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Réalisme/Historique
Nenphees : Nuance
 Publié le 09/03/13  -  8 commentaires  -  6838 caractères  -  66 lectures    Autres textes du même auteur

Énigme de l'être…


Nuance


Les traces de tes paumes moites se dessinent sur la vitre, empreintes éphémères et vivantes. Tu les regardes disparaître, lentement la vitre devient lisse et froide. Tu poses ta tête sur elle, ton front brûlant savoure sa fraîcheur. De nouveau tu te sépares d'elle, tu découvres la forme d'un ovale irrégulier qui s'efface lui aussi. Tu voudrais tant la retenir…


Doucement tu reposes encore une fois ton visage cherchant à garder ce contact dur et glacé. Ton nez touche le verre, ton souffle chaud pose délicatement une couverture blanche. Tu pousses un soupir d'exaltation, ta bouche expire et métamorphose le néant lisse en un monde illuminé de milliers d'éclats, scintillants petits diamants liquides. Tu presses tes lèvres contre elle, tu embrasses ton reflet. Tu observes cette forme clonée, pâle copie stérile. Tu t'éloignes d'elle de quelques pas en arrière et tu distingues enfin autre chose. La surface vitrée n'est plus vide. Elle est devenue substance, les couleurs de ton corps l'irradient, elle devient presque humaine, elle devient presque "Toi". Tu tends tes doigts, tu parcours les limites diffuses de cet être muselé enfermé dans son cadre de verre. Tes pupilles cherchent les siennes, elles ne les trouvent pas, le négatif semble perdu, la matière intransigeante a fumé ses traits. Tu ne veux pas te perdre, tu énumères les couleurs, tu t'essayes à les ressentir. Tu cherches leur identité, tu sais que tu les connais mais elles t'échappent. Tu penses au "rose", ton imagination s'éveille, tu voudrais rêver de lui, t'échapper dans son monde, tu arrives un instant à trouver une aurore dans tes mirages, tu t'épanouis en elle, mais la transe est brève. Car la seconde suivante elle se transforme, elle devient une flaque grisâtre mêlée de teintes étrangères. Tu te dis "beige", tes sens effleurent la paroi, tu ne trouves rien de ce que tu cherches. Les traînées poussiéreuses qui paraissaient beiges se trouvent dissoutes dans un vert-de-gris. Tu souhaites trouver une pointe de "rouge", la pourpre essence parasitée s'est défaite de ses atours, et même sur ta bouche vermeille elle s'habille de mercure. Une trace de plus sur une toile sale.


Aucune couleur n'est semblable à celles de tes souvenirs.


Où sont-elles ?


Les couleurs chaudes ont disparu. Peut-être trouveras-tu leurs froids homologues ? La vitre glaciale t'y invite.


Tu la contemples de nouveau, tu t'intéresses au "vert", des particules infimes parcourent l'image, rien cependant n'est à la hauteur de tes espérances. Tu passes au "bleu", tu sens bien qu'autour de toi l'atmosphère est bleutée ; les yeux écarquillés tu cherches parmi ces ombres, celle qui t'éblouirait, te donnerait les ailes d'un oiseau pour t'envoler. Ce bleu intense faiseur de rêves. "Bleu qui clair au jour se couvre d'un blanc velours, et tient à la nuit la brillance de ses esprits". Alors tes prunelles fixent désespérément le rectangle de plomb, cherchant en son sein les bribes tenues d'un bleu délavé. "Le bleu qui colorie ta mémoire, ne se retrouve plus en ce miroir."


Tu comprends qu'il n'y a en ton monde que l'échelle des gris, de la souris à la mine, du gris rosé au gris jauni, du métal à la pierre, ils s'étalent complémentaires, couleurs de maton et de prison, couleur de mitard et désespoir.


De découragement tu soupires, une nappe de buée se colle, ton corps s'est rapproché. D'autres formes apparaissent, ce sont celles passées, révélées quelques instants par l'air chaud de tes poumons. Tu respires plus fort, ton souffle étend les contours déformés de la tache embuée. Les empreintes passées se révèlent à nouveau, celles de deux mains fantômes, qui t'appartiennent. Mais bien plus irréelles, vidées de toute chair, vidées de toute âme, soupçons d'une présence qui s'attarde. Au-dessus d'elles la trace d'une bouche muette, qui semble crier son silence forcé. Celle de ton nez en un rond parfait, celle de ton front, ovale suspendu…


Puis tu rattrapes ton reflet, ses contours floutés, ses taches aux coloris plombés, autour de lui, un vide. Un mur blanc fumé recouvre tout.

Ton corps se retourne, et la même vision s'offre à toi. Des murs blancs parsemés çà et là des teintes grises qu'une lumière chiche laisse apparaître. RIEN.


RIEN. Où es-tu ? Tu ne sais pas ? Cherche ! Réfléchis !

Quel autre endroit connu pourrait être aussi blanc ?


Ton front se plisse, tes sourcils se froncent. Tu portes un doigt à ta bouche comme pour imposer le silence. Tu fermes tes paupières, tes pensées hurlent et te vrillent le cerveau. Tu voudrais te boucher les oreilles, tu prends ta tête entre tes mains, tu essayes de te libérer d'elles. Tu te rends compte qu'elles sont trop fortes, aucun n'existe pour les faire taire. Peut-être le bruit de ta respiration ? Tu t'évertues à l'entendre, mais même le rassurant bruit de ton souffle ne permet pas de chasser les étranges ondes qu'émet ton esprit. Tu fermes les paupières, il te semble que la voix s'est tue, tes pensées comme rassurées, se sont calmées. Tout devient noir. Une obscurité réchauffante, familière, celle d'un terrier ou le ventre d'une mère. Des ténèbres orangées teintées de sécurité. Réconfortant.


Tu sais que tu existes, au milieu de toi-même.

Tu perçois les couleurs, noir en dedans, blanc à l'extérieur ou plutôt gris, gris du mystère, gris de l'étrange, gris qui s'insère ou se mélange. Ce monde-là qui te fait peur : à cause de lui tu sais que tu es.

Tout d'un coup ta tête te fait mal, tu vois les couleurs, mais où se trouvent leurs souvenirs, d'où les connais-tu ? Tu peux nommer tout le spectre qui compose la lumière blanche. D'où te viennent leurs noms ?


Et tu ne les visualises plus, tout est devenu fade, aucune couleur n'a d'éclat.


La peur te prend au ventre, tu te mets à trembler de tous tes membres, tu voudrais crier mais aucun son ne sort de ta bouche. Tu retournes vers la vitre, tu lèves le bras et le tends, l'autre fait pareil, ta main forme un poing, l'autre aussi, de colère tu le frappes ; la vitre n'a même pas oscillé, il a mal. Tu marches vers le fond de la pièce, tu te retournes, prends de l'élan, tu fonces vers lui et tu t'écrases sur la vitre. Il se tord de douleur, elle te paralyse. Tu dois faire appel à toute ta volonté pour retourner vers le mur d'en face, tu t'appuies sur lui, il est matelassé, tu le souilles de ton sang, des taches vermillonnes forment sur lui de petites auréoles d'une couleur si vive qu'elle te met en émoi. Tu reprends de l'élan, une demi-seconde plus tard tu percutes la surface vitrée.


Dans un grand bruit de corps qui s'affaisse, l'autre toujours suit tes gestes, comme pantin désarticulé, il te lance un regard fou, au fond de ses pupilles une torpeur sordide. Puis les mouches obstruent ta vision, le décor s'efface en spirale, tu sombres dans les ténèbres profondes…


Au loin une alarme sonne…


 
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   Anonyme   
12/2/2013
 a aimé ce texte 
Bien
On met de grands miroirs dans les chambres capitonnées ? Voilà qui m'étonne, justement pour des problèmes de sécurité, et parce que, c'est vrai, l'image spéculaire a quelque chose d'angoissant... Ou alors c'est un miroir sans tain pour l'observation ? Bon, je ne connais pas les usages dans les établissements psychiatriques, alors je ne peux pas dire ; ça m'a étonnée, quoi.

Sinon, j'ai trouvé le texte bien mené, s'attachant aux perceptions de la personne. J'ai l'impression que vous avez pris soin de ne pas livrer d'indice grammatical sur son sexe, ce qui est logique pour l'identification du lecteur. Un récit efficace, donc, bien calculé, une bonne progression... mais justement, peut-être trop lisse pour le sujet, trop maîtrisé. Il y a une distance, pour moi, un recul qui m'empêche de bien entrer dans le délire de la personne qui souffre.

   Artexflow   
13/2/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bien le bonjour,

Il y a quelque chose de grandiose et d'affreux dans ce texte, tous deux mêlés, en symbiose et coercibles. Je suis d'accord, ça ne veut rien dire.

A la première lecture je n'ai rien, mais alors, rien compris. Et puis la fin. Donc j'ai relu, et là, aaaaah, enfin, on comprend, on visualise. C'est un bon effet en soi, simplement, peut-être que d'autres lecteurs (pas sur ce site) n'auront pas le courage de reprendre leur lecture. C'est tout de même assez dense, assez "barré", même la seconde lecture n'est pas tout à fait aisée, vous faites le zoom sur quelque chose, puis autre chose, puis le personnage s'interroge, ouais, il est fou...
Le texte se tient, vraiment. Bon, je me demande juste si c'est crédible, qu'il casse la vitre, mais après tout, on s'en moque pas mal.

Le gros point faible c'est l'opacité de certains passages, bien qu'elle soit justifiée par la condition du personnage. Tenez, par exemple : "pose délicatement une couverture blanche."

Sincèrement je vous conseillerais d'aérer le texte, de le rendre moins lourd surtout. Evidemment, vous faites ce que vous voulez de mon avis, je suis certain que d'autres n'auront aucun problème à lire cette nouvelle !

Bravo en tous cas, l'idée est au top, et la chute très bien. C'est la forme qui me pose souci.

   Anonyme   
20/2/2013
 a aimé ce texte 
Pas
Difficile de mettre une appréciation sur ce texte étrange, assez déroutant. Le narrateur est pris dans un tel monologue que je me suis senti complètement exclu. Ce face à face avec le miroir ne laisse aucune place à l'autre, une sorte de narcissisme poussé à l'extrême où le sujet essaie de savoir qui il est jusqu'à en perdre la raison.
Je ne suis pas emballé, l'écriture est correcte mais le thème est trop égocentrique pour moi. J'ai besoin de palpiter avec les protagonistes d'un récit, ici il n'y a que le narrateur et son reflet.

   costic   
24/2/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J’ai beaucoup aimé. Moment très prenant, pleins de détails dans le cheminement des pensées qui semblent justes, percutants.
On se laisse absorber dans ce moment réflexif. Le jeu avec l’ombre et les couleurs étourdit. L’introspection est vertigineuse la sensibilité exacerbée. Tous les sens sont aiguisés. Le dédoublement est parfaitement évoqué, sans pathos. J’ai trouvé particulièrement intéressantes toutes les impressions et le rapport à la vitre, au reflet. La structure et le déroulement de la narration participent aussi de manière très évocatrice à description de cet état d’âme particulier. L’écriture simple et ciselée, touche.

   macaron   
9/3/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un texte difficile, stupéfiant, époustouflant. Vous réussissez très bien à émouvoir avec ce jeu des couleurs et des formes, tous ces "moi" imposteurs. D'une belle écriture travaillée, ciselée vous nous emmenez dans un monde où la perception des sens a pris le contrôle, où la raison a porte close. J'ai cru d'abord à une illustration "existentialiste", la chute me déçoit un peu mais je reconnais que vous n'aviez pas vraiment le choix.

   brabant   
9/3/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour Nenphees,


"... maton... prison... mitard..." ('placard...'). Si l'on a voulu briser celui-là, eh bien on a réussi. Il a vraiment oublié qui il est. L'alarme sonne, je suppose que la vitre était en sécurit, l'infirmerie de la centrale pénitentiaire en recousant son visage aura sans doute la cruauté de lui rendre la mémoire.

Le problème de l'alternative à la prison se pose ; on pourrait peut-être commencer par supprimer la prison dans la prison qui fait perdre jusqu'à la couleur des souvenirs.

Quelle couleur obtient-on quand toutes les couleurs se dissolvent en se mélangeant ? Pot au noir, "désespoir", melting spot !


Trop à démêler ici... manquent tenants et aboutissants ; on n'a que l'embouti. lol :)

L'analyse elle-même est minutieuse.

   Acratopege   
10/3/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'aime ce texte pour son côté haletant, pressé, comme si découvrir enfin son identité devenait une urgence terrible. Et puis la recherche de son identité à travers la sensorialité, les couleurs, le toucher, cela me touche directement en court-circuitant presque la pensée et la réflexion. Et puis je retrouve la question du double déjà posée ici, tout récemment, dans "L'époque des croisades" de Zalbac.
J'ai moins aimé la fin médicale ou psychiatrique: faut-il être fou à enfermer pour se poser des questions sur soi-même et son propre rapport à soi-même? Je ne crois pas. Si la vitre s'était simplement brisée pour ouvrir sur un paysage, quel qu'il soit, mon plaisir de lecture aurait été plus grand.
Et puis bravo pour le titre, que tout dément dans le texte. "Nuance" au singulier semble se moquer de lui-même, non?

   AntoineJ   
23/3/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Je trouve tout cela poétique et beau, touchant et facsinant

A la limite, il faudrait presque encore plus symboliser l'endroit qui n'est qu'un catalyseur

J'ai eu un peu de mal avec ce paragraphe qui en dit trop ou pas assez
"Tu fermes tes paupières, tes pensées hurlent et te vrillent le cerveau. Tu voudrais te boucher les oreilles, tu prends ta tête entre tes mains, tu essayes de te libérer d'elles. Tu te rends compte qu'elles sont trop fortes, aucun n'existe pour les faire taire. Peut-être le bruit de ta respiration ? Tu t'évertues à l'entendre, mais même le rassurant bruit de ton souffle ne permet pas de chasser les étranges ondes qu'émet ton esprit. Tu fermes les paupières, il te semble que la voix s'est tue, tes pensées comme rassurées, se sont calmées. Tout devient noir. Une obscurité réchauffante, familière, celle d'un terrier ou le ventre d'une mère. Des ténèbres orangées teintées de sécurité. Réconfortant"

Le monde de l'émotion est délicat, la folie est toute proche, attirante


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