La journée fut éreintante, Michelle nous assignant respectivement des tâches harassantes. Je commençais par aider à la reconstruction du mur d’une maison, qu’une tempête avait fait effondrer, tandis que Doyle participait au dépeçage d’espèce de grosses limaces des sables, qu’avait ramené un des membres du camp. Nous étions bien traités, mais seule la jeune femme nous offrait une réelle hospitalité, venant régulièrement prendre de nos nouvelles, nous donner des conseils ou nous apporter de l’eau. Elle disparut après le déjeuner avec deux autres femmes pour aller à la chasse, nous laissant aux mains du reste de la tribu. Nous fûmes de nouveau mis à contribution, participant au désensablage des allées du campement, réajustant l’orientation des grandes peaux tendues entre les maisons pour projeter de l’ombre aux endroits voulus, ou aidant au tressage de cordages à partir de fibres végétales. J’étais fasciné par l’habileté avec laquelle ces gens effectuaient en quelques secondes des tâches qui nous prenaient plusieurs minutes d’un travail laborieux. Doyle tenta de me rassurer en m’indiquant qu’ils seraient certainement moins à l’aise aux commandes d’un Raptor en vol suborbital, et il avait probablement raison, mais je ne pouvais m’empêcher d‘être admiratif. Je fus toutefois soulagé de voir revenir Michelle un peu avant le coucher du soleil, le dos chargé d’un gros lézard écailleux. Elle s’approcha de nous, un sourire radieux au visage, en constatant nos mains écorchées et pleines d’ampoules. Elle dégageait une odeur puissante et âcre, et je me surpris à penser que la toilette du désert devait trouver ses limites assez rapidement.
- Alors, qu’avez-vous pensé de cette journée au rythme de Dantoïne ? - C’était fabuleux… Je suis vraiment navré que nous soyons obligés de vous quitter aussi rapidement, ironisa Doyle. - Alors rassurez-vous, vous n’êtes pas encore partis.
Je venais de finir la tâche qui m’avait été confiée, aussi lui emboîtai-je le pas lorsqu’elle prit la direction de sa maison, après avoir confié le lézard à une vieille femme.
- Michelle ! Je voulais vous demander quelque chose… Je sais que l’habitude joue un rôle important, mais nous avons passé la journée à suer comme des bêtes, Doyle et moi alors que les autres autour de nous s’affairaient en plein soleil sans avoir l’air le moins du monde incommodé… Même vous, vous revenez de plusieurs heures de chasse, et vous avez l’air plus fraîche que n’importe lequel d’entre nous.
Elle écarta la tenture, me laissant pénétrer dans la maison, et je ne pus réprimer un frisson tellement la différence de température était surprenante : il faisait quasiment frais à l’intérieur. Je jetai un œil circulaire, fasciné par les propriétés isolantes des parois pourtant fines.
- Nous ne sommes pas des surhommes, Mc Eily. Je vous ai dit que Dantoïne ménageait ceux qui la respectaient. En n’utilisant que des matériaux d’ici, nous gagnons ses faveurs et elle nous épargne.
Elle éclata de rire en voyant mon air désabusé, et reprit plus sérieusement.
- C’est le type de propos que vous risquez d’entendre lors de la réunion du conseil, ce soir. Évitez de faire une telle moue, il vaut mieux avoir l’air d’y croire. Tout est une question d’ingéniosité Mc Eily. Nous utilisons des peaux et des fibres prélevées sur les animaux et les plantes de Dantoïne aux facultés naturellement isothermes. Quelques astuces permettent ensuite de créer des abris ou des vêtements adaptés à cet environnement extrême, c’est aussi simple que ça. Mais pour un nomade de Dantoïne, rien de tout ça ne sert à quoique ce soit si on ne s’assure pas la bienveillance de la planète.
J’acquiesçai, notant de m’en rappeler lors du conseil de ce soir.
- Je vais vous montrer, reprit-elle.
Avant que j’ai eu le temps de lui demander quoi que ce soit, elle avait ôté sa cape, et dégrafai une à une les attaches de sa tunique. Elle la retira d’un geste ample, se retrouvant seins nus devant moi. Nullement gênée par la situation, elle me montra l’intérieur du vêtement qui recelait une véritable armature de bois, constituée de fines branches entrelacées les unes aux autres. Des poches opaques étaient prises entre les branchages, en divers endroits.
- Qu’est-ce que c’est ? - Des poches d’air. Ce sont des vessies que nous prélevons sur certains animaux, et qui sont remplies de gaz avant d’être cousues hermétiquement. Elles jouent un rôle isolant. - Je pense qu’il va falloir que je révise mes a-priori sur les inventions artisanales.
Nous discutâmes un petit moment, avant que Doyle ne finisse par arriver. Il sembla un peu surpris par la situation - Michelle ne s’était pas rhabillée - mais fit comme si de rien n’était et se mêla à la conversation. Le début de la soirée fut nettement plus reposant, la jeune femme nous donnant quelques recommandations pour le conseil qui allait avoir lieu.
Nous étions assis au centre du village, les nomades formant un cercle autour de nous. Une demi-douzaine d’entre eux, parmi les plus âgés, formaient un croissant face à nous, et nous posaient toutes sortes de questions diverses et variées. Nous avions commis plusieurs boulettes, notamment Doyle, qui avait depuis décidé de me laisser parler. La situation commençait personnellement à m’agacer, ça faisait deux heures que ces primates nous faisaient tourner en bourrique avec un interrogatoire qui n‘avait ni queue ni tête. J’avais envie d’en finir et de les entendre me dire qu’ils allaient nous aider ou nous laisser crever comme des chiens. N’y tenant plus, je me levai et coupai d’un geste la parole à un des anciens. Un silence de mort s’abattit sur la tribu, comme si je l’avais giflé, rapidement suivi par un flot de murmures scandalisés. J’aperçus le regard de Doyle, puis plus furtivement celui de Michelle, qui en disait long sur les conséquences de mon geste inconsidéré.
- Écoutez… Ce conseil n’a aucune raison de se réunir sous cette forme. Vous nous jugez comme si nous étions des membres de votre tribu, et qu’il vous fallait décider de quelque chose vous concernant tous. Ça n’est pas le cas. Nous apprécions tout ce que vous avez fait pour nous, et nous sommes tout à fait conscients que vous nous avez sauvé la vie. Mais nous ne sommes pas nés sur Dantoïne, et nous ne pourrons jamais nous considérer comme ses enfants. Vous êtes en train de vous demander si nous valons la peine que vous nous aidiez, et cette réponse je peux vous la donner : c’est non. Nous n’avons rien à vous apporter, nous ne connaissons rien à ce monde. Nous n’avons rien à vous donner, et même si c’était le cas vous ne l’accepteriez pas car ça serait quelque chose d’étranger à votre culture et à cet environnement. Si la question ne tenait qu’à nous, vous risqueriez les pires ennuis pour votre clan sans avoir rien à gagner en retour, il est donc inutile de continuer à débattre là-dessus.
Le plus ancien fit mine de se lever, mais plusieurs autres membres du conseil estimèrent que je n’avais pas terminé car ils lui firent signe de patienter.
- Merci, repris-je. La seule chose que vous devez prendre en compte, c’est qu’il ne s’agit pas que de notre seule survie. Nous sommes des pilotes Confédérés, comme vous l’avez vu à nos uniformes, et j’ai pleinement conscience des problèmes que l’intégration de Dantoïne au sein de la Confédération a causé aux peuples nomades comme le vôtre. Vous avez toutefois pu constater la différence depuis l’arrivée des xenops : Dantoïne représente pour eux un point stratégique dans ce système, et nous ne serons bientôt plus en mesure de leur résister. Nous sommes en possession d’une pièce d’armement expérimental, le calibrateur magnétique, que nous étions chargés de ramener à la base de Tarkoïns avant que notre appareil ne tombe en panne. Cet engin nous permettra de mettre en place une grille de défense stratégique extrêmement précise via le réseau de satellites de combat que nous sommes sur le point de déployer en orbite. Si le plan fonctionne comme prévu, ce système peut nous donner l’avantage dans la lutte qui nous oppose aux xenops sur Dantoïne.
Un des membres du conseil se leva et m’interrompit.
- Nous ne faisons pas partie de la Confédération. Votre lutte n’est pas la nôtre, en quoi tout cela nous concerne-t-il ? - Si la Confédération est vaincue, nous abandonnerons Dantoïne aux xenops. Ils en feront un point de relais vital vers le système d’Algoth, prochaine cible de leur folie expansionniste. Cela implique qu’ils occuperont Dantoïne en permanence. Ils y construiront des ports de fret, des bases militaires, des casernements. Et plus ils nous repousseront, plus ils seront nombreux : soldats d’abord, puis viendront les colons, les marchands. Les xenops ont besoin d’eau pour vivre. Bien plus que nous autres humains. Ils ont besoin d’un taux d’humidité élevé et constant. Ce qui n’est pas vraiment le cas de Dantoïne. Alors, comme ils en ont besoin pour des raisons stratégiques, ils feront ce qu’ils ont fait jusque-là, à des centaines d’autres mondes : ils l’adapteront. Ils modifieront l’écosystème, le climat, ils amèneront l’eau sur Dantoïne. Et vous ne pourrez rien y faire.
Les visages changeaient dans l’assistance, au fur et à mesure qu’ils prenaient la mesure de mes paroles. Je décidai qu’il était temps de porter le coup de grâce.
- Aujourd’hui, vous avez la possibilité d’empêcher ça : le calibrateur doit à tout prix arriver aux mains de la Confédération. En nous aidant, ce n’est pas nous que vous sauverez, c’est Dantoïne.
Les murmures reprirent de plus belle, nettement plus animés cette fois. Doyle s’approcha de mon oreille, en me prenant l’épaule.
- Merde Mc Eily, s’ils décident de nous exécuter je voulais te dire que c’était un putain de beau discours !
L’agitation était à son comble, au sein de la petite tribu, lorsque je captai le regard brillant de Michelle. Elle se redressa brusquement, et s’écria d’une voix forte et sans appel :
- POUR DANTOÏNE !
Son cri fut aussitôt reprit par l’ensemble des guerriers qui se levèrent en brandissant les quelques fusils primitifs qui composaient leur armement. Nous avions gagné leur cause, mais il valait mieux que nous n’ayons pas à nous frotter aux xenops… Une grande fête fut donnée, et Michelle vint nous informer que nous serions escortés dès le lendemain vers la cité de Tarkoïns par leur meilleurs guerriers. Le voyage durerait plusieurs jours, mais nous serions en bonnes mains. Nous fûmes ensuite pris à parti pour participer aux danses et aux jeux qui se succédèrent jusqu’à ce que la température ne soit trop basse. C’est fourbus mais heureux, que nous suivîmes finalement Michelle dans sa maison où nous prîmes un dernier thé, brûlant, avant d’aller nous coucher.
- Mc Eily, levez-vous, vite !
J’émergeai subitement, alerté par la voix inquiète de Michelle. Elle était agenouillée près de moi, et secouait Doyle.
- Que se passe-t-il ?
J’en déduisis à mon état de fatigue que quelques heures à peine s’étaient écoulées depuis que nous nous étions couchés. Michelle se redressa, et disparut dans sa chambre pour s’habiller. Je me levai, rapidement dégrisé par l’inquiétude. Tout le campement semblait en alerte, et j’entendais des gens courir dans les allées autour de la maison. Je m’habillai précipitamment, et cherchai mon flingue des yeux lorsque Michelle reparut, vêtue de ses habits du désert.
- Vos armes sont dans ce coffre, restez-là je vais voir ce qui se passe.
L’odeur âcre que j’avais perçu la veille sur la jeune femme me prit à la gorge tandis qu’elle passait devant moi, et disparut au-dehors. Doyle finissait d’enfiler son pantalon, tandis que je récupérais mon P907. Je lui tendis son Colt Penetrator et me ruais au-dehors, ignorant les consignes de Michelle. Le jour se levait à peine, le soleil baignant les dunes de leurs orangées. Elles semblaient s’embraser sous l’effet des rayons heurtant le sable encore frais, leur crête irisée de reflets roux et vibrants, comme autant de flammèches folles dansant à leur sommet. Ne voyant pas Michelle, j’alpaguai au passage un type qui courait.
- Eh ! Qu’est-ce qui se passe ? - Restez à l’intérieur ! Ils arrivent !
Ignorant également son conseil, je me mis à la recherche de Michelle que je finis par trouver à la sortie du village, par où nous étions arrivés.
- Michelle ! Que…
Sautant au bas de la dune sur laquelle elle avait grimpé, elle m’entraîna par le bras vers la maison.
- Je vous avais dit de ne pas bouger ! Ce sont les xenops, ils ont du trouver votre appareil et ont suivi vos traces… Il y a eu très peu de vent depuis quelques jours. - Les xenops ? Combien sont-ils ? - Une douzaine, ils seront là dans quelques minutes. Venez, je vais vous cacher.
J’appelai Doyle, qui venait de surgir de la maison son sac sur le dos.
- Michelle écoutez-moi ! Ça ne sert à rien de nous dissimuler. Une douzaine de xenops, aussi loin d’une grande ville, il ne peut s’agir que d’une escouade de patrouilleurs, ils nous trouveront où que vous nous cachiez. Nous allons filer pour protéger votre campement, n’opposez aucune résistance, c’est le seul moyen pour qu’ils vous épargnent.
La jeune femme sourit, et posa sa main sur ma joue.
- Vous avez été brillant dans votre discours d’hier soir, Mc Eily. Mais il vous reste encore quelque chose à apprendre. Nous sommes comme cette planète, sans concession. Et nous avons juré hier de vous aider. - C’est de la folie, intervint Doyle, ils vont vous massacrer ! - C’est-ce que nous verrons, répondit Michelle.
Je reconnus le bruit caractéristique d’une torche à plasma, rapidement suivi d’une odeur de chair brûlée. Des cris s’élevaient à l’entrée du village que nous venions de quitter, et quelques coups de feu retentirent, rapidement couverts par les déflagrations frémissantes des tirs de plasma. Les nomades s’activaient en une sorte de panique frénétique, abattant rapidement les tentures des allées et les toits des maisons. Les rayons du soleil se glissaient partout, traquant la moindre parcelle d’ombre sans pitié, nous ôtant tout espoir de nous dissimuler.
- Merde Mc Eily ! Ils perdent les pédales !
Les premiers xenops débarquèrent dans l’allée quelques secondes après que Michelle ait disparue à l’intérieur de sa maison. Agissant purement par réflexe, j’en ajustai rapidement un au jugé et balançai une longue rafale dans sa direction. Les balles à haute vélocité le trouvèrent, perforant sa combinaison comme du beurre en le projetant contre un mur dans un bruit sourd.
- Doyle ! Foutons le camp !
Je m’engageai dans une allée, les lourdes détonations du Colt Penetrator résonnant derrière moi dans l’air vibrant. Doyle me rejoignit, déjà essoufflé par la chaleur naissante, au moment où deux xenops surgirent devant nous. Le tir le faucha à hauteur du ventre, son cri atroce m’arrachant les oreilles. Je tentai de riposter mais j’eus l’impression qu’on m’arrachait la colonne vertébrale. Mes sphincters se relâchèrent instantanément en souillant ma combinaison, le douleur étant de loin trop insupportable pour que j’en éprouve la moindre honte. J’eus le temps de réaliser qu’ils avaient utilisé des fouets neuraux pour nous prendre vivants, ce qui voulait dire qu’ils savaient que nous transportions quelque chose d’important. Ce qui était probablement le pire qui puisse nous arriver… Puis je perdis conscience et tout devint noir .
Je repris mes esprits douloureusement, ma vue se stabilisant après quelques secondes de flou. Nous étions allongés dans le sable, au milieu de la petite place où nous avions fêté notre alliance quelques heures auparavant… A croire que notre victoire avait été de courte durée. Je tentai de structurer le fil de mes pensées, cherchant désespérément un moyen de nous tirer de là. L’effet du fouet neural ne durait jamais très longtemps, il ne s’était pas passé plus d’une demi-heure. Le soleil n’était pas encore haut, mais la chaleur était déjà accablante et le village n’avait plus la moindre zone d’ombres depuis que les nomades avaient abattu les tentures. Le plus gradé des xenops se pencha sur moi, voyant que je reprenais conscience, et saisit mon visage entre ses doigts glissants, sous le regard impuissant des nomades survivants tenus en respect par les armes de nos ennemis.
- Où est le calibrateur magnétique, humain ?
Ils savaient donc, pour le calibrateur. Ce qui voulait dire qu’ils avaient trouvé Arkzan, le scientifique à l’origine de ce projet, et réalisateur de l’unique prototype que nous avions en notre possession. Arkzan était originaire de Dantoïne et bien qu’il fit partie des autochtones qui s’étaient sédentarisés dans la capitale, il avait toujours gardé la fierté de ses ancêtre nomades. Il avait sans aucun doute préféré déclencher la bombe corticale implantée dans son crâne, que de révéler ses secrets aux xenops. Malheureusement, je n’avais pas de bombe corticale. Ils nous avaient, ceci dit, forcément fouillés et avaient dû trouver l’appareil, fixé à mon harnais. Je palpais discrètement la poche où je l’avais rangé en faisant mine de me redresser, pour m’apercevoir qu’elle était vide. Le chef me saisit par le col de ma combinaison et jeta un œil à mes plaques.
- Écoutez, capitaine Mc Eily, je n’ai pas de temps à perdre et cette chaleur me tape sur les nerfs. Dites-moi où trouver le calibrateur, ou je le fais dire à votre camarade.
Un autre xenops s’empara de la main de Doyle, qui émergeait à peine, et lui arracha lentement la première phalange du petit doigt à l’aide d’une sorte de pince. Doyle hurla, et je serrais les dents pour retenir ma rage. Les xenops étaient réputés à travers tout l’univers pour leur cruauté sans limite, et j’avais déjà vu plusieurs proches mourir entre leurs mains aussi sadiques qu‘expertes. Nous ne pouvions rien faire pour y échapper : que nous coopérions ou non, ils trouveraient le calibrateur. Et que nous les ayons aidés ou qu’ils l’aient trouvé tout seuls, ils allaient nous torturer à mort. Il n’y aurait pas de renfort miraculeux cette fois-ci. Conscient que je ne pouvais rien y changer, je décidai de mourir honorablement.
- Va chier grosse limace ! Tu peux nous torturer, c’est tout ce que ta sale race de batraciens ait jamais su faire.
Il sourit et s’épongea le front, ses branchies s’ouvrant et se fermant à un rythme élevé, confirmant qu’il était profondément incommodé par la chaleur. Il saisit la torche à plasma fixée à sa ceinture et en réduisit l’intensité au minimum, probablement pour me carboniser une main, ou un pied.
- Arrêtez ! Je vais vous dire où est l’appareil que vous cherchez !
C’était Michelle qui venait de s’avancer d’un pas dans notre direction. Le chef, un sergent apparemment d’après le grade inscrit sur sa combinaison, fit un geste à ses hommes pour qu’ils la laissent approcher.
- Je vous en prie, ne leur faîtes pas de mal !
Le sergent lui passa la main dans les cheveux, avant de siffler entre ses dents :
- Où est-il ? Leur mort sera lente et douloureuse, c’est la seule qui incombe à ces chiens de la Confédération. Mais vous êtes neutres dans ce conflit, dites-moi où est l’appareil et nous épargnerons votre tribu.
Michelle me lança un regard affolé. J’étais d’autant plus perturbé qu’il était fort possible que cet enfoiré dise la vérité : les xenops étaient des tortionnaires sans réserve, qui considéraient la douleur (pour eux-mêmes ou leurs victimes) comme une forme absolue d’élévation spirituelle. Mais c’était également des soldats, et ils n’avaient pas pour habitude de s’en prendre à ceux qui ne leur résistaient pas.
- Nous l’avons mis à l’abri dans la grotte de la sainte vérité. - Très bien mademoiselle. Vous allez nous mener à cette grotte. - Vous nous épargnerez si nous vous aidons ? - Ma race n’a qu’une parole. Nous n’avons pas besoin de mentir pour obtenir ce que nous voulons. - Alors ce ne sera pas aussi simple. La grotte est gardée par nos meilleurs guerriers. Ils ne se rendront pas sans combattre, et ils connaissent parfaitement le terrain.
Un des anciens du conseil s’avança, et fustigea Michelle dans leur dialecte rituel, en la menaçant du poing. Il fut aussitôt stoppé par un des xenops, qui lui balança un coup de crosse dans le ventre.
- Je suis désolée, gémit Michelle en se tournant vers le reste de la tribu. Je sais que c’est contraire à notre code de l’honneur, mais il y a déjà eu trop de morts, et nous ne pouvons rien faire pour sauver nos amis… - Vous êtes pleine de sagesse mademoiselle, reprit le sergent. Pensez à tout ce que vous pouvez encore sauver en coopérant.
Elle reposa son regard vers moi, ses grands yeux bleus pleins de larmes.
- Je suis navrée, Mc Eily. J’aurai voulu pouvoir tenir ma parole. Chef, je vais vous guider jusque là-bas. Je tenterai de raisonner nos guerriers. S’ils refusent, vous serez obligé de les maîtriser. - Ça ne sera pas un problème pour mes hommes. Où est cette grotte ? - Dans le défilé Kaz’rakn. Il… Il faut emmener le capitaine Mc Eily avec nous.
Le sergent reposa ses yeux sur moi, avant de revenir à Michelle.
- Pour quelle raison ? - L’appareil que vous cherchez est dans un coffre sécurisé. Je pense que seul le capitaine en connaît la combinaison.
Le calibrateur avait disparu, et ça n’était pas les xenops qui l’avaient trouvé. Michelle avait donc dû le subtiliser pendant notre sommeil. Il était possible qu’elle l’ait fait emporter dans cette fameuse grotte dont elle parlait, et il était possible qu’elle soit en train de trahir les membres de sa tribu pour essayer de les sauver malgré eux. Mais cette histoire de coffre était bidon, et elle savait que je le savais. Prenant cet indice comme un signal, je décidai de jouer le jeu.
- Espèce de salope ! Tu…
Le sergent m’écrasa littéralement le visage sous sa botte, me réduisant au silence.
- Restez calme, capitaine. Vous aurez tout le loisir de crier ultérieurement.
Michelle se mit à sangloter, répétant sans cesse qu’elle était désolée. Le sergent donna quelques ordres, et désigna trois de ses hommes pour garder le village et ses prisonniers. Doyle rejoignit les nomades restants, tandis que Michelle et moi étions emmenés à l’écart. Quelques minutes plus tard, nous nous mîmes en route, prenant la route du sud. Les patrouilleurs xenops se déplaçaient en escouade de douze soldats. J’en avais abattu un, et n’en ayant compté que dix sur la place, je supposais que les nomades en avaient descendu un deuxième. Trois étaient restés au village, et les sept restants nous escortaient vers cette soi-disant grotte. Quoique Michelle ait planifié, et aussi doués soient les guerriers dont elle avait parlé, ils n’avaient aucune chance face à sept patrouilleurs xenops. C’était déjà un miracle que nous en ayons abattu deux.
Nous marchions depuis des heures, le sergent et deux soldats ouvrant la voie devant nous, tandis que les autres nous entouraient, Michelle et moi. Nous avions interdiction de nous parler, aussi me contentais-je de marcher péniblement, sous la chaleur accablante qui nous étouffait. Les xenops s’enfonçaient lourdement dans le sol, comme moi mais contrairement à Michelle. Cette dernière marchait d’un pas égal, de sa démarche si particulière, s’enfonçant à peine à chaque pas et ne semblant nullement incommodée par la température. Mes jambes me faisaient souffrir le martyr, et ma langue collait à l’intérieur de ma bouche complètement desséchée. Nous marchions depuis au moins six heures sans interruption, et la fatigue avait gagné chacun de nous. Une longue chaîne de montagnes était apparue à l’horizon depuis un bon moment déjà, et nous nous en approchions lentement, au rythme pénible d’une marche forcée. Michelle désigna au sergent la falaise dans laquelle se trouvait la grotte qu’ils cherchaient. Deux heures plus tard, nous étions au pied de la longue barre rocheuse, qui s’avéra en réalité constituée de sable durci et cristallisé, dont la surface ocre semblait vibrer sous la réverbération de la chaleur. La jeune femme désigna une faille dans la paroi.
- La grotte est par là. Il vaut mieux être prudents, nos guerriers peuvent se manifester n’importe où à partir d’ici.
Le sergent acquiesça silencieusement et fit signe à ses hommes d’adopter leur formation de combat. Michelle s’approcha de lui, et posa sa main sur son poignet.
- Je vous en prie, promettez-moi de me laisser une chance de les raisonner. Même s’ils attaquent les premiers. - Je ne peux rien promettre de tel s’ils s’en prennent à mes hommes. Mais tant que nous ne serons pas sous le feu, je n’ordonnerai rien d’offensif.
Estimant à juste titre que c’était le mieux qu’elle puisse obtenir, elle le remercia et rejoignit sa place dans le groupe, à mes côtés. Elle sembla hésiter un instant et, m’enlaçant subitement, m’embrassa à pleine bouche. Sa langue viola mes lèvres tandis qu’elle se frottait contre moi, littéralement en chaleur. Elle fut violemment tirée en arrière par un des soldats, qui la repoussa sans ménagement sur le sol avant d'aboyer :
- Garde tes distances, espèce de chienne !
Michelle se redressa, et murmura, sans oser me regarder.
- Je suis désolée Mc Eily.
Nous nous engageâmes dans le canyon, et l’ombre qui y régnait fut un soulagement pour tout le monde : la chaleur était accablante, mais elle restait pour le moins supportable. Malgré la fatigue, je savais que l’endroit était propice à une embuscade. Les xenops n’étaient pas stupides non plus, et ils avaient redoublé de prudence, leurs torches à plasma prêtes à détruire n’importe quelle menace. Je m’attendais à voir subitement des rochers dégringoler du haut des falaises, ou des nomades jaillir hors du sable pour se jeter sur nous, mais rien ne se produisit. Nous marchions depuis quelques centaines de mètres, le goulot se resserrant petit à petit entre les parois, et maintenant que l’impression de fraîcheur était passée, la fatigue avait redoublé d’intensité. J’étais en train de décrocher, ma vue brouillée par l’épuisement, lorsque un cri affreux me ramena à la conscience. Un des xenops venait de s’enfoncer dans le sol, et se débattait en poussant des hurlement, aux prises avec quelque chose planqué dans le sable. Un de ses compagnons se précipita pour l’aider, tandis qu’un autre pointait son arme vers le sol, prêt à faire feu sur ce qui pourrait en surgir. Ils finirent par le dégager, mais lorsqu’ils le tirèrent pour le remettre debout la partie inférieure de sa jambe avait disparue.
- Merde ! Mais qu’est-ce que…
Un autre soldat, du groupe de tête cette fois-ci, poussa un cri à son tour. Le sable autour de lui était agité de soubresauts, comme si une créature tentait de l’attirer sous la surface. Le sergent donna l’ordre de faire feu, les torches à plasma crachant leur puissance meurtrière dans le sol, tout autour de nous. J’aperçus, au travers des remous qui agitaient le sable, des corps lisses et pâles que je pris pour de grosses anguilles, ou quelque chose d’approchant. Il y eut soudain un grondement effrayant au milieu du chaos ambiant, et toute la falaise se mit à vibrer autour de nous. Je m'aperçus qu'un des xenops était tombé sur le dos, et se faisait dévorer vif en poussant d'horribles hurlements. Il agitait convulsivement sa lance à plasma devant lui, découpant d’énormes blocs dans les parois cristallisées. Tout commença par un glissement de sable, anodin tout d’abord, puis de plus en plus conséquent alors que les vibrations augmentaient. Les autres xenops eurent le mauvais réflexe et ouvrirent le feu à leur tour pour détruire les amas de sable qui dégringolaient vers nous. Puis tout se précipita. Je m’aperçus, en même temps que les soldats, que seules les parois de la falaise étaient solides. Une épaisseur de deux ou trois mètres peut être, pas plus. Tout l'intérieur était friable, le sable ruisselant par les orifices crées par les tirs de plasma. En quelques secondes la falaise s’effondra sur nous, de véritables flots sableux remplissant le canyon comme un gigantesque fleuve devenu fou et incontrôlable. Nous étions déjà ensevelis jusqu’à la taille, lorsque Michelle tira sur la ceinture de corde qui fixait le bas de sa tunique à son pantalon. L’armature de bois contenue sous sa veste se déploya subitement, gonflée par les lattes et les grosses poches d’air chaud libres de toute compression. L’ensemble agit comme une bouée, maintenant la jeune femme à la surface du sable tandis que le canyon continuait de se remplir à une vitesse hallucinante. Elle me tendit la main, et je dus concentrer l’ensemble de mes forces, mû par l’énergie du désespoir, pour me jeter vers elle et saisir son poignet. Je fermai les yeux et cessai de respirer, les flots de sable se déversant sur moi et me submergeant totalement. La pression ferme des doigts de la jeune femme sur mon bras fut la dernière chose que je perçus, avant de perdre pied.
J’avais la bouche pleine de sable, du mal à respirer, et l’impression qu’un pachyderme m’avait gambadé sur le corps mais j’étais vivant. Lorsque j’ouvris les yeux, j’aperçus Michelle penchée sur moi, occupée à me tamponner le front avec un linge humide.
- Michelle..? Co… Comment avez-vous fait ça ?
La jeune femme sourit, en rajustant le haut de sa tunique.
- Moi ? Mais je n’ai rien fait d‘autre que de nous emmener ici… Je vous avais prévenu : les xenops peuvent vaincre la Confédération, ils peuvent soumettre les peuples libres, mais jamais ils ne règneront sur cette planète, Mc Eily, Dantoïne n’est pas un monde qu’on domestique.
Je méditais sa réflexion, tout en contemplant le paysage dévasté qui s’offrait à nos yeux. Les falaises s’étaient effondrées sur une cinquantaine de mètres, remplissant le canyon sur plus d’un tiers de sa longueur. Il n’y avait plus aucune trace des xenops, nous étions comme deux naufragés au milieu de nulle part. Elle érigea rapidement un petit monticule, derrière lequel nous nous abritâmes pour profiter un peu de l’ombre avant de prendre le chemin du retour. Elle m’expliqua sur la route que les xenops avaient péché, comme moi, d’un excès de confiance dû à un sentiment de supériorité inapproprié. Ils étaient assurément plus forts que nous, mais il étaient loin de faire le poids face à la sauvagerie sans pitié de Dantoïne. Elle savait que la longue marche au soleil les épuiserait, affaiblissant leur bon sens et leur prudence, aux dépends de leur impulsivité. Le canyon où elle nous avait emmené regorgeait, comme la plupart des endroits régulièrement ombragés de la planète, de ces terribles prédateurs souterrains. L’odeur que j’avais perçue sur elle à plusieurs reprises, était issue des glandes de leur plus redoutable prédateur, le skaär. Une sorte de gros serpent de sable carnivore, dont l’odeur les tenait en respect à défaut de les faire fuir. Elle m’en avait imprégné en se frottant contre moi, lorsqu’elle m’avait embrassé, ce qui m’avait probablement sauvé la vie. Puis, elle avait simplement supposé que les xenops réagiraient comme ils l’avaient fait - et comme j’aurais également fait à leur place - ce qui déclencherait l’effondrement des falaises avoisinantes. Sa tunique, comme toutes celles que portaient les membres de leur tribu, disposait de cette sécurité permettant de surnager dans le sable quand une immense dune s’effondrait, ou qu’ils étaient submergés par une tempête. Elle m’avait fait la démonstration de l’efficacité du système… Je restais silencieux un long moment, admiratif devant l’audace et la détermination de la jeune femme qui avait mené les soldats xenops à leur perte, les laissant eux-même se faire les bourreaux de leur propre mort.
Nous parvînmes au campement au milieu de la nuit, à bout de forces. Michelle avait tenté de m’expliquer comment marcher de manière à ne pas m’enfoncer dans le sable, et même si j’avais accompli quelques progrès le résultat était loin d’être concluant. Nous fûmes accueillis par une sentinelle un peu avant le village, qui nous indiqua qu’ils étaient parvenus à maîtriser les derniers xenops restants. Malgré leur endurance hors du commun, ces soldats d’élite n’avait pas pu supporter une température de cinquante degrés sans la moindre trace d’ombre pendant plusieurs heures. Les marches dans le désert étaient éprouvantes mais supportables car nous étions régulièrement à l’ombre des immenses dunes. Dans le village débarrassé de ses parasols, et dont les maisons avaient été dépouillées de leur toit, le soleil avait tapé de toutes ses forces, interminablement. Les xenops avaient atteint leurs limites physiques, et quand les nomades étaient passés à l’action ils avaient été submergés. Non sans faire cinq morts supplémentaires, malgré tout… Doyle était allongé à l’ombre, victime d’une méchante insolation : il avait moins bien supporté la fournaise que les xenops, et s’était effondré avant l’assaut des nomades. Ça lui avait d’ailleurs peut être évité de prendre un tir de plasma… Nous nous reposâmes quelques courtes heures, sur les recommandations de Michelle, et prîmes finalement la route de Tarkoïns sous bonne escorte, histoire de nous éloigner du campement. Les nomades nous avaient prêté du matériel, et l’environnement de Dantoïne nous apparaissait nettement plus supportable, vêtus de leurs tuniques et de leurs conseils. Michelle pensait que les patrouilles auraient énormément de mal à suivre leurs traces dans le désert, et nous avions au bout du deuxième jour de marche quitté la zone contrôlée par les xenops. Ces derniers seraient beaucoup plus hésitants à s’aventurer sur le territoire de la Confédération : même s’ils prenaient le dessus à l’échelle de la planète, les Confédérés étaient encore en mesure de leur flanquer de vilaines raclées sur des offensives préparées trop hâtivement.
Nous atteignîmes le périmètre de sécurité de la cité au bout du cinquième jour de marche. Les nomades convinrent entre eux d’un point de rendez-vous, pour rejoindre un autre campement, et nous abandonnèrent à tour de rôle, en émouvantes effusions. Michelle fut la seule à nous accompagner sur les derniers kilomètres, et je ne pus m’empêcher de la serrer dans mes bras au moment de son départ.
- Merci encore pour tout.
Elle me regarda tendrement, un petit sourire au coin des lèvres. Ses mains glissèrent le long de mon dos, jusqu’à ma taille.
- Ne vous en faîtes pas, Dantoïne veille sur nous.
Mû par l’émotion des adieux, je posai mes lèvres sur les siennes m’attendant à la sentir se retirer brusquement, mais elle ne bougea pas. Nous restâmes un long moment enlacés, partageant ce baiser avec une intensité violente, refoulée depuis plusieurs jours. Lorsqu’elle se retira enfin de mon étreinte, elle me prit le visage entre ses mains calleuses pour me regarder une dernière fois.
- Restez en dehors des zones d’ombre, Mc Eily.
Puis, après un bref adieu à Doyle, elle fit demi-tour et s’éloigna, de son pas leste et furtif. Nous suivîmes la fine silhouette des yeux un moment, avant qu’elle ne disparaisse entre les dunes, tel un mirage évanescent dispersé par l’intensité du soleil.
- Allez Mc Eily. Il faut bouger, je n’ai jamais eu autant besoin d’un bain de toute ma vie…
Je vérifiai la présence du calibrateur magnétique à ma ceinture, la jeune femme me l‘ayant rendu, avant de me remettre en marche.
- Tu sais Doyle, j’ai appris une chose durant cette semaine: nous pouvons nous entretuer autant que nous le voulons avec les xenops au travers de cette guerre insensée, il y aura toujours des forces qui nous échapperont. - Je vois ce que tu veux dire : Dantoïne a bien plus à offrir que du sable et du soleil, pour ceux qui sont prêts à écouter son âme. - C’est exactement ça, Doyle, tout est dans le respect. C’est une leçon que je n’oublierai pas et… Merde ! Attends, j’ai encore du putain de sable dans mes bottes !
Fin.
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