Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Sentimental/Romanesque
Nushka : Sous clé
 Publié le 15/10/21  -  4 commentaires  -  3623 caractères  -  74 lectures    Autres textes du même auteur

Dans une chambre d'hôtel, un homme se rhabille. Sur le lit, une jeune femme est étendue, qu'il observe.


Sous clé


Les premiers rayons du soleil éclaboussent de carmin la main pâle de la jeune femme abandonnée sur le lit défait. Sa chevelure sombre auréole son visage, se fait fourrure sur les coussins blancs éparpillés autour de sa tête. Les draps traînent jusqu’au sol parqueté, se mêlent aux tissus des vêtements égarés. Sa peau frissonne, elle n’esquisse aucun geste pour se couvrir. Ses iris se dissimulent, se refusent, tournés vers la fenêtre rouge de soleil orient. Un vrai tableau de maître. « L’alanguie boudeuse », « L’amante échevelée », « Vénus incandescente »… Plusieurs titres lui viennent à l’esprit tandis qu’il la contemple. Dans son esprit, cette vision se superpose avec le souvenir de celle qu’elle était la veille encore, frondeuse, en robe d’opale innocente et petite toque en astrakan sur la tête, faisant tintinnabuler de sa bouche délicate un de ces vers lamartiniens non moins délicats qui avait fait taire de stupeur toute l’assemblée, à l’origine réunie pour lui seul au Jardin d’hiver. C’était la première fois qu’il la rencontrait. La veille, seulement. Il avait vu jaillir de ses lèvres ourlées des mots purs, immaculés… alors que rien dans sa personne ne l’était plus désormais. Doux plaisirs. Elle était une des ses plus belles conquêtes, il fallait le reconnaître… La plus juste peut-être. Sa Justine inégalée… Oui, il s’était senti l’âme d’un Sade dès qu’elle avait osé lui demander un entretien. « Je suis poétesse et j’aimerais l’avis d’un confrère de renom », lui avait-elle glissé en toute impertinence. Il savoure la résurgence intempestive et son aplomb troublant. Quel goût avait eu cette prise ! Il pétille encore sur sa langue, sur ses doigts. Il s’en souviendra longtemps, il le sait.

À tâtons, il remonte sa braguette. Il ne la quitte pas des yeux, des pieds arqués aux cuisses écartées sans pudeur, aux traces humides et rougies qui les imprègnent. Erre sur sa gorge, ses poignets marbrés… Une fois sa veste remise, il tire le verrou qui a tout permis. Jette un ultime regard en arrière. Le bruit l’a sortie de sa torpeur ; elle a tourné vers lui sa figure plus charismatique que belle. Planté son regard dans le sien. Décidément, jusqu’au bout, elle restait tentante.


– Je suis attendu pour une conférence, ce matin. La suite est payée : restez autant que vous le souhaitez. Je vous recontacterai certainement pour votre manuscrit.


Profondeur abyssale de ses pupilles écarquillées avant qu’elle ne murmure, la voix rauque de ses luttes nocturnes :


– Vous m’avez arraché ce que j’étais prête à vous donner librement.


Il prend la peine de lui répondre, et obligeamment. Il se félicitera d’ailleurs plus tard de sa patience :


– Louise, vous êtes venue de vous-même. De votre plein gré. Nous savons tous deux qu’il ne s’est rien passé que vous n’ayez, tôt ou tard, désiré, n’est-ce pas ?


Elle blêmit. Expire.


– « Que l’homme maintenant s’estime à son prix », siffle-t-elle.


Il sourit. Décidément, elle savait choisir ses moments pour lui rappeler son sens de la repartie.


– Pascal au petit matin ? Ce grand homme a ajouté, je crois : « Qui veut faire l’ange fait la bête. » C’est de circonstance, non ? réplique-t-il. Je ne vous ferai pas l’affront de vous présenter des excuses, Louise. Vous valez mieux que cela, je vous assure.


Le regard gelé de la jeune femme s’embrume et s’évade de nouveau vers la fenêtre en fusion, en même temps qu’elle se recroqueville pour dissimuler son corps à sa vue. Il quitte la chambre et son odeur musquée sans un coup d’œil en arrière.

Un sanglot étouffé s’échappe, seule réponse audible qu’elle ne parvient pas à contenir.


 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   Anonyme   
11/9/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
En lisant
Il pétille encore sur sa langue, sur ses doigts. Il s’en souviendra longtemps, il le sait.
je me suis dit que la femme sur le lit était morte, et je trouvais déjà l'issue un peu facile. Eh bien non, c'est beaucoup mieux, littérairement parlant : le type l'a violée, abusant de sa position de pouvoir. Et il est content.

Je trouve que vous faites très bien ressortir le cynisme, la cruauté satisfaite du violeur certain de son impunité ; le choix me paraît un peu étrange d'un poète, les romanciers sont en général plus connus et jouissent de davantage d'entregent, de charisme susceptible d'éblouir une débutante, mais pourquoi pas. Bravo en tout cas pour l'efficacité de cette histoire brève et, à mes yeux, vraiment percutante.

En relisant, je me rends compte de deux choses :
- même si la jeune femme s'affirme poétesse et déclare souhaiter l'avis d'un confrère, on peut supposer que le mot "confrère" s'applique à un homme de lettres au sens général ;
- dans la mesure où elle a fait montre de culot, a coupé la parole au grand homme et, en quelque sorte, lui a écorné un moment de gloire, je me dis que cette crème d'ordure a éprouvé d'autant plus de plaisir à la "remettre à sa place" de proie pour ses appétits ; très bien vu à mon avis, car le viol est aussi, et beaucoup, une affaire de pouvoir.

   vb   
14/9/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,
merci pour ce beau texte très court mais très dense. J'ai beaucoup aimé votre manière de dévoiler peu à peu les personnalités des protagonistes, la relation ambiguë qui les lie l'un à l'autre. Une très belle lecture! Si n'était votre style qui est très littéraire, j'aurais pensé à Simenon qui, lui aussi, adore ce type de relation homme-femme asymétrique.
J'ai cependant quelques petites remarques:
J'ai trouvé bizarre que vous employiez orient comme adjectif, opale comme nom commun (dans le sens de couleur), Jardin d'hiver avec majuscule et tintinnabuler de manière transitive (ce qui semble être fautif selon le cnrtl).
À bientôt,
VB
Lu en espace lecture

   Corto   
16/10/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
L'auteur de ce poème montre son talent à exposer une scène où l'ambivalence est reine. On rencontre successivement des épisodes explicites et d'autres où l'interprétation est libre.
Cela donne une vision qui crée l'interrogation, sur fond de relation où chacun a son ressenti.

Déjà dans un texte précédent, la nouvelle " Sans voix" la relation entre deux êtres était construite sur l'attirance où le littéraire occupait une grande place, puis au jour où aller "plus loin" semblait logique, tout se grippait.

Ce style est aussi brumeux que la vie elle-même, ce qui donne un rendu très réaliste dans sa complexité même.

Bravo.

   Anonyme   
22/10/2021
Mon commentaire ne vous apportera vraisemblablement rien et j’en suis désolé. Je vous livre uniquement une expérience de lecture parmi d’autres.

Quel que soit le fond de ce texte, ce n’est pas un texte pour moi et dès la première phrase. Par le style uniquement. Une deuxième, une troisième phrases peuvent éventuellement racheter la première, me la faire oublier. Ici, la deuxième confirme la première. J’ai lu jusqu’au bout, mais il est inutile de détailler l’ensemble.

J’ai bien conscience que dire qu’un style n’est pas fait pour moi ne comporte en soi aucune information, mais comment vous expliquer la réception de ce style ou absence de style sans risquer de vous froisser car telle n’est pas mon intention ?
Disons que je le reçois comme un style standard, ou un non-style standard, applicable indifféremment à toute situation, à tout texte et faits de mots convenus, agencés de manière convenue et relus cent fois si ce n’est mille. Le soleil pourrait être celui de cette journée ou le même dans cent autres nouvelles. Comment pourrais-je, après l’avoir vu éclabousser tant de fois, le voir éclabousser encore une fois avec le moindre début de surprise ? Je ne vois le carmin que comme une manière si commune de désigner autrement la couleur rouge. La main pâle pourrait être celle de cette jeune-femme, celle de mon petit frère ou celle de ma grand-mère. C’en est déjà beaucoup pour une seule phrase, surtout s’il s’agit de la première, mais il en est ainsi jusqu’à la dernière.

Désolé pour le peu d’égard pour votre travail. Ce commentaire n’est agréable ni pour moi ni sans doute pour vous, mais c’est un commentaire honnête.


Oniris Copyright © 2007-2023