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Réalisme/Historique
Nouvelles : Le carnaval de Bamako
 Publié le 31/10/13  -  9 commentaires  -  5086 caractères  -  159 lectures    Autres textes du même auteur

Le personnage narrateur a une révélation durant une visite du zoo de Bamako.


Le carnaval de Bamako


« Il n'y a que la mort qui soit vivante dans ce singulier monde qu'on appelle la vie ! »

Jules BARBEY d’AUREVILLY, Memorandum.


Eureka ! J’ai trouvé un pays où la vie se crie et se rit ; où l’on montre le tréfonds, le trognon du monde, où l’on se dépouille de toute superfluité, pour n’exhiber de l’existence que le fondement, que l’essentiel, que le squelette, mais un squelette, trépidant, excitant et dansant, aussi horrifique que magnifique !

Vive la véridique, cachectique et eschatologique Afrique ! La mirifique, frénétique et apocalyptique Afrique !

Elle a tant de leçons à nous donner, à nous autres Européens au sens émaciés, aux graisses prononcées, aux sexes tronqués, aux cervelles stressées !


Égouts à ciel ouvert, aux regards offerts ! Rats, ordures, pollutions, surpopulations ! Bêtes inanitiées, blessées ou crevées ! Ô enfants abandonnés, profonde vérité des familles ! Adolescents dénudés exhibant une ébène raffinée et racée! Hommes aux corps minces et vigoureux, giacomettiques à souhait ! Zéro pour cent de matière grasse, le rêve des ventrus de chez nous ! Sens, sexes, seins, fesses exacerbés, aérés, libérés ! Malades, moribonds, estropiés, vieillards ! Rires, sourires, grimaces, vociférations, outrances, violences, gesticulations, ablutions, chants, murmures, prières, pleurs, rythmes ! La vie est dense et elle danse ! Tout est mélangé, tout est montré, c’est le Grand Dévoilement, le miracle d’une société sans cosmétiques, le Carnaval à la place de la comédie ! On demande et on crie : « Merci ! »


Feu d’artifice de la vie sans artifice !



Un jour, pour faire plaisir à des enfants, je décidai d’aller au zoo de Bamako. J’ignorais que j’y toucherais le fonds de la vie.

Au début de la visite, on voyait les animaux dans les mêmes conditions d’emprisonnement que chez nous : horreur ordinaire à l’européenne.

Ensuite, authenticité oblige, on franchit un pas dans l’horreur, grâce aux fauves. En effet, ce que la ville ne peut pas faire pour les hommes condamnés, par manque de moyens, Bamako le fait pour ses bêtes captives : l’enfermement cellulaire individuel. Ainsi, chaque petite cage contient un seul carnassier et un aménagement intérieur beckettien : le néant avec un tronc mort au milieu. On connaît l’effet de l’isolement sur l’humain, alors, on peut l’imaginer sur l’animal, cet être infiniment plus sociable !

Il n’y a ici aucune volonté d’atténuer la souffrance de la captivité, de donner un peu l’illusion du dehors, de son habitat d’origine, à la bête, ou du bien-être animalier au visiteur : on y a renoncé par sagesse et pauvreté.


Nous dépassâmes ces geôles pour gravir un nouveau degré dans la révélation.

Au détour d’un chemin, nous découvrîmes un petit ruisseau de sang ; en remontant son cours, nous avisâmes alors une tête de cheval grimaçante, détachée du corps que deux hommes étaient en train de débiter, pour le nourrissage des carnivores.

On voit tout, on montre tout, on ne vous prend pas pour des cons, je vous l’avais bien dit ! En pleine rue donc l’abattoir ! Pas caché derrière d’immenses remparts comme chez nous, mais à la vue de tous, petits et grands ; pas de théâtre ici, pas de scène, que le spectacle vivant !


Des enfants mendiants, n’ayant jamais mangé de viande, regardaient avec étonnement, et un peu d’avidité (ils étaient bien sûr rentrés sans payer, par un des trous nombreux de la clôture). Je leur offris quelques biscuits, je m’attendais à ce qu’ils les avalassent goulûment, mais ils se mirent à les croquer miettes à miettes, précautionneusement, à les sucer plus qu’à les manger, et, j’ajoute ceci qui est vrai : lorsque je revins environ une heure après et les revis, certains enfants léchaient encore délicatement des fragments sucrés…

Allons, notre initiation continue ! Le dévoilement ne fait que commencer ! L’apothéose est à venir !

Nous redescendîmes des hauteurs du zoo où sont les fauves (il est bâti sur une colline), en direction des cages en contrebas : petits herbivores, crocodiles, oiseaux, singes végétaient, comme il se doit… le tout enfoncé dans une boue profonde, car nous étions à la saison des pluies… et puis… une cage vide, enfin, pas vide : pleine de sens !

En effet, elle exhibait en son centre, émergeant de la fange, luisant, glorieux, incorruptible, un squelette de gros animal qui semblait dire, flottant sur cette houle de boue depuis des temps immémoriaux, tel le pavillon fier et comminatoire d’un bateau pirate : « On ne m’arrachera pas de là, craignez-moi et regardez-moi bien en face, je suis votre vérité ! »


Les gens cherchaient d’abord ce que contenait cette cellule, puis apercevant le squelette se détournaient ; mais, la leçon était entrée en eux : le dessillement avait opéré, ils avaient vu et compris ce qu’est au fond la captivité, et plus largement la vie !



La rude allégorie, la brute parabole, le barbare évangile, que cette cage scandaleuse avec son prophète macabre trônant au milieu, son squelette étendard voguant crânement sur la houle de boue du zoo de Bamako !



 
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   Anonyme   
14/10/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↑
L'allégorie, oui, la "rude allégorie" me paraît fort bien vue, et j'eusse aimé avoir une chance, comme lectrice, de la dégager seule des faits, comme a dû le faire le narrateur. Là, il m'assène sa sagesse avec véhémence...

Le texte est efficace, je pense qu'il le serait encore davantage en jouant sur l'understatement ou le simple rapport journalistique plutôt que l'ironie indignée et l'interpellation. Mais c'est votre choix, je n'ai pas à le discuter. Simplement, comme lectrice, il m'a bousculée. C'était peut-être bien le but !
J'ai trouvé particulièrement bouleversants les enfants mendiants qui suçotent les biscuits pour mieux apprécier, supposé-je, ce festin si rare (et tiens, voyez, ce paragraphe est donné de manière toute factuelle), et bien sûr la vanité, le "memento mori" que constitue le squelette dans la cage.

   monlokiana   
25/10/2013
 a aimé ce texte 
Bien
La description de l'Afrique dans cette courte nouvelle est très authentique, je n'avais d'ailleurs jamais lu quelqu'un décrire aussi bien ce bon vieux continent de cette façon, de la façon dont vous l'avez faite. J'apprécie vraiment, c'est même un peu poétique. Le personnage a tendance à comparer l'Afrique à l'Europe, a montrer sa préférence pour l'Afrique, les points de divergences, d'un coté comme de l'autre.
J'ai bien aimé votre histoire, merci de l'avoir partagé avec nous.

   Pepito   
1/11/2013
 a aimé ce texte 
Vraiment pas
Forme: le démarrage m'a inquiété... encore un auteur écrivant avec le dico ouvert sur les genoux. Puis cela s'arrange (ou on s'y fait) et quelques trouvailles comme "giacomettiques" sont appréciables.
A tel point que "Au début de la visite, on voyait les animaux..." choque par son "on" facilement évitable.
Une écriture efficace, donc.

Fond : là, par contre, nous avons tout ce que je déteste du voyageur riche.

Et c'est parti pour "l'Afrique" ! Quel pays, quel région ? On s'en moque, c'est l'Afrique... c'est partout pareil l'Afrique, c'est bien connu.
Un peu comme l'Europe... Vous voyez, vous, une différence entre un Norvégien et un Sicilien ? Non ? Evidemment...
Au passage, idem pour les animaux "On connaît l’effet de l’isolement sur l’humain, alors, on peut l’imaginer sur l’animal, cet être infiniment plus sociable ! " Ben non, c'est faux. Les carnivores sont excessivement solitaires, contrairement aux équidés et autres herbivores. Mais, au fond vous avez raison, ce sont tous des animaux.

Je passe sur la glorification des égouts à ciel ouverts, pas que je n'arrive pas à pincer des narines comme tout un chacun, mais je traduit systématiquement ce genre de détail en mortalité infantile... et là, je trouve le spectacle beaucoup moins poétique.

On arrive donc au point d'orgue, les enfants : ", j’ajoute ceci qui est vrai : lorsque je revins environ une heure après et les revis, certains enfants léchaient encore délicatement des fragments sucrés…"... (mais) "L’apothéose est à venir ! "
... c'est de l'humour ?

J'ai déjà entendu de bien pires histoires, par des gens simples ne faisant que répéter des choses entendues et nullement réfléchies. En aucun cas elles n'avaient votre niveau d'écriture, et par là même, votre instruction...

Quel que soit l'endroit du monde, je n'ai pas à juger des ses us et coutumes locales. Par contre, mon voisin de palier qui va me ramener une telle histoire d'un de ses voyages, je vais m’empresser d'aller dégueuler sur son paillasson.

Pepito

   senglar   
31/10/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bonjour Nouvelles,


Un texte qui ne manque pas de faconde, en bousculade de mots, luxuriant pour décrire une non-luxuriance, la face cachée de l'Afrique au travers de la face visible d'un zoo, dénaturation des animaux mais aussi des gens.

L'auteur semble parler d'expérience et sa révolte est véhémente.

Peut-il me dire si ce texte est d'actualité ? Le Net me dit que le zoo de Bamako a été rénové en 2013 et les reportages afférents me montrent des espaces herbeux et boisés, propres et nets, des animaux à l'oeil vif et au poil brillant, des bâtiments et des cages bien entretenus...
Alors ? Alors ? Qu'en est-il (étant entendu que la place d'un animal n'est pas dans un zoo) ?


(-) à cause d'un certain amphigourisme :) mais il y a un style ici, et aussi de la culture.


Senglar-Brabant

   Marite   
1/11/2013
" Feu d’artifice de la vie sans artifice ! " si j'adhère à cette affirmation je suis par contre bien plus réservée pour d'autres qui émaillent ce texte.
Ce qui me gêne un peu ... beaucoup ... c'est cette façon de réduire un continent entier à cette promenade dans un zoo à Bamako ! Certes, l'auteur veut nous faire part de la révélation qu'il a eu suite à cette visite : la vie n'est que temporaire et nous sommes tous appelés à devenir des squelettes ... enfin c'est ce que j'ai compris car la façon de relater les détails n'en fait pas l'élément essentiel du récit.
Les conceptions de la Vie, de la Mort sont fondamentalement différentes de celles qui prévalent en Europe. Impossible d'esquiver cette étape toute naturelle.
Autre chose qui m'a gêné : l'anecdote au sujet des enfants et des biscuits ... ce qui ressort, enfin pour moi, c'est ce sentiment de supériorité qui flotte à travers cette description.
Une vision condensée, accélérée à mon sens. Réaliste sans aucun doute mais il serait certainement possible de produire un texte semblable sur l' Europe en se limitant à une visite-éclair dans un lieu quelconque peu représentatif du continent et ensuite en faire une généralité.
Disons que je prends ce texte comme un compte-rendu rassurant pour l'auteur : en Afrique ils ne sont pas capables d'avoir des zoos corrects ... et je souris seulement.

   Robot   
1/11/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Cette seule question:
Si je traverse un camp de Roms en région lyonnaise, devrais-je en déduire qu'il s'agit de l'image de toute l'Europe ?
Je ne nie pas les qualités du texte, mais c'est le bien fondé de la généralisation du zoo de Bamako à toute l'Afrique qui m'indispose.

Car vous dites: j'ai trouvé un "pays" et à partir de là, vive la véridique "Afrique" que vous décrivez ensuite en fonction de votre visite au parc animalier.
Sinon, la description réaliste de votre visite au zoo est d'une grande force.

   Pimpette   
1/11/2013
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Texte d'une puissance jamais vue ic!
Le sujet par lui même a le mérite d'une grande singularité coulé dans un style d'une vigueur incroyable!
Une vérité qui fusille le lecteur

Je sors de là horrifiée, bouleversée, je ne sais comment dire

Rien ici de la petite litterature habituelle!
je note très haut

   Anonyme   
6/11/2013
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Bonjour Nouvelles,

Votre texte comporte deux volets narratifs. L’un est purement rédactionnel, et relève de la propagande journaleuse, disons toute la première partie, avec des phrases du type :
- « Elle a tant de leçons à nous donner, à nous autres Européens au sens émaciés, aux graisses prononcées, aux sexes tronqués, aux cervelles stressées ! »
- « Au début de la visite, on voyait les animaux dans les mêmes conditions d’emprisonnement que chez nous : horreur ordinaire à l’européenne. Ensuite, authenticité oblige, on franchit un pas dans l’horreur, grâce aux fauves. » etc….

Pour moi ce n’est en aucun cas de la littérature. Seule la seconde partie du texte (à partir de « des enfants mendiants…) pourrait à la rigueur s’en réclamer, si elle n’était à nouveau polluée par des expressions comme : « Allons, notre initiation continue ! Le dévoilement ne fait que commencer ! L’apothéose est à venir ! ». Là, je me demande franchement si vous ne fournissez pas la tétine avec. Qu’est-ce que vous diriez si vous visitiez certaines de nos maisons de retraites fermées encore récemment pour maltraitance humaine ?

Je n’ai pas compris votre message. Je ne sais pas si le narrateur est un facho raciste ou un anachorète en vadrouille. Je n’ai pas compris si les quelques biscuits qui traînaient dans ses poches nourrissaient des bêtes (« je m’attendais à ce qu’ils les avalassent goulûment ») ou juste quelques enfants qui apprécient les sucreries comme tous les enfants du monde. Ça me rappelle un séjour dans la baie d’Acapulco, où des touristes américains et européens jetaient depuis le pont d’un bateau des pièces de monnaie (même pas des billets de 1$ qui flottent) à des gamins qui nageaient comme des dératés pour en choper une. Ils les traitaient même de cons quand ils n’y arrivaient pas.

Je n’ai pas compris si le narrateur voit les africains comme des barbares ou s’il a envie de les aider autrement qu’avec des langues de chat ou des Chupa Chups. En tout cas, une chose est sûre, je déteste ce narrateur.

Je n’ai rien compris à votre parabole. Pour moi l’émetteur brouille les images et le son. C’est peut-être une question de réglages, après tout. En l’état, votre film en noir et blanc est désespérant de cynisme.

- « Zéro pour cent de matière grasse, le rêve des ventrus de chez nous ! »
- « le miracle d’une société sans cosmétiques ». Franchement, j’ai un doute sur l’interprétation de ce cynisme.

Je n’ai rien compris non plus à la dernière phrase :
- « ils avaient vu et compris ce qu’est au fond la captivité, et plus largement la vie ! » Qu’est-ce que c’est que ce message fumeux ? C’est un sentiment de révolte, ou de soumission ? On baisse les bras devant le cadavre prophète, ou on le met en miettes ? Et puis, que sait le narrateur soudain omniscient, de ce que ressentent les africains ? On dirait qu’il est content, du style : « Vous voyez bien, y’a rien à faire pour aider l’Afrique ! »

Ni le style ni le fond ne m’ont convaincu.

Ludi, distributeur de Chupa Chups pour L’Europe.


PS : comment pouvez-vous proposer un texte qui sera publié en décembre par un éditeur? A compte d'éditeur, si j'en crois leur site.

   Fortesque   
6/11/2013
 a aimé ce texte 
Bien
Bienvenue sur la planète Z. Il n'aura pas fallu attendre Hollywood pour comprendre que le monde était peuplé de zombies. Ici comme ailleurs, on est en train de se faire bouffer la cervelle, et rapido encore. Déjà qu'on est tous plus ou moins ramollis du ciboulot dans nos pantoufles de fantoches, prisonniers de la routine et du consumérisme, sacrifiant tout au paraître, on tente d'oublier nos angoisses dans les plaisirs matérialistes. L'auteur a raison, nous sommes des morts-vivants toujours plus veules, idiots, intéressés et nombrilistes. Paralysés par notre refus maladif de remettre en question notre civilisation, engoncés dans un luxe obscène qui nous rend aveugle face à nos habitudes, nos compromis moraux et notre impuissance à changer les choses, nous nous laissons contaminer petit à petit tandis que les liens sociaux se décomposent dans une société qui ne peut s'adapter suffisamment vite. Et cette Afrique qui mène une lutte silencieuse, survit, attendant une mort inéluctable, assiégée par une masse omniprésente et d'autant plus dangereuse que ses buts sont dérisoires et mûs par l'instinct de consommation.


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