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Aventure/Epopée
Neojamin : En attendant que le train parte
 Publié le 25/05/15  -  12 commentaires  -  10839 caractères  -  126 lectures    Autres textes du même auteur

Mon beau-père clôt son monologue en allumant la télé. Il vient d’insérer une cassette d’un de ses films cultes, un Bergman. Le paysage d’une Suède en automne défile. Il met «pause» pour que je contemple ce paysage qu'il aime tant... Inspiré, j'ouvre mon carnet...


En attendant que le train parte


Son corps lourd et maladroit est affalé dans un fauteuil en cuir usé. Ses yeux sont secs, peut-être d'avoir trop regardé la télévision. Sur l'écran, un paysage idyllique, une vallée boisée, parée des couleurs d'un début d'automne. Il se dit que la mort doit être plus douce en Suède, il s'imagine là-bas, tel un de ces arbres, délaissant la vie pour rejoindre l'hiver. Il aurait aimé y vivre, avec elle. Ils auraient pu au moins y aller en vacances, louer un petit chalet pour voir passer l'été. Il y a tant de choses qu'ils auraient pu faire...

Elle est partie hier. Sans dire au revoir, sans prévenir.

C'était pourtant lui le plus vieux, le plus souffrant, celui qui redoutait la mort, malade depuis ses vingt ans. Ils l'avaient même réformé à l'armée. Peu apte à vivre au fond, c'est ce qu'il s'était toujours dit.

Aujourd'hui, c'est lui qui reste, figé, comme ce beau paysage. Elle, si vaillante, si pleine de vie et de santé, si optimiste, partie.


Une intuition soudaine. Un dernier voyage, comme avant, lorsqu'il partait seul sur les routes, en baroudeur de l'infini pour découvrir l'indécouvrable. C'est maintenant ou jamais, et si son cœur le lâche, tant pis, il aura vu la Suède.

Il se lève précipitamment et ouvre les placards. C'est en farfouillant au fond du cellier qu'il le trouve, entre le sapin de Noël en plastique et les chaussures de randonnées, son sac à dos, cette relique d'un autre temps qui était terré dans ses souvenirs depuis trop d'années. Il choisit quelques vêtements, les essentiels, chaussettes, slips, tee-shirts, un pantalon et un pull, prend son sachet de médicaments, sa brosse à dents, un savon, une éponge et son gant de toilette. Ses gestes sont méticuleux, précis, machinaux.

Il se dirige maintenant vers le frigo. Il reste trois carottes, un bout de fromage, deux yaourts. Il enferme tout ça dans un Tupperware et le bourre dans son sac à dos.


Il se fige dans l'entrée, revient sur ses pas, prend un CD de jazz, trois livres : L'Étranger, Vol de nuit, La Nausée. Se ravise, les repose, hésite, n'en choisit qu'un. Ce sera L'Étranger. Il met ses chaussures et son chapeau, pose sa main sur la poignée, se retourne encore une fois, contemple sa carcasse de vieux dans le miroir de l'entrée. Son regard bascule vers ses pieds. Il se déchausse, enfile les baskets. Oui, c'est mieux. Il se tâte les poches, ses clés sont bien là. Il sort, ferme la porte, tourne la clé, la remet dans la poche intérieure de son blouson, réajuste son manteau, se racle la gorge et s'en va.

Il s'engouffre dans la cage d'escaliers. L'ascenseur, il l'a trop pris avec elle. Il descend les marches dans le noir, lentement, les yeux fermés, la main glissant sur la rambarde en métal. Une fois en bas, il inspire profondément avant d'ouvrir la porte. Dehors, le brouillard comprime l'espace, deux employés de service peignent le gazon avec leur souffleur, les travaux ont recommencé en face. La vie est là et elle hurle à ses pieds.

Il se met en marche, d'abord péniblement, sa rotule droite grince, sa cheville gauche souffre. Les pas se font ensuite plus lestes. Il prend le chemin des Mouilles, l'allée Claude Debussy, les balades rituelles du dimanche lui reviennent en mémoire, il ne peut s'empêcher de se retourner de temps en temps pour voir si elle est là. Il continue sur le sentier des Saules et arrive au bord de la D306, une cicatrice goudronnée sur la campagne jaunie par l'été.

Au loin, très loin, son paysage, l'image figée sur l'écran. Zut, j'ai oublié d'éteindre la télévision. Tant pis.

Il marche jusqu'à ce que le crépuscule pèse sur le jour. Il s'arrête à un carrefour. À droite, un sentier intitulé chemin du Bois Dieu. À gauche, un panneau indiquant la gare. Ses jambes lui semblent soudainement bien molles, il choisit la gauche. Gare de Chicotière. Un quai désert, évidemment, deux bancs couverts par une avancée du toit. Un coin idéal pour s'effacer du monde. Une planche manque au premier, il s'allonge sur le deuxième.


Un crissement. Il sursaute. Se demande s’il s’est déjà endormi. Un train arrive en soufflant. La chaudière émet un long chuintement et une porte s’ouvre dans le premier wagon. Une lumière jaune projette l'ombre d’un groom avec son képi sur le quai. Une locomotive à vapeur ? Il se lève, risque un œil à l’intérieur. La queue d’une redingote rouge disparaît à l’autre bout du couloir. Il entre, la mine curieuse. Les boiseries sont finement laquées, le sol est couvert d'un tapis en velours rouge et des lampes à huile sont suspendues à l'entrée de chaque compartiment.


— Dééééééépaaaaaaaaaaaaarrrrt.


Un long cri terminé par un roulement à la Piaf. La machine s’ébranle, les coups de bouchon augmentent en cadence et le train démarre, lentement, faisant défiler le quai de Chicotière et tout ce qu’il y a avec, sa longue journée de marche, son départ, la télé encore allumée dans le salon et ce vide qu’elle a laissé, sans prévenir.

Le premier compartiment est sombre et silencieux. Il décroche une lampe à huile, l'allume à l'aide de son Zippo et pousse légèrement la porte. Un nuage de tabac flotte dans l'air, quelques valises sont perchées sur le porte-bagage, des malles en cuir d’un autre temps. Son père est là, avachit sur la banquette, la bouche ouverte, les paupières prisent de stigmates brefs. Papa ? Il crie plus fort. Papa ! Rien. Par la fenêtre, une nuit sauvage en fuite. Il croit voir un instant les collines de sa Creuse natale. Je devrais peut-être manger un peu...

Il ressort, sonné par cette apparition. Les rideaux du deuxième compartiment sont tirés. À peine ouvre-t-il la porte qu'il est assailli par des sobriquets en tous genres :


— Grande bique ! Rital ! Coton-tige ! George Tutti Frutti !


Quatre écoliers, les jambes qui se balancent sous les banquettes, les regards mauvais, des chewing-gums dans les bouches, des bouhous plein les yeux. Il referme aussitôt, se passe la main sur le visage pour en chasser cette vision. Je suis crevé, il faut que je dorme. Il tente une troisième cabine.

Deux bonjours rapides l’accueillent. Une voix fluette de jeune garçon, un adolescent d’une grandeur maladroite, au visage marqué par des sourcils bien fournis, la bouche d’un innocent, le regard d’un timide. Une autre voix, plus grave, celle d’un homme en complet brun, des cheveux gominés plaqués sur la droite, une mine sévère, des lunettes rondes entourant un regard strabique.


— Voyez-vous cher jeune homme, il y a des hommes qui naissent engagés. Ils n'ont pas le choix, on les a jetés sur un chemin, au bout du chemin il y a un acte qui les attend, leur acte ; ils vont, et leurs pieds nus pressent fortement la terre et s'écorchent aux cailloux.* Et puis, il y a les autres, comme vous, qui naissent sans savoir pourquoi...


Le jeune homme essaye de parler. Mais sa bouche est cousue par la gêne et le bruit des rails couvre ses vaines tentatives.


— ... Une vie... c'est fait avec l'avenir, comme les corps sont faits avec du vide.* Certains ont de l’avenir et donc une vie, d’autre du vide et donc un corps. C’est déjà pas mal. Il faut s’en contenter.


L'élève gesticule comme un pantin, tente de crier des mots trop silencieux pour arrêter le flot de paroles de son interlocuteur.


— ... Peut-être qu'on n'est pas pour soi-même à la manière d'une chose. Peut-être même qu'on n'est pas du tout : toujours en question, toujours en sursis, peut-être doit-on perpétuellement se faire.*


Il demeure un instant paralysé devant ce jeune qui lui rappelle vaguement quelqu’un, sans savoir ni où ni quand. Un au revoir gêné et il retourne dans le couloir. Le train est étrangement stable, il glisse plus qu'il ne roule. La lampe du dernier compartiment est allumée à l’intérieur. Une belle femme y est assise, elle lit un livre, un roman, En attendant que le train parte. Il entre, elle lui sourit. Il s’excuse, de quoi, il ne sait pas trop. D’être là, d’être de trop dans ce grand box.


— Bonsoir, lui dit-elle.


Il cherche le B, ne le trouve pas. Ne peut pas le dire. Trop brutal, trop brusque, trop balourd et trop baveux pour répondre à cette belle inconnue. Autre chose, une autre lettre, une autre réponse. Mais il se contente de regarder son doux visage, ses petits yeux verts et ses taches de rousseur qui pointillent ses joues. Il s’assoit finalement en face d’elle. Elle pose son livre sur la banquette, ses mains délicates reviennent sur ses genoux.


— Tu vas où ? demande-t-elle d’un ton trop familier, comme s’ils se connaissaient de longue date, comme s’ils avaient partagé la plus profonde intimité.

— Je...


C’est le P maintenant qui lui fait défaut. Trop paresseux, trop ponctuel, trop précis ou trop parfait pour expliquer où il va. Il ne dit rien donc. Elle l'observe un instant et, tout en souriant, reprend son livre.

Il lui jette un regard de temps en temps, quand elle tourne la page, quand elle penche la tête de côté, mouvement imperceptible qui dénonce sa lassitude. Ce livre l’ennui, c’est sûr. Je pourrais lui parler.

Mais la fatigue l'envahit. Il laisse sa tête se rapprocher de la vitre. Dehors, des ombres d’arbres, de poteaux électriques, de maisons, se confondent avec la nuit. Ses yeux s’absentent, ses paupières se ferment.


Il se réveille en sursaut. La banquette est vide. La valise a disparu. La belle femme est partie, sans rien dire, sans prévenir. Un raclement de gorge lui fait lever les yeux vers un homme en chemise blanche qui baragouine quelques mots d'ailleurs :


— Kom ni Avesta.


Hein quoi. Mais je suis où là. Il tourne la tête et il voit, derrière la vitre de la fenêtre, son paysage idyllique.


— Han borä debarkera.


Oui, oui, j’y vais. Il veut suivre l’agent à la chemise blanche comme il a voulu répondre à cette belle inconnue, comme il a voulu tenir tête à son professeur, comme il a voulu vivre, toute son existence. Mais il lui est impossible d’effectuer le moindre mouvement. Il demeure figé devant ce portrait de l'automne. Peu à peu, les contours de son salon apparaissent dans le flou qui entoure cette image si paisible. Sous sa main, il reconnaît le cuir rêche de son fauteuil, se rend compte qu’il n’est pas allé si loin que ça. J'ai rêvé… Depuis quand ? Il déglutit, jette un œil sur le fauteuil d'à côté, tend l'oreille, à la recherche d'un bruit, d'un froissement de bonheur qui lui dirait qu'elle est encore là. Noyée dans le silence, il n'entend que sa propre respiration. Il prend sa télécommande et appuie sur le bouton « play ». L’image s’anime, les arbres frémissent, l’eau de la rivière coule, les nuages s’étendent dans le ciel, la caméra suit un train qui serpente dans la vallée...



* Phrases empruntées à J.P. Sartre.


_____________________________________________

Ce texte a été publié avec des mots protégés par PTS.


 
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   Anonyme   
9/5/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↓
La première réflexion qui me vient à l'esprit c'est que j'aurais davantage vu cette histoire en Fantastique/merveilleux car elle raconte exclusivement un songe, qu'elle s'inscrit hors de la réalité.
Mis à part ce petit détail, sans être passionnant ça se laisse lire, ce vieux bonhomme qui s'évade dans ses rêves est plutôt touchant.
L'écriture est de qualité même si elle a tendance à abuser de détails superflus : "Il sort, ferme la porte, tourne la clé, la remet dans la poche intérieure de son blouson, réajuste son manteau, se racle la gorge et s'en va."

   Asrya   
9/5/2015
 a aimé ce texte 
Un peu
Quelques répétitions auraient pu être évitées : porte, clé, rouge ; des broutilles.

Mis à part ça, rien ne m'a dérangé.
L'écriture est agréable, les phrases sont plutôt longues mais sont relativement bien ponctuées ; la lecture reste plaisante.
L'idée n'est pas très originale, il faut le dire, ceci-dit, on y croit, on est pris, et on ne s'y attend pas ; pas trop en tout cas.
La vision du "père" de votre personnage serait peut-être à revoir (pour moi). Cela nous invite trop à penser que l'action qui se déroule n'est que fictive (j'étais à mi chemin sur la piste du rêve, à mi chemin sur celui de la mort). Et je ne sais pas si c'est un bon point.

J'aurais probablement adoré que l'histoire s'étale un peu plus, fouille davantage dans les profondeurs de votre personnage, son âme, ses ressentis, son vécu ; j'attendais quelque chose de plus touchant, de plus fort, de plus personnel. Oui, voilà, le texte est peut-être trop distant.
Pourtant vous nous alléchez efficacement avec cette histoire de "Suède", la disparition de cette "elle" ; dommage de ne pas s'en servir davantage, dommage de ne pas y faire référence avec plus de sensibilité, de subtilité aussi, ou de poésie (puisque vous en êtes capable).

De beaux passages dans ce texte, mais ils se font trop discrets.

Quelques ajustements ainsi que quelques approfondissements amélioreraient considérablement votre nouvelle (enfin, c'est mon avis).

Merci pour ce partage,
Au plaisir de vous lire à nouveau,
Asrya.

   Anonyme   
2/4/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,
votre histoire m'a laissé sur le bord de la route, sur le quai de la gare, assis je ne sais où à suivre vaguement du regard votre personnage devant des paysages, dans ses scénettes intérieures...
Je n'ai pas été emporté par les images. On comprend bien vite qu'il rêve, ou qu'il se perd dans ses souvenirs.
Le style n'a rien d'exceptionnel, simple, sans effet, sauf un ou deux passages comme "peu apte à vivre au fond", "le crépuscule pèse sur le jour."
"Les employés de service peignent le gazon..." Moi, j'aurais écrit: ils peignent "de" leur souffleur et non "avec".
Et comme tout ancien cheminot qui se respecte, je ne peux m'empêcher de signaler cette erreur constamment faite : "une porte s'ouvre dans le premier wagon", un wagon ne transporte jamais de voyageurs, mais des marchandises ou des animaux, c'est le terme voiture qu'il faut employer, comme dans l'expression typique des gares de roman " En voitures, s'il vous plaît." Mais là, il est vrai que je chinoise, désolé.
La seule chose qui m'ait plu dans votre nouvelle, ce sont ces quelques phrases de Jean Paul Sartre qui s'immiscent dans le rêve du vieil homme, où Jean Paul Sartre lui-même apparaît, peut-être. Ce passage du rêve sonne authentique et j'ai bien aimé.
Il y avait encore beaucoup à faire avec cette idée de voyage onirique pour devenir vraiment une histoire prenante. Dommage. Il ne me reste qu'une vague sensation de cette tristesse du vieil homme, de son ennui devant son écran de télé.
A vous relire avec toujours autant de plaisir malgré tout.

Après relecture, voici un complément de commentaire:

Bonjour, j'ai relu cette nouvelle et peut-être qu'au moment de mon premier commentaire, je n'étais sans doute pas suffisamment concentré. Et là, je dois dire que votre texte me plaît davantage. Une bouffée d'émotion m'a surpris à la fin quand le vieil homme se réveille et qu'il cherche sa compagne, qu'il réalise qu'elle est partie, et qu'il rêvait, mais pas son départ à elle. Je me suis imaginé un instant à sa place et c'était très intense comme impression, infiniment flippant.
Comme quoi, un état d'esprit bien ou mal influence énormément notre façon de voir, d'apprécier les choses.
Je réévalue donc.
Je savais bien qu'il y avait un petit truc qui clochait dans cette nouvelle, et je n'avais pas compris que c'était moi, le lecteur.
Désolé.

   Automnale   
26/5/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Un homme d'un certain âge est, devant son téléviseur, affalé dans un fauteuil. Sans dire au revoir, sans prévenir, celle qu'il aimait est partie, la veille, pour le grand voyage... Ils auraient encore pu faire tant de choses ensemble. Ils auraient pu, entre autres, vivre tous les deux en Suède... Alors, le vieil homme, désemparé, trouve son sac à dos, y met quelques vêtements et provisions, puis prend la route...

J'ai aimé cette idée - tellement juste - de préciser que, dans le couple, c'était lui le plus vieux, le plus souffrant. Logiquement il aurait dû partir le premier. Or, le destin en a décidé autrement.

J'ai aimé l'expression "baroudeur de l'infini" ou, encore, "la D306, une cicatrice goudronnée sur la campagne jaunie par l'été". J'ai aimé, aussi, "un roulement à la Piaf", ainsi que le titre du livre de la voyageuse :"En attendant que le train parte" (d'où le titre de la nouvelle).

Mes propositions (utiles, peut-être, dans l'objectif de la publication d'un prochain recueil) :
- "Une lumière jaune projette, sur le quai, l'ombre d'un groom avec son képi (plutôt que "avec son képi sur le quai").
- "Les paupières prises de stigmates brefs" (et non pas "prisent").
- Je préciserais dans le texte, et non pas en N.B. car cela fait trop plagiat, que les citations sont de Jean-Paul Sartre.
- "qui lui rappelle vaguement quelqu'un, sans savoir qui" (plutôt que "ni où ni quand". En cas de maintien, la phrase devra être peaufinée.
- "Ce livre l'ennuie" (et non pas "l'ennui").

Pour ce qui concerne le fond, je me demande si les rêves d'autrui, ceux faits en dormant, intéressent quelqu'un (hormis un psy)... Afin de surprendre le lecteur, n'aurait-il pas été plus judicieux de ne dévoiler qu'à la fin - juste à la fin - que l'homme dormait ?

Quant au personnage, je l'ai trouvé sympathique et touchant. En dépit de son âge, de son état de fatigue, ce baroudeur dans l'âme souhaite encore "découvrir l'indécouvrable".

En conclusion, tous les ingrédients (idées, poésie, style d'écriture, sens de la narration...) sont réunis pour faire de ce "En attendant que le train parte" une excellente nouvelle. Pour créer un effet de suspense, il suffirait de remanier un peu le texte et de le nourrir... Pourquoi ne pas s'attarder davantage dans "L'Orient-Express" (ou dans un autre train prestigieux) ? Pourquoi ne par parler davantage de la Suède (coutumes, paysages, artistes...) ? Il me semble que nous devrions, avec curiosité, plaisir ou terreur (comme le voudra l'auteur), suivre l'homme dans son supposé périple... et ce jusqu'à la chute finale.

A bientôt, Benjamin ! J'adore, vous le savez, m'évader en votre agréable compagnie... J'adore ce que vous faites...

   hersen   
26/5/2015
 a aimé ce texte 
Un peu
" Zut, j'ai oublié d'éteindre la télévision " voilà LA phrase de la nouvelle. Celle qui annonce la fin que nous ne devinons pas encore.
Elle est excellemment bien placée.
J'ai eu du mal à m'accrocher. On sent que ce vieil homme est fatigué, mais pour autant, quand il se revoit dans son rêve, jeune, il n'y a guère plus d'enthousiasme. Je crois que mon manque d'intérêt vient de cette léthargie très présente. Bien sûr, il y a une grande nostalgie mais alors il fallait plus la nourrir si elle devait être l'élément essentiel. On attend u peu la Suède tout au long de la nouvelle, mais comme le vieil homme ne la verra pas, c'est logique qu'on reste sur notre faim. Mais il aurait alors fallu une compensation. L'amour fou qu"il a vécu avec sa compagne?
Enfin, je n'ai pas été emballée et j'en suis désolée.

Merci pour cette lecture.

   Pepito   
27/5/2015
Bonjour Neojamin

Forme : pas mal de morceaux façon "tout et son contraire"
"corps lourd affalé" donc immobile et "maladroit". Comment peut-on être immobile et maladroit ?
"Ses yeux sont secs." comment voir que l'autre à les yeux secs ? Humides oui, secs, hmmm ?
"rejoindre l'hiver"... "pour voir passer l'été"
"partir sans dire au revoir sans prévenir" > "sans prévenir" d'abord "sans dire au revoir" ensuite ;=)
"malade depuis ses vingt ans... réformé à l'armée" > "comme avant, lorsqu'il partait seul sur les routes, baroudeur de l'infini" là, faut savoir
"relique d'un autre temps qui était terré" pourquoi le "qui était"
"baskets" plutôt que les "chaussures de randonnée" du placard ?
...

Fond : bon, un petit siestou et ça ira mieux. Curieux qu'il n'est pas eu froid avec un paysage d'automne suédois sous le nez. ;=)
D'autant que son rêve est bien ancré sur terre, un peu trop peut-être.

Bonne continuation.

Pepito

   Louis   
28/5/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Ce texte nous convie à suivre un vieil homme dans un voyage imaginaire.
Deux thèmes sont réunis, celui du voyage et celui de la mort.
Il est remarquable que traditionnellement la mort soit évoquée dans le vocabulaire du voyage.
Ici les deux thèmes se recoupent, se croisent et se fondent.

L’épouse d’un vieil homme est décédée. Sa mort est évoquée avec les mots qui désignent un départ en voyage : « Elle est partie hier. Sans dire au revoir, sans prévenir ». On se souvient des mots du poète ( Haraucourt ) : « Partir, c’est mourir un peu ». Partir et mourir : les deux idées se confondent.

Le vieil homme décide à son tour de partir en voyage, avec les mots encore par lesquels on désigne la mort : « Une intuition soudaine. Un dernier voyage… ».
C’est un voyage rêvé. C’est le rêve d’une mort qui prend l’aspect d’un voyage.
Une injustice : son épouse est partie avant lui, alors qu’il aurait dû partir le premier, lui, souffrant, malade, plus âgé qu’elle ; pour réparer, il désire la rejoindre, partir avec elle, non pas à sa suite, non, mais la devancer, et remettre ainsi les choses en ordre.

Ses pas le mènent jusqu’à une gare. Il partira en train. Cette sorte de départ figure la mort dans le monde moderne. Ainsi, dans de nombreux tableaux de ce grand peintre Giorgio de Chirico, marqués par l’angoisse de la mort, un train à vapeur est représenté en arrière-plan, comme dans L’angoissant voyage, L’Enigme du jour, Chant d’amour, l’Incertitude du poète, ou la série des Places d’Italie.
C’est un train à vapeur que prend le vieil homme, un train du passé, parce que c’est un train qui voyage aussi dans le temps, qui remonte le cours de la vie.

De compartiment en compartiment, il remonte le train de la vie qui roule vers la mort.
Dans le premier, apparaît l’image du père. On est bien là dans un autre temps : « malles en cuir d’un autre temps », temps de la naissance, temps de l’enfance ; à travers les vitres, « il croit voir un instant les collines de sa Creuse natale ». Ce compartiment figure les premiers temps de la vie, la première étape de l’existence.

Le deuxième figure une autre étape de l’enfance : le temps de l’école. Des « écoliers » occupent ce lieu, en effet, et ce temps marquant, des écoliers moqueurs qui l’affublent de « sobriquets ». Le personnage du vieil homme a subi ces moqueries, il en a souffert. Elles subsistent dans un compartiment de sa mémoire, et sur les rails de ce train, on le raille encore, pour toujours.

Le troisième remonte le temps jusqu’à la période de l’adolescence. Il était alors un jeune homme timide, d’une « grandeur maladroite », objet déjà des quolibets infantiles et cruels des écoliers.
L’adolescent qu’il fut se trouve placé face à un homme au ton professoral, Jean-Paul Sartre lui-même. L’homme a été marqué par la pensée de l’écrivain philosophe. Des trois livres qu’il a voulu emporter pour « son dernier voyage », l’un était de Sartre ( la Nausée), mais il a fini par lui préférer Camus, son choix s’est porté sur L’étranger.
Sartre parle de l’engagement, du chemin de la vie, et de son sens. Il expose certains des grands thèmes de sa pensée : chacun est engagé, en situation non choisie, à partir de laquelle il doit faire des choix libres, des choix de soi-même ; nul n’est déjà tout fait, il faut se faire, « perpétuellement se faire », chacun est sur un chemin, en partance, en voyage vers soi-même, sans s’atteindre jamais. Seule la mort fera de nous une « chose », faite pour toujours.
Le vieil homme entend Sartre proférer qu’une vie, c’est fait avec de l’avenir, des possibles à réaliser, alors que lui n’a plus d’avenir, alors que lui est au bout de son existence. Peut-être lui reste-t-il encore un acte à réaliser ? Le vieil homme a préféré Camus, peut-être n’a-t-il pas oublié ce qui est affirmé dans le Mythe de Sisyphe : « Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide ».

Le vieil homme ne se reconnaît pas dans cet adolescent disciple de Sartre, « il demeure un instant paralysé devant ce jeune homme qui lui rappelle vaguement quelqu’un » ; de même il ne reconnaît pas cette femme, cette « belle inconnue » qui se trouve dans le dernier compartiment. Elle lui parle pourtant sur un ton familier : « Tu vas où ? demande-t-elle d’un ton trop familier, comme s’ils se connaissaient de longue date, comme s’ils avaient partagé la plus profonde intimité ». Le vieil homme est revenu dans ce temps où il ne connaissait pas encore celle qui allait devenir sa femme.

Les mots lui manquent devant elle. Il cherche le B de Bonjour, et ne le trouve pas. Ce B est trop présent dans ce qu’il est à ce moment-là : « brutal ; brusque ; balourd ; baveux ». Il manque de distance par rapport à ce qu’il est pour trouver la lettre. De même, il ne trouve pas la lettre P, parce que trop « paresseux ; ponctuel ; précis ; parfait ». La lettre P pour partir ; pour dire le départ, le voyage pour la rejoindre. Pour dire qu’il est déjà parti, avant elle. Selon l’ordre des choses, l’ordre juste.
Encore trop englué dans ce qu’il est, dans ce qu’il fait, et nous ne sommes rien de plus que ce que nous faisons, rien de plus que nos actes, enseignait Sartre, il ne trouve pas les mots pour dire. Il colle trop à soi, et ne trouve pas la distance qui permet la représentation, celle qui ouvre et rend possible la parole.

Le livre que lit la belle inconnue, sa future épouse, s’intitule : « En attendant que le train parte », titre même de la nouvelle. Elle l’attend, lui, elle attend que le train le mène jusqu’à elle, elle quand elle sera sa compagne, sa femme, son épouse. Pour être de nouveau réunis, dans la mort.

Le voyage aura été immobile ; le vieil homme n’a pas quitté son fauteuil. Il n’a pas quitté les images des paysages suédois où il aurait aimé vivre avec elle, en automne. Là-bas, l’hiver doit être plus supportable, croit-il, et la mort plus douce.

Un texte intéressant sur le voyage et la mort.

   Anonyme   
28/5/2015
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
J'adore!
L'ambiance est douce, elle se laisse lire et même vivre. Le fond, profondément humaniste est une bouffée d'optimisme sur la condition humaine, même si l'histoire es plutôt triste et que j'ai été très déçue qu'il se réveille à la fin. Peut-être est-ce voulu, mais j'ai cru pendant une partie du texte que le personnage était mort et que le train était une métaphore de la mort, de son repos après tant de souffrances. Et le réveil est plus un calvaire, j'aurai bien aimé qu'une fois réveillé, il parte vraiment en Suède...
Je trouve cependant qu'il y a trop d'évocations de "elle" qui rajoute un côté tragique au récit,alors que l'histoire de cet homme pourrait se suffire à elle-même.
Mais dans tous les cas, merci pour cette histoire sublime!

   bigornette   
30/5/2015
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Neojamain.

Evidemment, passer après un commentateur tel que Louis, c'est comme essayer de paraître intelligent à côté de Raphaël Enthoven. Je ne vais donc pas en faire une tartine.

Sur le fond, l'histoire vaut pour cette phrase, ce constat, cet arrêt : "Il veut suivre l’agent à la chemise blanche comme il a voulu répondre à cette belle inconnue, comme il a voulu tenir tête à son professeur, comme il a voulu vivre, toute son existence. Mais il lui est impossible d’effectuer le moindre mouvement." Un homme qui n'a jamais rien fait, cela valait bien une messe.

Par contre, je suis sceptique quant aux choix que vous avez fait pour décrire ce rêve. Je suis d'accord avec Pepito : le récit est trop bien ancré dans la réalité. Des douleurs articulaires ? Rêver qu'on s'endort ? Et, au lieu de souffrir de sa disparition en rêve, ne rêve-t-on pas plutôt de sa compagne ? Si c'est bien un rêve, j'utiliserais la "réalité" du rêve. Avec ses ellipses, sa logique, ses surprises semi-conscientes... J'éviterais la première partie très réaliste, jusqu'au banc. Ou bien je le ferais se réveiller sur le banc justement. Mais ce n'est que mon opinion. Merci.

   CharlesH   
30/5/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Écriture fluide, histoire facile à suivre, images claires. Pour ce qui est de la forme je laisse les autres commenter, ils s'en tirent très bien. Par rapport au fond, comme d'autres, certains éléments m'ont dérangé. Le rôle de cette femme mystérieuse au début de l'histoire laisse présager un lien intense qui reviendrait plus tard, mais non, rien. Elle est complètement oubliée, alors pourquoi même la mentionner. Puisqu'elle n'apporte rien à l'histoire, à moins que quelque chose m'échappe, je la retirerais. Sinon la réutiliser peut-être avec une allusion plus claire à la femme dans le wagon, pardon, la voiture, vers la fin de la nouvelle.

   carbona   
10/10/2015
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour,

Une idée de déjà-vu qui, si elle n'est pas traitée de manière particulièrement intéressante peut vite lasser le lecteur. Ce fut mon cas. Peut-être aurais-je été davantage emportée dans les souvenirs/les rêves du personnages s'ils avaient été plus approfondis, plus atypiques, plus marquants.

Merci pour votre texte.

   Canuelle   
12/1/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Beau texte que ce voyage dans le temps et dans l'espace. Le style est fluide et les jeux sur les allitérations ont su trouver leur juste place. On s'attache à ce vieil homme qui voyage sur place. Belle métaphore.


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