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Horreur/Épouvante
NolweenEawy : Page blanche
 Publié le 07/05/08  -  9 commentaires  -  5808 caractères  -  88 lectures    Autres textes du même auteur

Assise dans la pénombre de ma chambre je tente de me concentrer sur des bruits familiers.
Je tends une oreille avide au moindre souffle de vent qui se glisserait par la fenêtre entrouverte, au moindre craquement du parquet, aux coassements des grenouilles qui devraient s’ébattre dans le marais tout proche...


Page blanche


« Lire c'est recréer l'âme des choses, écrire c'est fabriquer un nid pour les œufs de la mémoire... »

Ernest Pépin



Assise dans la pénombre de ma chambre je tente de me concentrer sur des bruits familiers.

Je tends une oreille avide au moindre souffle de vent qui se glisserait par la fenêtre entrouverte, au moindre craquement du parquet, aux coassements des grenouilles qui devraient s’ébattre dans le marais tout proche.


Mais le monde qui m’entoure n’est que silence.


« Ils » font disparaître tous ces bruits que j’affectionne tant et font régner les ténèbres.


Le monde s’est éteint, même la lune semble s’être enfuie. Seule ma bougie émet une faible lueur dans cette chambre qui devient sinistre. Les meubles font place à des ombres terrifiantes et mes jouets semblent prendre vie. Ils observent mes moindres faits et gestes, je n’ose bouger de peur de les mettre en colère.


Je ferme les yeux et me concentre encore pour entendre quelque chose qui me rappellerait que je suis chez moi. Le robinet de la cuisine qui goutte, les ronflements de papa ou les ronronnements du chat qui s’endort toujours devant ma porte. Même un rat qui se faufilerait dans les combles à la recherche d’un encas. J’ai toujours eu horreur des rats mais cette nuit je donnerais n’importe quoi pour entendre leurs petites pattes trottiner au-dessus de ma tête.


Seuls les battements de mon cœur parviennent à mes oreilles. L’angoisse naissante cogne dans mes tempes. Ma maison est en proie aux limbes, elle agonise. Elle aussi craint la nuit et devient incapable de nous protéger. « Ils » la rongent de part en part tels des termites sanguinaires. « Ils » envahissent chaque parcelle de son être, chacune de ses planches et dévorent ses « chairs ». J’ai parfois l’impression d’entendre ses plaintes. Des larmes coulent à travers ses fissures une fois la nuit venue. Elle se meurt chaque jour un peu plus.


Les larmes coulent également sur mon visage. Je suis épuisée par ces longues nuits d’insomnie. À ne jamais dormir, je vais finir par perdre la raison.

Peut-être que tout cela n’existe que dans mon esprit de petite fille torturée ?

Je n’en crois pas un mot, « ils » sont là, tapis dans l’ombre attendant le moindre signe de faiblesse de ma part pour nous emporter tous.

Le silence est brisé tout à coup par des grincements. Les ombres sortent de leurs tanières.

Mes poupées se mettent à sourire cruellement, elles sont vidées de leurs âmes et deviennent leurs messagers. Mon ourson fétiche se tord de douleur en proie à des coups invisibles. Il paie au prix fort son éternelle fidélité. Je n’aurais jamais dû le laisser seul sur mon lit. J'aurais dû me douter « qu'ils » s’en prendraient à lui à la première occasion.


Je quitte ma chaise lentement pour le mettre en sécurité dans mes bras. Hélas, la bataille s’annonce rude, ils le tiennent et refusent de le relâcher. Ce sont des larmes de colère qui coulent sur mon visage désormais. « Ils » ne l’auront pas. Je le tire vers moi, autant que mes faibles forces de petite fille de huit ans me le permettent. Je hurle à pleins poumons pour qu’ils le laissent tranquille.


L’obscurité s’intensifie, les ombres se font plus denses. Ils consument l’air ambiant. Peut-être tentent-ils de m’asphyxier ? « Ils » ne m’auront pas.

Je tire d’un coup sec et désespéré sur mon ourson qui finit par venir, non sans avoir perdu un membre dans la bataille.

Il souffre et pleure dans mes bras… je les maudis du plus profond de mon être.

Je me précipite sur ma feuille, mon ourson écrasé contre mon torse, en priant pour que l’unique source de lumière de la pièce ne s’éteigne pas.

Je taille mon crayon frénétiquement, je dois écrire quelque chose… il faut que j’écrive. C’est la seule façon de les tenir éloignés.


Ils craignent mes mots, mes points et mes virgules. La pointe de mon crayon crève leurs yeux, mes mots les torturent, mes ponctuations les enchaînent. Mes histoires sont pour eux des damnations qui les affaiblissent peu à peu.


Je sèche mes larmes et tente de contenir les tremblements de ma main. Un seul faux pas et tout sera fini. Je tiens Charlie mon ourson, tout contre moi, ses larmes coulent sur mon pyjama.


- Ça va aller Charlie, ils partiront, je te le jure… tout va bien aller.


Pour la première fois, depuis de longs mois, je n’y crois plus. Je me remets à trembler de plus belle. Les battements de mon cœur s’accélèrent, martèlent mes tempes et emplissent ma tête de bruits obscurs. Je reste assise devant ma page blanche, pour la première fois aucun mot ne parvient à sortir de mon âme à travers mes mains.


Je regarde ces feuilles et ces cahiers, alourdis par les mots, qui s’entassent sur mon bureau avec nostalgie. Une histoire, un conte… simplement quelques phrases… je vous en prie, n’importe quoi que je puisse écrire sur cette maudite feuille. Mes idées s’entremêlent en une cadence infernale, les mots s’évaporent avant que je ne puisse les saisir.


J’entends leurs rires résonner dans les recoins sombres, depuis la plus petite fissure. Leurs ombres volent au-dessus de ma tête et frôlent mon visage.


La maison se déchire de toute part, j’entends son agonie.


Je froisse ma feuille rageusement et en prends une autre qui reste tout aussi vide. Pas le moindre mot, pas le plus petit début de conte de fées. Aucun être magique ne semble vouloir apparaître et me venir en aide. Je repose mon crayon et serre Charlie contre moi. Il ne pleure plus… il sait que la fin est proche.


Je ferme les yeux et écoute tous ces bruits. Ma maison est dévorée par les ténèbres. Ma maison et tout ce qui s’y trouve se meurent.


La page blanche se teinte violemment du rouge vermillon de mon sang… tout est fini.



 
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   strega   
7/5/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Oh... ben moi j'ai bien aimé. J'ai trouvé la description des sensations plutôt réaliste et surtout efficace.

Bien sûr, la petite fille dans sa chambre, terrifiée par je ne sais quoi, c'est très classique, mais lorsque c'est bien écrit, ça marche toujours.

J'ai préféré la fin de l'histoire car avec un rythme plus soutenu, mais c'est logique puisque c'est la fin.

Je regrette les guillemets (non systématiques en plus) pour "Ils". Peut-être cela aurait eu plus de force sans guillemets, laissant planer un peu plus le doute, je ne sais pas.

Bref, la forme m'a vraiment plus, j'attends de lire sur un fond un peu plus original peut-être.

   widjet   
7/5/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Un premier texte court et plutot prometteur. L'utilisation des mots est variée, et dans un style efficace et non dénué de personnalité , l'auteure, sans trop en faire, parvient à y glisser un soupçon d'effroi, une terreur enfantine tout à fait convaincante.

Bravo.

Widjet

   Pat   
11/5/2008
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Ecrire pour survivre, l’idée est intéressante… mais le choix de la narratrice ne me convainc pas. C’est trop élaboré pour une petite fille de 8 ans. Certaines dimensions appartiennent effectivement au monde de l’enfance et à ses terreurs nocturnes (la peur exagérée, la relation avec le nounours) mais le langage est trop soutenu, trop intellectuel pour une enfant de cet âge. Ça donne l’impression que l’auteur a voulu introduire différentes trames dans son récit qui ne collent pas ensemble. L’écriture comme moyen contraphobique chez un enfant, ça ne me semble pas très plausible, surtout l’écriture élaborée comme celle qu’elle décrit.
Je trouve très exagérée la peur qu’inspirent les ténèbres, ou plus exactement la manière de la décrire, d’autant plus qu’elle est évoquée d’emblée… Un crescendo aurait donné une atmosphère plus angoissante, plus de suspense…
« L’angoisse naissante cogne dans mes tempes. Ma maison est en proie aux limbes, elle agonise. Elle aussi craint la nuit et devient incapable de nous protéger. » : Passer de l’angoisse naissante à l’agonie, ça va trop vite… le texte est trop explicatif, démonstratif… Pour que ça soit plus percutant, il n’y a pas forcément besoin d’expressions qui en rajoutent un peu trop, à mon goût. Il faut aussi laisser le lecteur faire lui-même ses propres associations, ne pas le conduire de manière si directive… pour qu’il puisse y convoquer ses propres peurs. Cela doit surtout venir des situations décrites (une réaction du personnage peut être plus « parlante » que la description de ses ressentis, même s’il faut aussi les suggérer… mais les suggérer sans trop en faire. « je les maudis du plus profond de mon être. » : ça fait quand même cliché, par exemple).
Ceci dit, c’est plutôt bien écrit. J’aime bien aussi l’idée de la personnification de la maison qui participe au sentiment d’angoisse que l’auteur a voulu créer. Il y a indéniablement la capacité, ici, de mettre en place une atmosphère (avec les restrictions que j’ai évoquées plus haut), de décrire un environnement et un imaginaire qui ne demande qu’à s’exprimer…

   xuanvincent   
11/5/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Le sujet - celui de la page blanche - m'a intéressée. Mais je suis d'accord avec Pat, certains propos, le niveau de réflexion de la narratrice, ne me paraissent pas être celui d'une enfant de 8 ans mais plutôt celui d'une adulte.

Sinon, le texte, bien écrit, se lit bien. On se demande qui sont ces "ils" que craint la fillette. J'ai été par ailleurs sensible à ces terreurs enfantines que nous avons tous, il y a plus moins longtemps, connues.

Pour la structure, j'aime assez le début et la fin (malgré son tragique).

   calouet   
12/5/2008
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
La description est bonne, mieux que ça même... Les guillemets ne servent à rien, j'aurais mieux aimé sans. Quelques clichés aussi, dans certaines tournures, certains objets (la bougie...), et même la cchute, qui est un gros gros poncif éculé jusqu'à la rate (c'est parlant, non?). J'imagine, je crois deviner, que tu ne savais pas comment finir et, un peu comme je le fais trop souvent, tu n'as que cette idée-là pour conclure... Bof. Dommage, car ça reste pas mal du tout. Le personnage du nounours, tout ça, j'ai bien aimé.

   Dextroman   
31/7/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'ai bien aimé cette petite histoire, basée uniquement sur les sensations de la fillette fort bien décrites...

Bravo !

   Marchombre   
2/8/2008
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Même thème que Brumes, mais j'apprécie moins, effectivement, on te sent moins dans la peau de la fillette

   NolweenEawy   
27/5/2010
Commentaire modéré

   Anonyme   
27/5/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Eh... excellent! Choisir une fillette comme protagoniste d'une nouvelle terrifiante est très "couillu" si tu me passes l'expression^^
Le style est soutenu sans être lourd, et tu parviens en quelques lignes à rendre le personnage attachant, voire à nous émouvoir (je pense notamment à "Je sèche mes larmes et tente de contenir les tremblements de ma main. Un seul faux pas et tout sera fini. Je tiens Charlie mon ourson, tout contre moi, ses larmes coulent sur mon pyjama.").
Très bonne nouvelle.

   monlokiana   
28/6/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↓
"Assise dans la pénombre de ma chambre je tente de me concentrer sur des bruits familiers.
Je tends une oreille avide au moindre souffle de vent qui se glisserait par la fenêtre entrouverte, au moindre craquement du parquet, aux coassements des grenouilles qui devraient s’ébattre dans le marais tout proche." je pense que c'était totalement inutile de mettre cette phrase et dans la présentation, et dans le début du texte. De ce fait, on le lit deux fois...
Le récit est fluide. Cependant, l'écriture trahit un aspect du texte: il ne ressemble pas au langage d'une petite fille de huit ans. Personnellement, j'ai senti que c'était une fille de huit ans qui parlait qu'à ce moment: "Je le tire vers moi autant que mes faibles forces de petite fille de huit ans me le permettent.
Les sentiments sont bien décrits, on sent que la narratrice a vraiment peur. La fin, quant à elle, illustre très bien, un moment de frisson...


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