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Brèves littéraires
Ornicar : Soliloque
 Publié le 14/04/25  -  2 commentaires  -  3660 caractères  -  24 lectures    Autres textes du même auteur


Soliloque


D'abord, le décor.

Des tables, quelques chaises, un antique comptoir en bois. L'endroit est sombre, spartiate, pas très bien tenu, vide de toute présence humaine. Entre un homme qui reprend son souffle.


– Dieu ! qu'il fait soif !


L'arrivant glisse un regard à la ronde, se heurte aussitôt à l'épaisseur du silence.


– Y a quelqu'un ?


Nouveau silence… Autre regard circulaire. Plus lent, cette fois.


– Ohé !… Personne ?


Sur l'une des tables, comme une tache de sang révélant la pénombre, une coupe de couleur rouge attrape son regard. Perplexe, l'homme s'approche à pas comptés dans un mouvement dérivant, penche une tête délicate comme au-dessus d'un vide. Dans la coupe, un liquide clair. Incolore. Inodore. De l'eau ?… Pour qui ? Pourquoi ? Un temps s'écoule. Méfiant et mal à l'aise, l'homme examine de ses yeux fouisseurs cette présence incongrue, presque intruse, finit par lui adresser la parole, tout en se retournant de temps à autre.


– Qui es-tu, toi ?… Que fais-tu là, d'abord, toute seule ?… Il est où, ton patron ? Il t'a laissée choir sur le carreau ?… Quelle main mystérieuse ou malveillante t'a mise sur mon chemin ?… Mais… tu souris ?… Cesse de sourire à demi quand je te parle. On dirait la Joconde… N'as-tu donc pas peur des mauvaises rencontres ?


L'homme se retourne encore une fois, sonde à nouveau les lieux du regard, puis, certain maintenant d'être seul, poursuit, plus entreprenant :


– Crois-tu que je n'ai pas remarqué ton manège ? La façon dont tu épies chacun de mes gestes ? Espères-tu me séduire, murée dans ton silence énigmatique et ta robe écarlate ? Excitant la convoitise de mes yeux, les bas instincts de mon ventre ? Oui… ton eau semble pure et transparente. Mais qui me dit qu'elle est buvable ? D'ailleurs… depuis combien de temps croupis-tu là, dans ce bouge minable, misérable potiche ? Quelle infâme potion – ou pire ! – réserves-tu à tes amants de passage ? Écoute-moi bien, je ne vais pas tourner autour du pot. J'ai une sacrée soif, oui. Une putain de soif, même ! – si tu veux savoir. Je pourrais ne faire qu'une goulée de toi, si je voulais. Pas vu, pas pris. D'y penser seulement, l'eau me monte à la bouche… Tu ne dis rien ? Dois-je en déduire que tu es d'accord ? Est-ce ta façon muette de consentir au désir de mes doigts d'enserrer ton col ?… Parle à la fin !… Défends-toi !… Dis quelque chose !


L'homme finit par tirer une chaise pour y asseoir sa masse corpulente. Son visage grêlé, son haleine sèche, sont au plus près de la paroi lisse et colorée, jusqu'à sentir la fraîcheur de la peau, la humant dans une profonde inspiration. Puis, plus persuasif que menaçant :


– Arrête d'imaginer des choses. Qu'est-ce que tu crois ? Il y a encore loin des bords de ta coupe aux coins de mes lèvres. Au pire, nous deux, c'était un coup en passant, comme ça, sans importance. Vite fait, mal fait. Sitôt consommé, si vite oublié. Veux-tu que je te dise ? L'éclat de ta robe me rappelle les chemins buissonniers de mon enfance, la couleur des baies sauvages qui peuplaient leurs bords. T'aurais vu comme elles étaient belles au soleil !… Tellement racoleuses, ces baies, qu'un jour, une prévenance toute maternelle m'interdit définitivement de les approcher.


Puis, relâchant brusquement l'étreinte de son regard, les yeux perdus dans le vague des souvenirs, d'une voix que la confidence lâchée venait d'adoucir :


– Comprends-tu maintenant ? Qui sait ce qu'il serait advenu du garçonnet en culottes courtes, si ses petites mains baladeuses avaient bravé l'interdit, ses jeunes dents carnassières mordu le fruit défendu ? Serais-je là, encore aujourd'hui, à soliloquer devant toi ?


 
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   Cyrill   
2/4/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Il y a du flou dans le tableau. C'est de l'eau ou du vin ? Rouge ou transparent ? Boira, boira pas ?
On ne sait pas. Ici c'est la tentation qui est examinée sous toutes ses coutures. Le pour et le contre pesés et mal pesés, au bénéfice du doute.
Le mensonge à soi-même, les feintes : « Pas vu, pas pris ». Le réel trompeur : visuel, olfactif… L’interdit évoqué qui ramène le locuteur à son enfance et le dédouane de l’addiction. La faute est reportée sur l’autre, la figure maternelle, les baies, le verre : « Est-ce ta façon muette de consentir au désir de mes doigts d'enserrer ton col ? ».
La coupe comme métaphore de la féminité, le sourire est maternel : « On dirait la Joconde ».
Soliloque d’alcoolique en rémission ? Il a peut-être sa médaille de la première année, et il est sur le point de craquer.
J’ai bien marché, vécu la scène. C’est bien imaginé et écrit, agréable à lire. Je me pose juste une question : ne pouvait-on pas se passer des didascalies et ne laisser que le soliloque. Elles ont parfois gêné mon immersion dans la scène.

   papipoete   
15/4/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
bonjour Ornicar
Moi, qui aime la picole je te regarde petit ballon, empli d'un mystérieux nectar.
Je pourrais te siffler d'un trait, comme me taper une nana d'un coup en passant , mais la vie m'apprit à ne pas succomber à la tentation ...
NB un soliloque dont nous sommes tous amenés un jour, à entreprendre ( cette passerelle à traverser ; elle est bien étroite et pourrait céder sous mon poids ? - vas-y ça risque rien - ouais mais j'ai la trouille !
ou bien " tout ce pognon trouvé sur mon chemin, j'ose pas le prendre ? - mais si, vas-y ! "
Je trouve la personification du verre très réussie ; j'apprécie particulièrement le passage des " chemins buissonniers de l'enfance et ces baies si tentantes "


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