Le téléphone bondit sur son socle, déchirant la quiétude du bureau.
Dino reposa l'écrin vide qu'il contemplait depuis une heure, et décrocha.
- Si ?
- Chef, c'est Dany...
- Tu l'as ? coupa Dino d'un ton cinglant.
- Non... Nous avons passé la propriété au peigne fin, je n'y comprends rien. Personne n'est entré ni sorti, je...
- Tu es un idiot, Dany ! Le voleur est encore là.
- Comment ça ?
- Juste avant d'arriver dans le bureau, j'ai croisé Mario dans le couloir. Ça ne m'a pas choqué sur le coup, mais il n'avait pas l'air tranquille.
- Tu penses qu'il a pu le...
- Tu es un idiot, Dany, mais tu connais ton travail. Si tu me dis qu'il n'y a personne dans la propriété, je ne vois que ça.
Le silence se prolongea au bout du fil, jusqu'à ce que Dany reprenne la parole.
- Qu'est-ce qu'on fait ?
- On n'a pas de temps à perdre, reprit Dino, il me faut le cadeau avant ce soir.
- Capito bene. Indigestion de pruneaux ?
- Si. Il va devoir sortir tôt ou tard. Suivez-le à la trace. Ne le perdez pas. Attendez qu'il dépose le colis pour le récupérer.
- Bien chef.
- Dany ?
- Si ?
- Bianca sera sûrement avec lui. Évitez de vous faire voir, je doute que le parrain apprécie qu'on traumatise sa petite-nièce.
- Entendu Dino.
- Une dernière chose Dany.
- Si ?
- Ne me déçois pas, ou cet échec sera le dernier.
- Si.
***
Esteban posa sa main sur l'épaule de son frère.
- Alors ?
Ce dernier fronça les sourcils, saisit son calepin et commença à prendre des notes qu'il serait seul à pouvoir relire.
Esteban retourna à l'arrière de la camionnette et jeta un œil au travers des autocollants sans tain qui recouvraient les vitres. Il n'arrivait toujours pas à croire au plan que son frère lui avait exposé deux jours auparavant, sur le parking de ce fast-food pourri de la banlieue milanaise.
« Ernesto m'a dit que le clan Di Martino avait reçu un colis très intéressant, en provenance directe d'Afrique du Sud.
Tu sais que j'ai bossé pendant six mois pour Telecom Italia ? Vise le topo : on pique une camionnette, cette nuit je mets la ligne téléphonique de la propriété sur écoute - je sais le faire - et on n'a plus qu'à guetter leurs conversations et trouver la bonne occase pour s’en emparer.
Béton, non ? »
Esteban n'avait pas assez de doigts pour compter les failles du plan de son frère : l'information invérifiable, les risques que la mise sur écoute foire ou soit découverte, la manière dont ils allaient récupérer le diamant, totalement inconnue, ou encore le simple fait que s'attaquer à la famille Di Martino n'était ni une mince affaire, ni une bonne idée.
Mais peut-être la galère, la fatigue, ou l'envie de sortir une fois pour toutes des emmerdes avaient-elles eu raison de sa prudence... Toujours est-il qu'il avait accepté.
Ils planquaient depuis l'aube dans une camionnette Telecom Italia et à en croire l'air fiévreux d'Eusebio, leur écoute semblait sur le point de porter ses fruits.
- On le tient !
Esteban se retourna vers son frère, qui se leva en arrachant le casque de ses oreilles.
- On le tient, Esteban !
- Développe, rétorqua ce dernier, à l'ombre d'un sourcil arqué.
- Un de leurs hommes l'a volé. Mais c'branque a été démasqué : ils vont lui régler son compte.
- Tu es sûr de ça ?
- Catégorique ! Ils vont le suivre et attendre une bonne occasion de le descendre pour récupérer le colis. Tout ce qu'on a à faire, c'est de les prendre en filature et de mettre la main dessus avant qu'ils ne passent à l'action. Y a une gamine qui pourrait rôder près du type en question. Au pire, si y a une embrouille, on n’aura qu'à la suivre elle.
Esteban croisa les bras pour masquer la chair de poule trahissant son appréhension.
- Je l'sens pas, ton plan.
- Oh, chie pas dans la colle ! Tu m'as suivi jusque-là, non ? C'est pas pour te dégonfler maintenant... Allez prépare-toi : dans moins de six heures, on sera riche !
- ... ou mort ! grommela Esteban en enfilant sa veste.
Tableau quatrième première partie : L'heure de la messe
Antonio reposa la statue qu'il nettoyait, et passa une main sur son front moite.
- Bonjour mon père !
Se retournant, il aperçut une petite silhouette se faufiler vers lui entre les rangées de bancs. Il s'agenouilla pour l'accueillir.
- Bonjour Bianca ! Comment vas-tu ?
La fillette secoua le bas de sa robe pour y faire circuler l'air et rajusta la barrette de ses cheveux pour dégager sa nuque.
- Il fait chauuuuud !
- Comme tu dis, sourit le prêtre. Je dois finir de ranger quelques affaires mais je suis à toi dans une minute. Tu devrais aller faire un tour dans la sacristie, il y fait meilleur qu'ici...
Bianca le remercia et se dirigea vers l'arrière du bâtiment.
***
- Qu'est-ce que ça veut dire ?
- J'en sais rien. Ça fait vingt minutes qu'on suit la môme, et il montre pas l'bout de son nez...
Esteban retira ses lunettes noires et scruta la porte de l'église où la fillette venait de disparaître.
- Il est peut-être déjà à l'intérieur ?
- Merde ! Voilà les autres qui débarquent !
Eusebio désigna du doigt trois types en costume Armani, sur le trottoir d'en face.
- J'y vais avant qu'ils entrent. Couvre-moi.
Il traversa la route d'un pas rapide et s'engouffra dans l'église. La fournaise du dehors disparut sous la fraîcheur ombragée de l'édifice. Eusebio se signa et, la main sur le pistolet dissimulé dans la poche de sa veste en jean, il parcourut rapidement les lieux du regard.
Il eut le temps de voir Bianca disparaître dans la sacristie, mais à part le curé qui nettoyait une statue, l'église était déserte. Conscient que le temps était compté, il se dirigea vers le prêtre.
- Bonjour.
Agostini posa les yeux sur son visiteur, qu'il étudia avec circonspection : aussi mal rasé que coiffé, l'œil terne, il n'avait pas l'air très catholique. Sans compter les mains enfoncées dans les poches de sa veste pas vraiment indispensable pour la saison...
- Bonjour mon fils. Puis-je vous aider ?
- Je cherche quelqu'un, Padre.
- Moi il y a longtemps que je l'ai trouvé, sourit le prêtre.
Eusebio sortit une main de sa poche et se frotta le menton.
- Vous n'avez vu entrer personne ?
- Je n'ai pas fait très attention.
Jetant un œil autour de lui, Estevez reprit :
- Elle est belle cette église mon père. Et il y fait meilleur que dehors. On peut visiter la sacristie ?
- Je regrette mon fils, la sacristie est en travaux. Mais prenez votre temps pour admirer les vitraux : ceux de cette aile sont superbes.
Estevez grogna un remerciement et se dirigea vers le coin que lui avait désigné le prêtre. Ce dernier le suivit des yeux et reprit le nettoyage de la statue qu'il n'avait pas lâché.
***
- ... Écoute, Chérie, je sais qu'on devait sortir ce soir...
- C'est chaque fois la même chose !
- Ça n'est pas de ma faute, Carolina... Je ne planifie pas mon emploi du temps avec les truands...
- On s'est mariés pour le meilleur et pour le pire, Carmine. Des fois, ce serait bien que tu consacres quelques instants au meilleur.
Cassaro referma sèchement son portable, et le rangea dans sa poche.
- Elle a raccroché, précisa-t-il à l'attention de Claudio, qui l'observait en silence.
- Elle n'a pas tort, Carmine. Tu vas finir par la perdre. À quand remonte votre dernière sortie ?
Cassaro ne répondit pas, le regard perdu dans la rue déserte.
- Si loin que ça ?
- Ne m'emmerde pas, Claudio ! J'ai assez d'une femme pour ça. Tu...
Carmine plissa les yeux, ébloui par le soleil, tachant d'identifier la petite silhouette qui grimpait les marches de l'église.
- Cette gamine, avec le chien là-bas ! Elle est déjà venue ici !
Claudio se pencha pour regarder, peu convaincu.
- Et alors ? On a le droit d'entrer dans une église, non ? Tu sais bien qu'Agostini a les faveurs du public, il doit bien les gagner d'une manière ou d'une autre.
- Ce mec n'est pas net, Claudio. C'est un pervers et je finirai par le coincer !
- La gamine... tu penses qu'il va... qu'il la… ?
- Non. Il est trop malin pour ça. Mais ça ne m'étonnerait pas qu'il l'utilise pour autre chose. Comme ces clodos qu'il héberge sous couvert de générosité.
Il sortit son cigare et se renfonça dans le siège défoncé de la vieille Fiat Ritmo.
- Mon petit doigt me dit qu'on ne planque pas pour rien, Claudio. Et il se trompe rarement, ajouta-t-il pour lui-même.
***
Dino Di Martino marchait vite, suivi de près par Dany et Diego, ses deux hommes de main les plus fidèles. Ils s'arrêtèrent à l'ombre d'un arbre, lorsque Bianca pénétra dans l'église.
- Bon sang, mais qu'est-ce qu'elle fout !
- Du calme, Dany. Sans tes conneries on n'en serait pas là. Ma tante m'a dit qu'elle allait souvent à l'église.
Dino alluma une cigarette et regarda sa montre : il ne restait que quelques heures avant l'anniversaire de son oncle, il fallait faire vite.
***
Carmine se redressa en apercevant les deux Hispaniques mal rasés qui venaient d'apparaître sur le trottoir. Ils échangèrent quelques mots, et l'un d'eux traversa la route avant de disparaître à l'intérieur de l'église.
- Claudio, tu as vu ces deux types ?
- Ouais. Pas le genre à venir brûler un cierge. Qu'est-ce qu'on fait ?
- Rien. S'il doit se passer quelque chose, il vaut mieux attendre. Prépare-toi à le filer à la sortie...
Claudio lui tapa sur l'épaule, désignant un coin à l'ombre des arbres, de l'autre côté de la rue.
- Merde, Carmine ! Si ces trois gravures de mode ne sont pas des porte-flingues de Di Martino !
- Tu ne crois pas si bien dire, confirma l'inspecteur, je reconnais même Dino, le neveu de cette vieille ordure !
- Qu'est-ce que ça veut dire ?
- Que ce padre est encore plus pourri que je ne l'aurais cru...
***
Eusebio Estevez se dirigeait vers la sacristie, le nez en l'air, faussement intéressé par les vitraux ciselés qui ornaient la rosace.
Arrivé devant la porte, il lança un regard au prêtre qui avait disparu. Profitant de l'occasion, il tendit la main et actionna la poignée.
Une poigne ferme se referma sur son épaule. Se retournant, il se retrouva nez à nez avec le curé, qui avait perdu son sourire.
- Vous aurez mal compris mes propos, mon fils, la sacristie est fermée au public.
- J'ai vu une gamine y entrer, Padre, je veux juste jeter un œil.
- Cette fillette est une de mes enfants de chœur, mentit Agostini. Je vais vous demander de partir.
Eusebio sortit son flingue et le pressa contre le ventre du prêtre.
- Ça suffit, l'cureton, t'as déjà vu un mec se prendre une balle ? C'est un peu comme se taper un pédé : devant t'as l'air normal... Mais derrière, t'as l'cul en fleur !
Antonio soutint son regard.
- Qu'est-ce que vous voulez ?
- J'te l'ai dit, je cherche quelqu'un. Je suis sûr qu'il est là-dedans.
- Il n'y a personne ici. Juste la fillette que vous avez vu entrer.
- C'est ça. Ouvre la porte.
- Qu'est-ce qui se passe ici ?
Les deux hommes se retournèrent vers l'entrée, d'où venaient de faire irruption Dino et ses lieutenants.
Estevez ne réfléchit pas : il pointa son arme vers les trois hommes et fit feu.
***
Tableau quatrième Deuxième partie : Du monde dans la sacristie
Les deux policiers patientaient dans la voiture, la sueur ruisselant sur leur front. Ils ne quittaient pas la rue des yeux :
Le basané se tenait devant la vitrine d'une librairie, perdu dans la contemplation des magazines, tandis que les trois autres se rapprochaient de la petite place.
Au bout d'un moment, Dino Di Martino jeta sa cigarette et l'écrasa du pied. Ses hommes sur les talons, il grimpa l'escalier de l'église et disparut à l'intérieur.
- Voilà qu'ils entrent à leur tour, remarqua Claudio. Qu'est-ce qu'on fait ?
Hésitant, Cassaro ne répondit pas. L'autre type s'était retourné et se dirigeait à son tour vers l'église. Il avait à peine mis le pied sur la première marche, que des coups de feu éclataient à l'intérieur.
***
- Merde ! Il...
Diego s'interrompit dans un râle, la gorge déchirée par une balle. Il tomba à genoux, la main crispée sur le cou, sa carotide projetant de longues giclées de sang sur les dalles noires et blanches de l'église.
Dino s'était jeté derrière une colonne tandis que Dany, flingue à la main, rampait entre les bancs vers la droite de l'église. Passant la tête sur le côté du pilier, il ouvrit le feu en direction d'Eusebio, qui plongea derrière l'autel.
- Dany ! Descends-moi cet enfoiré !
Dino fit feu à nouveau, les balles ricochant contre le lourd bloc de pierre. Voyant qu'il n'arriverait à rien de cette manière, Di Martino plongea au sol en direction de son lieutenant, pour contourner Eusebio par la droite. Il se redressa pour scruter l'autel. Une détonation à sa gauche, suivie du sifflement strident d'un ricochet sur la pierre, le fit sursauter. Tournant la tête, il aperçut Esteban, arme au poing, qui venait d'entrer dans l'église. Roulant sur lui-même, il se mit à l'abri derrière une colonne avant de riposter, obligeant Esteban à battre en retraite sur la gauche.
Accroupi, jetant de brefs regards entre les bancs, Esteban se faufilait vers l'autel lorsqu'une nouvelle série de coups de feu éclata au fond de l'église, suivis cette fois d'un cri strident qui lui glaça le sang : son frère.
***
Antonio s'était jeté au sol dès les premiers coups de feu et avait rampé à l'abri d'une colonne, en retrait d'Eusebio qui continuait à faire feu.
Tout était confus, des tirs venaient de partout, ricochant sur les vieilles pierres, éclatant le dossier des bancs centenaires, pulvérisant dans un vacarme démoniaque les magnifiques vitraux, dont la pluie cristalline semblait sonner le glas de la petite église.
Face contre terre, la tête sous les bras, Agostini ne réagit qu'au cri d'Eusebio s'effondrant sur le sol, les mains serrées sur la poitrine. Il aperçut le tireur en face de lui : couvert par le bruit des détonations près de l'entrée, il avait contourné l'autel par la droite et venait de surgir entre deux porte-cierges.
Antonio n'hésita pas. Il s'élança vers la porte de la sacristie sous les tirs du mafioso qui venait de l'apercevoir. Bondissant pour franchir les derniers mètres, il s'écrasa contre le panneau de la lourde porte qui s'ouvrit sous son poids.
- Police ! Lâchez tous vos armes et mettez les mains sur la tête !
Dany se figea dans son élan et s'accroupit derrière un prie-Dieu. Dino le rejoignit à quatre pattes, surveillant l'avancée des deux policiers entre les travées.
- Merde Dino, c'est quoi c'bordel ? D'où ils sortent, tous ces gus ?
- J'en sais rien. Je vais retenir les poulets, rattrape ce prêtre, je veux savoir où est passé Mario ! Et trouve Bianca, le Don ne voudrait pas qu'il lui arrive quelque chose... Je te couvre !
Dany approuva, et s'élança vers la sacristie. Se redressant derrière l'autel, Dino ouvrit le feu sur les policiers qui progressaient dans l'allée centrale.
Carmine plongea au sol, les balles sifflant à ses oreilles. À l'abri derrière un banc, il chercha Claudio du regard et le trouva de l'autre côté de l'allée, planqué derrière une statue de la vierge. Ce dernier lui confirma d'un signe de tête que tout allait bien, et fit feu en direction de l'autel.
Dino baissa la tête, laissant les balles achever leur course dans le mur du fond et riposta à nouveau.
La tête de la statue explosa au-dessus de Claudio, qui rentra les épaules instinctivement.
- Ces enfoirés ne respectent rien ! C'est la vierge Marie, merde !
- C'est le miracle de la foi : une vierge décapitée c'est un blasphème, mais un civil qui prend une balle perdue c'est juste un accident !
Jetant un œil dans l'allée, il reprit :
- Couvre-moi, je vais avancer !
Claudio hocha la tête, et se redressa à côté de la statue en tirant. Carmine s'élança sur la droite, suivant le chemin que les mafieux avaient emprunté.
Le cri le fit se retourner : le policier titubait en arrière, se tenant le bras. Sa tête partit en arrière sous l'impact du second tir, qui emporta l'arrière de son crâne. Une purée ocre moucheta les vieux bancs de bois vermoulu, tandis que Claudio s'effondrait à genoux, les yeux exorbités.
Cassaro resta figé un instant, incrédule, avant de se tourner vers l'autel. Il aperçut Dino disparaître dans la sacristie, la porte claquant derrière lui. Ivre de rage, il se lança à ses trousses, ouvrant la porte d'un coup de pied et se rua à l'intérieur, arme au poing.
Le silence reprit ses droits dans l'église, où seul un murmure subsistait, s'élevant entre deux rangées de chaises en une lente mélopée.
Esteban était penché sur son frère, les mains serrées sur la sienne. Il l'avait traîné à l'abri, profitant de la confusion ambiante pour se faire oublier. Ses yeux embués de larmes cherchèrent le regard de son frère, étendu sur les dalles froides de l'église.
- Ça va aller, Eusebio... On va sortir d'ici, je vais t'emmener à l'hôpital... Tu vas guérir, c'est...
- ... C'est fini... Esteban... te fatigue pas...
Eusebio s'interrompit pour cracher du sang, un souffle rauque s'échappant de sa poitrine ensanglantée. Serrant la main de son frère, il reprit :
- Le ciel m'appelle, frangin... Pas étonnant vu l'endroit...
Il parvint à sourire, une écume rougeâtre au bord des lèvres.
- Tu vas voir les anges avant moi, répondit Esteban. Plein de Demi Moore, nues sous leurs robes, rien que pour toi... Tu as de la chance, petit frère.
- Demi Moore ? Merde... J'ai toujours su que j'finirais en enfer...
Ses yeux se révulsèrent et sa tête heurta la dure pierre du sol. C'était terminé.
Esteban lui ferma les yeux et se dirigea vers la sacristie : son frère ne serait pas mort pour rien.
***
Carmine avançait en silence, son revolver tendu devant lui, les yeux plissés pour discerner les ombres. Il buta sur quelque chose et s'accroupit pour l'identifier. Il reconnut le corps de Dany, le premier des deux hommes.
Il n'était pas beau à voir. Étendu sur le dos, les bras en croix, la main encore crispée sur la crosse de son pistolet, on lui avait défoncé le crâne. Son front, fendu en deux, présentait un trou béant par lequel s'écoulaient les fluides de son crâne, mélangés à la bouillie de son cerveau. À côté de lui gisait un lourd crucifix, une de ses branches maculée de sang.
Cassaro retira son arme au cadavre, et la glissa dans sa poche.
- Toi mon pote, tu as été puni de la main de Dieu...
Se redressant, il reprit son exploration.
La détonation fut assourdissante, mais moins pénible que la douleur qui lui vrilla l'épaule. Cassaro s'effondra, son revolver glissant avec fracas sur les dalles de pierre. Hors de portée.
Une silhouette s'avança dans un rai de lumière, arme au poing.
- C'est fini, poulet. La poursuite s'arrête là.
Dino pointa son pistolet sur la tête de l'inspecteur, plié en deux sur le sol. La colère de Dieu le foudroya, brûlant ses tripes, mordant sa moelle. Ses jambes se dérobèrent sous son poids, le laissant s'écrouler à terre. Il sentit qu'on le désarmait d'un coup de pied, et trouva la force d'ouvrir les yeux.
Ce n'était pas la colère de Dieu : l'inspecteur lui faisait face, l'air mauvais, le pistolet à crosse de nacre de Dany à la main. Dino aperçut le trou encore fumant dans le fond de la poche de son imper.
- C'est pour ça qu'on désarme un mort, gamin : pour que son arme ne se retourne pas contre nous.
- Mon ventre... J'ai mal... une ambulance...
Cassaro sortit son portable, et composa le numéro des urgences. Il prit un air navré et raccrocha.
- J'ai pas de réseau, ici : les murs sont trop épais. On se croirait dans un mauvais Tarantino, hein ?
- Tarantino ? Qui c'est celui-là ? Encore une de ces putains de nouvelles familles napolitaines ?
- Laisse tomber... Tu aurais dû te choisir une autre tombe, Di Martino.
***
Tableau cinquième : Divine rédemption
Antonio Agostini se tenait à genoux, dans un coin sombre, le visage enfoncé dans les mains.
- ... pèrequiêtesaucieuxquetonnomsoitsanctifiéquetonrègnevienneque...
Il s'interrompit.
- Mon Dieu, pardonnez-moi ! Vous êtes témoin que je n'ai pas voulu ça...
Son attention fut attirée par un gémissement. Scrutant l'obscurité il aperçut un petit chien, plié en deux sur ses pattes arrière, le fixant intensément. Le chien souffrait comme lui, la douleur déformant son visage.
Un nuage se découvrit dans le ciel et la lumière jaillit par une des ouvertures de la sacristie, se posant sur l'animal. Il y eut un bruit, et le visage du chien s'éclaircit.
Antonio leva les yeux au ciel, implorant :
- Est-ce un signe, Seigneur ? Dois-je abandonner le masque de la souffrance ?
Reposant les yeux sur le chien, Agostini vit qu'il avait disparu, non sans laisser une belle crotte sur le sol de l'église. Furieux, Agostini se leva.
- Seigneur ! Je vous demande un signe, et vous permettez à cette créature de...
La lumière venait de faire briller quelque chose dans les excréments de l'animal.
Antonio s'approcha en plissant les yeux.
***
Épilogue : Miséricorde et bonne fortune
- Ici Maria Parloti, qui vous parle du parvis de la petite église San Maria, en compagnie du Père Antonio Agostini. On se souvient tous de la fusillade survenue ici il y a un an. L'enquête a révélé que deux bandes s'étaient affrontées pour récupérer un diamant volé, qui n'a au demeurant jamais été retrouvé... Mon père, vous venez d'apprendre que l'accusation d'homicide retenue contre vous avait été abandonnée, l'état de légitime défense ayant été établi. Est-ce que ça représente un soulagement ?
- On ne peut pas éprouver du soulagement pour avoir tué quelqu'un, mais le seigneur m'a pardonné. Je suis heureux que la justice des hommes en ait fait autant.
- Autre bonne nouvelle, votre église va être entièrement rénovée et une nouvelle aile construite pour accueillir les plus démunis. Comment prenez-vous ça, alors que la situation financière de la paroisse était dramatique ?
Antonio sourit avant de répondre.
- Les voies du seigneur sont impénétrables. Celles de ses créatures sont souvent plus nauséabondes mais il faut garder espoir : il en sort parfois de l'or.
***
- Tu es déjà debout Esteban ?
- Oui. Je voulais voir le soleil se lever, avant que les ouvriers ne reprennent les travaux de la maison.
Pamela eut un petit rire en l'embrassant.
- Et bien moi je vais me baigner. Rejoins-moi si le cœur t'en dit.
Il suivit son déhanchement des yeux, jusqu'à ce qu'elle plonge dans l'eau fraîche de la piscine. Elle avait vraiment quelque chose de Demi Moore.
Esteban finit son verre d'un trait et le leva vers les nuages blancs qui s'étiraient sous le soleil.
- À la tienne, frangin !
Il se leva et courut vers l'eau fraîche qui miroitait sous le soleil.
***
- C'est vrai ?
- Puisque je te le dis, Carolina ! L'unité d'élite anticriminalité que je réclame depuis dix ans va enfin être créée !
- Mais... Je croyais qu'il n'y avait pas de budget...
Cassaro vida son verre et le reposa en haussant les épaules.
- Tu sais, un budget ça se trouve. Suffit de savoir où chercher...
Le visage de sa femme s'illumina.
- J'étais sûre que tes efforts paieraient un jour, Carmine ! Ça veut dire qu'on va enfin avoir du temps pour nous ?
- Eh bien... Je suis nommé à la tête de cette unité, mais je te promets qu'on va en trouver.
Se tournant vers la fenêtre, l'inspecteur laissa courir son regard sur les toits de Naples. La vie lui donnait enfin les moyens de prendre soin de l'amour de sa vie, ça ne se refusait pas.
***
Don Di Martino se leva de son fauteuil pour accueillir sa petite-nièce.
- Comme tu as grandi !
La fillette rougit, serrant son chien dans ses bras.
- Tu voulais me demander quelque chose, Bianca ?
- Non, je... Je voulais t'offrir un cadeau pour ton anniversaire... J'ai pas eu l'occasion l'an dernier, avec tout ce qui s'est passé...
Di Martino s'approcha et la prit dans ses bras. Ça avait été une rude épreuve pour elle.
Bianca se recula timidement et lui tendit une petite boîte.
Le vieil homme sourit et l'ouvrit. Il resta bouche bée devant son contenu.
- Où as-tu trouvé ça ?
- C'est Mario qui me l'a apporté, sourit la petite fille en caressant le chien, il trouve toujours des tas de trésors !