Dessiné par Ninjavert himself...
Le hoover faisait de drôles de bruits depuis quelques kilomètres, et mes tentatives pour en découvrir la provenance n’avaient jusque-là réussi qu’à manquer de nous foutre dans le décor. N’y tenant plus, je frappai Doyle qui dormait sur le siège passager.
- Putain, Mc Eily ! Qu’est-ce qui te prends ?! - La ferme et écoute, grinçai-je.
Il se frotta les yeux, faisant de visibles efforts pour conserver son calme, avant de râler au bout de quelques secondes de silence.
- Tu me réveilles pour me faire écouter le sifflement du vent ? Merde, Mc Eily, t’as dû te chopper un grain à force de bouffer du sable !
Evidemment, le bruit s’était arrêté : le comique de la chose en aurait été cruellement amoindri.
- Il y avait un bruit dans le moteur, Doyle. Une sorte de cliquetis métallique, du genre intermittent. - C’est dans ta tête qu’il y a un bruit, Mc Eily.
Rallongeant ses jambes sous le tableau de bord, Doyle s’enfonça dans son siège et fit glisser sa casquette sur son visage avant d’ajouter, entre ses dents :
- Et il est tout sauf intermittent.
C’était de bonne guerre, nous n’arrêtions pas de nous lancer des piques. J’avais d’ailleurs la main la majeure partie du temps, il aurait donc été malvenu de ma part d’en vouloir à Doyle de ne pas me rater quand il en avait l’occasion. Le bruit réapparut quelques instants plus tard, alors que le hoover glissait silencieusement sur la piste sableuse de Dantoïne. Je tentai à nouveau d’en localiser l’origine, et finis par abandonner : nous n’avions plus que quelques centaines de kilomètres à faire, et il n’y avait pas de raison qu’il ne tienne pas jusque-là. Je devais avoir raison, car au bout de quelques minutes il disparut de nouveau. Je décidai de ne plus y prêter attention, et me concentrai sur le paysage morne qui défilait sous mes yeux. Nous avions fait nos classes sur Dantoïne, près de quinze ans plus tôt. C’est là que Doyle et moi avions fait nos preuves, et étions devenus pilotes de la Confédération. La guerre avait depuis atteint ce système, et nous étions désormais en territoire occupé. Je me souvenais de Dantoïne comme d’un monde mort, dont le seul intérêt était la beauté stupéfiante de ses tempêtes de sable. Lorsque la planète se mettait en colère, elle se déchirait les entrailles pour cracher sa fureur à la face du monde : ses falaises vomissaient des flots de sable écarlate, chassés par les vents furieux qui balayaient les interminables plateaux de dunes, révélant la roche sous le sable comme un couteau raclant la chair sur les os… Un natif de Dantoïne m’avait révélé, des années plus tard, que je n’étais qu’un gros con de soldat colonialiste et que je n’avais rien compris à la beauté de son monde. Le sol regorgeait d’une vie riche et variée, et ses peuples nomades avaient au fil des siècles développé des trésors d’ingéniosité pour survivre à son climat extrême. Toute leur culture, basée sur une tradition orale, transcendait l’éphémère beauté des choses et déclinait leur mode de vie en infinies variations artistiques. Je n’avais pas tout compris à son baratin, mais il avait toutefois réussi à me convaincre qu’il y avait autre chose à voir sur Dantoïne que du vent et du sable.
Le choc me tira de ma rêverie, aussi brutal qu’inattendu. Le hoover venait de chuter lourdement sur le côté droit, le châssis heurtant violemment la piste de sable durcie. Doyle émergea brusquement de sa rêverie, se raccrochant instinctivement au tableau de bord.
- Que se passe-t-il ?!
Les mains crispées sur le manche, je tentai de redresser le hoover qui déviait inexorablement sur la droite, son aile tordue soulevant de gigantesques volutes de sable derrière nous.
- J’en sais rien ! La répulsion magnétique déconne !
Je coupai le moteur, tentant de redresser le cap en braquant les volets sur la gauche, sans succès. Nous quittâmes la piste dans un affreux raclement de terre séchée et de métal tordu, le hoover achevant abruptement sa course dans une dune.
- Rien de cassé ? - Je te répondrai quand j’y verrai quelque chose…
Les yeux brûlés par le nuage de sable que l’impact avait soulevé, je détachai mon harnais et m’extirpai péniblement du cockpit. Sautant à bas de l’appareil, je battais l’air autour de moi pour disperser la poussière et faire un premier état des lieux.
- Merde Doyle, je t’avais dit qu’il y avait un bruit. - Et tu avais besoin de mon autorisation pour avoir la présence d’esprit de t’arrêter ?
Je fis le tour de l’appareil, pour constater les dégâts : tout le flanc droit du hoover était râpé, la peinture et le métal bosselé mis à nu par le sol durci de la piste. L’aile droite était tordue, et le gouvernail faussé. Les volets de freinage semblaient également avoir subi des dommages. Doyle s’accroupit à côté de l’aile, et fit un premier diagnostic.
- On devrait pouvoir redresser cette partie de l’aile. Les impacts là, là et là n’ont pas une grande importance, la carrosserie a encaissé le plus gros. Reste le problème du gouvernail et des aérofreins. Je vais voir ce que je peux faire avec les outils qu’on a, de ton côté cherche la provenance du bruit que tu as entendu.
Plongeant le nez sous le capot, je ne fus pas long à trouver ce qui clochait. L’alternateur magnétique avant droit avait grillé, précipitant le hoover vers le sol en le privant du champ répulsif qui lui permettait de glisser au-dessus de la surface.
- Un alternateur grillé, Doyle. Tu penses que tu peux l’arranger ? - Ça risque d’être plus délicat. Laisse-moi regarder…
Je m’écartai pour lui laisser la place, et jetai un coup d’œil circulaire autour de nous. Remontant à bord de la cabine, je consultai la carte sur l’ordinateur de bord.
- Le village le plus proche est à 36 kilomètres. Ça donne quoi de ton côté ?
Doyle resta un moment le nez plongé sous le capot latéral, à tripoter l’alternateur. Je percevais de temps à autre un coup de pince, ou le grattement d’un tournevis. Lorsqu’il se redressa, les mains écorchées par les fils électriques, son visage n’avait rien d’optimiste.
- J’ai peur que nous n’ayons pas le choix, Mc Eily. Il va falloir marcher.
Je caressai un instant l’idée d’enclencher la balise de détresse, mais nous étions censés rejoindre la base en toute discrétion, et c’était le meilleur moyen d’attirer une patrouille de xenops. Ouvrant le coffre, nous récupérâmes l’équipement le plus indispensable, et recouvrîmes le hoover de sa bâche. Les pelles nous servirent à le recouvrir de sable, le dissimulant grossièrement à la vue d’éventuels observateurs.
- Ça ne trompera jamais une unité de patrouilleurs, mais ça peut éviter la curiosité d’un nomade solitaire. - Tu as raison, reprit Doyle, allez, nous avons de la route à faire et la nuit va tomber.
Je chargeai mon sac sur mes épaules, m’assurant que le calibrateur magnétique était bien à l’abri dans la poche de mon harnais. Me voyant regarder, Doyle ne put s’empêcher de faire une remarque, tout en vérifiant la fermeture de son holster.
- On ne devrait pas le laisser là ? En l’enterrant on pourrait le récupérer au retour. Imagine qu’il nous arrive quelque chose… - S’il nous arrive quelque chose, nous avons peu de chances d’être en mesure de venir le récupérer ici mon grand. Je préfère l’avoir avec moi au cas où nous serions obligés de fuir par d’autres moyens, et d’abandonner le hoover. - Tu as peut-être raison. - J’ai toujours raison, souviens-t-en la prochaine fois que je te dirai que le moteur a un bruit.
Doyle soupira, tandis que j’ajustais la sangle du P907 dans mon dos. Après un dernier regard vers le hoover endormi sous sa bâche, nous prîmes la route de l’est.
- Merde j’en ai marre de ce sable !
Je me laissai tomber par terre, et entrepris de délacer pour la énième fois ma rangers gauche.
- Tu as fini ton cirque Mc Eily ? Tu n’auras pas fait cinquante mètres qu’il faudra de nouveau la vider ! - C’est bien ce que je déteste dans ce foutu désert ! Mais je suis content que ça ne t’empêche pas de marcher, toi. - Quelle gonzesse tu fais, quand même. Je me demande ce que dira Mae quand je lui raconterai ça. - C’est pour ça que je suis devenu pilote ! Si j’avais aimé ramper dans le sable, j’aurai postulé chez les marines, pas dans l’airforce!
Las de supporter ma mauvaise humeur, Doyle fit quelques mètres en avant et se perdit dans la contemplation du soleil couchant. J’avais vidé ma godasse du sable qu’elle contenait, et entrepris de la relacer le plus serré possible.
- J’avais peur d’arriver dans la nuit mais me voilà rassuré, reprit-il, à ce rythme nous y serons bien après l’aube. - C’est ça, Doyle, ton ironie est le meilleur remède à mon énervement.
Mais à l’image de Dantoïne, ma colère fut aussi brève qu’intense et nous repartîmes gaiement vers l’est, à la recherche d’une aide potentielle pour réparer le hoover. Doyle avait toutefois eu tort : ma chaussure fut de nouveau pleine de sable bien avant qu’on ait parcouru 50 mètres.
La nuit était glaciale, le thermomètre de ma montre flirtant avec les 30 degrés au-dessous de zéro. Je resserrais encore un peu la couverture de survie sur mes épaules, me forçant à agiter les orteils au fond de mes rangers pour éviter qu’ils ne gèlent.
- Je n’en peux plus Mc Eily, j’ai besoin de faire une pause. - Bonne idée, Doyle, avec ce froid c’est le meilleur moyen d’attraper la mort.
Je m’arrêtai néanmoins, le temps de consulter le GPS et d’estimer la distance restante. Nous avions fait un peu plus de la moitié du chemin et la route était encore longue. La marche se révélait largement plus pénible que prévu, et nous avions un mal de chien à soutenir un rythme décent. Nous nous enfoncions dans le sable jusqu’aux genoux, le froid rendant notre progression encore plus éprouvante. Je luttais pour ne pas claquer des dents, et réprimais du mieux possible les frissons qui me parcouraient l’échine. Nous marchâmes longtemps, ne gaspillant plus nos forces en inutiles bavardages, nous concentrant sur le rythme régulier qui nous portait en avant, mètre après mètre, pas après pas, vers une hypothétique et réconfortante chaleur.
- Et si les xenops occupent le village ?
Ça faisait un petit moment que cette idée me trottait dans la tête, le risque de voir notre utopique et hospitalière oasis se transformer en piège mortel ne m’enchantant que très modérément.
- Alors on essaiera de ne pas se faire voir.
C’était débile, mais c’était la seule réponse que mes neurones gelés avaient réussi à formuler.
- Bon, on y va ?
Nous étions allongés dans le sable, au sommet d’une dune un peu plus haute que les autres, la condensation de nos respirations haletantes traçant d’étranges arabesques dans l’air glacial. Je scrutais le village à l’aide des jumelles infrarouge que nous avions emportées, à la recherche d’une quelconque présence hostile. Les lieux semblaient déserts, et seule la fumée s’échappant des cheminées trahissaient la présence des habitants.
- Ça a l’air calme, je suppose qu’on peut y aller.
Il était bientôt quatre heures du matin, et nous étions l’un comme l’autre à bout de forces.
- Il y a peu de chances que nous trouvions un mécanicien dans ce bled, Doyle. Je pense qu’il vaut mieux rester prudents, se planquer, et tenter de piquer un alternateur sur un autre appareil. - En admettant qu’on en trouve un. Ça m’étonnerait qu’un de ces ploucs dispose d’un hoover, même bas de gamme, et on ne trouve pas des alternateurs magnétiques sur n’importe quoi… - Ouais, ben on verra sur place, d’abord on va essayer de ne pas mourir de froid. En route !
Nous nous redressâmes et reprîmes la direction du village en titubant, les jambes meurtries par les crampes et les pieds ankylosés par la morsure du froid.
- Alors, ça vient ? - Je fais ce que je peux ! Je ne sens plus mes doigts, ça ne m’aide pas à crocheter la serrure !
Nous avions traversé le camp en silence, hésitant à demander l’assistance des nomades endormis. J’ignorais tout de leur hospitalité, et c’était la Confédération qui par sa présence ici, avait amené les xenops à occuper la planète. Ils pouvaient très bien manifester une juste rancune envers deux soldats de la Confédération, même si cette dernière les avait toujours traités convenablement. Dans le doute, nous avions pris le parti de nous abriter dans une sorte de hutte, et d’aviser à l’aube quand le soleil se lèverait.
- Je peux vous aider ?
Je sursautai en entendant une voix derrière moi, et me retournai instinctivement en braquant le P907. Doyle lâcha le vieux cadenas et se retourna en sifflant entre ses dents.
- Putain, Mc Eily, c’est comme ça que tu fais le guet ?
Une jeune femme se tenait face à nous, les bras serrés autour de la poitrine. Elle était grande, pieds nus dans le sable, seulement vêtue d’une fine chemise de nuit sous laquelle pointaient ses tétons, durcis par le froid.
- Je… Euh… Nous…
Cette vision surréaliste me fit perdre mes moyens et je restais seulement là, bêtement planté devant elle, incapable d‘aligner une phrase cohérente. Doyle eut finalement la présence d’esprit d’abaisser le canon de mon arme, et de tenter un début d’explication.
- Nous sommes tombés en panne, à une trentaine de kilomètres à l’ouest d’ici. - Ça justifie en effet que vous soyez en train de forcer la porte de ma grange.
Doyle me lança un regard inquiet, hésitant probablement sur la conduite à adopter pour la suite des événements. J’essayais d’évaluer les différentes possibilités qui s’offraient à nous: cette fille n’avait pas donné l’alerte, nous pouvions donc encore la neutraliser en silence, essayer de trouver un véhicule à voler, et ficher le camp avant qu’on ne nous tombe dessus. Toutefois, les nomades de Dantoïne bien que ne prenant pas part au conflit, étaient de notre côté. J’avais donc des scrupules à me conduire comme un voleur ou un pirate… De plus, le regard que nous lançait cette femme était d’une intensité telle, que les grelottements qui agitaient son corps étaient assurément dûs au froid. Nullement à la peur.
- Je vous prie de nous excuser, repris-je. Nous sommes des pilotes de la Confédération et nous sommes tombés en panne comme vous l’a dit mon compagnon. Nous voulions trouver de l’aide mais vu l’heure tardive, nous avons craint votre réaction et préféré nous abriter discrètement pour nous protéger du froid. Nous n’avions aucunement l’intention de… - Venez, coupa-t-elle, ou nous allons tous mourir de froid.
La jeune femme fit volte-face, et nous entraîna à sa suite entre les petites baraques de brique et de toile. Ses pieds semblaient glisser à la surface du sable, contrairement à nous qui nous enfoncions lourdement, mais sa peau virait déjà au bleu sous l’effet de la température. Elle nous fit signe d’entrer dans une des maisons, écartant la lourde tenture de l’entrée. J’aperçus du coin de l’œil le signe discret qu’elle fit au passage, et surpris un éclair fugace dans l’ombre d’un autre abri. C’était peut être mon imagination, mais ça ne m’aurait pas étonné que nous ayons été tenus en joue dans la lunette d’un fusil de chasse, tout le temps qu’avait duré notre petite conversation. L’unique pièce était assez grande, le vaste espace central étant occupé par un lit de braises dans lequel se consumaient lentement des sortes de grosses cosses d’un fruit que je ne connaissais pas. Tout autour, d’épaisses draperies et coussins parsemaient le sol, donnant au lieu un air de confort et de chaleur irrésistible après l’horrible et glaciale traversée du désert que nous venions de vivre. Les côtés de la pièce s’élargissaient en étoile, des draps et des peaux tendues dessinant des cloisons entre les différents compartiments. La jeune femme s’accroupit devant le foyer, pour se réchauffer. Elle déplaçait lentement ses mains au-dessus des braises pour dégourdir ses doigts, et s’adressa à nous sans détourner la tête.
- Si vous vouliez bien déposer vos armes à l’entrée, ma mère serait rassurée et elle pourrait retourner se coucher.
J’aperçus la vieille femme que je n’avais pas remarquée jusque là, nous dévisageant en silence entre deux tentures. Je réprimai un frisson en apercevant la crosse d’un fusil dépasser derrière son coude, le canon pointé directement sur nous au travers du rideau.
- Bonsoir, marmonna Doyle, incertain de ce qu’il devait dire.
Voyant qu’elles restaient toutes deux silencieuses, je décidai d’enchaîner :
- Merci de votre hospitalité. - Vous ne croyez pas si bien dire, je vous sauve probablement la vie en vous hébergeant ici.
Elle enchaîna quelques instants après, devant notre mutisme.
- Déshabillez-vous et approchez, si vous tenez à sauver l’extrémité de vos membres.
Nous déposâmes nos armes près de l’entrée, comme elle nous l’avait demandé, et entreprîmes de nous déshabiller en grelottant. Le froid nous avait totalement engourdis, aussi c’est maladroitement que nous retirions nos vêtements, couche après couche. Lorsqu’elle se fut réchauffée, la jeune femme se leva et se dirigea vers la partie de la pièce où sa mère avait disparue. Nous les entendîmes échanger quelques mots entre elles, à voix basse, avant qu’elle ne revienne un petit pot de terre cuite à la main. Nous étions bêtement plantés devant le foyer, en sous-vêtements, encore grelottants malgré la chaleur ambiante régnant dans la maison. Elle me tendit le pot, et désigna Doyle de son autre main. - Frictionnez-le avec ça : frottez bien partout, sauf sur la tête et la gorge. - Qu’est-ce que c’est ? - De la graisse de skwamp. Elle va retenir votre température corporelle, et capter celle de la pièce. Soyez généreux sur les extrémités. Vous lui ferez la même chose lorsqu’il aura fini, ajouta-t-elle à l’attention de Doyle.
Elle disparut ensuite dans une autre pièce, d’où nous parvinrent des bruits de vaisselle.
- Ça n’a rien de sexuel, ne t’emballe pas, chuchotai-je à Doyle en commençant à lui appliquer la texture visqueuse sur le dos et les épaules.
Conscient des risques inhérents aux engelures, je me concentrais très sérieusement sur ma tâche, massant le corps gelé de mon compagnon avec application. A peine quelques minutes plus tard, je sentis une intense sensation de chaleur m’embraser, des picotements affreusement douloureux m’élançant les mains alors que le sang recommençait à circuler. La jeune femme revint s’asseoir face à nous et posa une théière sur le foyer de braises rougeoyantes. Elle dut voir nos douloureuses grimaces, à moins qu’elle ne soit tout simplement rompue à cette sensation, car elle ajouta sans sourciller :
- C’est bon signe, si ça fait mal. Une absence de douleur induirait que vos membres aient été gelés.
Lorsque j’eus fini de masser Doyle, je m’assis et il me retourna la faveur, d’agréables vagues de chaleur me parcourant au fur et à mesure qu’il étalait les couches de graisse sur ma peau. La théière émettait d’agréables sifflements, l’eau frémissant à l’intérieur. Notre hôtesse la retira du lit de braise, et remplit trois grands verres de thé brûlant qu’elle nous tendit.
- Buvez. - Merci.
Nous avions l’air de deux écoliers surpris par la pluie, rentrés précipitamment de l’école, qui se faisaient bichonner par leur mère. Je récupérais progressivement la sensibilité et l’usage de mes doigts, la chaleur captée par la graisse continuant de se répandre au travers de mon corps, sous les rugueuses caresses de Doyle. Je profitais de cet instant pour étudier la jeune femme d’un peu plus près. Elle était plutôt grande, et ses longs cheveux blonds ruisselaient en cascade sur ses épaules nues. Sa peau cuivrée était tannée par le soleil, de grands yeux bleus illuminant son visage fermé. Son corps montrait les stigmates d’une vie rude, ses mains calleuses prolongeant des bras musclés. Sa poitrine ferme était petite et bien dessinée, traçant sous la fine chemise de nuit des contours sensuels pleins de promesses. Elle avait l’accent de Dantoïne, mais la couleur de ses cheveux, celle de ses yeux ainsi que son langage sonnaient en discordance avec la culture et les caractéristiques génétiques locales. Je réfrénais mon envie de lui poser la question, et revins au sujet qui lui valait notre présence.
- Vous avez un garagiste ou un mécanicien ici ?
Elle me regarda silencieusement pendant quelques secondes, avant qu’un sourire n’illumine enfin son visage.
- Un garagiste ? Tout ce que vous trouverez par ici, soldat, c’est du sable. Que ferions-nous d’un garagiste ou d’un mécanicien ? - Ce campement est partiellement bâti de pierre. Je suppose que vous y passez un certain temps ? Vous n’avez pas de machines ? Aucun véhicule ?
Je ne m’étais jamais aventuré que dans les quelques grandes villes de Dantoïne, où les habitants avaient adopté un mode de vie sédentaire et relativement industrialisé. J’ignorais tout du mode de vie des nomades du désert, et m’en voulais de ne jamais avoir eu la curiosité de me renseigner sur le sujet.
- Non, reprit-elle, nous utilisons des outils que nous fabriquons nous même, avec ce que nous trouvons. C’est le seul moyen d’être sûrs de pouvoir les réparer, ou les remplacer. De plus, cette planète n’aime pas ceux qui ne s’adaptent pas à son mode de vie austère, elle les ressent comme votre organisme percevrait des corps étrangers, et cherche à s’en débarrasser. Elle a bien failli réussir avec vous ce soir, d’ailleurs.
Je réprimai un sourire devant la naïveté de ce genre de propos, imprégnés d’une forte culture tribale, et décidai de recentrer la conversation.
- Il n’y a personne dans les environs qui puisse nous aider à réparer un alternateur magnétique ?
Elle but quelques gorgées de thé avant de répondre, son regard pénétrant plongé dans le mien.
- Cela m’étonnerait sincèrement. Nous verrons demain, je réunirai le conseil à votre sujet. Maintenant je vais me coucher et vous devriez en faire autant.
Elle se leva et se dirigea vers un des espaces délimités par les tentures.
- Merci encore pour votre aide, lançai-je.
Elle se retourna et acquiesça d’un bref signe de tête, avant de disparaître derrière l’épais rideau. Nous nous allongeâmes près du foyer et nous endormîmes rapidement, épuisés par cette longue et éprouvante nuit de marche.
Je fus réveillé par la lumière du soleil, filtrant au travers des cloisons. Les braises étaient froides depuis longtemps, et Doyle ronflait à sa place comme un bienheureux. Je mis un instant à essayer de comprendre ce qui me collait à la peau, avant de me rappeler du tartinage de la nuit.
- Réveille-toi Doyle, il fait jour.
Il émergea doucement, s’étirant en silence. Je me levai et appelai pour voir si nous étions seuls. N’ayant pas de réponse, j’entrouvris la tenture de l’entrée pour jeter un œil au dehors. La chaleur me tomba dessus comme une chape de plomb, le désert ayant retrouvé toute la puissance de sa fournaise diurne. Je mis ma main sur mon front, improvisant une visière pour protéger mes yeux de la réverbération et jetai un œil circulaire autour de la maison. La jeune femme qui nous avait hébergés discutait un peu plus loin avec un autre type, et prit congé pour venir à ma rencontre lorsqu’elle m’aperçut.
- Vous voilà réveillés ! Bien reposés ? - Je, oui… Merci.
Elle me repoussa à l’intérieur, et se glissa sur mes talons.
- L’eau est trop précieuse pour que je puisse vous proposer de prendre une douche, mais je vais vous fournir de quoi vous nettoyer et vous débarrasser de la graisse de skwamp. J’ai demandé que le conseil se réunisse pour voir ce que nous pouvons faire pour vous : ses membres vous rencontreront ce soir. D’ici là, je vous propose de nous aider du mieux que vous le pourrez dans la vie de ce campement, ça vous permettra d‘être mieux perçus.
Je la remerciai du conseil et nous la suivîmes au dehors, vers une espèce de petite cahute en bois. Elle nous indiqua ce qu’il fallait faire, et je me glissai sous le réservoir après m’être déshabillé, un peu anxieux. Elle activa un levier sur le côté, un filet de sable se mettant aussitôt à couler, se répandant sur ma tête et mes épaules. Le sable était brûlant, et malgré la chaleur ambiante la sensation était très délassante. S’avançant ensuite à mes côtés, elle me tendit une sorte de gant rêche tissé en crins, visiblement amusée par ma pudeur.
- Frottez-vous vigoureusement, c’est le gant qui enlèvera la crasse.
Je m’exécutai, enchaînant selon ses indications les quelques étapes de cette étrange toilette du désert. A ma grande surprise lorsque ce fut terminé, je me sentis propre et détendu, comme après une véritable douche.
- Ça ne remplace pas une véritable toilette, mais ça permet de respecter un minimum d’hygiène à moindre frais, m’expliqua-t-elle en m’accompagnant vers la place centrale du campement. - Je m’aperçois que je ne connais même pas votre nom, remarquai-je. - Quel est le vôtre ? S’il me plaît, je vous dirai peut-être le mien. - Je m’appelle Mc Eily, et mon camarade s’appelle Doyle. - Très bien Mc Eily. Vous pouvez m’appeler Michelle.
Elle dut remarquer mon air interloqué, car elle reprit aussitôt.
- Ça ne vous plaît pas ? - Si, c’est juste que… Ça ne fait pas très couleur locale. Vos yeux et vos cheveux non plus d’ailleurs. - Je ne suis pas native de Dantoïne. Mais assez parlé de moi, vous vouliez mon nom, vous l’avez. Il est temps de se mettre au travail, venez.
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