau c’est tout...

- Quel cadeau ?!!


Elle s’est jeté sur la gamine lui a arraché le singe et l’a balancé au sol. La petite ne bronchait pas.


Tête de husky et son pote de beuverie ont débarqué avec l’air mauvais, ça commençait sérieusement à partir en vrille.


- Hé ! qu’est-ce qui t’arrive ! c’est quoi le problème ?!!

- C’est quoi le problème !!!? a braillé la mère, tu f’rais mieux de surveiller ta fille au lieu de picoler avec ce con !!! je l’ai trouvée avec ce taré-là !

- Hoooo ! doucement je voulais juste lui faire un cadeau...


Le type avec « NO FUTUR » riveté dans le dos s’est avancé en me pointant du doigt.


- Qui doucement ?!! Qu'est-ce que t’as fait à la p’tite !?

- Rien du tout demandez-le lui...

- Hé ! c’est pas toi qui nous dis c’qu’on fait ! a lâché tête de husky.


Par-dessus son épaule, j’ai aperçu deux jeunes noirs qui se tiraient avec la glacière.


- En attendant, si vous tenez à vos bières vous feriez bien de réagir...

- Tain’ ! les bâtards !


Tête de Husky est parti en cavalant à la poursuite de sa glacière, la fille a attrapé la gamine en la tirant dans l’autre direction. Elle avait un tatouage foireux sur le poignet, des chiffres, une date peut-être, « Marre de tous ces cons ! » elle a fait.


Restait plus que « NO FUTUR » qui me toisait avec un petit sourire vicieux. J'ai ramassé le singe.


Les deux jeunes en bras de chemise avaient roulé au sol devant le punching-ball et tentaient de s’étrangler. La fille en collant léopard essayait de les séparer en tirant sur une chemise qui n’a pas résisté. Je me suis éloigné, après une centaine de mètres je me suis retourné, l’autre m’observait toujours, je lui ai hurlé : « Ehhh ! NO FUTUR ça s’écrit pas comme ça ! GROS CON VA !!! »


Il a piqué un sprint dans ma direction, j’en ai fait autant, vers le port à bateaux.


Cette histoire a eu lieu il y a une dizaine d’années. Si je vous parle de ça aujourd’hui, c’est qu’hier il s’est passé quelque chose au Shopi.


J’étais à la caisse, mes courses sur le tapis roulant semblaient partir vers l’abattoir de mon découvert bancaire. La caissière avait une vingtaine d’années et de suite son visage m’a interpellé. Une blonde aux cheveux courts. J’ai fait mentalement le tour de ma famille, une obscure cousine peut-être... ?


Ça me titillait encore en fourrant les courses dans le coffre, et c’est quand je me suis installé au volant, en voyant le singe se balancer au rétro, que ça m’est revenu.


J’ai pris un pack de six Corona histoire de fêter mon entrée dans la zone rouge (celle avec des agios) et je suis retourné à la même caisse.


Y avait pas besoin de vérifier le prénom parce que tout était là : les yeux délavés, la cicatrice en fourche, et cet air de s’être gourée de bus. Pourtant, j’ai quand même jeté un œil sur le badge : « MANON. Hôtesse de caisse ». Quand elle m’a rendu ma carte bleue, j’ai vu qu’elle portait un tatouage foireux sur le poignet, un fil bleu grossier formait un cœur mal foutu. Un de ces tatouages qu’on se fait entre potes. Le cérémonial avait dû être interrompu pour d’obscures raisons car il manquait environ un centimètre de bleu pour que le cœur soit complet.


La fille de l’accueil avait des lunettes de farces et attrapes, et puis non, finalement c’était ses vrais yeux, je lui ai tendu le sac plastique en débitant mon histoire.


- Je devais remettre ça à une des caissières... Manon, mais je ne veux pas non plus la déranger pendant qu’elle travaille... si vous pouviez le faire... quand ça sera possible.


Elle m’a pratiquement arraché le sac des mains en soufflant et puis elle a filé vers les caisses.


Je suis sorti en trottinant, à quelques mètres de sa caisse, derrière les baies vitrées, il y avait un présentoir à charbon de bois je me suis accroupi pour m’y camoufler.


La fille à grosses lunettes lui a tapé sur l’épaule en lui tendant le sac. Elle lui a dit quelques mots, d’ici je voyais que ça n’était pas aimable et puis elle s’est éloignée.


Elle a écarté les poignées du sac plastique pour regarder au fond, puis elle s’est redressée avec les yeux fermés. Elle a ouvert les yeux, je ne sais pas si je me faisais des illusions ou quoi, mais je crois que la lumière y était différente, un peu moins délavée peut-être. Elle s’est mise à observer aux alentours, je me suis tassé derrière mon charbon de bois.


Elle a sorti le singe et l'a caressé avec son pouce, une mamie avec une teinture pratiquement bleue l’a interpellée en pestant avec un air mauvais. Elle a fourré le singe dans sa poche et attrapé les courses de la mamie pour les biper.


- Hé ! on peut vous aider ? vous avez un malaise ou quoi ?


C’était un grand type africain, habillé comme un diplomate zaïrois, avec un badge de vigile.


- Hein non..., j’ai fait... j’observais cette mamie, là, celle aux cheveux bleus ! et croyez-moi si vous voulez, mais elle était en train de remplir ses poches de chewing-gum !


Il est parti comme un missile, je suis retourné à ma voiture, j’allais être à la bourre pour l’école.


Je suis rentré par la rocade, je croisais des pères de famille crispés au volant qui rentraient du boulot. La plupart affichaient la tête de quelqu’un qui a misé son tapis. On était en mai, ça sentait le début de quelque chose, ma fille avait le nez dans sa PSP.


- Hééé ! elle m’a piaillé, il est où Joseph le singe ??!


Merde ! Je n’avais pas pensé à ça, Joseph le singe lui pendouillait devant le nez depuis sa naissance, et c’était elle qui exigeait qu’on le remette au rétro quand on changeait de voiture.


- Je l’ai donné, je lui ai dit un peu maladroitement.

- T’as donné Joseph le singe ! mais à qui... ?

- À une petite fille, en fait je lui ai rendu, il lui appartenait...


Elle est restée un peu abasourdie, puis elle a remis le nez dans sa PSP en attaquant une séance de bouderie.


Il faisait lourd, j’ai ouvert ma vitre, la pluie et le beau temps étaient en pleine scène de ménage, le soleil perforait quelques cumulus, la pluie, elle, se contentait de grosses gouttes éparses.


- Hé ! espèce d’enfoiré de bon dieu, tu pourrais te fendre d’un arc-en-ciel !


J’ai gueulé ça en direction du ciel, ma fille a relevé la tête.


- À qui tu parles ?

- À personne ma chérie... à personne.


 
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   Anonyme   
27/5/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour nemson,
Pas facile de commenter ce texte.
Bon déjà l'écriture, je m'incline. Tout ce que j'aime. Il y a un autre auteur par ici qui écrit pareil, avec les tripes.
C'est froid, viril, direct, tendre. Percutant. Le ton, le style, j'adore.

L'histoire n'est pas facile non plus à commenter parce que j'ai les personnages dans la rétine, cette petite fille et surtout le narrateur.
Le singe gardé tout ce temps. Les retrouvailles. Le hasard qui ne doit rien au hasard parce qu'il est attendu. (Le singe pendu au rétroviseur pour moi l'atteste), c'est un peu gros cette attente, ces retrouvailles mais ça passe parce que l'écriture, le style, le ton sont (pour moi) ni gnangnan, ni sentimentaux. C'est du brut.

je n'ai pas eu envie de quitter ces deux personnages et arrivée au bout, j'ai regretté que la nouvelle soit déjà finie.

L'épisode à la caisse, quand on remet à Manon ce paquet est trop rapide, c'est frustrant, j'ai ressenti l'émotion de Manon mais je n'en ai pas eu assez. Je n'ose pas écrire qu'il faudrait développer parce qu'en même temps il y a tout ce qui faut.

J'ai aimé l'idée que les deux fois où il rencontre Manon ça tourne à l'aigre, comme s'il y avait un panneau danger sur cet homme et cette fillette, puis sur le même homme et cette jeune femme. Comme si le destin veillait et disait "pas touche, sens interdit".

Il y a des moments où l'écriture est extrêmement précise, les scènes détaillées au millimètre et des fois où cette même précision fait défaut. Sensation de déséquilibre, de trop parfois et de trop peu à d'autres endroits.

j'aime vraiment beaucoup ce qui décrit le narrateur, fait de lui cette présence à la fois forte et totalement dépassée, ou hors contexte, ou au bord du précipice.

Pour moi ce texte est vraiment bon.
Et ce sera avec un très grand plaisir que je lirai les autres.

   Anonyme   
27/5/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Nemson,
J'ai bien aimé ton histoire, qui sonne comme une sorte de reportage ou témoignage, assez féroce quand même, sur les instincts grégaires et assez primaires de certains humains.
Ton narrateur est attachant d'humanité, et on se surprend à lire son histoire comme si on l'écoutait, ou quelque chose comme ça, parce-que c'est vivant comme du langage parlé.
Et puis c'est parsemé d'humour, il y a quelques trouvailles amusantes comme "les courses qui vont vers l'abattoir de son découvert bancaire".
Bref, la découverte plutôt sympathique, pour ma part, d'un auteur qui a l'air d'avoir des choses à dire sur le monde qui l'entoure, sans concession, mais avec une certaine douceur et tendresse tout de même dans l'intention.
A suivre donc...

   widjet   
27/5/2009
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Un titre pas possible qui m'a interpellé et motivé mon envie de lire cette première nouvelle de Nemson. Beaucoup (trop ?) de personnages pour une histoire dont - j’avoues - j’ai eu du mal à me passionner et parfois un peu confuse. Une mise en route un peu longuette et mon intérêt a eu du mal à se maintenir. Reste une volonté affichée de mettre en place son histoire (une première partie plus descriptive) et ensuite donner du rythme (grâce aux nombreux dialogues dans la seconde partie du récit).

J'attends un second texte pour me faire une idée du bonhomme.

W

   Maëlle   
28/5/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un texte avec des ambiance, vraies, présentes. Une histoire presque inexistante, mais suffisante pour déclencher l'émotion.

   NICOLE   
29/5/2009
 a aimé ce texte 
Bien
"Je crois que la lumiére y était différente, un peu moins délavée peut étre". Jolie, cette phrase toute simple, jolie comme un arc-en-ciel après la pluie.

   florilange   
1/6/2009
 a aimé ce texte 
Bien
Le titre intrigue, il ne se comprend que lorsqu'on est entré dans le récit. J'ai bien aimé l'histoire, les nombreux personnages & les digressions plantent le décor, l'ambiance. On sait où l'on se trouve & avec quelles sortes de gens : t'occupe pas des petites filles ou tu passeras pour 1 pervers. Même si les parents, eux, se comportent comme des sauvages. C'est brut comme 1 documentaire avant qu'on y ait pratiqué de grands coups de ciseaux. Mais intéressant, des qualités indéniables de narration.
Florilange.

   Selenim   
1/6/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'ai aimé ce texte pour sa légèreté gracieuse, son humour pimenté et Joseph bien sûr.

Le style est impeccable, imagé, varié. On glisse sur cette écriture comme sous une couette, au chaud. Lorsque le récit s'interrompt, on n'a pas envie de le quitter.

Les personnages sont bien croqués, on les voit interagir avec facilité. L'auteur aime écrire et le lecteur s'en délecte. Même pour la chute qui aurait pu s'infiltrer dans le pathos, l'auteur garde ce ton léger que j'apprécie hautement.

Vivement la prochaine !

Selenim

   saintesprit   
3/6/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Voila! tout ce que j'aime! le ton, le style! la legereté avec beaucoup de chose en filigrane. ce texte est dun pessimisme noir et pourtant on en sort pas en larmes...etrange.

   colibam   
3/6/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Superbe, un bon moment de lecture.

La fin est un peu cousue de fil blanc mais l'émotion est bien présente. Très bien l'idée qu'il soit resté caché une fois le cadeau offert à l'intermédiaire.

Le ton utilisé pour le narrateur colle parfaitement à l'histoire, l'écriture est maîtrisée.

Le titre m'a semblé un peu lourd mais une fois l'histoire ingurgitée, je pense qu'il correspond bien au style et à l'identité du narrateur.

   daphlanote   
7/6/2009
Alors alors... Pas de secret (même si, en toute honnêteté, c’est ma première fois… en la matière), j’ai été chercher quelque chose à lire et à commenter pendant mes longues heures de solitude –sans connexion- (et de présumée étude, en fait -_-‘’) dans… les « Meilleures nouveautés ». Bon, malheur de malheur (parait que je suis méchante… enfin, laissez-moi mes illusions), je suis tombée sur ton texte. (Après la logorrhée…)

Commentaire, commentaire donc.

De prime abord, le premier paragraphe m’a paru sacrément bien ficelé. Le style n’est pas vraiment « flamboyant » mais tombe juste, loin d’être lourd avec des phrases assez courtes, sans excédent, comme j’aime en somme ^^. Un regret pour « s’infiltrait par l’aération du tableau de bord » (ne me demande pas pour quoi, par contre -_-‘) mais c’est minime.

Second paragraphe, il y a ça qui cloche :
- « Le type des autos-tampons a balancé quelque chose d’incompréhensible dans son micro avec une voix de nez, et puis il a envoyé, dans des enceintes monstrueuses « le rital » le tube de Claude Barzoti. ».
Déjà, j’aurais mis une majuscule au titre de la chanson (même si « Je suis rital et je le reste… », bref, n’a pas mes faveurs ;-]).
Ensuite, à l’oreille, je dirais qu’il… manque des virgules. Pour moi, pas de virgule après « envoyé » et une après « le rital ». Si on laisse la virgule après « envoyé » alors, logiquement, il en fait une après « monstrueuses » en plus.
En fait, la première partie de phrase me gène aussi. Ce « avec une voix de nez » est de trop, de pas assez, ou de mal ponctué. Enfin, il casse l’équilibre de la phrase.
- « Je me suis mis dans la file devant la première camionnette de l’avenue. Sur le toit, le patron avait déplié une enseigne mal foutue qui disait : « Gégé la frite ». ».
J’ai regretté l’enchainement. Ca ne sonne vraiment pas aussi bien que le reste des deux paragraphes. Peut-être un retour à une description plus typique et « ennuyeuse » dans la deuxième phrase ? Bon, il y a la tentative de contrebalancer par un pseudo humour-cynisme (enfin, c’est la connotation que j’en retiens) du « mal foutue » mais c’est faible.
- « Je ne sais pas pourquoi mais la plupart des marchands de frites s’appellent Gégé, c’est vendeur peut-être. »
Généralement, j’aurais dit oui, c’est le genre de chose que j’aime. Mais ici, je trouve que l’ironie est un peu plate, la fausse ignorance mal jouée.
- « autos-tampons » ? Par chez moi, on a toujours dit « auto-tamponneuses » ^^. Ceci dit, le tampon restera un accessoire hygiénique pour moi T_T.
- « Le type des autos-tampons a balancé quelque chose d’incompréhensible dans son micro avec une voix de nez, et puis il a envoyé, dans des enceintes monstrueuses « le rital » le tube de Claude Barzoti. Des ados excités se sont jetés dans les bagnoles vides abandonnées sur la piste. »
Ici, je retrouve le même problème de transition que plus haut, sauf qu’ici je sais pourquoi ^^. Le gars parle. Les ados montent. Ouais. Je ne suis pas convaincue. Il manque un épisode, une explication, une constatation. J’ai l’impression qu’on a brûlé une étape.

Troisième paragraphe.
- « Le patron était un gros rougeaud avec des gestes lents mais il se débrouillait toujours pour laisser
tomber deux ou trois frites de la barquette, il devait patauger dans la purée. ». Il manque quelque chose. Une « mais comme il se débrouillait », peut-être. Ca manque de liaison.
- « Sa femme en était le contraire ». Et ça, c’est vraiment dommage. Bon sang c’que c’est lourd…
- « sèche et nerveuse comme un pince-oreilles » Et là, c’est rafraichissant. C’est dit, lapidaire, ça dit ce que ça doit dire, pas plus, pas moins. Bien dit en somme.
- « Si l’Orangina était millésimée, on avait une petite fortune sous les yeux. ». Là, en l’occurrence, je trouve ça génial ^^. *se marre*

Quatrième paragraphe.
- « Sur le devant, il y avait la reproduction d’une pin-up des années 50. La pin-up s’éclairait plus ou moins selon le score du gars. ». Déjà, la répétition. Ensuite, le point est peut-être un signe de ponctuation un peu fort ici.
- « Ils avaient l’air de prendre ça considérablement au sérieux. Leurs avant-bras étaient couverts de tatouages foireux, des croix, des poignards, des fleurs. » Là, je pense que la seconde phrase n’est pas à sa place. Pourquoi on parle de leur motivation et puis de leur physique alors qu’on a déjà parlé du physique un peu plus haut ? Pouvait pas tout dire ne même temps ? (Entre deux virgules, par exemple).

Sixième paragraphe.
- « Et puis, à chaque tour, revenait ce cheval vide de cavalier, et ils semblaient se fixer ces deux-là, en tout cas pour ce qui est du cheval, j’en suis à peu près certain, cet enfoiré lui envoyait un petit sourire de fils de pute en bois vernis qui disait quelque chose… ». Et là paf ! La phrase est trop longue. Beaucoup trop longue. C’est une sacrée rupture dans le style. J’aurais mis un point quelque part.
- « Que tu vas pouvoir me grimper ? » hem… Bon. On aurait tout de même pu trouver mieux. C’est vraiment moche. Même pas cynique (même si le coup du cheval en bois qui cause, c’est plutôt hilarant).

Septième paragraphe.
- Déjà, là, j’ai vu les « imprimés majuscules », j’ai dit… « ouch ». J’aime pas les imprimés. J’aurais préféré du gras, de l’italique… tout sauf de l’imprimé.
- « Il venait de l’ouvrir pour en piocher deux canettes de bière dégoulinantes, Et CROYEZ-MOI si vous voulez, mais le deuxième gars les a décapsulées AVEC LES DENTS ! ». Là, je sais pas s’il y avait une raison ou si les correcteurs sont passés à côté mais la majuscule du « Et » n’a pas raison d’être à mes yeux.
- « C’était un type d’une trentaine, un blouson en cuir noir avec « NO FUTUR » riveté dans le dos. » Ou comment peindre un punk en deux coups de cuillère à pot. Joli.
- « Ils commençaient à pas mal tituber et la glacière s’allégeait. ». La phrase sonne comme incomplète. Un « déjà » à la fin peut-être ?

- « et semblait ne pas s’apercevoir de la présence de la gamine. ». Ici, la formulation est plus policée alors que les paragraphes d’avant oscillait entre cynisme et basique. C’est hors-ton, en tout cas.
- « pour aller pêcher deux nouvelles canettes et qu’elle a passé un bras autour de son cou, qu’il a réagi. ». Virgule en trop avant « qu’il a réagi ».

Bon, après, soyons franc. Lire un bon texte comme ça, ça lasse pas mal. J’ai lu la suite et j’aime beaucoup. J’aime bien le cynisme, le ton plutôt juste et divertissant, j’aime bien la vision des choses, le monde un peu gris.
Je regrette le coup des yeux qui s’éclairent par contre, enfin.

Globalement, un vraiment bon moment de lecture. Un titre qui me laisse sur ma faim, mais une nouvelle plutôt pas mal ficelée, sympathique et même un peu plus. Chouette en somme.

   victhis0   
10/6/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
une très très belle écriture, moins caricaturale que dans le dernier texte publié. Une belle histoire simple, intelligemment contée, sans pathos excessif, avec cette froide analyse des gens, leur contraste avec un idéal humain très lointain.
J'y étais moi avec cette petite fille, je l'ai récupéré aussi le singe! Bref, j'ai été dans l'histoire commme çà m'arrive rarement. Une très belle émotion pour ce bien joli texte, un auteur que je mets de côté.

   NICOLE   
10/6/2009
J'ai tout aimè, vraiment aimè, sauf la fin, digne des histoires qu'on raconte aux enfants pour qu'ils fassent de beaux rêves.
Je suis désolée, mais je n'arrive pas à y croire. Ca détonne par rapport au réalisme assez sombre de ce qui précéde, comme si tu n'avais pas pù t'empécher de finir sur une note positive.
Je crois que ton histoire aurait gagné en intensité avec un final aussi vraissemblable que le reste du récit....mais ça n'est que mon avis, et surtout, ça n'enlève pas grand chose au plaisir que j'ai eu à te lire.
Amicalement,
Nicole


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