Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Aventure/Epopée
Novi : La Gloire en Mer
 Publié le 29/06/16  -  6 commentaires  -  70659 caractères  -  54 lectures    Autres textes du même auteur

Nouvelle d’aventure librement inspirée par le courage des Varois qui, en 1780, et guidés par Louis François de Gardanne, ont sauvé 446 marins russes d’une mort certaine, alors que leur navire s’était encastré sur des rochers de l’île du Levant, en Méditerranée.


La Gloire en Mer


Sélane Lapomme, assis au milieu de la petite embarcation, fouilla dans sa sacoche en tissu pour en sortir le fruit qui lui valait son nom. Il croqua dedans à belles dents, puis regarda le vieux Dérisse, qui griffonnait un autre de ses mystérieux dessins.


— On se les caille.


Une brise légère glaçait les os du petit équipage. La tempête, qui s’était tue depuis un petit moment, avait laissé derrière elle une atmosphère gelée. L’air était humide, et un voile d’embrun tenait en suspension au-dessus de l’abîme salé. La visibilité était quasi nulle. Gardanne, qui surplombait la mer à la proue, ne pouvait espérer aucun cap, malgré son expérience en mer. Il quitta sa position, affligé, pour s’asseoir près du gribouilleur. Ce dernier était en train de geler ; il claquait des dents. Gardanne regarda le chanteur-siffleur derrière lui, mangeant sa pomme, ainsi que les rameurs. Il y avait un silence oppressant. L’ancien marin n’aimait guère cela, le silence permettait aux hommes de penser. Aussi décida-t-il de regarder la feuille de son voisin. Le dessin était sombre, et ressemblait à une esquisse incompréhensible.


— C’est quoi, ce que tu dessines ? demanda Gardanne, perplexe.

— Ce que j’ai vu.


Le vieillard parlait d’un ton voilé, comme malade.


— Les deux rocs et le grand bâtiment ?

— Non, non… autre chose. Les ténèbres…


Gardanne resta muet au mysticisme du vieillard. Lapomme, lui, ricana.


— Le vieux devient cinglé… dit-il goguenard. Ou alors, son cerveau est congelé.


Il se frictionna les mains, avant de se prendre un coup de bottine dans le dos. Il se retourna vivement.


— Quoi ?!

— Parle mieux du vieux.


Aymeric se tenait tout juste là, à la gauche du grand Eden, et sa nonchalance tranchait avec sa face éreintée et lisse. C’était un garçon patient, droit, qui lisait sans cesse, au point d’en acquérir des idées nobles.


— Et pourquoi ça ? s’enquit d’un ton âpre Sélane.

— C’est notre aîné.

— Rien de plus qu’un vieillard.


Il cracha trois pépins par-dessus bord.


— Un vieux briscard qui croit avoir vu quelque chose, mais qui n’a vu qu’un mirage.

— Je crois au vieux, moi.


Sélane regarda le grand Eden, et se garda de se moquer de son langage. C’était un simplet sage, mais avec des bras saillants. Il valait mieux ne pas trop contrarier la chose, aussi imprévisible qu’un enfant.


— Grand bien te fasse ! Moi, je n’y crois plus.

— Nous sommes dans ce brouillard depuis moins d’une demi-heure, et tu perds déjà espoir ? s’enquit Gardanne.

— Je suis un impatient, et l’on m’a promis un valeureux sauvetage.


Il se racla la gorge, pour dégager un pépin.


— Cinq cents hommes à secourir, disait le vieux ! Moi, je n’en vois que cinq…

— Il n’y a que toi qui penses ça, rétorqua Aymeric.

— Il n’y a que moi qui suis lucide… Nous allons passer la nuit dans ce brouillard, mes chers amis ! Enfin… si toutefois l’accalmie perdure. Sinon, on nous retrouvera sur la plage !

— Cesse donc de pleurnicher !


Gardanne se leva pour vérifier que la lanterne en bout de proue n’arrivait pas au terme de son huile.


— Je ne pleurniche pas, objecta Sélane, mais tu avoueras que notre situation est quelque peu… incommode ?

— Certes, mais ce n’est pas la faute de Dérisse.


Gardanne regarda le vieux, qui semblait ne pas entendre la discussion.


— En effet, c’est la tienne !


Le chanteur-siffleur râlait avec véhémence, d’un ton qui trahissait une légère nervosité.


— Nous étions en avant de la flottille, à guider tout le reste du monde, mais nous, qui nous guidait ? Tu ne savais pas où aller, dans cette nuit affreuse.


Il cracha une nouvelle fois, et se prit encore un coup de pied. Gardanne ne répondit rien, pensif et touché dans sa fierté. En effet, il n’avait pas dévié de cap, et s’était méthodiquement engouffré dans la brume, avant de s’apercevoir que plus personne ne suivait. Il avait fait une erreur de jugement, mais le marin avait trop de fierté pour se résilier, surtout devant ce soi-disant chanteur.


— Nous ferions mieux de rebrousser chemin à la première lueur…

— Et les autres ? rétorqua Aymeric, avec mépris.

— Les autres sont sûrement déjà au port, en train de se remplir la panse.


Le chanteur souffla, exaspéré.


— Je rêve d’une bonne mousse…

— Et moi, je rêve que tu te taises, dit Aymeric.


Sélane afficha un sourire narquois.


— Viens donc réaliser ton rêve, frimeuse.


Le rameur hésita. Ses bras auraient pu rompre le cou du chanteur, mais le bagne ne l’enchantait guère.


— Tu n’en vaux pas la peine.

— Assez.


Gardanne avait parlé avec autorité et les deux hommes s’étaient tus. Il préférait l’angoissant silence de la mer, aux stupidités incessantes du chanteur. D’ailleurs, ce dernier révulsait le marin. Ce n’était qu’un être dont émanaient ruse, arrogance et provocation, et dont les agissements avaient provoqué moult pugilats. Son allure chic, son visage fin et sans défaut, ainsi que ses yeux bleu-gris, avaient fait chavirer trop de femmes. Sa provocation naturelle et son pendant pour les répliques cinglantes – et insultantes – faisaient de lui un électron libre, un perturbateur de mœurs, un conteur de singeries excitantes.


Mais il avait des adorateurs, un public conquis, qui avait insisté pour que Gardanne le prenne sur sa barque, afin qu’il revienne triomphant avec de belles paroles à conter. Le souci du détail, avait-il prêché au marin, voilà pourquoi il se devait d’être au-devant des événements.


— Il me vient l’envie de siffler un air…


Sélane, qui semblait ne pas pouvoir tenir en place, commença à entonner une mélodie, que Gardanne apprécia comme il l’aurait fait d’une stridulation.


— Tais-toi donc ! Il m’est important d’écouter.

— Écouter quoi ?


Sélane adoptait un ton rogue.


— Le moindre bruit, le moindre indice. Peut-être que des coups de canon, des alertes ou des éclaboussures pourront nous guider.

— Crois-tu ?


Sélane jeta à la mer sa pomme.


— J’aurais tendance à penser qu’il nous faut faire l’inverse. Imagine que les autres ont eu la même idée : nous serions des imbéciles tendant l’oreille pour écouter l’autre faire silence. Alors que si je siffle…


Gardanne s’énerva.


— Ne te crois pas malin en mer, Lapomme. Tu n’es qu’un vadrouilleur, tu n’as pas connu les flots.

— Nous y voilà !


Sélane se frotta les mains.


— Je n’ai pas connu tes flots, mais je les ai entendus conter, mon cher ! Et les histoires m’ont appris que seuls les morts sont silencieux.

— Et moi, je les ai vécues, ces histoires. Et je dis qu’une flotte de vingt bateaux émet plus de sons qu’une embarcation de cinq malheureux !

— Sauf si je fais partie des cinq. On m’entend siffler au port, je le parie !

— Pour sûr ! coupa Aymeric, tu passes pour une goélette en manque d’affection, sur la côte.


Et les hommes rirent. Sélane aussi, mais avec un certain sarcasme. Il soupira et regarda Gardanne avec des yeux pleins de dédain, avant de les basculer vers tribord.


— Allez au diable, dit-il avec désespérance, jamais je n’aurais dû choisir votre embarcation.

— Nous sommes d’accord sur ce point, répondit Gardanne.

— Je pensais être au plus près de l’action, au côté des deux fous à l’origine de cette aventure. Me voilà fichu à écrire un poème sur la contemplation des brumes.

— C’est toi le fou, à vouloir risquer ta vie pour une histoire.

— Risquer ma vie ?


Le chanteur-siffleur trempa sa main dans l’eau.


— Le seul danger ici, c’est la froideur de l’eau.


Et le bateau continua à dériver un temps, sans que personne n’ait une idée à proposer. Le temps qui coulait laissait le loisir à chacun de penser, ou de dessiner. Le vieux ne lâchait pas son crayon, il griffonnait nerveusement, comme pour se réchauffer. Gardanne pensa bien que leur situation l’inspirait, car malgré tout, il régnait une certaine quiétude, rythmée par le léger clapotis des rames brunes contre l’eau sombre.

L’espoir s’éteignait à petit feu, et pour réanimer les braises, Gardanne cherchait dans l’épais brouillard un cap. Mais il ne faisait que contempler la brume, claire et assagie par les légers brins de lumières lunaires qui transperçaient les nuages. Ses soupirs rejoignirent ceux du chanteur, qui ne sifflait plus. Sa face enjolivée était ruinée par la glaciale atmosphère, et ses lèvres gerçaient à vue d’œil. Soudain, il rumina :


— Pathétique, tout cela est pathétique…


Il regarda en une direction, vers bâbord, par-dessus le dos voûté du vieux.


— Rien, toujours rien, le néant des embruns et des…


Il interrompit brusquement sa poésie, ce qui surprit tout le monde, excepté le vieux, toujours concentré sur sa feuille. Lapomme fixait avec intérêt un point au large.


— Fichtre, c’est une lumière !


La lueur, quelque peu lointaine, traversait avec fébrilité l’épais brouillard. Gardanne s’enquit du point lumineux, puis ordonna aux deux rameurs de changer de direction et de suivre le cap vers cette flamme vacillante. Sélane ne se fit pas attendre, sa fierté déborda du bateau.


— Que feriez-vous sans ce cher chanteur ! Oui, que feriez-vous ? On me connaît aussi pour mes dons d’observation…

— Tu as eu la chance de regarder au bon endroit, lorsqu’il le fallait, répondit froidement Gardanne.

— De la chance ? L’instinct oui ! Ce qu’il te manquait, à toi et au vieux débris. Tiens, il a levé la tête !


Le vieux Dérisse avait quitté sa torpeur. Sa barbe semblait s’être blanchie au froid, et ses yeux, grand ouverts, affichaient une immense satisfaction. Il tendit, de ses mains tremblotantes, son dessin à Gardanne.


— Nous sommes tout près. Je l’ai vu ainsi, dit-il avec solennité.


Le marin prit le dessin dans ses mains, et Sélane vint regarder le morceau de papier. Le vieux avait gribouillé toute la page, l’avait remplie de gris, sauf à un endroit bien particulier au milieu de la feuille. Un point blanc dans une marée noire.


— Le vieux est définitivement fou.


Sélane se rassit et regarda approcher la lueur. Gardanne redonna le dessin au vieux, perplexe, puis alla à la proue près de la lanterne, pour surveiller le lointain. Soudain, il entendit un bruit. Des cris alarmés, des ordres. Ceux-ci se firent de plus en plus distincts. Puis, la coque de la barque heurta des débris, et le brouillard aux alentours se fit de moins en moins oppressant et épais. Eden et Aymeric continuèrent à ramer, tandis que les trois autres forçaient leur acuité vers la lueur. Gardanne fut subitement ébloui.


— Bon sang !


Sélane siffla, éberlué. Deux rocs, grands et plantés là au milieu de la mer, comme deux crocs dans la mâchoire d’une bête, avaient saisi entre leurs corps massifs un vaisseau gigantesque. La proue de ce dernier, légèrement élevée vers le ciel couvert et obscur, flambait magistralement, comme un phare au milieu de la nuit.


— Gros cul ! gueula Eden, de sa voix roc.

— Aymeric, Eden, stoppez tout !


Trop occupé à lever la tête vers le vaisseau, le petit équipage ne s’était plus préoccupé de l’avant. Ils n’eurent pas vraiment le temps de s’accrocher, que la barque heurta l’arrière d’une goélette restée immobile tout juste trois mètres à la sortie du brouillard.


L’embarcation stoppa net, faisant vaciller au-devant, et la tête la première, le chanteur. Gardanne s’accrocha à la proue et au petit bastingage, et lorsqu’il fut stabilisé, s’inquiéta du vieux. Celui-ci s’était fermement accroché à son banc et n’avait pas bougé d’un poil.


L’ancien marin observa à bâbord et à tribord la flotte. Elle était en ballottage, sous l’ombre saisissante de l’épave. Gardanne se dit qu’il admirait là un paysage renversant. Ils avaient comme pénétré dans une écluse lumineuse, sans brouillard, où les lanternes et les torches de chaque bateau illuminaient un morceau de ténèbres.


— Gros cul, répéta Eden, qui n’avait pas bougé d’un pouce et sur lequel Aymeric s’était tenu.

— Le con a raison, dit Sélane en ramassant ses piètres effets personnels, tombés de sa sacoche, c’est un navire de ligne.

— Un soixante-quatorze… comme l’avait dit Dérisse.

— Le feu au loin, et les hommes en émanations. Où sont les hommes ?

— Il délire !

— Qui v’là ?!


Une ombre s’était élevée à l’arrière de la goélette. Gardanne leva la tête et vit les cicatrices. Il s’agissait de Balgart, le gardien de bagne.


— Gardanne.


Il s’identifia sans entrain.


— Bigre, j’te croyais rentré à la maison !

— Eh bien non.

— Dans c’cas, monte !


Et il beugla des ordres vers le pont, pour qu’un homme vienne finalement l’aider à hisser les cinq arrivants sur la goélette. Sélane, peu familier avec les hommes du village, ne connaissait pas Balgart. Ce qu’il rencontra le fit pâlir. L’homme était un vrai cochon, un porc qu’on avait sorti de la boue. Son nez tailladé lui en donnait l’allure, tout comme sa face éternellement rouge et son crâne glabre. Sélane comprit assez vite, à l’haleine du misérable et à son allure débraillée, que c’était aussi un passionné du litron et sans nul doute un personnage exécrable.


— Hilbag, fais passer l’message aux autres bateaux : l’grand chef est revenu de son périple brumeux, ordonna le gardien de bagne.


Gardanne regarda le sous-fifre alerter le plus proche navire, puis contempla la garnison de Balgart, d’un œil attentif.


Vingt bagnards, sortis de leurs cellules, étaient alignés sur le pont, et ruminaient leur pensée en grelottant. L’ancien marin voyait des visages éreintés, frigorifiés, ainsi que la rancœur de certains qui avaient remarqué sa présence. Tous étaient présents à sa demande, car le village manquait d’hommes robustes pour aider au sauvetage.


— Ils bougeront pas d’un pouce, murmura âprement Balgart.

— Vanlocker ? s’enquit Gardanne.


Le glabre sourit.


— Y bouge pas depuis l’début, il a même pas froid, j’crois. Ce mec est pas net.

— Qui est donc ce bougre ?


Sélane avait l’oreille tendue. Balgart l’analysa des pieds à la tête, et cracha par-dessus le bastingage.


— C’pas un bougre, c’t’un meurtrier, voleur et agresseur. Un fort gars, pas l’genre à se laisser faire. Mais y s’évadera pas.

— Que fait-il dans vos cellules ? Vanlocker… c’est étranger.

— Hollandais. C’t’un vadrouilleur, il a vadrouillé au mauvais endroit.


Balgart regarda avec délectation le marin.


— C’t’un ami à votre chef.

— Tiens donc ?


Sélane se tourna vers Gardanne, quelque peu rougi par l’amertume.


— Il est v’nu déjeuner chez lui, avant d’l’assommer et d’essayer d’voler un de nos chalands… il est tombé sur l’aut’ là…


Et le bougre dirigea son doigt vers le grand Eden, qui restait muet et assis sur le bastingage, sans se soucier qu’on parle de lui.


Gardanne cacha son irritation et changea de sujet, en demandant quelle était la situation. Le moche gardien se gratta la tête.


— On n’sait pas, on est arrivés tous y a peu de temps. Mais des hommes sur le gros cul nous on fait des signes… Et le feu ne trompe pas, y a des incendies. Ils ont besoin d’aide, y a pas à dire, et pis, leur bateau est foutu. Y a qu’à regarder.

— Y a qu’à regarder, renchérit ironiquement Sélane.


De la goélette, et dans la nuit, il était difficile de discerner tous les détails, mais le navire de ligne était suffisamment immense pour que les marins puissent faire des estimations. Ainsi, les vergues du grand mât semblaient brisées, tandis que le mât de misaine était rompu, et que ses voiles étaient décharnées. Le bordé, éclairé par la lumière de la flottille, était sinistrement éventré par les deux rocs, et effiloché par endroits, comme un vulgaire tissu. Le navire ne coulait pas, seulement retenu par la roche qui l’avait coincé comme un étau. On vit aussi que de la fumée et du feu sortaient de certains sabords.


Gardanne, attentif, essaya de discerner des ombres, et vit quelques silhouettes se mouvoir, faire des gestes à leur encontre.


— On nous a vus, dit-il avec gravité, il faut aller les chercher.

— En v’la une de bonne idée !

— Quel est le plan ? demanda Aymeric, d’un ton décidé.

— Je vais coordonner le sauvetage.


La voix de Gardanne était drapée d’un ton grave et serein.


— Nous allons les secourir, et les ramener à terre.

— Sommes-nous seulement assez ?


Aymeric connaissait, comme Gardanne, la composition d’un équipage d’un soixante-quatorze. Plus de quatre cents hommes devaient être coincés.


— Nous le serons, nous ne pouvons nous permettre de faire des allers-retours… Le ciel est bas, la brume est proche… il faut agir tant que la tempête est partie.


Gardanne regarda Balgart.


— Approche ta goélette du navire, juste au-dessous de la coque. Les matelots nous enverront des cordes.

— Tu m’donnes des ordres ? T’as qu’à te servir de ta barque.

— Ma barque ne peut contenir tes bagnards.

— T’en veux avec toi ?

— Il me faut des hommes solides, rien que pour monter à la corde, sur le pont.

— Hum…


Le gardien de bagne réfléchit, puis sourit gaiement.


— Tu prends Vanlocker, il a de grands bras.


Gardanne se rembrunit, puis grogna.


— Très bien… Aymeric et Eden, vous serez avec moi.

— Évidemment.

— Et moi aussi !


Tous regardèrent le chanteur-siffleur, et Gardanne à son tour le regarda des pieds à la tête.


— Tu es trop mince et trop faible pour ça.

— C’est toi qui le dis !


Gardanne pointa du doigt le navire.


— Il faudra monter sur au moins vingt mètres, à la seule aide de tes bras. Tu vas souffrir, chanteur.

— Peu m’importe, si l’aventure est bonne. Il faut savoir souffrir, pour raconter des histoires.

— Soit.


La coordination prit forme rapidement. L’information navigua entre les bateaux de pêche, les chalands et les autres embarcations, et tout le monde se tint prêt à recevoir les rescapés. Balgart ordonna que sa goélette rejoigne un point précis, là où des cordages pendaient déjà.

De plus près, le navire de ligne semblait être une montagne au milieu des eaux. Il était terrifiant, son ombre planait sur la minuscule goélette, et encourageait les têtes à se lever pour l’admirer. Gardanne réussit à voir le nom du vaisseau : La Gloire en Mer. Il remarqua aussi que la coque ne touchait plus l’eau, que le bateau était comme en lévitation au-dessus de la mer, maintenu par les rochers.


Il songea aux forces capables de soulever une telle plate-forme de guerre, quand une main se posa sur son épaule et le tira de ses pensées.


— Les écoutilles, et les brasiers. N’oublie personne, Gardanne, ne l’oublie pas, elle.


Le vieux Dérisse, que tout le monde avait oublié, tendit sa feuille au marin.


— Qui est-ce ?


Le croquis représentait le visage d’une femme, coiffée comme un homme. D’ailleurs, Gardanne sut que c’était une femme, uniquement par la finesse de ses traits.


— Je l’ai vue, mais dans une pensée.


Puis le regard du vieux s’éteignit, et il replongea dans sa torpeur, glacé par le froid. Gardanne garda le dessin, mais n’eut pas le temps d’y songer, que Balgart lui présenta une corde.


— À toi l’honneur.


Le marin prit la drisse pendante, puis donna quelques conseils à ses pairs, si ce n’est Vanlocker. Celui-ci demeurait sur le pont, sous le regard des autres bagnards. Gardanne remarqua qu’il avait gardé son apparence belle et trompeuse, et il le maudit pour ça. Il avait préservé cette épaisse coiffure brune, grasse et longue jusqu’aux épaules, qui faisait son charisme. Son visage, juvénile, était celui d’un prince, marqué cependant par des coups et des traces de poussières. Prisonnier, mais homme soigné, il demeurait misérablement beau et banalement sympathique.


Gardanne grimpa les premiers mètres à la seule force de ses bras, puis s’aida des sabords pour continuer son ascension. Cet exercice le mit en jambe ; l’effort physique était intense, brutal avec le corps. Mais le véritable défi était de lutter contre la brise glaciale, et de ne pas se laisser absorber par la noirceur séduisante des eaux, en contrebas. Les lames, qui frappaient avec délicatesse la roche, émettaient des clapotements légers, tendres et apaisants, difficiles à ignorer. Et les relents abyssaux de la coque du navire, immense et profonde, donnaient l’impression de monter sur le dos d’un monstre endormi, dont il valait mieux préserver la quiétude.


Gardanne, qui dans sa jeunesse avait déjà grimpé le long de grands mâts et s’était suspendu à des vergues, tenta sans mal un regard vers ses acolytes. Il vit, sur trois autres cordes, Eden qui avançait rapidement, Sélane suffoquant, et Vanlocker, le visage fermé.


Le Hollandais était imperturbable, ne semblait rien contempler ; ses yeux étaient éteints, concentrés certes, mais éteints. Il ne regardait rien, et ses gestes étaient une simple mécanique monotone. Les travaux du bagne en avaient fait une machine, pensa Gardanne, une machine sans cervelle, soûlée par l’enfermement.


— Ohhé ! Un peu d’aide, là !


Le chef de port arrivait au bastingage, quand un marin apprécia son appel et tira la corde pour faire passer son corps rustre par-dessus le bois. L’homme s’en retrouva au sol, mais deux autres le relevèrent et lui dirent bienvenue. D’autres aidaient Sélane, Aymeric et Vanlocker, et d’autres encore cessaient leur activité pour regarder avec curiosité les nouveaux arrivants. Une agitation anxiogène régnait sur le pont supérieur, et de nombreux cris étaient prononcés.


— Bienvenue à bord de La Gloire en Mer, messieurs.


La voix, lourde et surprenante, se démarqua du brouhaha général. Un individu, grand, brun et basané, s’était avancé. Il portait une tenue officielle, des galons pendaient de partout sur lui et il avait ce visage sévère qu’ont tous les hauts officiers de la marine.


— Je suis le commandant Norbert de Célestine, responsable à bord de l’état-major.


Il s’était présenté avec amicalité.


— Je vous remercie de votre venue, elle redonne espoir à mes hommes.


Puis, il s’arrêta en voyant les compagnons de Gardanne.


— Êtes-vous le responsable ?

— C’est bien moi, Louis François de Gardanne, chef de port du village portuaire du Levant. Je mène les hommes pour votre sauvetage.


Le commandant acquiesça, et observa les courageux qui venaient d’arriver. Sélane était en sueur, mais il avait réussi, et cela était une surprise. Eden avait les bras gonflés, et sa grandeur attira la curiosité, certes passagère, du capitaine. Aymeric, lui, avait le visage rouge et les bras tétanisés.


Vanlocker regardait autour de lui, sans le moindre intérêt pour ce qu’il contemplait. Célestine le fixa un instant. Son grade le voulait observateur, la clairvoyance était une qualité qui lui était plus qu’indispensable, alors il comprit très vite que cet individu n’était pas là de son plein gré, mais aussi que sa présence investissait une prudence. Il n’y avait qu’à voir son vêtement : des haillons peu épais dans un froid d’hiver, et des rougeurs aux poignets. Bagnard, pensa tout de suite Célestine.


Il se détourna de la petite troupe et s’enquit de Gardanne, qui n’avait pas bougé.


— Parlons franchement, mon ami.


François était un homme calme, la voix tiède, sans présomption ni dédain.


— La situation est délicate, dit-il.


Gardanne était bien d’accord avec l’état-major. Il avait, lui aussi, quelque peu visité du regard les alentours, et avait vu le chaos d’après tempête. Des esquilles, des drisses arrachées, des morceaux de voiles, formaient un tout saccagé, et la moitié des râteliers étaient vides. Par endroits, le bastingage était rompu, tandis que le ponté semblait avoir été vandalisé par les vents. Il remarqua aussi le sang, sur les chemises des matelots et sur le bois du pont supérieur. La tempête avait littéralement agressé le vaisseau, le laissant pour mort.


Le capitaine Célestine continua avec solennité :


— Outre la position quelque peu… singulière de notre vaisseau, de nombreux accidents ont marqué notre naufrage. Des incendies, à la proue, mais aussi sur le gaillard arrière : un de nos timoniers, bloqué sous une vergue, est mort brûlé vif.


Le capitaine regarda vers le fameux gaillard, tout comme la troupe de Gardanne. Sélane prononça un sifflement discret de stupeur.


— Nous combattons d’autres incendies aux étages inférieurs, poursuivit-il, et les flammes bloquent certains de nos hommes. Le feu menace nos arsenaux, et les caissons de poudre. Outre cela, mes maîtres d’équipage m’ont rapporté de nombreux blessés, immobilisés par des pièces d’artillerie lourde. J’ai besoin d’hommes forts, et surtout, j’ai besoin d’énergie, pour aller les chercher et les évacuer en priorité.


Gardanne secouait la tête avec acquiescement.


— Ce sera fait, nous sommes là pour ça.

— Vous avez des hommes capables de tout, dans cette flottille de pêcheurs ?

— Des gars robustes oui, volontaires…

— Bien, faites-les monter alors.


Célestine tourna le regard vers la troupe de Gardanne.


— Il vous faut un homme sur le pont supérieur, qui dira aux nouveaux arrivants quoi faire et où aller.

— Aymeric fera l’affaire, c’est un ancien marin.

— Bien, bien… Le grand gars vous accompagne dans les cales, et lui aussi.


Il indiqua Vanlocker, qui ne prêta nullement attention au doigt tendu vers lui.

— Nathaniel, un de mes lieutenants de vaisseau, vous guidera.


L’homme en question s’avança. Il avait tendu l’oreille au bon moment, tout juste après avoir prononcé des ordres. C’était un marin svelte, au teint plutôt pâle et à la tignasse blonde. Il semblait affaibli par une maladie, mais ne broncha guère.


— Faisons sortir les blessés le plus vite possible, pour les faire embarquer en premier sur vos bateaux. Mes hommes et moi suivrons, quand nous serons certains que personne de vivant n’est abandonné…


Le capitaine finit ainsi. Le lieutenant Nathaniel les regarda alors, avec fièvre dans le regard.


— Suivez-moi.


Ils traversèrent, en enjambant des blessés et des débris, le quart du pont supérieur pour atteindre une écoutille, par laquelle montait une fumée noire et soufflait une chaleur infernale. Certains marins sortaient de l’entre-deux ponts en toussant, assombris par le smog nauséabond des flammes. Nathaniel et Gardanne se concertèrent, sans se préoccuper plus du reste. Eden écoutait à peine, subjugué par la chaleur.


Derrière eux, à trois pas, Sélane, qui avait suivi dans l’indifférence générale, était devenu aussi pâle que le lieutenant malade. Ses désirs d’actions et de présence s’étaient amoindris dès son arrivée sur le navire, à la vue des blessés et à l’écoute de leur agonie. Son regard avait même croisé celui d’un mort, calciné par les caresses du feu. Le chanteur tremblait presque, peu habitué à la véritable agitation. Une tentation le prit, celle de s’enfuir ou de se cacher. De toute façon, personne ne lui avait donné d’ordre. Gardanne était occupé à parler avec le lieutenant, et Eden était un sot… Quelques pas silencieux, et il échappait à cette mascarade.


— Tu trembles, chanteur ?


Le murmure, grave et profond, le fit sursauter. Il tourna légèrement la tête vers Vanlocker.


— Je ne parle point aux brigands.

— Les brigands fondent les histoires que tu entonnes.

— Certes, mais moins de ceux qui ne parlent que peu et restent dans leur coin.


Vanlocker sourit.


— Je suis un bavard, sauf quand un laideron cicatrisé me menace de représailles en cas de chuchotement. Ici, il n’est plus là…

— Gardanne lui est ici, alors garde tes paroles.


Une certaine peur avait enveloppé le timbre du siffleur. Mais était-ce celle due au feu ? Vanlocker avait une voix de démon.


— Cesse de t’apeurer chanteur, ce n’est point ton heure.

— Quel réconfort tu m’apportes ! dit-il avec véhémence, pour attirer l’attention.


Gardanne se retourna vers le bougre. Il avait presque oublié ce malheureux, et s’en voulut de ne pas avoir surveillé Vanlocker. Ce dernier se tenait au-dessus de l’épaule de Lapomme, et regardait l’ancien marin avec un regard nouvellement habillé. Le chef de port s’approcha d’eux, et se confronta avec détermination à la mine provocante du Hollandais.


— Tu es sorti de ta torpeur, à ce que j’entends.

— Bien le bonsoir, mon cher Gardanne.


Le bagnard souriait à belles dents, narguant son interlocuteur.


— Cesse de faire ton malin, tes manières ne m’auront eu qu’une unique fois.

— Je te crois. Comment va ta tête ?


Gardanne fronça les sourcils, plein de colère. Vanlocker l’avait assommé d’un coup rêche derrière le crâne, le soir où il l’avait hébergé et cru naïvement qu’il s’agissait d’un honnête homme.


Il n’eut pas le temps de répondre, le lieutenant s’était lui aussi avancé.


— Peut-on y aller ?

— Oui… se calma Gardanne, deux groupes c’est cela ?

— En effet…

— Nathaniel et Eden vont ensemble, pour secourir les immobilisés. Sélane, tu me suis… quant à toi, bagnard, tu passes devant et tu vas là où je te dis d’aller.


Le chanteur ne broncha pas, même si un frisson le parcourut. Ils laissèrent passer le lieutenant et le simplet, puis s’engouffrèrent à leur tour dans les cales.


L’entrepont offrit un spectacle désastreux. De nombreux matelots couraient, gesticulaient, beuglaient, tout en enjambant des tonneaux de vivres, des caisses ou des ensembles d’objets entassés ci et là. La fumée noire empêchait une véritable visibilité à plus de deux mètres, la chaleur mordait la peau, les murs eux-mêmes semblaient suer. Lapomme en regretta presque la froideur de la brume, qu’ils avaient quittée pour cet enfer.


Les trois hommes s’arrêtèrent près d’une bouche à feu, pour respirer et s’accommoder à l’environnement. Sélane toussait déjà sans retenue, et Gardanne ne lui conseilla guère de se servir de son foulard, tant il le méprisait. L’ancien marin fit le vide dans sa tête, pour se reconcentrer sur l’objectif. Son regard se porta vers Vanlocker.


— Nous allons à fond de cale. J’espère que tu connais le chemin…

— À fond de cale ? Pourquoi ?! coupa Lapomme, tout indigné.

— Nous allons chercher les calfats et les charpentiers, répondit avec autorité Gardanne. Ils étaient à l’étage inférieur, quand les deux rocs ont pris d’assaut le navire.


Le chanteur-siffleur cracha par-delà le sabord, et maudissait ceux qu’ils devaient sauver. Vanlocker, lui, renifla sous le tissu qu’il s’était enroulé par-dessus la bouche et le nez.


— La majorité des accès qui y mènent sont bouchés, continua Gardanne, à nous de trouver un moyen de les sortir de là. Nous aurons peut-être besoin de hache, de corde…

— Tu me laisserais prendre une hache ? s’enquit avec sarcasme le bagnard.

— Oui, mais tu auras une lame sous le cou pour t’empêcher trop de gestes brusques.

— On se croirait au bagne…

— Ça l’est.

— C’est pire, renchérit Sélane.


Les trois hommes continuèrent le long des canons, dans le grand couloir de combat, en évitant les obstacles et les hommes. Le Hollandais ouvrait la marche, et savait parfaitement où aller. Il n’hésitait guère entre deux chemins, et devinait aisément que telle porte ne mènerait qu’à une chambrette. Il avait aussi l’équilibre, les appuis bien fort dans le plancher de chêne, et sa démarche différait largement de celle du chanteur, qui avait l’allure gauche, trop effrayé de mettre le pied sur une lame. Gardanne l’avait pensé marin, maintenant il en était sûr. Ce bagnard n’avait pas fait que vadrouiller de village en village, il avait aussi navigué.


Ils arrivèrent rapidement à un premier accès, une échelle dans le sol, qui permettait d’habitude de descendre à l’étage du dessous, ou d’en remonter. Mais l’ouverture était bloquée par un baril, et le dessous ne laissait espérer que d’autres obstructions.


— Continuons, ordonna Gardanne.


Le groupe marcha vers l’arrière du navire. Leur chemin croisa celui d’un groupe de matelots qui transportait un homme au visage ensanglanté, dont les blessures présageaient une mort imminente. Ce contact avec la Faucheuse ne fut pas au goût du siffleur, qui sentit le navire tourner autour de lui, dans un malaise d’angoisse saisissant. Ses jambes refusèrent cependant de flancher, et il les garda raides, même lorsqu’ils traversèrent un dortoir dont les hamacs étaient pour moitié en feu.


Gardanne stoppa la marche, et indiqua un accès. Un escalier-échelle, sous une cambuse, avait été ménagé, et il suffisait de se frayer un chemin à travers le désordre pour l’atteindre. Vanlocker sauta par-dessus des barils et poussa de l’épaule une grande caisse, puis se posta juste au-devant de l’escalier.


— Aucune fumée ne sort du dessous. Il semble que le feu n’ait gagné que l’entrepont.

— Voilà une bonne nouvelle ! s’exclama Sélane, qui se frottait les habits.

— Certainement, rétorqua Gardanne, mais l’eau en est partie responsable. Le lieutenant m’a informé qu’avant d’atterrir entre deux rochers, La Gloire en Mer était trouée.

— Alors, ces rochers furent leur bénédiction, commenta Vanlocker.

— C’est ce qu’il insinua.


Puis, l’ancien marin indiqua du menton les marches au bagnard.


— Tu descends le premier.

— Je sais, répondit-il, morose et affligé par les ordres.

— Et moi, je suis à vos trousses ! J’ai déjà un début de chanson qui me vient…


Sélane avait beau tout faire pour paraître jovial, sa peau était blanchie. Mais un quelconque instinct lui donnait de l’arrogance, même maintenant.


Lorsqu’ils descendirent les marches, ils se retrouvèrent nez à nez avec un homme trapu, marteau en main et grosse barbe grise. Gardanne en fut étonné, tant la pilosité n’était pas le maître mot à bord. Et cette grisaille laissait entendre un âge expérimenté. L’homme les calcula à peine, et se remit au travail sur les murs du pont intermédiaire.


— Vieil homme, remonte à la surface.


Mais le charpentier regarda Vanlocker avec des yeux secs et rouges. Il était ivre, et apeuré. Gardanne jugea bon de laisser l’individu faire son œuvre inutile. Il avait remarqué, au contraire des autres, la brûlure de sa main gauche. Un incendié qui n’osait plus remettre le pied plus haut.


Ils continuèrent leur descente et atteignirent enfin le fond de cale, qui offrit un spectacle tout autre. Pas de trace de fumée, et pas un bruit si ce n’est ceux d’en haut. Il régnait ici un silence de mort, et une brise légère vint caresser leur visage. Ils purent alors admirer, au bout du pont, dans l’ombre de la cale, sous le beaupré, un énorme trou, dont les éraflures portaient la marque d’un premier impact violent.


— Le choc a dû être rude… il a creusé la coque d’un bon coup.

— À la merveille… nous avons trouvé un trou, mais où sont les hommes ? demanda le chanteur.

— Nous allons voir.


Et Vanlocker émit un appel grave. L’écho de sa voix retentit avec profondeur dans la cale. Aucune réponse ne vint, ce qui surprit Gardanne.


— Ils devraient être là…


Le chef de port vagabonda quelques instants dans la cale, passa au-delà des couloirs, s’enquit des cabines, des placards, des cellules… Il n’y avait personne, dans cet ensemble mort. Célestine s’était trompé, personne n’avait besoin d’eux ici, les calfats s’étaient rentrés depuis longtemps sur le pont supérieur.


— Eh bien, nous avons le chic pour suivre les mauvaises pistes, cette nuit…


Sélane posa son derrière sur un baril et en profita pour souffler. Gardanne ne perdait pas espoir, et continuait à chercher, entre les caisses, derrière les barils. Ses pieds, installés dans d’épaisses bottines, traînaient dans des flaques. L’humidité était en règne, et par endroits des courants d’airs subsistaient.


Le vide humain dans l’étage inférieur le mit en rogne, et il frappa du pied contre un mur de bois.


— Nous sommes inutiles ! Remontons.


Au même moment, il entendit un léger bruit. On ouvrait une bouteille. Il vit Vanlocker qui, profitant de la torpeur du chef de port, s’était vêtu d’un habit de matelot et avait déniché du vin. Gardanne devint aussi rouge que l’était la liqueur engloutie par le prisonnier.


— Comment oses-tu, bagnard ?


Vanlocker éructa et vit l’ancien marin avancer vers lui. La figure empourprée de son gardien le fit quelque peu sourire.


— Comment j’ose ? Le poignet levé et la gorge ouverte, voilà comment ! Toute cette suie m’a asséché le gosier…

— C’est bien vrai ça ! s’écria le chanteur, qui se trouva une bouteille.

— Tu n’es pas libre de boire, ni de rien d’autre d’ailleurs. Laisse cette bouteille.

— Voyons… tu n’es pas gardien de bagne, Gardanne.


Il but une gorgée.


— Le moche Balgart n’est point là, alors cesse de faire autorité… détends-toi un peu !


La condescendance du brigand donna à Gardanne une puissante amertume. Il fit un pas en avant et se trouva à quelques centimètres du visage juvénile de Vanlocker, dont l’haleine perfide et sucrée suintait de sa bouche provocante. Gardanne, de sa figure carrée et de ses yeux amandes et rouges, surplombait le malheureux qui, s’il continuait, allait se recevoir une vilaine rouste. Le Hollandais tendit la bouteille au chanteur, qui s’était approché, puis tint tête sans broncher.


— Que vas-tu faire, Louis ? Te venger ?

— L’envie ne m’en manque pas.

— Fais donc. Utilise donc tes poings, il n’y a qu’un témoin ici.

— Certes, dit le chanteur, et je chanterais la victoire du preux vainqueur.

— Allez Gardanne, tu me dois bien une gifle, pour ce coup, l’autre soir… Que tu étais sonné et ridicule, sur le plancher de ta maisonnette…


Et alors que l’ancien marin comptait ne plus répondre de lui-même, une petite ombre passa dans le dos du brigand, et un petit cliquetis se fit entendre. Le chanteur faillit lâcher les bouteilles, tandis que Gardanne fronça les sourcils et recula d’un pas. Vanlocker ne bougea pas et leva doucement les mains.


Un matelot, petit et le visage fin, levait la pointe de son pistolet en direction du brigand, qui ne bougeait plus. Le cran d’arrêt était levé, et Gardanne pouvait voir toute la détermination de l’individu dans ses yeux petits et intenses. Il portait une simple tenue de marin, marinière et pantalon, ainsi qu’un couvre-chef. Son bras ne tremblait pas ; un bras fin, sans poil.


— Il me semble que ce caban est ma propriété, cher monsieur.

— Je vous le rends avec plaisir.

— Maintenant qu’il a été porté par un bagnard, je crains de ne plus le vouloir.


Le matelot tourna la tête vers le chanteur.


— Ce sont les vivres de la Marine française que vous dilapidez, et plus exactement celle de mon état-major.


Le siffleur déposa sur une caisse les liqueurs.


— Maintenant, dit-il en regardant Gardanne, veuillez vous identifier.

— Mon nom est Louis François de Gardanne, et le freluquet est Sélane Lapomme. Celui que vous tenez en joue est un prisonnier de village, Vanlocker.

— Que faites-vous ici ?

— Nous sommes là sous ordre de votre capitaine, Norbert de Célestine. Celui-ci nous a demandé de venir secourir les charpentiers et calfats, restés dans la cale… Sachez que nous venons de la côte, pour vous aider. Une flottille de pêcheurs est en ballottage près de ce vaisseau en perdition, en attente de vous secourir et de vous ramener à la terre ferme.


Le visage du jeune matelot se décrispa légèrement, le bras tendu fléchit, mais se redressa instantanément.


— Vous l’avez nommé bagnard. Que fait un hors-la-loi sur une des fiertés de la Marine française ?

— Il boit, ironisa le brigand.

— Le village d’où nous venons, enchaîna Gardanne, manque d’hommes véritablement robustes. Les pêcheurs sont vieux, et il fallait des bras solides pour venir vous secourir.


Le matelot hésita une seconde, puis baissa son arme.


— Très bien. C’est une idée étrange. Mon nom est Widj.


Il rangea son pistolet et laissa le bagnard se retourner pour l’observer. Vanlocker afficha un étrange sourire avant de s’en retourner vers le chef de port, les yeux remplis de malice. Il alla s’asseoir sur un baril pour ne plus broncher.


— Pourquoi êtes-vous resté dans les cales ? demanda Gardanne, et puis, à quoi pense Célestine en nous envoyant ici ?


Widj haussa les épaules, puis reprit son intonation caverneuse.


— Je suis descendu pour des effets personnels. Pour le capitaine… c’est un homme expérimenté, mais dans la situation actuelle, il manque de discernement, si vous voulez mon avis…

— Un simple bateau suspendu entre deux rochers, voilà donc ce qui fait flancher le capitaine ? ironisa nerveusement Sélane.

— Très bien, continua Gardanne, et ces effets personnels, les avez-vous trouvés ?

— Pas encore, mais vous feriez mieux de remonter, je n’ai besoin de personne.


L’ancien marin, pris par une intuition inexplicable, ne fut pas de cet avis et refusa.


— Nous allons vous aider à chercher.


Widj hésita un instant, puis finit par accepter. Le jeune matelot cherchait une boîte en carton contenant ses affaires personnelles, pour lesquelles il semblait avoir une certaine affection. Les quatre hommes commencèrent alors à chercher, même si le chanteur et le bagnard râlèrent de concert. Le pont inférieur était grand, désordonné, rempli de vivres, de caissons et de barils. Il fallait aussi prendre en compte les quelques cabines, soulever les tissus et les matériaux, car la boîte pouvait se trouver n’importe où, tant le vaisseau avait été secoué par les vagues.


Au bout d’une petite poignée de minutes, Vanlocker vint vers Gardanne, furtivement et sans trop se faire voir par le chanteur et Widj. Il semblait avoir quelque chose à dire, ce qui n’enchanta guère le chef de port, penché vers un autre tas d’affaires.


— Je sais que ma parole n’a que peu de valeur pour toi, mais as-tu remarqué ?


Gardanne leva les yeux vers le bagnard.


— Quoi ?

— Widj est une femelle.

— C’est stupide, répondit Gardanne avec dédain.

— Certes… mais moi je te le dis, il n’y a qu’une femme pour tenir tant à ses affaires.

— Cesse donc, et trouve cette boîte, bagnard.


Vanlocker s’en alla en soupirant.


Gardanne attendit que le Hollandais fût assez éloigné pour réfléchir. Les propos du bagnard ne l’avaient pas laissé de marbre, et il avait eu la même intuition, sans trop s’écouter. Mais autre chose le tracassait véritablement, que le sexe de ce Widj. Il observa les alentours, vit que chacun était occupé, et chercha dans sa poche le dessin du vieux briscard qu’était Dérisse. Il se pencha dessus, puis chercha du regard le matelot. Il analysa ses traits fins, essaya de voir si, sous la casquette, des cheveux étaient présents. Il vit de loin un visage sali, jeune et clair.


Gardanne s’approcha discrètement de Widj, et plus près, il s’attacha à sa corpulence, à ses hanches… Sa vareuse couvrait un corps plat, mince et sans charme, mais ses légères courbes trahissaient un aspect unique, voluptueux et féminin. Widj ne possédait pas le corps droit d’un homme, ni sa virilité, bien qu’il en posséde le masque. Ses intonations étaient trompeuses, sa gestuelle brutale et décidée, mais son apparence, quoi qu’il fasse, se trahissait, si toutefois l’on voulait bien regarder. Des marins pouvaient se faire avoir, au détour des quarts, des repos, dans l’ombre des ponts et dans l’agitation de la mer… mais pas des individus venus de la terre, dont l’esprit côtoyait à chaque instant des femmes, en les regardant danser, jouer, discuter.


Vanlocker n’avait pas vu de femme depuis son enfermement. Il avait senti cette aura attirante, cette odeur charnelle. Widj était une femme, et plus encore, elle était ce visage qu’avait griffonné avec soin le vieux Dérisse. Gardanne en fut stupéfait, mais resta silencieux. Le chanteur n’avait rien vu, lui le soi-disant observateur, et il y avait des tas de raisons pour que la jeune femme cache ce secret.


C’est Sélane qui trouva la boîte, et Widj se porta à lui avant que la curiosité l’emporte et qu’il l’ouvre. C’était un contenant peu lourd, grand d’un mètre sur cinquante centimètres et peu profond. Widj mit le carton sous son bras et remercia le petit groupe.


— Il est temps de remonter, annonça Gardanne, j’entends de plus en plus d’agitation, là-haut…


L’ancien marin avait ressenti la chaleur accaparer l’air humide du fond de cale, et craignait un écroulement du plafond. Le poids du feu, sur le bois ambre des ponts, allait sans doute consumer La Gloire en Mer, et il n’était pas question qu’ils fassent partie de cette future épave enfumée.


Cependant, lorsqu’il se porta vers le passage menant à l’étage supérieur, il sentit qu’un homme manquait à l’appel. Il se retourna vers Vanlocker, dont le visage léger et serein ne présageait rien de bon.


— Que prépares-tu donc ? lui demanda Gardanne, d’un ton âpre.

— Je ne prétends pas remonter, Gardanne, je reste ici même !


Le chef de port fronça les sourcils et voulut faire un pas. Sélane le retint.


— Laissons ce bougre ! C’est un fou.

— Avec toi, tout le monde est fou, rétorqua Gardanne.

— Certes, mais lui plus que d’autres.

— Il faut monter, s’empressa Widj.


Gardanne regarda dans les yeux du bagnard, avec un air de défi. Sélane avait la prétention de le retenir, mais un coup d’épaule et il était sur Vanlocker.


— Tu remontes avec nous, Van.


L’autorité de Gardanne sonnait creux. D’autant plus que le bagnard sortit de sa poche un pistolet, qu’il avait sans doute trouvé lors des recherches. Son regard était empli d’une détermination nouvelle, et il avait la crispation de ceux qui trouvent dans le présent l’accomplissement de leur pensée secrète.


— Je n’y retourne pas.


Le brigand leva le canon, et Gardanne s’apprêta à s’échapper de l’étreinte de Sélane, quand un énorme vrombissement se fit entendre au-dessus d’eux.


Le plafond craqua, et une chaleur soudaine, accompagnée d’un souffle puissant, incita les uns et les autres à se cambrer. Des esquilles volèrent, des échardes vinrent érafler les peaux, et du bois enflammé tomba sur eux. Tous ne pensèrent plus qu’à leur vie, et se jetèrent à terre, vers un abri, quelque part où ils ne risquaient rien.


Une pièce de batterie venait de s’écraser en cale, tout juste un mètre devant Gardanne. Le canon creusa un trou dans le plancher, sans passer à travers, et deux corps en feu l’accompagnèrent. Le bois avait cédé et ce n’était que le début.


Lorsque Widj, Gardanne et Sélane se relevèrent, le feu envahissait le pont, et devant eux il était impossible de voir si Vanlocker avait survécu. Les flammes jaillissaient, le smog agressait l’acuité ; il était impensable de passer de l’autre côté. Le chef de port grogna, tandis que le chanteur, quelque peu hébété, partit seul en arrière pour remonter. Widj en fit de même, en attirant à elle Gardanne.


Ils furent surpris de recevoir l’aide d’une main velue et brûlée, au niveau du passage, qui les attira vers l’entrepont. Le vieil homme à la barbe grise n’avait pas bougé de sa place, mais le tonnerre de la chute l’avait apparemment tiré de sa torpeur, car ses yeux montraient une lucidité nouvelle. Il ne parlait toujours pas, cependant.


L’entrepont était dans un état de chaos sans précédent. La fumée s’était épaissie, l’air était irrespirable et des hommes gueulaient de partout. Widj conseilla de suivre le charpentier, dans ce méli-mélo de soufre, de sang et de chaleur, ce que personne ne contesta.


Le vieil homme, aigri dans sa démarche, faisait preuve d’une brutalité virile, ouvrant la voie au groupe. Lorsqu’une silhouette apeurée sortait du noir brouillard, il la déviait de sa trajectoire d’un bras et d’une épaule, en grognant. Ses muscles saillants et sa détermination venaient à bout des obstacles, et c’est avec un empressement contrôlé qu’ils traversèrent une bonne moitié du pont.


Soudain, à quelques mètres d’une écoutille, le long des pièces de batteries, une explosion retentit avec puissance. Le feu avait atteint un petit chargement de poudre et les esquilles qui erraient devinrent des balles. Gardanne se rua à terre en emmenant avec lui la jeune femme, qui poussa un cri. Sélane mit du temps à réagir et se prit un débris dans l’épaule.


Le vieil homme tomba sec à terre, la tête éventrée par un morceau de traversin.


— Grand Dieu, je suis coincé.


Une caisse avait comme roulé sur le pied de Gardanne. La lourdeur de l’objet le fit tressaillir, et plus encore la situation. Le feu s’approchait, lovant subtilement les infrastructures, rampant comme un serpent ambré vers son corps. Sélane était sonné, au sol, tenant son épaule, et Widj semblait plus préoccupée à tenir son carton, qu'à véritablement aider le chef de port.


— À l’aide ici !


Le cri de Gardanne se perdit dans celui des autres. La jeune femme fit preuve d’un vain effort pour pousser la caisse, mais ses bras minces ne faisaient que déranger la poussière de suie. Elle s’arrêta alors, comme désespérée, puis regarda l’ancien marin et le feu. Ses pupilles voyageaient entre les deux éléments, entre la vie et la menace. Et face aux brasiers, à la langue rouge agitée qui s’en venait à eux, le matelot faussement masculin décida de rompre son honneur, sous l’accablement de Gardanne.


— Navré.


Widj détala, sa lâcheté brûlerait avec l’ancien marin.


Les yeux de celui-ci errèrent alors dans le chaos ambiant, et il essaya de retirer sa jambe en y mettant toute la force qu’il pouvait, au risque de s’érafler. Ses efforts furent inutiles, comme le furent ceux pour éveiller la conscience du chanteur, dont les yeux vides laissaient entrevoir une forte panique. Les flammes grandissaient aux alentours, et Gardanne n’apercevait plus que des ombres au-delà de la brume, qu’il contemplait maintenant avec un espoir perdu. Le smog l’étouffait, et petit à petit, son esprit s’éteignait dans un élan généreux d’abandon.


C’est lorsqu’il se sentit partir qu’une vision le frappa. Une silhouette immense jaillit de la cendre voletante, et des bras saillants vinrent pousser la caisse gênante. Eden, le visage et les mains noirs, s’était instinctivement porté à leur secours. Il usa de sa force considérable pour pousser la caisse et libérer le pied de Gardanne, dont l’esprit s’illuminait d’une lueur d’espoir. Le pied libre, il exerça ses bras pour se relever, avec l’aide du simplet, tout en s’éloignant des flammes, moins grandes maintenant qu’il était debout.


— Bigre, que ça fait mal, râla-t-il en posant son pied blessé à terre.


Il se tourna vers son grand ami.


— Ne tardons pas trop ici.

— Chanteur ?


Le géant lança un regard vers Sélane. L’ancien marin repensa à Widj.


— Porte-le, je te suis, une main sur toi.


Le simplet, à moitié voûté, devint à son tour le guide, œuvrant pour les faire sortir, en portant dans ses bras le corps frêle de Sélane. Les lèvres d’Eden murmuraient des mots d’enfants, des mots simples, comme des aide-mémoire, que Gardanne essaya de comprendre. Mais il coupa court à sa curiosité, car il se devait de lutter ; le grand gars était sa béquille.


Ils atteignirent en quelques instants une rampe menant au pont supérieur, à l’air frais et exquis de la mer. De fines gouttes de pluies tombaient du ciel noir. Eden posa le chanteur, tandis que Gardanne regardait autour de lui.


Le pont était investi d’un nouveau nombre d’hommes, pour la plupart regroupés au niveau du bastingage. Gardanne put apercevoir des pêcheurs et des bagnards, qui s’étaient hissés, ainsi qu’Aymeric à son poste, qui coordonnait avec des lieutenants les matelots, les hommes de la maistrance et la garnison, pour qu’ils descendent efficacement les cordes pendantes le long du ventre de la coque.


Il ne vit pas Norbert, puis se retourna vers le simplet.


— Qu’est-il arrivé à Nathaniel ?

— Il s’est enflammé, rien pu faire, moi.

— Aurais-tu croisé Van ?

— Van ?

— Vanlocker, le bagnard qui est descendu avec nous…

— Rien vu de comme ça, moi.


Gardanne déplora la nouvelle, et imaginait déjà Balgart faire un concerto de son inattention. L’ancien marin se pencha ensuite vers le chanteur-siffleur, qui reprenait à vue d’œil des couleurs. Sélane leva méthodiquement les yeux vers la carrure imposante du chef de port, puis afficha un sourire railleur.


— Quelle aventure… je me vois déjà… raconter cet héroïsme… et cette lâcheté.


Lapomme parlait en toussant les dernières cendres de ses poumons. Il semblait fiévreux.


— Que les hommes sont parfois vils, lâches… Ce Widj sera le démon de mon conte, si je survis !… Les femmes aimeront écouter cela, la pauvre gloire à rester en vie, en laissant derrière soi des amis.

— Même à demi embrumé, tu parles.


Sélane s’approcha légèrement de Gardanne.


— Ne me parle plus de brume, j’en ai assez.


Il le laissa en compagnie d’Eden, et décida de chercher Widj. L’ancien marin n’en voulait étrangement pas à la secrète femme, car il avait lu dans ses yeux, malgré tout, un regret. Il se prenait pour un fou lui-même de penser ceci, mais la jeune femme avait fait preuve de courage en le laissant à son sort, une entreprise plus sérieuse la poussant à se dévêtir de sa noblesse. Une entreprise qui tenait dans une boîte contenant des effets personnels, pensait Gardanne. Et inconsciemment, la présence d’une femme à bord d’un navire de ligne le tourmentait, le rendait naïf et le persuadait que la couardise de Widj n’était due qu’à une pression autre.


Et les mots du vieux Dérisse voletaient dans son esprit, traînaient comme des feuilles mortes sur le parvis de sa conscience.


Alors il la chercha, le pied comme un boulet, au-delà du chaos ambiant. Il observa les gaillards, les sorties d’écoutilles, leva la tête vers les vergues, les pelons, les écoutes pendantes vers des marins assoiffés de terre. Ses yeux traversèrent des visages éreintés, mais solides, croisèrent des allures fortes, qui souquaient çà et là pour sortir les blessés, les faire descendre. Gardanne finit même par trouver Norbert de Célestine, qui sortait du château arrière, de sa cabine, avec deux lieutenants pour porter des documents, des cartes, des objets insignifiants. L’ancien marin le dévisagea, sans pour autant se faire remarquer, puis se détourna et alla vers la proue, pour regarder le beaupré. Sur celui-ci, qui flambait encore, mais misérablement, il sembla à Gardanne qu’une silhouette se débattait avec les haubans pour se hisser sur le gaillard avant.


Lorsqu’il fut plus près, il reconnut le caban, l’allure et le visage. C’était un matelot d’apparence, qui passait inaperçu ainsi, mais ce n’était qu’un bagnard chanceux qui avait eu l’intelligence de passer par l’extérieur, pour sortir des cales et ainsi se faire passer pour mort. Vanlocker était sauf, Gardanne le voyait de loin, et il n’eut pas le temps d’agir que le brigand s’était enfoncé dans la foule du bastingage, pour sûrement descendre de cet enfer. L’ancien marin râla intérieurement, se sentant inutile. Il s’en retourna vers Eden et Sélane, qui n’avaient pas bougé.


— Eden, ça ne sert à rien de rester ici. Évacue le chanteur, et aide qui tu pourras.

— M’évacuer ? Il va me jeter par-dessus bord !

— Il n’est pas aussi idiot.

— J’essayais de farcer un peu… Relève-moi, bougre !


Eden lui obéit, comme il obéissait à toute personne faisant preuve d’une petite autorité. Gardanne lui indiqua Aymeric, et avant qu’il parte, Lapomme lui accrocha l’avant-bras.


— Tu cherchais Widj, hein ? Ce salopard, je l’ai vu retourner en cale. Il est passé comme ça, dans une écoutille, à corps perdu dans les flammes. Sa folie l’aura fait succomber.


Gardanne encaissa la nouvelle, et entendit dans son esprit résonner les mots de Dérisse. N’oublie personne, Gardanne, ne l’oublie pas, elle.


Il se porta au premier accès et rompit le corps de la fumée épaisse pour revenir dans l’enfer de l’entrepont, où résonnaient encore des cris. L’agonie régnait dans l’espace confiné, l’air était irrespirable et les yeux pleuraient s’il les ouvrait de trop. L’ancien marin s’habilla d’un foulard sur la bouche et s’enquit des environs. Il vit des hommes brûlés, des blessés, des survivants qui rampaient vers la sortie, une jambe calcinée ou tailladée.


Gardanne passait, errait, le pied en feu, et cherchait sans se préoccuper des appels à l’aide. Son intuition le dominait, et les mots du vieux griffonneur le hantaient comme un spectre mal-aimé.


Il vit, entre deux lames embrasées, une figure mince, élancée et fébrile. Sans hésiter, il se porta en sa direction, et reconnut très nettement la jeune femme. Celle-ci était en sueur, à la limite de la panique… et n’avait plus sa boîte de carton sous le coude. Sans se faire remarquer, l’ancien marin passa derrière elle et posa sa main sur son épaule.


Elle s’éteignit sous ses yeux en voyant le visage sali, mais en vie, de Gardanne.


— Vous êtes en vie… je suis… navré… bafouilla-t-elle.

— Croyez-vous que nous avons le temps pour ces jérémiades ? Sortons d’ici bon Dieu !

— Je ne peux pas, en vous laissant… j’ai laissé tomber mes effets personnels.


Gardanne se rembrunit.


— Cessez donc ! Ce ne sont pas de vulgaires affaires. Qu’est-ce que c’est ?


Wijd regarda l’ancien marin, en colère et excité par le feu aux alentours. Elle afficha une expression décontenancée, une grande hésitation s’était emparée de ses pensées. Ses lèvres s’ouvrèrent alors sur de légers mots.


— Je suis une femme.


Elle avait dit ça dans un murmure.

Gardanne afficha un sourire.


— Certes, je l’ai compris. La boîte ?

— … un passeport, qui prouve que je suis un homme… et un souvenir, celui de mon père.


Ces mots firent tressaillir l’ancien marin. Il la sonda du regard, et vit tout autre chose en elle. C’était une jeune femme, presque une gamine qui aurait pu être sa fille. La vérité était toute simple, aussi simple qu’un souvenir contenu dans une boîte. De l’innocence, voilà ce qui l’avait frappé. Il avait perçu sa peur de mourir, et maintenant il observait dans ses faibles pupilles sa crainte, plus grande encore, de laisser derrière elle sa mémoire.


Mais le danger grandissait autour d’eux, et Gardanne savait qu’ils devaient bien plus se préoccuper de leur vie, que de papiers. Il regarda avec compassion Widj, puis lui étreignit le bras pour l’emmener de gré ou de force. La volonté de la jeune femme lutta contre la poigne puissante de Louis, elle cria son désaccord, donna même un coup de pied à l’homme qui tentait simplement de la sauver. Sa folie ne se calma qu’au bout de quelques instants, quand ses efforts la fatiguèrent et que la fumée s’était emparée de son esprit. L’ancien marin la porta alors, et sortit de l’entrepont intact.


Dehors, la pluie s’était intensifiée, et le pont se vidait de plus en plus vite. La tempête grondait au large, prévenait les marins de son arrivée. Une brise virulente s’était levée, elle claqua sur les joues noircies de Gardanne. Celui-ci s’empressa d’aller vers Aymeric au bastingage. Il posa Widj, qui reprenait doucement ses esprits.


— Aymeric, je veux que tu descendes avec ce matelot, je te le confie !


L’individu regarda le visage troublé de Widj, sans percevoir son secret, mais fut frappé par son teint pâle et ses frissons. La jeune femme n’avait pas de caban, rien ne la protégeait de la froideur de la nuit.


— Et pourquoi donc ? demanda Aymeric, je veux rester pour coordonner ! Ce matelot n’a qu’à descendre seul.

— Il ne peut pas… et moi je n’ai plus l’énergie pour porter un corps.

— Mais Gardanne, il reste…

— Ne discute pas Aymeric.


Un coup de tonnerre ponctua l’ordre, et Aymeric prit avec lui Widj et commença la descente.


Gardanne ne mit guère longtemps à les suivre. Il agrippa une corde, passa une jambe par-dessus le bastingage et se laissa choir sur le ventre de La Gloire en Mer. Autour de lui, de nombreux marins l’imitaient. Ils étaient parmi les derniers, les blessés avaient été descendus sur les goélettes en contrebas, et seuls restaient en haut les officiers, dont Norbert de Célestine.


La descente était plus rude que la montée. Le vent, nouveau venu dans cette pagaille, faisait tanguer les cordes. De même, les sabords débordaient de fumée, la visibilité était faussée, et des tourbillons virulents de smog venaient caresser la hardiesse des preux matelots. Gardanne tenait fermement sa corde, mais sa cheville le faisait encore souffrir, et ses bras commençaient à flancher. Ses mains pelées sous le chanvre, il poussait des grognements terribles pour lutter contre l’envie incroyable de tout lâcher.


Un coup de tonnerre étrange résonna, plus proche et plus lourd. Il retentissait de dessous la bordée du navire, tout juste au niveau de Gardanne, à sa droite. Ce n’était pas la foudre. Une énième explosion avait soufflé, et la coque vibra, se décharna, le bois grinça et les premiers débris frappèrent le corps éreinté du marin. Au-dessus de lui, un claquement bref suivit l’explosion, et alors qu’il n’avait pas lâché prise, il se sentit tomber, tout léger.


La corde, à laquelle il s’était accroché, avait été subtilement léchée par le feu sortant d’un sabord, le choc précédent avait accéléré le processus. Maintenant, il chutait, délivré de l’effort physique, mais destiné à une mort écrasante et rapide.


Par instinct, il essaya de s’agripper à quelque chose. Une poigne, promise au vent, puis une autre, caressée par le froid. Son espoir encore s’éteignait, et une peur qui le rendit misérable l’étreignit, celle naturelle de mourir aussi simplement et rapidement, sans dernier mot, sans qu’une main l’accompagne dans son dernier voyage. Devant lui se déployaient le feu, le vent, le ciel et la pluie. Un quart de seconde et il vit défiler des milliers d’éléments, la structure qui grondait et les cris des hommes. Il s’évanouissait, lentement, trop peu fort pour affronter cette vision, cette descente rapide vers un abîme qui lui glacerait le sang. Il allait fermer les yeux, prêt à recevoir le terrible cadeau qu’on lui faisait. Il entendait déjà les lames vibrer sous lui.


Une main forte agrippa son bras. Le contrecoup le surprit, et ses paupières s’élevèrent comme une armée à genoux qui affrontait le dernier ennemi. Il voulait vivre, pour sûr, il souhaitait revenir en vie de cette aventure. Il empoigna avec la force de celui qui veut survivre l’avant-bras de son sauveur, en haletant, en s’arrachant de la menace. Sauvé, en suspension au-dessus du vide, il regarda au-dessous de lui les débris, ainsi que les malheureux se vautrant dans la mer et ses rochers. Il leva la tête, toujours dans le vide, vers l’homme au bon réflexe, habillé d’un caban bleu de matelot.


Le sourire juvénile de Vanlocker brillait à la lumière des flammèches.


— Gardanne, attrape la corde !


L’ancien marin chopa rapidement la corde, qui pendait sous le brigand. Il souffla quelques secondes, puis fut contraint de reprendre la descente, au rythme effréné du bagnard.


Le toron les mena sur une embarcation de pêcheur, dont le capitaine vint les cueillir. Gardanne posa un genou à terre, en étant retenu par le pêcheur, puis cracha sur le pont, tout en respirant abondamment. Il avait eu le souffle coupé, et se devait de reprendre ses esprits.

Lorsqu’il releva la tête, il ne vit plus Vanlocker.


— Tu l’as échappé belle Louis ! disait le pêcheur, ce matelot t’a sauvé la mise. J’ai tout vu !


Gardanne chercha du regard le hors-la-loi. Une goélette plus grande, investie par des officiers et des matelots, était collée à la petite embarcation de pêche. Le Hollandais avait dû passer par-dessus le bastingage et se mêlait à la foule compacte du pont voisin. Le trouver, alors que les vagues faisaient tanguer les navires et que la garnison se bousculait, se révélait impossible.


Le pêcheur ne se fit pas attendre pour virer de bord et mettre le cap loin de l’épave, vers les terres. Le tonnerre l’encourageait. Gardanne le laissa faire, sans un mot. Il s’attacha à une pensée qui le ferait revenir à la réalité, et pensa ainsi à Aymeric.


La petite embarcation traversait la flottille, dont les navires commençaient eux aussi à virer de bord, effrayés par la tempête. Gardanne louchait vers les différents ponts qui défilaient, à la recherche de son ami et de la jeune femme. Il se tourna alors vers le pêcheur, qui tenait le gouvernail.


— Aurais-tu vu Aymeric ? demanda-t-il avec espoir.

— Je crois bien oui, répondit le capitaine, il portait sur lui un jeune matelot blessé. Il a atteint un pont avant l’explosion qui t’a secoué…

— Sais-tu quel navire ?

— Absolument que non, j’étais trop concentré à lever la tête vers tout ce bordel…

— Gardanne !


Une voix âpre le fit se retourner. Le balafré gardien de bagne se tenait en bout de proue, sur sa goélette, à tribord, et gueulait comme un porc vers la petite embarcation où se trouvait le chef de port. Gardanne se dressa sur le bastingage.


— Où c’qu’il est, mon Van ? demanda Balgart, lorsque le pêcheur fut en position d’abordage.

— Je n’en sais rien…


Gardanne se hissa vers le gardien.


— J’espère qu’il est crevé…


Et Balgart cracha, tout en aidant le chef de port à passer à bord.


Sur le pont, quelques matelots de La Gloire en Mer se réchauffaient, en compagnie de bagnards épuisés et, à la surprise du chef de port, d’Eden et Sélane. Le simplet regardait avec de grands yeux au-dessus de lui, comme apeuré par le tonnerre de plus en plus proche. Sélane sifflotait, heureux d’être en vie, et sourit abondamment en voyant Gardanne.


— Te voilà vivant Gardanne ! Mon conte aura finalement une fin heureuse.


L’ancien marin ne fit pas attention au siffleur. Il continuait à chercher Aymeric, et plus encore la jeune femme. Sélane s’imposa à sa pensée.


— T’a-t-on prévenu ? demanda le chanteur, solennel.

— Quoi donc ?

— Dérisse, le vieux fou à l’origine de cette escapade, est mort. Le froid l’a emporté.


Gardanne eut un sursaut de tristesse. Cette nouvelle avait étreint son cœur.


— Son corps est sous une couverture, à la poupe, poursuivit Sélane. C’est malheureux… lorsque nous serons revenus au village, je chanterai son nom. Son souvenir est préservé ! Lui, le magicien aux prédictions sans faille, sans qui nous aurions laissé quatre cents malheureux périr en mer. Sans lui, nous n’aurions pas vu ce spectacle !


Le chanteur se leva, et pointa du doigt les vestiges du navire de ligne, qui flambait ici et là, avec juste au-dessus de son ombre imposante les éclats blancs de la foudre.


Gardanne regarda La Gloire en Mer périr à petit feu, les flammes le grignotant de l’intérieur. Le navire de ligne n’était plus, les deux rochers avaient été sa dernière demeure, son lit de mort. En lui, Gardanne savait que de nombreuses vies avaient été sauvées, que le sauvetage avait réussi, malgré les pertes. Mais son âme avait été sondée par les yeux de la mort. Le temps du retour, il resta muet et pensif, évaluant sa chance d’être en vie.


Le lendemain, le port du village du Levant s’était transformé en immense infirmerie et en camp de fortune pour les survivants. Les femmes et les hommes du village venaient en aide aux blessés, tandis que les hauts officiers commençaient le travail terrible du recensement. En fin de matinée, Gardanne sut ainsi qu’ils avaient secouru trois cent quatre-vingt-onze marins sur cinq cents.


Le chef de port admirait l’agitation qui ébranlait son port, depuis la terrasse en deuxième étage de sa capitainerie. Il resta là, assis, un verre de vin non loin de lui, à contempler cette belle matinée d’hiver, pour laquelle le ciel s’était découvert. En accord avec son personnel, il avait décidé de prendre un temps de repos, ne serait-ce qu’une matinée, pour réfléchir.


Sous l’azur magnifique de cette nouvelle journée, sa pensée s’envolait et se perdait. Il était étreint par l’amertume, le regret, la tristesse, mais aussi la reconnaissance.


Il entendit, vers dix heures, retentir la voix de Sélane, qui se vanta de lui avoir sauvé la vie et d’avoir remis à sa place un dénommé Widj. Gardanne n’eut cure de ses revendications et de ses mensonges, et laissa les femmes crédules savourer le récit, dans lequel il était par ailleurs un héros. Il vit aussi Aymeric, qui coordonnait la logistique du port en son absence. Celui-ci avait perdu la trace du matelot qu’il avait sauvé, tout juste après l’accostage.


Un peu avant midi, alors que Gardanne s’apprêtait à se lever pour descendre, quelqu’un frappa à la porte de son bureau et entra. Il se retourna et vit venir en terrasse une silhouette svelte, dont le visage fin rendit son sourire au chef de port.


— Widj. Vous allez bien, à ce que je vois.

— Oui…


La jeune femme portait une nouvelle tenue, dont la petitesse mettait en valeur ses atouts féminins. D’ailleurs, la clarté de la journée empêchait toute méprise. Elle restait plantée là, à regarder Louis, de ses yeux curieux et timides.


— Que voulez-vous ? finit-il par demander.

— Eh bien…


Elle prit une grande inspiration.


— Je voudrais m’excuser… Sur le navire, entourée par les flammes, je vous ai laissé…

— Pour mort ?

— Oui… Il était important pour moi de vous exprimer ma reconnaissance…


Elle fit une pause, loin d’être arrivée au bout de sa pensée. Gardanne fronça les sourcils.


— Vous n’avez pas fini ?

— Non… Écoutez, monsieur Gardanne, je n’ai plus ma place, en mer. Si j’y retourne, on me démasquera, et la preuve de mon identité est partie en fumée… Je suis loin de chez moi, sans abri, sans famille. Je ne connais que vous…


Gardanne commença à sourire.


— Demandez-moi ce que vous voulez, qu’on en finisse.

— Votre aide. Vous êtes le chef de port, à ce que j’ai entendu. Vous pouvez me donner un travail, et préserver mon secret. Peu m’importe quoi, mais laissez-moi rester ce que je voudrais être : un homme.


Gardanne réfléchit un instant.


— Qu’en est-il de Widj ?

— Widj ne fait pas partie des survivants…

— Je vois…


Il se servit un verre de vin et contempla l’horizon.


— Il faut avoir du courage pour prendre la mer, plus encore quand on est une femme et qu’on le dissimule… et il faut avoir un sacré culot pour venir quémander du travail et un toit à un homme qu’on a laissé derrière soi mourir.


Gardanne se leva de sa chaise et posa son verre sur la balustrade, le regard fuyant vers la foule du port. Il regarda au hasard un groupe de matelots, qui faisait la queue devant un sous-officier. Une silhouette familière passa près de la file, et laissa tomber quelque chose, ce qui attira son œil. Gardanne brusquement, le pas rapide, de sa terrasse, traversa son bureau et passa sans un mot devant Widj. Avant de sortir, il la regarda.


— Je vous attends ici, demain. Si l’on demande votre nom, dites que vous vous nommez Antone. Antone Dérisse. Vous êtes un parent du vieux griffonneur… Celui-ci n’est plus là pour dire le contraire. Dormez là où ça vous chante, on réglera ça demain.


Et il sortit. Gardanne se dirigea rapidement vers cette queue d’attente qu’il avait aperçue de sa terrasse, et regarda aux alentours. Sur plusieurs aussières, il vit ce que la silhouette avait laissé, un caban bleu de matelot. Gardanne prit le caban et alla vers le sous-officier pour le lui donner.


Il ne chercha pas plus, convaincu que le prix de la liberté valait bien celui d’une vie.


 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   vendularge   
8/6/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Belle histoire, belle écriture que j'ai lue avec intérêt malgré la méconnaissance absolue que j'ai de ce sauvetage en particulier et de ce monde en général.J'ai d'ailleurs cherché sur le net ce François de Gardanne et je ne l'ai pas trouvé.

Qu'importe, merci pour cet excellent moment de lecture.
Vendularge

   Anonyme   
13/6/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Au début, j'ai vraiment beaucoup eu de mal à classer dans ma tête qui était qui et qui faisait quoi, sans compter que la flottille de bateaux de pêche venus du port secourir le vaisseau de ligne, en principe perdue derrière la barque où se tient Gardanne, réapparaît de manière tout à fait impromptue me semble-t-il :
L’information navigua entre les bateaux de pêche, les chalands et les autres embarcations, et tout le monde se tint prêt à recevoir les rescapés.

Bon, mais ça s'arrange à mesure que l'action se déroule, et j'ai fini par débrouiller les différents caractères. J'apprécie plutôt que le récit me semble une partie d'un ensemble plus important, qu'on se demande pourquoi un chef de port suit aveuglément les divagations d'un vieux pour monter une expédition de sauvetage, qu'il embarque on ne sait trop pourquoi avec un pseudo-troubadour, et que l'histoire avec Widj promette des prolongements. C'est comme dans la vie, un épisode prend ses racines dans le passé et annonce l'avenir.

Donc, à partir du moment où Gardanne et ses suivants ont rejoint le capitaine du grand vaisseau, ça va. Avant, pour moi, les dialogues entre les cinq individus sur la barque sont à peu près inutiles ; s'ils sont là pour présenter au lecteur les personnages, en ce qui me concerne c'est peine perdue, je ne me suis pas vraiment retrouvée plus éclairée après qu'avant. Pour moi, cette phase de mise en place des circonstances et du décor pourrait être grandement réduite pour laisser vite place à l'action.

J'ai bien aimé cette action, donc, le chaos ambiant me paraît bien rendu et le récit bien équilibré entre dialogues et descriptions. La phrase de fin ne me semble pas forcément utile, surtout à partir de "convaincu".

   Perle-Hingaud   
29/6/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour Novi !

Vous nous proposez une vraie aventure, c'est un genre rare en nouvelles, plutôt un mini-roman, mais en tout cas, j'aime le souffle qui se dégage de votre récit.

Quelques remarques notées au fil de ma lecture (à l'époque en Espace lecture) :
- au départ, les personnages sont très confus pour moi. Dans le dialogue du début, je suis perdue. Souvent je ne sais pas qui parle. L'auteur caractérise ses personnages (par ex, Machin est très costaud) mais en fait il y en a trop, trop rapidement pour que j'assimile.
- Plus loin, si je visualise bien le bateau échoué, j'ai du mal à comprendre comment la communication se fait avec les autres bateaux: L’information navigua entre les bateaux de pêche, les chalands et les autres embarcations, et tout le monde se tint prêt à recevoir les rescapés, et comment 400 personnes peuvent être contenues dans ce qui est défini comme "une petite embarcation" à la première ligne ?
- je n'ai pas trop compris où était l'ancien bagnard, ce qu'il faisait là.
...
En fait, ça y est, j'ai compris, mais j'avais sauté l'information dans les premières lignes, touffues: les hommes sont, dés le début, tous partis secourir le bateau, dont des bagnards en renfort, donc il y a plusieurs embarcations. ...
-" L’homme les calcula à peine,": argh !
- le passage de la chute de Gardanne et de son sauvetage par Van me parait flou, je n'arrive pas à visualiser où se trouve Van ni comment il le rattrape.
- même la fin est confuse: pourquoi Van laisse-t-il tomber la caban (celui de la fille, je suppose) et pourquoi Gardanne le donne-t-il au sous officier ?

Ces points ne sont cependant pas essentiels, juste des réajustements à faire. Les descriptions, le rythme et les personnages me séduisent !
En route vers de nouvelles aventures, moussaillon !

   jaimme   
29/6/2016
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai lu votre nouvelle en espace lecture. Je reviens ici pour vous donner quelques impressions:
- le sujet est bien choisi, c'est une histoire que je ne connaissais pas.
- je suis allé jusqu'au bout, d'une seule traite et ce n'est pas rien!
Quelques conseils:
- j'ai trouvé que les moments les plus dramatiques n'étaient pas assez individualisés. Je m'explique: la tension dramatique est (pour moi) trop uniforme; il faudrait l'accentuer pour les moments les plus forts.
- la période mériterait une écriture plus adaptée, peut-être se renseigner sur le vocabulaire du siècle, voire les tournures ("on se les caille" fait un peu trop moderne par exemple). Il y a bien des auteurs du XVIIIème qui pourraient vous mettre sur la voie. Je pense à Jean-Sébastien Mercier ("le tableau de Paris", plutôt sympa à lire).
Une histoire qui ne m'a pas laissé indifférent et qui mériterait un travail plus approfondi. Donc merci pour cette lecture!

   MissNeko   
2/7/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonsoir

J ai lu votre nouvelle en plusieurs fois par rapport à sa longueur. Je viens de finir ce soir !
Quelques remarques :
- une belle plume ( trop moderne peut être par rapport à l époque )
- je me suis perdue dans les personnages surtout au début.
- des passages trop longs qui n apportent pas toujours quelque chose à l intrigue.
- des passages flous (ex: le sauvetage de Gardanne par le bagnard)
- c est dommage de ne pas avoir détaillé le pourquoi du "travestissement " de Widj.
- un vocabulaire riche et précis.
- j aimerais bien une suite !!!
- widj dit deux fois "navré" alors qu on sait que c est une femme puisque le narrateur parle de ce personnage soudainement au féminin comme s il n y avait plié de doute. "Navrée "
Ne serait pas plus adéquat ?

Un bon ( long !) moment de lecture. Merci

   Thimul   
13/5/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Tout d'abord permettez - moi de vous dire que je ne vous félicite pas. Votre histoire m'a mis à la bourré de 3/4 d'heure cet après midi. Ce préambule n'est pas anodin.
Quand j'ai commencé ce récit je me suis dit dans un premier temps :
C'est brouillon, mais oú est-ce qu'il veut en venir? Rien à faire il fallait que je sache. Ce qui veut dire bien évidemment que malgré sa faiblesse le début accroche réellement. Est-ce justement ce côté dispersé qui provoque l'envie d'y voir plus clair ? Je ne saurais le dire. En tout cas chez moi ça a fonctionné.
Puis vient le moment où les naufragés sont trouvés. Et alors là chapeau.
Je ne sais pas où vous avez trouvé l'idée de ce bateau suspendu au dessus des eaux coincé entre deux rochers et en flamme mais franchement c'est une trouvaille visuelle fantastique.
Là ça décolle et ensuite je ne lâche plus car je veux savoir impérativement ce qui arrive à ces personnages.
Alors bien sûr il y a des faiblesses comme le contact entre les deux bateaux qui me semble peu clair : on parle des autres bateaux qui sont là sans comprendre très bien d'où ils sortent mais dans mon immense bonté j'ai pardonné.
Un bon moment de lecture trop bon puisque bon... j'en ai déjà parlé au début.


Oniris Copyright © 2007-2023