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Sentimental/Romanesque
Palocace : En haut des marches
 Publié le 09/11/08  -  5 commentaires  -  92882 caractères  -  10 lectures    Autres textes du même auteur

Vous possédez une cave. Avez-vous pris le temps de l’explorer ? Pas de porte au fond, ni une trappe dissimulée ? Si vous découvrez un passage secret, pénétrez-y avec prudence. La curiosité pourrait changer votre vie…


En haut des marches


I


Stéphane referma la porte vitrée et adressa un au revoir de la main. Il avait en horreur les adieux sur les quais de gare, aussi préférait-il s’y rendre seul à pied. Marion lui envoya un bisou et rectifia un tableau qui penchait. Elle alluma les spots. La galerie s’éclaira d’une multitude de couleurs.


La Grand-rue était encore calme à cette heure-ci. Les boutiques allaient ouvrir. Seuls, les quelques fonctionnaires qui se rendaient au tribunal s’essoufflaient à monter la côte. Stéphane avait toujours aimé Genève. Son impression de calme principalement. Que ce soit le quartier des banques ou celui de la vieille ville. Le jet d’eau, les grandes organisations internationales, il les laissait aux touristes. Lui, ce qu’il appréciait, c’était la rigueur suisse, les bonnes manières, la politesse. Et puis et surtout, il y avait Marion. Trois ans qu’ils se connaissaient. Trois années de courtes rencontres au hasard des expositions et de leurs voyages. C’est elle qui l’avait contacté, la fois où il avait participé à Europ’Art. Elle avait aimé les taches de couleurs vives qu’il avait su poser sur ses toiles pour interpréter la Provence. Par la suite, elle avait été conquise par son sourire, ses mots simples, ses rêves.

Stéphane descendit la rue de la Cité. L’horloge de la cathédrale égrena ses dix coups. Comme il était beau ce son de cloche ! Il avait toujours aimé écouter les cloches des églises, que ce soit celles des grandes villes ou bien en campagne, en montagne, lorsque l’écho en perpétue les heures. Une bonne odeur de viennoiseries monta à ses narines, une vieille femme prenait garde à ne pas glisser sur les pavés mouillés, deux hommes en complet gris et serviette noire montaient d’un pas alerte.


Il allait prendre ce train qui le conduirait, au bout d’un voyage interminable, là où l’ennui, la solitude et bien souvent le désespoir avaient remplacé le bonheur d’autrefois. Il allait quitter Genève et le plaisir des quelques jours auprès de celle avec laquelle il se sentait le mieux. Il appréciait aussi le petit appartement au-dessus de sa galerie. La première fois, il avait été ébahi par tant de calme, de chaleur et de bien-être dans cette vieille maison refaite à neuf. Les murs blancs, les spots encastrés, le design des meubles de Marion, les tapis modernes qu’elle avait su disposer sur le parquet de chêne clair. Tout cela ne correspondait en rien à l’austérité des vieilles maisons du quartier. Elle avait choisi également un bel habillage pour ses vitrines. Le bois bleu laqué donnait un air ancien tout en encadrant des volumes modernes et un espace aéré clair. Et puis, Stéphane était fier de voir ses œuvres aussi bien mises en valeur. De part et d’autre de la galerie, une boutique de décoration et un relieur contribuaient à donner un aspect ancien et chic à ce quartier qui se terminait quelques mètres plus haut par les maisons d’avocats dont les plaques de cuivre brillaient toutes davantage les unes que les autres.

Il s’installa confortablement et déplia son journal. Le train démarra en douceur. Quelques gouttes de pluie vinrent troubler sa vue et glissèrent en silence le long de la vitre.


Le vernissage avait été un succès. Huit tableaux vendus et de nombreuses félicitations. Mais les promesses allaient-elles se concrétiser par des achats ? Il était habitué aux congratulations ces soirs de fête où, coupe de champagne à la main, on achèterait l’ensemble de la galerie. « Tous plus beaux les uns que les autres », il connaissait. De toute façon, maintenant, les compliments, les belles critiques des journaux le laissaient indifférent. Son avenir d’artiste, il était derrière lui. S’il était revenu une fois de plus à Genève, c’était pour Marion. L’aimait-il vraiment ? Difficile à dire. Même lui ne savait pas trop. Se posait-il des questions ? Non, il y renonçait. Il était bien avec elle, et la revoir était chaque fois une fête. Lui était-elle fidèle ? Elle le prétendait. Mais Stéphane n’était pas sans savoir que les artistes de la galerie se succédaient et que, deux mois plus tard, une fois qu’il aurait repris son lot de toiles invendues, de nouveaux tableaux viendraient s’accrocher aux cimaises. Cette relation le mènerait-elle quelque part ? Il en doutait mais ne voulait pas y penser.

Une nouvelle ligne de tram allait être mise en construction. Il prit ses lunettes et se plongea dans l’article.


II


Misty le fixa dans les yeux et miaula. Il se dirigea vers le réfrigérateur et s’immobilisa devant la porte.


- Tu es gentil, mais d’abord, patiente que je pose ma valise. Et puis, dans le frigo, il n’y a rien. Attends que j’aille faire les courses.


Le chat noir avait l’habitude de rester seul chaque fois que son maître partait en voyage. La vieille voisine du second le bichonnait et il alternait les deux adresses en se faufilant par la lucarne des toilettes qui donnait sur une petite cour.

Stéphane jeta un œil à son miroir. La barbe avait poussé et lui aurait offert un look mode s’il n’avait pas eu des cernes sous les yeux. Il allait reprendre ses habitudes, c’est-à-dire ne pas faire grand-chose de ses journées. La peinture ne l’inspirait plus. Bien souvent, il tournait en rond dans la pièce qui lui servait d’atelier, allumait la radio ou écoutait un disque de jazz, consultait des revues artistiques. Quand il en avait assez, il descendait en ville et se mêlait aux promeneurs, écoutant les conversations, regardant les vitrines, savourant l’ambiance du marché auquel il rendait visite régulièrement.


Boire trop ne lui avait jamais été recommandé et son foie se souvenait des abus. Pourtant, et de plus en plus, c’était dès le matin qu’il dégoupillait sa première cannette de bière. L’esprit embué, il parvenait à peindre, mais maintenant il était démotivé, conscient que sa vie était au bout d’un cul-de-sac. Il n’avait même pas le goût d’entretenir son appartement. Depuis que Juliette était partie en voyage, il avait fait le ménage une fois, peut-être deux. Les relevés de banque, il les regardait vaguement. Quant au courrier, il était maigre et s’il ouvrait encore les lettres de sa femme, il n’y répondait plus. À quoi bon ? L’amour s’était évaporé et il soupçonnait même qu’elle soit partie en compagnie de celui qui s’intéressait beaucoup à elle, un chef de service, musicien à ses heures.

La vie est parfois un gâchis lorsqu’on a tiré les bonnes cartes et qu’on n’a pas su les utiliser. Stéphane se dit qu’ils auraient pu être heureux mais pour cela il eut fallu partager le même idéal comme le font d’ordinaire tous les couples qui s’aiment. Juliette reviendrait-elle dans quinze jours, un mois ? Il s’assit à la table du salon, alluma la télévision et se servit une Kronenbourg. Au moins, en regardant les Jeux olympiques, il serait entouré de gens motivés et dynamiques. Misty arriva sans bruit et s’étira sur le canapé. Ah les chats, il suffit de leur présenter une assiette de croquettes et ils sont heureux !


Ce n’est qu’à la fin de la journée passée en rêveries, à ouvrir des cannettes et surtout à tourner en rond, que Stéphane se décida à ranger un peu son atelier. Pour préparer son exposition, il avait utilisé un nombre impressionnant de chevalets, de tables qui, maintenant, s’avéraient encombrants et surtout inutiles. Il descendit donc plusieurs fois les escaliers jusqu’à la cave et ce n’est qu’au troisième tour que Misty lui emboîta le pas, dévala quatre à quatre les marches de pierre usées et se précipita dans le local où on pouvait à peine entrer, occupé par une multitude d’objets de toutes sortes et de vieilleries. Stéphane vit Misty se faufiler tel un danseur d’opéra et disparaître dans un trou du mur.


- Misty ! Misty !


Mais le galopin n’avait cure de ses appels et ne revenait pas.


- Mistyyyyyyyyyyy !


Le soupirail laissait échapper un peu de lumière et Stéphane tourna le vieil interrupteur aux fils de coton dénudés. Au plafond, tapissé de toiles d’araignées, un abat-jour métallique enveloppait une grosse ampoule complètement brouillée. Le dernier ménage ne datait pas de la semaine précédente.


- Mistyyyyyyyyyy !


Il avait beau appeler, fixer le trou derrière le vieux vélo, la brouette vermoulue et les planches de récupération, la tête du chat n’apparaissait toujours pas. Il aurait voulu s’avancer pour regarder de plus près, mais il y avait un tel fouillis qu’il y renonça. Il écrasa une araignée qui voulait escalader son pantalon et se décida à remonter à l’appartement, laissant la porte entrouverte à son compagnon aventureux. Une inscription figurait sur l’une des pierres du couloir d’entrée, à moitié effacée : « Abri 40 personnes ». Il se souvint que son grand-père lui avait parlé de ces caves profondes qui servaient de refuge durant la guerre, au moment des alertes.

L’huile commençait à frémir dans la poêle lorsque, fier comme Artaban, une magnifique toile d’araignée en guise de chapeau entre les oreilles, Misty fit son entrée dans la cuisine.


- Miaouuu

- Ah te voilà toi ! Tu as couru la gueuse. Et tu es propre !


Stéphane avait eu l’occasion, à différentes reprises, d’aller porter des choses encombrantes à la cave, mais il n’avait jamais pris le temps d’approfondir ce domaine d’une autre époque. Pourtant, il se souvenait, lorsqu’il avait emménagé, avoir vu, au fond de cette cave, non pas un trou dans le mur, comme il venait d’en découvrir un grâce à Misty, mais un effondrement du sol. Il se rappelait s’être fait la réflexion : « Tiens on dirait qu’il existe une galerie au-dessous ». Mais bon, que le vieux Niort soit truffé de souterrains et de vestiges des siècles précédents n’avait rien d’anormal. Il se rappelait parfaitement, qu’étant enfant, il avait été très impressionné en visitant le Donjon, et un peu angoissé lorsque le guide avait pointé du doigt, derrière une grosse chaîne, un escalier qui s’enfonçait dans le sol et dont on ne voyait pas l’extrémité.

Tout en mangeant ses œufs sur le plat, devant le journal de 20 h qu’il ne manquait jamais, Stéphane se dit qu’il devrait un de ces jours, essayer de regarder le fond de la cave d’un peu plus près. Il suffirait de faire attention, les vieilles maisons renfermant souvent bien des secrets.


III


Il pleuvait ce jour-là. Stéphane avait fait ses courses, rentré le courrier de sa voisine, et préparé un cassoulet pour quatre jours. Il avait même trouvé le courage de nettoyer la salle de bain. Une exploration sérieuse pouvait maintenant être entreprise.

En vieux jean et t-shirt élimé, il descendit les marches, armé d’une grosse torche électrique qu’il utilisait autrefois en camping, et de sa caisse à outils métallique. Sait-on jamais les surprises qui vous attendent dès lors que vous franchissez un mur inconnu ? Surtout lorsque, derrière, pourrait surgir une autre civilisation… Stéphane se souvenait d’articles de journaux où il avait lu qu’un explorateur, en traversant le mur d’un château, s’était retrouvé dans un monde que tous croyaient disparu. Pourquoi, lui, ne rencontrerait-il pas une communauté cachée ? Le peuple des égouts, des souterrains ? Il sourit dans sa barbe. Il s’agissait maintenant de revenir sur terre ou plutôt de s’y enfoncer.

Il oublia ses rêves d’anticipation et referma la porte… juste après que Misty se soit introduit dans la cave. « Ah celui-là ! Il ne veut rien perdre. À moins qu’il ait un rendez-vous galant… »


Stéphane se fraya un chemin entre les objets les plus divers, repoussa tout ce qui pouvait l’être et s’immobilisa, les bras croisés, devant le mur du fond. La cave allait-elle révéler ses secrets ? Il était clair que ce mur, celui qui comportait à sa base un trou qui avait permis au chat de s’infiltrer, était davantage récent que ses voisins. Visiblement, on avait rétréci un local beaucoup plus grand. Au pied, sous le sol effondré dont on voyait encore nettement ressortir des lattes de bois mélangées à de la chaux et de la terre, Stéphane discernait parfaitement, dans le faisceau de sa torche, une galerie en contrebas. Excepté une forte déflagration, qui, durant la guerre, aurait produit un effondrement du sol, la suppression des dalles de pierre à cet endroit ne pouvait provenir que d’une main humaine. Il réfléchit et, comme tout bon chef de chantier, prit une décision. Plutôt que de casser le mur et d’agrandir le trou de Misty, où il prendrait le risque de provoquer un éboulis et de se retrouver trois mètres plus bas, mieux valait élargir l’effondrement et descendre à cet endroit.

Il récupéra une vieille échelle en bois qui avait dû servir, les lendemains de tempête, à réajuster des tuiles sur la toiture, et il la descendit à l’intérieur du trou qui, maintenant, se découpait presque d’une manière accueillante.


L’échelle reposait sur le sol inférieur, appuyée contre le mur de chaux. Un court instant, Stéphane pensa qu’il aurait peut-être dû prévenir sa voisine de son expédition, mais à son âge, l’inquiéter pouvait prendre des proportions catastrophiques. Il attrapa sa torche, regarda une dernière fois autour de lui et mit le pied sur le premier barreau de l’échelle. Elle était stable. En un instant, il se retrouva sur le sol de la galerie inférieure. Derrière lui, elle disparaissait dans l’obscurité, masquée en partie par des éboulis, et devant, à quelques mètres, un escalier s’enfonçait dans le sol. Il ne put s’empêcher de penser à celui du Donjon qui l’avait perturbé autrefois. Le silence était total, interrompu, de temps en temps, par des vibrations. Sans doute les voitures qui passaient sur la rue.


Stéphane n’était pas peureux, mais présentement, devant cet escalier dont le fond n’appartenait qu’au domaine de l’inconnu, un frisson lui parcourut le corps. N’aurait-il pas été plus prudent de remonter ? Il pourrait parler de son projet à un ami et, à deux, redescendre un autre jour. Qui, ce soir ou même demain, s’il faisait une chute, viendrait le chercher ici ? Certes, l’échelle l’attendait, mais… il fallait espérer qu’elle y soit encore lorsqu’il déciderait de remonter.

Il avala sa salive et posa son pied sur la première marche. L’air n’était pas humide et plutôt chaud. L’escalier n’avait pas été directement taillé dans la pierre car les joints des dalles apparaissaient encore visiblement. Une épaisse poussière recouvrait le tout et on pouvait considérer que, vu l’endroit et la date estimée des derniers travaux, l’état de cet escalier était parfait. Après une descente de plusieurs mètres, la torche éclaira la fin des marches. Pourquoi fallait-il s’enfoncer aussi profondément ? Stéphane se souvint qu’il habitait sur une colline et qu’il n’y avait rien d’anormal à ce que les maçons du temps jadis aient essayé de retrouver un plan horizontal plus bas. Effectivement, une large galerie s’ouvrait devant lui sans aucune déclivité. Les murs constitués de gros moellons se prolongeaient en une voûte saine et parfaitement maîtrisée.

Il avançait précautionneusement, sa lampe explorant les parois et la voûte, et ses pieds tapotant le sol de terre battue. Dans le lointain, il lui sembla entendre de la musique. Sans doute provenait-elle des maisons situées au-dessus. Rapidement, il se rendit compte, qu’ici, l’humidité transpirait de partout. Au fur et à mesure de sa progression, les murs se couvraient de mousse et le sol devenait glissant, même mou. Le souterrain était moins net, plus abîmé, et la boue collait aux chaussures. Il sursauta. Un rat longeait le mur, trois mètres devant lui.


Au bout de plusieurs minutes, la galerie déboucha comme dans une grande pièce qui semblait plus propre. Il la traversa et découvrit l’ouverture de deux nouvelles galeries qui partaient en V. Il se risqua dans celle de gauche, étroite mais en bon état. Le silence était impressionnant. Au bout d’une progression de deux ou trois minutes, un mur, devant lui, le surprit. Un cul-de-sac ? Non, sur la paroi, s’agrippaient des barreaux en fer rouillé. Il éclaira le goulot qui ne semblait pas très haut puis grimpa environ trois mètres, tenant la poignée en plastique de la torche entre ses dents. Le plafond était en fait une plaque métallique. Stéphane tendit les mains et essaya de la pousser. De la terre lui tomba sur la tête et il dut s’essuyer les yeux. La plaque céda et d’un seul coup, la lumière brute, aveuglante, jaillit, en même temps que la pluie qui lui trempa le visage. Il passa la tête et découvrit une petite cour. Personne. Ne s’agissait-il pas là d’un autre passage pour rejoindre l’abri en cas de bombardement ? Ou d’une cachette ayant appartenu à la Résistance ? Il reposa la plaque et redescendit l’échelle en métal. 16 h. Voilà une heure qu’il progressait à pas de loup. Il chercha un mouchoir au fond de sa poche et s’essuya le front.


Après avoir rebroussé chemin, Stéphane se dit qu’il n’allait pas terminer sa visite sans explorer la dernière galerie. Il n’avait pas parcouru vingt mètres qu’un floc-floc se fit entendre. Un bruit de gouttes qui tombaient dans de l’eau. Le souterrain était inondé à cet endroit. Il monta sur les pierres qui jonchaient le sol et traversa la mare. Des mousses et des moisissures garnissaient le mur. Au loin, une lueur. La galerie formait un coude et la voûte continuait de s’abaisser. Il rentra un peu la tête dans les épaules, tourna et redécouvrit le jour. Un buisson de ronces entravait la sortie du souterrain mais il reconnut sensiblement l’endroit. Le conduit débouchait dans un parc qui dominait la Sèvre, la rivière qui traversait la ville. Les jardiniers s’étaient arrangés pour masquer l’entrée de façon écologique sans l’obstruer définitivement.


Stéphane fit demi-tour. Alors qu’il arrivait dans la grande salle, lui qui n’avait remarqué précédemment que les deux galeries qui s’enfonçaient dans la nuit, aperçut encore un petit couloir qui menait à un escalier relativement raide. Il monta les marches et s’arrêta, bloqué par une porte verrouillée de l’intérieur. Il tendit l’oreille et ne perçut aucun bruit. Il redescendit, s’apprêtant à retourner chez lui, quand il remarqua, posé sur une pierre plate, une carabine de cow-boy telle qu’il en avait lui-même possédée quand il était gamin, ainsi qu’une pelote de ficelle. Assurément, quelqu’un avait visité les lieux depuis peu. Le jouet était en plastique et propre. Stéphane balaya la salle de plusieurs faisceaux et se décida à remonter.

La visite n’avait pas été négative, au contraire, mais Misty, lui, demeurait invisible.


IV


Stéphane tournait en rond dans son appartement. Juliette ne donnait plus signe de vie et Marion semblait l’avoir oublié. Les sous-sols avaient été explorés et ne pouvaient rien lui apprendre de nouveau. Pourtant, il se remémorait son aventure souterraine et pensait plus particulièrement à la carabine en plastique qu’il avait découverte en repartant. L’échelle était toujours installée dans la cave. Pourquoi n’y retournerait-il pas ? Peut-être qu’un week-end, lorsque les enfants n’iraient pas à l’école, il pourrait identifier le gamin.


Il était 15 h, le dimanche suivant. Stéphane reprit sa tenue de mineur de fond. Prudemment, il refit le parcours qu’il avait découvert. Misty ne l’accompagnait pas pour la simple raison qu’il n’était pas rentré la nuit précédente. En éclairant parfaitement les marches du grand escalier, il s’aperçut qu’une autre personne était passée par là dernièrement. Des traces de pas différentes des siennes. Des chaussures d’enfant, semblait-il. Alors qu’il continuait d’avancer, il crut entendre des bruits. Oui, c’était bien des clameurs qui provenaient de plus loin dans la galerie. Stéphane tenait sa torche toute droite et alors qu’il arrivait à l’entrée de la grande salle, une envolée de pas le fit sursauter. Un claquement suivit. Le faisceau lumineux balaya l’ensemble de l’immense galerie, mais rien. Rien, excepté un ballon. La carabine, quant à elle, avait disparu.


Il n’était pas difficile d’imaginer qu’un garçon, occupé à jouer, s’était enfui dès qu’il avait aperçu les éclairs lumineux de la lampe. Il avait gravi l’escalier à toute allure et refermé la porte. Stéphane éteignit la torche et s’accroupit dans un angle. Une place idéale pour observer l’escalier s’il venait à s’allumer.

L’obscurité était totale et aucun bruit ne filtrait. Plusieurs minutes s’écoulèrent. Alors que Stéphane commençait à ressentir une impression de fourmis dans les mollets, et que l’humidité lui gelait le dos, un grincement prolongé se fit entendre, en même temps que les marches s’éclairèrent. Deux jambes apparurent, puis une lampe électrique, enfin la silhouette d’un jeune garçon. Il descendait doucement l’escalier sans faire de bruit, agitant sa lampe pour ne rien perdre de ce qui pourrait apparaître. Arrivé en bas, il sortit du petit couloir et balaya la salle de son faisceau lumineux. Stéphane reçut l’éclair éblouissant en plein visage, et alors que le garçon détalait comme un lapin, il lui cria :


- N’aie pas peur, je suis un voisin !


La porte s’était refermée mais, cette fois, se rouvrit aussitôt. Stéphane se releva, alluma sa torche et s’éclaira le visage.


- Reviens petit, je suis un voisin, moi aussi je visite !


Le jeune garçon redescendit, tenant sa lampe à bout de bras. Il s’immobilisa au pied de l’escalier et cria :


- Avancez doucement ! Si vous faites un geste, mon père vous tuera.


Stéphane sourit dans sa barbe et s’approcha.


- Bonjour. Tu n’as rien à craindre. Je visite le souterrain. J’habite tout près. Mon nom est Stéphane, et toi ?

- Florian, et j’ai neuf ans.

- Je peux retirer la lampe de mes yeux, Florian ?

- D’accord, mais pas de geste brusque.


On sentait bien là le téléphile averti, l’amateur de séries américaines.

- Florian, puisqu’on est chez toi ici, dans ton repère, où peut-on se mettre pour discuter ?

- Ici, ordonna-t-il, en s’approchant du mur et accrochant sa lampe à un gros clou.

- Ah tu es bien équipé. Tu viens souvent ici ?


Et c’est ainsi que leur première conversation débuta. Stéphane apprit que son jeune ami venait ici pour jouer, son espace de liberté à l’appartement étant trop restreint. Il était dans l’obligation de laisser la porte de la galerie ouverte pour que ses parents entendent s’il venait à appeler. Lui aussi avait essayé de découvrir les différentes galeries malgré l’interdiction de ses parents et il aurait bien aimé avoir un copain de jeu. Ils se séparèrent en se fixant rendez-vous le mercredi suivant.


Naturellement, Florian n’était pas en retard. Il n’avait apporté ni carabine ni ballon, son souhait le plus cher étant de partir en exploration avec son nouvel ami.


- Où désires-tu aller ? demanda Stéphane. Les galeries ici, tu les connais.

- Justement, oui, mais vers chez vous, je n’y suis pas allé. Mes pas se sont arrêtés en haut du grand escalier.

- Ah, et tu aimerais que nous allions visiter au-delà. Je ne connais pas non plus, mais je crois qu’on ne peut pas aller bien loin.


L’un derrière l’autre, tels deux cambrioleurs de bandes dessinées, ils gravirent les marches du grand escalier et Stéphane montra l’échelle qui lui permettait d’accéder à sa cave. Puis ils poursuivirent un peu la découverte de la galerie supérieure. Malheureusement, comme c’était prévisible, leur progression fut tout de suite stoppée par différents éboulis. Stéphane se refusa à prendre des risques, surtout accompagné d’un enfant.


- Je suis désolé Florian, mais tu le vois toi-même, c’est trop dangereux. Nous risquons de nous retrouver emmurés. Allez viens, redescendons chez toi. Tu as pu constater que seules nos deux maisons communiquaient par ces galeries. Sans doute y en avait-il davantage autrefois mais les ouvertures auront été murées.


Ils n’étaient pas arrivés à la grande salle qu’une voix féminine dans le lointain résonna.


- Florian ! Florian, où es-tu ?

- J’arrive Maman !


Stéphane aperçut, en haut des marches de l’escalier, la silhouette d’une femme qui se découpait dans l’embrasure de la porte ouverte. C’est lui qui prit la parole.


- Bonjour Madame, nous bavardions avec Florian, je suis l’un de vos voisins et nous faisions connaissance.

- Bonjour Monsieur. Je n’aime pas que Florian parle à des gens que je ne connais pas et surtout s’il quitte le bas de l’escalier.


L’enfant ne disait rien et s’était immobilisé sur la troisième marche.


- Vous avez là un garçon très poli et bien sympathique. Mon nom est Lambert. Stéphane Lambert. J’habite au 19 rue Jean-Jacques Rousseau.

- Excusez-moi Monsieur, mais il faut être tellement prudent de nos jours…

- Vous avez raison, on ne sait jamais. Eh bien, je vais rentrer maintenant. À une prochaine fois, peut-être. Bonne fin de journée !


Stéphane tourna les talons et repartit chez lui.


Il téléphona à Marion. L’expo se déroulait normalement. Quelques ventes avaient été enregistrées. Mais, comme à son habitude, la Genevoise s’était comportée en amie davantage qu’en amoureuse. Stéphane ouvrit la porte du frigo et sortit une cannette de bière.


V


Le dimanche qui suivit, Stéphane descendit encore dans les galeries. Arrivé à la grande salle, quelle ne fut pas sa surprise de constater que la porte du domicile de Florian était ouverte. Mais il n’entendait aucun bruit et, naturellement, ne voulait pas monter l’escalier. Il se dit que son jeune ami apprécierait s’il pouvait disposer au minimum d’une chaise. La position assise serait plus confortable que de jouer accroupi. Il retourna donc à sa cave et descendit une vieille table et deux chaises qu’il avait repérées au moment de l’ouverture du trou.

Il terminait son deuxième tour lorsque Misty qui l’avait suivi, lui passa entre les jambes, monta dare-dare le petit escalier et disparut derrière la porte ouverte.


- Misty ! Misty ! cria-t-il.


L’animal se profila en ombre chinoise, suivi de la mère de Florian qui s’arrêta sans descendre l’escalier.


- C’est vous Monsieur Lambert ? Il est à vous le petit chat ?

- Bonjour ! Oui, en effet. Excusez-moi, il m’a échappé.

- Ce n’est pas grave, je le connais bien. Il vient souvent ici. Même qu’il a sa petite soucoupe de lait.

- Je suis confus, reprit Stéphane, au pied des marches. J’ai bien vu qu’il disparaissait parfois dans un trou de ma cave, mais je pensais qu’il se sauvait dehors.

- Florian adore les chats et comme mon mari n’en veut pas, il est très heureux chaque fois qu’il a sa visite.

- Je suis tout de même gêné, mais… empêcher un chat de vagabonder, c’est assez difficile.

- Il s’appelle Misty ? Si j’ai bien compris.

- Oui, en effet. Je l’ai recueilli il y a deux ans.

- C’est mignon comme nom.

- Je suis amateur de jazz et plus précisément du pianiste Errol Garner. « Misty » était l’un de ses morceaux fétiches.


Tout en parlant, Stéphane essayait d’apercevoir cette femme qui se découpait comme sur une scène, mais la lumière à l’arrière était beaucoup trop intense pour discerner autre chose que des contours. À première vue, elle était blonde, cheveux mi-longs, et portait des lunettes.


- J’ai apporté une table et deux chaises. Comme ça, si Florian veut jouer… et puis, pour bavarder, ce sera un peu plus confortable.

- C’est gentil à vous. Florian est chez un copain. Je sais qu’il voulait vous montrer quelque chose. Si vous pouvez revenir dans une heure, il sera de retour. Sinon il va regretter de vous avoir manqué.


En fin d’après-midi, Stéphane revint avec un paquet à la main.


- Florian ? cria-t-il au bas de l’escalier.


C’est sa mère qui, de nouveau, se planta en haut des marches.

Je suis désolée, mais il n’est pas rentré. Sans doute a-t-il découvert un jeu sensationnel. Vous savez, les jeunes, avec l’informatique maintenant…


- Oui, je sais. Moi-même pour mon travail, je l’utilise souvent. Je suis artiste peintre et il m’arrive de créer de cette manière. Je gagne un temps fou.

- Artiste peintre ? Vous faites rêver les gens alors. Quel beau métier, comme toutes les professions artistiques ! Mon mari est dans les affaires. C’est moins romantique.

- Pensant voir Florian, je lui avais apporté une bricole que je vais laisser sur la table. L’un de mes jouets que j’ai retrouvé. Et comme je n’ai pas d’enfant…

- C’est gentil. Il sera content. Je vais lui dire quand il arrivera.


Voilà comment s’instaura une relation étrange entre Stéphane, artiste démotivé, désabusé et alcoolique, et cette femme qui semblait contente de voir passer ce visiteur dans un endroit pourtant pas particulièrement accueillant.


Il revint à plusieurs reprises sous des prétextes différents. Parfois il apportait des fossiles qu’il avait récupérés et dont il racontait l’histoire à Florian. Il lui prêta aussi des bandes dessinées où il était question de souterrains. Il arriva également qu’il ait l’occasion de discuter avec sa mère. C’est ainsi qu’il apprit qu’elle se nommait Sandrine et qu’elle exerçait la profession d’ostéopathe.

Un jour, alors qu’il était retourné avec Florian regarder le parc qui se situait derrière le buisson masquant la sortie du souterrain, il lui prêta ses jumelles et ils prirent plaisir à examiner dans le lointain le paysage qui s’offrait à eux. Des vieilles maisons, un château d’eau et une usine les occupèrent un bon moment. Le garçon était aux anges. Il s’apprêtait à lui dire « au revoir » lorsque Sandrine apparut en haut des marches. Elle semblait disposée à parler car elle prit une chaise. Stéphane fit de même et la conversation s’engagea.


Elle était mariée depuis une dizaine d’années à Laurent, un excellent commercial toujours en voyage. Elle semblait heureuse si ce n’est qu’elle se faisait du souci au sujet de Florian qui n’était pas particulièrement doué à l’école. Stéphane, à son tour, lui fit comprendre qu’en dépit du succès rencontré, il n’avait pas eu la vie qu’il aurait souhaitée. Niort ne lui plaisait pas. Il y était arrivé par le mariage, sa famille vivant en Bretagne. Il lui parla un peu de Juliette qui travaillait à la MAAF. Les assurances étaient toute sa vie, enfin presque… Stéphane ne voulait pas en dire trop. Officiellement, elle était aux États-Unis depuis plusieurs semaines afin de tisser des liens commerciaux avec des compagnies américaines.

Les conversations se déroulaient un peu en demi-teinte, d’autant plus que Stéphane séjournait dans la partie obscure. Chacun semblait vouloir confier certains éléments de sa vie sans pour autant en divulguer tous les secrets. Parfois, Misty arrivait, grimpait l’escalier, allait boire son lait et repartait.

Stéphane se gardait bien de se montrer trop curieux et ne posait jamais de questions précises ni vraiment privées. Pourtant cette femme l’intriguait. Le fait de ne se montrer qu’à contre-jour, de ne jamais descendre dans la galerie, encore moins de l’inviter à prendre un café chez elle. Mais bon, sans doute avait-elle ses raisons. Probablement était-elle le plus souvent seule et si l’envie de faire la causette était forte, elle ne voulait pas prendre le risque de se trouver face à un inconnu dans ces souterrains que nul ne visitait.


Chez lui, il déploya une carte d’état-major sur son bureau : le plan de la ville de Niort. Il acheta, dans une librairie ancienne, un ouvrage datant du 19e siècle sur les monuments, les accès et les fortifications de la cité. L’histoire y était racontée et on pouvait voir quelques reproductions des cartes de la ville avec ses principaux souterrains du temps de la Révolution. Il étudia toute cette documentation et, un jour, il redescendit dans les galeries avec une boussole et une chaîne d’arpenteur pour relever les dimensions du labyrinthe et en faire un plan approximatif. C’est ainsi qu’il dessina le réseau des galeries tel qu’il l’imaginait. Il en vint à la conclusion que Sandrine habitait une rue située sous la sienne, c'est-à-dire la rue du Rempart, et plus particulièrement vers son centre. À vérifier, car il n’avait pas osé lui demander son adresse de crainte qu’elle ne se méfie.


Les journées s’écoulaient tranquillement et Stéphane n’était pas mécontent de son nouveau passe-temps. Finalement, il avait l’impression d’avoir déménagé sans quitter pour autant son domicile. Par moment, l’idée lui frôlait l’esprit de peindre de façon abstraite ces galeries et ce qu’elles lui procuraient.

Une fois, il partit en reconnaissance rue du Rempart et étudia toutes les plaques du centre de la rue. Très vite, il se rendit compte que ses calculs étaient exacts car, au nº 52, il put lire : « Sandrine Perret, Ostéopathe ». Ainsi, par les sous-sols, il traversait en diagonale tout un lot de maisons, et il s’immobilisait dans la grande salle qui devait se situer à l’aplomb de la rue où il se trouvait maintenant.

Il était décidé à connaître davantage sa mystérieuse voisine de la galerie souterraine.

Une idée germa dans son esprit. Et s’il avait besoin de séances de kiné ? Sans plus tarder, il alla trouver son copain toubib qui lui prescrivit, comme tous les ans, douze séances pour remettre son dos à neuf.


Il sonna au 52. Stéphane avait pris une douche, s’était rasé de frais et aspergé d’eau de toilette. « La première impression est toujours la bonne, se dit-il, autant qu’elle soit réussie. » Le loquet s’ouvrit, une petite femme bien enveloppée et au visage hispanique apparut. Visiblement, ce n’était pas celle qu’il entrevoyait en haut des marches.


- Entrez, je vous prie, dit-elle avec le même accent que la veille au téléphone.

- Bonjour, je suis Monsieur Lambert. J’ai rendez-vous.

- Oui, je sais.


Alors que l’assistante, vêtue d’une blouse blanche, examinait l’ordonnance, assise au petit bureau qui trônait dans l’entrée, quelle ne fut pas la surprise de Stéphane d’entendre à ses pieds un miaulement et de voir un chat noir qui se frottait à son bas de pantalon.


- Viens là, toi ! cria la femme, posant ses lunettes et se levant pour ouvrir la porte derrière elle.

- Il semble affectueux, dites donc.

- Il l’est mais il n’a rien à faire ici.


Elle ne remarqua pas le petit sourire discret que le patient dissimulait en entrant à l’intérieur du cabinet.


- Si vous le voulez bien, déshabillez-vous et installez-vous. Madame Perret arrive.


Stéphane défit ses lacets de chaussures et posa ses vêtements sur la chaise. Puis il s’installa, en caleçon, sur la table de massage. La chaleur était douce, la table un peu raide. Il ferma les yeux.


- Bonjour Monsieur Lambert !

- Bonjour Madame, répondit Stéphane, se retournant légèrement.

- Les vertèbres, le mal du siècle… Nous allons arranger ça.


Il reconnut la femme dont il avait enregistré la silhouette. De taille moyenne, les cheveux blonds, mi-longs, se terminant en boucles. Une jolie femme. Mais, s’il savait qu’elle portait des lunettes, il ne les avait pas imaginées noires, vraiment noires…

Sans rien ajouter, il laissa pendre ses bras et essaya de se décontracter. Son imagination virevoltait. Ainsi donc, elle était aveugle. Cela répondait aux questions qu’il s’était posées. Soudain, ses pensées furent interrompues par la fraîcheur d’une huile ou d’une crème appliquée sur son dos et qui le fit sursauter. L’impression de froid intense se dissipa dès lors que deux mains expérimentées lui malaxèrent les muscles. Ce n’est qu’au bout de quelques minutes que la kiné reprit :


- Je ne suis pas surprise que vous ayez mal au dos, à toujours vous voûter dans ces souterrains, mon cher Stéphane…


Gloups ! Il est des moments où l’on sent le rouge vous monter aux joues et le battement de votre cœur s’accélérer. Stéphane serra les poings et avala sa salive avant de répondre :


- Vous m’avez reconnu ?


Il jugea sa question idiote mais il était trop tard.


- Les non-voyants ont cette faculté de reconnaître les sons, de percevoir des signes pour lesquels toute personne normale ne prête pas grande attention. Mais décontractez-vous, je ne vais pas vous manger ni vous tordre le cou, dit-elle en riant.


Elle avait un joli rire, franc, épanoui, et sa voix ne résonnait plus comme dans les sous-sols. Il se sentit gêné de lui montrer ainsi son dos et surtout d’avoir utilisé ce subterfuge pour la rencontrer.


- J’ai des problèmes de lombaires, mais… c’est vrai, j’avais envie de vous connaître de plus près.

- Eh bien c’est fait. Vous avez eu raison. Jamais je ne serais descendue en bas de l’escalier.


Elle versa de nouveau un peu de crème sur son dos.


- J’ai une bonne clientèle, maintenant, reprit-elle pour changer de conversation, mais au début, cela n’a pas été facile. Vous savez comment sont les gens.

- Oh oui, j’imagine. En fait, je vous connais depuis longtemps. Plusieurs fois je vous ai croisée en ville. Pourquoi ne possédez-vous pas un chien d’aveugle ?

- En réalité, je sors peu. Carmen s’occupe de mes courses. Et puis, ce type d’animal est cher et il faut régulièrement le sortir. Non, je connais bien ma rue et je n’ai pas de problème.

- Sans être indiscret… c’est de naissance ?

- Non, j’avais cinq ans lorsque je fus atteinte d’un glaucome et les médecins n’ont rien pu faire. Progressivement, l’obscurité m’a recouverte. Attention, ne respirez plus…


Elle avait saisi l’avant-bras de Stéphane, replié une jambe, et plaqué fortement son propre genou à hauteur du bassin. Elle tira d’un coup sec.


- Aaah ! cria Stéphane dans un craquement, tandis que, déjà, elle lui massait la zone sensible.

- Retournez-vous sur le dos, s’il vous plaît.

Elle s’assit derrière lui et, de ses pouces, lui pétrit les vertèbres cervicales. Il regarda le vieux plafond, admira les corniches, remarqua que le lustre avait été remplacé par un néon. En face de lui, un petit bureau, sur lequel trônait la photo de Florian dans un joli cadre doré, était encombré d’une énorme pile de correspondance.

Il régnait un silence un peu gênant. Stéphane l’interrompit en demandant :


- Votre mari est-il toujours en voyage ?

- Oui, à Londres. Je ne sais pas si vous connaissez la Société Poujoulat sur la route de Bordeaux ? Ils fabriquent des conduits de fumée métalliques. Laurent est directeur commercial et, comme je vous l’ai déjà dit, il est très souvent par monts et par vaux. Je ne sais jamais quand il va rentrer. Et cette fois-ci encore moins.

- Un métier intéressant sans doute.

- Oui, mais il ne voit pas grandir Florian, et moi je suis seule à la maison… Depuis longtemps, nous avons chacun notre vie… Ne respirez plus s’il vous plaît, laissez-vous aller.


« Craaack ! » C’était la nuque de Stéphane. Elle lui avait saisi la tête des deux mains, l’avait légèrement basculée puis avait donné le coup de grâce. Le geste libérateur.


- Voilà, ce sera tout pour aujourd’hui. Vous pouvez vous rhabiller. Quand désirez-vous revenir ? Dans une semaine ? Avant ?

- Heu… Disons que deux séances par semaine seraient bien.

- Entendu, acquiesça-t-elle, saisissant son carnet de rendez-vous. Alors, à mardi Stéphane. Et bonne inspiration d’ici-là.

- C’est gentil, mais en ce moment… l’inspiration… Au revoir et merci Sandrine.


Stéphane remonta son col. Une petite brise soufflait et il se souvint avoir remarqué un fort courant d’air chaque fois qu’il marchait dans cette rue. Il se contorsionna le haut des épaules, histoire de se rendre compte s’il éprouvait un bienfait. Pour le moment il se sentait surtout endolori, voire un peu groggy. Il alla s’installer à son bureau pour lire un peu l’histoire de Niort au 17e siècle.


VI


Sous le couvert d’une colonne vertébrale endolorie, Sandrine et Stéphane prenaient plaisir à se retrouver. De plus en plus, les massages étaient prétexte à la conversation, voire aux confidences. Il avait fini par lui avouer que son ménage battait de l’aile et que s’il était démotivé, c’était en grande partie en raison de la fracture dans son couple.

Sandrine avait bien compris que Juliette ne se dépêchait pas de terminer son voyage et qu’elle n’était probablement pas seule. De son côté, elle recevait chaque soir des nouvelles de Laurent qui devait rentrer sous peu, mais qui ne revenait pas non plus.

L’éloignement n’a jamais été la panacée pour renforcer l’amour des couples.


Quant à Florian, il connut un grand moment de bonheur grâce à une découverte en solitaire. Il donna rendez-vous à Stéphane pour des fouilles de la plus haute importance. Intrigué, ce dernier avait naturellement pris ses dispositions pour le retrouver à l’endroit habituel. Il avait plu durant plusieurs jours et l’humidité était devenue très forte dans les galeries. Heureusement, l’un et l’autre avaient eu la bonne idée de se chausser de bottes car les murs suintaient et des gouttes tombaient. Des flaques plus ou moins importantes se formaient partout. Même quelques rats couraient au loin sur les pierres.


- Regardez ce que j’ai découvert, dit Florian, éclairant de sa lampe le mur de la petite galerie qui débouchait sur la cour.


Les pierres recouvertes d’une couche noirâtre de moisissure, comme partout le long des galeries, présentaient sur une surface d’à peine un mètre carré, des traces brillantes. Comme des griffures métalliques. En examinant minutieusement la paroi, Stéphane s’aperçut que la couche de moisissure était bien plus épaisse sur la partie inférieure. Il la frappa du dos de l’index ; elle sonnait le creux. Il s’était accroupi et le nez de son jeune ami effleura son épaule.


- Reste là. Je reviens avec un marteau. On dirait bien qu’il y a un vide derrière.


Quelques minutes plus tard, il réapparut armé du marteau mais également d’un burin et d’une petite pelle.


- Tu vois, dit-il à Florian, c’est comme si la couche de moisissure avait été appliquée au pinceau.


Stéphane donna quelques coups entre les pierres qui se descellèrent sans difficulté. Il fit tomber un morceau du mur et c’est alors qu’une petite ouverture apparut. Voûtée, en ogive, et soigneusement refermée. Tandis que Florian éclairait le trou, il fit sauter le bouchon de vieux plâtre et découvrit une nouvelle galerie. Il nettoya un peu les gravats, et, à la lueur de sa torche, s’aperçut qu’au bout d’un mètre, le boyau se rétrécissait et s’abaissait pour former comme une grosse niche. Elle semblait remplie de caisses.


- Reste là, je vais voir, dit-il à Florian qui n’en perdait pas une miette.

Il se glissa dans le conduit et se dirigea tant bien que mal vers les caisses. Elles étaient métalliques et mal fermées. Recouvertes d’un agglomérat vaseux. Stéphane en repéra une qui bâillait légèrement et leva le couvercle prudemment. Des munitions pouvaient très bien avoir été entreposées. Il n’en était rien. Dans cette caisse et les autres, il découvrit de la vaisselle, un peu d’argenterie, des fragments de documents mais pas de trésor.


- Tu vois, Florian, je pense que c’est une famille qui a caché ses souvenirs durant la guerre. Pour ces gens, ces objets représentaient probablement une fortune, mais pour nous, c’est sans valeur. Un de ces jours, nous déblaierons tout ça et arrangerons cette petite galerie.

- Ce sera notre trésor, n’est-ce pas ? proposa le jeune garçon, sourire jusqu’aux oreilles, et les yeux émerveillés par une telle découverte.

- Ton trésor, oui. Bravo Florian pour ta perspicacité !


C’est dans les moments difficiles et d’aventure que l’on scelle les plus grandes amitiés. Stéphane et Florian venaient de se lier à la vie à la mort.


Les séances d’ostéopathie se poursuivaient par ailleurs. Entre deux craquements provenant des profondeurs de Stéphane, ils se racontaient leur vie qui n’avait pas été des plus enthousiasmantes.

On peut considérer que tout allait bien, jusqu’au jour où la porte du cabinet s’ouvrit brutalement, faisant sursauter en même temps Sandrine et son patient.


- Madame Sandrine, excusez-moi, mais la police vous demande, balbutia Carmen.

- La police ? Faites-les asseoir. J’ai bientôt terminé.

- Ils insistent Madame…

- Excusez-moi, dit-elle à Stéphane.


Elle se frotta les mains à une feuille de papier essuie-tout et sortit du cabinet en tirant la porte.


- Bonjour Messieurs, que puis-je pour vous ?


Un homme parlait mais la voix était si basse qu’elle empêchait Stéphane de suivre la conversation.


- Mon Dieu, Non ! cria Sandrine. Puis elle partit dans un sanglot et des mots incompréhensibles.


Stéphane se leva et s’habilla. La conversation se prolongeait dans le couloir mais c’étaient davantage des pleurs et des cris. Il s’assit sur la chaise et attendit. Au bout de quelques minutes qui lui semblèrent très longues, il vit arriver son amie bouleversée, les joues rouges, la chevelure défaite et des larmes coulant sous les lunettes.


- Que se passe-t-il ? demanda-t-il en se levant.

- Oh Stéphane, c’est terrible, Laurent est mort.

- Mort ? il prit son amie dans ses bras, mais… comment cela est-il arrivé ?

- Je ne sais pas. Je dois aller à la police. On m’attend… Excusez-moi.

- Mais, Sandrine, je ne vais pas vous laisser partir ainsi. Je vous accompagne, si vous me le permettez.

- C’est gentil merci.


Elle quitta sa blouse et se lava les mains sans s’arrêter de pleurer.

Stéphane lui prit le bras et la guida jusqu’à la voiture de police, après avoir crié à Carmen, qui se trouvait sur le seuil de l’entrée, un mouchoir à la main :


- Je m’occupe d’elle. Faites ce que vous avez à faire.

Stéphane resta assis dans le couloir du poste de police pendant que dura la déposition. Quand elle ressortit du bureau, Sandrine chercha ses repères de la pointe de sa canne. Il la reprit par la main et demanda à une secrétaire d’appeler un taxi.


- Comment comptez-vous opérer avec Florian ? s’inquiéta-t-il.

- Il va bientôt rentrer de l’école. Je voudrais arriver avant lui. Je vais lui annoncer le mieux possible.

- Voulez-vous que je vous aide ?

- C’est gentil. Non, merci. Je vais m’en sortir.

- Puis-je vous appeler ce soir ?

- Si vous voulez...


Stéphane prit la direction de son appartement après avoir serré très fort les épaules de son amie et lui avoir souhaité bon courage.


Que s’était-il passé ? Laurent était décédé et la police s’était déplacée. Était-ce une mort naturelle ? Il séjournait à Londres. Avait-il eu un accident ? Et Sandrine qui se retrouvait seule avec son garçon de neuf ans. Avait-elle des amis, de la famille ? Stéphane sortit une bière du réfrigérateur et s’assit dans un fauteuil. Les mêmes questions revenaient sans cesse. Leur amitié était toute récente et pourtant il se sentait concerné par ce deuil, par la peine que ressentait Sandrine. Et Florian, comment allait-il réagir ? L’horloge murale indiquait 17 h. Il attendrait un peu et lui téléphonerait.

Il patienta en fait jusqu’à 19 h, prit la carte de visite qu’il avait tournée et retournée, posa ses lunettes sur son nez et composa le numéro.


- Allo, Sandrine ? Excusez-moi, c’est moi, Stéphane. Puis-je vous aider ?

- C’est gentil, mais je ne pense pas que vous puissiez faire grand-chose. Merci. Ma belle-sœur est venue chercher Florian et Carmen s’occupe de prévenir mes clients car je dois partir.

- Partir ? À Londres ?

- Non justement. Pas à Londres. À… Berlin…

- À Berlin ? Ah bon ?

- Oui… il est mort à Berlin…

- Quand partez-vous ? Connaissez-vous quelqu’un qui pourrait vous accompagner ?

- Justement, je cherchais lorsque vous avez appelé. Mon frère a des rendez-vous difficiles à décommander et mon père est trop âgé pour se débrouiller à l’étranger. Quant à mes amis, ils ont leurs affaires. Le problème est que je devrai rester là-bas plusieurs jours.


Stéphane avait écouté sans l’interrompre.


- Sandrine… Nous nous connaissons seulement depuis quelque temps, mais je crois… que nous sommes amis… Je n’ai aucun rendez-vous particulier ces prochains jours, et je me vois mal vous laisser voyager seule à l’étranger. En plus, je me débrouille en allemand et je pourrais vous être utile. Dites-moi que vous acceptez que je vous accompagne.


Elle n’avait, malheureusement, guère le choix, et puis Sandrine avait confiance en Stéphane. Ses doigts sur son corps, au fil des séances lui avaient indiqué le caractère de cet homme. Eux ne mentaient pas, ils reconnaissaient une personne sincère comme ils la mettaient en garde envers quelqu’un de fourbe, de superficiel ou de méchant. Refuser son offre consisterait à partir à l’aventure sans même comprendre la langue. Non seulement cette éventualité n’était pas raisonnable, mais elle s’avérait impossible.


- C’est d’accord, prononça-t-elle. Je paierai tous les frais. Alors… nous devons nous préparer au plus tôt.


Stéphane enfila son vieux trench et retourna chez Sandrine. Il s’agissait de savoir exactement ce qu’il y avait à faire. Il commencerait par commander les billets par Internet, veillerait à ce qu’elle n’oublie aucun des papiers demandés et reviendrait préparer sa valise.


VII


La pluie continuait à tomber et le vent soufflait fort sur le tarmac de l’aéroport de Poitiers. Stéphane s’était assuré que le père de Sandrine était bien reparti et, maintenant, il tenait celle-ci fermement par le bras pour l’aider à gravir la passerelle qui les menait à l’Airbus.

- Avez-vous déjà pris l’avion ? demanda-t-il après avoir installé sa compagne confortablement à l’avant.

- Une seule fois, pour aller en vacances chez des amis en Espagne. Vous savez, si je n’ai pas mes repères n’importe quel petit voyage prend tout de suite les proportions d’une expédition, dit-elle en s’efforçant de sourire.


La pluie lui avait donné un visage frais, presque détendu et ses beaux cheveux coiffés en arrière se répartissaient équitablement de chaque côté de son visage. Stéphane la trouva très jolie en dépit du malheur qui l’accablait. Il prit place à côté d’elle, allongea ses jambes et boucla sa ceinture.


- À quelle heure arriverons-nous ? demanda-t-elle.

- En fin d’après-midi. Après une escale à Paris et une autre à Zurich. Nous allons passer la journée dans les avions mais s’il y avait plusieurs possibilités de vols, aucune n’était directe.

- Heureusement que vous avez proposé de m’accompagner, dit-elle en appuyant sa main sur son bras. Quel dommage ce voyage dans ces conditions… Je ne connais ni Paris ni Zurich…

- J’aime beaucoup Zurich, reprit-il. Son lac, ses trams, ses hôtels confortables. Expliquez-moi comment, en ma compagnie, vous pourriez prendre plaisir à découvrir une ville ? J’aimerais tant que vous puissiez voir les géraniums posés sur les fontaines et qui constituent l’une des vues typiques de la Suisse…

- Eh bien justement, répondit-elle en lui serrant le bras au moment où l’avion se mit à rouler sur la piste. Je ressens des tas de choses que vous, avec vos yeux, vous n’imaginez pas non plus. Les villes, je peux prendre une grande joie à les visiter. Il vous suffirait simplement de me décrire ce que vous y verriez. Les bruits, les odeurs compléteraient mon voyage imaginaire.


Oui, il était bien dommage d’effectuer un aussi beau déplacement sans avoir la possibilité de lui montrer davantage le pays, se dit Stéphane. Il aurait tant pris plaisir à lui servir de guide dans d’autres circonstances.

Il n’avait pas osé lui poser de questions sur les particularités du décès de Laurent. C’est elle qui se décida d’en parler lors du dernier vol qui les conduisait à Berlin.


- Stéphane… Je voudrais vous dire… Je ne sais pas ce que nous allons découvrir… Vous savez, je vous en avais parlé, Laurent m’a toujours fait croire qu’il était à Londres…

- Oui, je me souviens.

- Alors, si vous voulez bien m’aider, nous allons essayer d’en savoir davantage. Officiellement, Laurent est mort d’un infarctus dans sa chambre d’hôtel.

- C’est d’accord, répondit-il en essayant de voir son regard à travers ses lunettes noires comme s’il lui octroyait cette promesse les yeux dans les yeux.


Il ne pleuvait pas à Berlin, mais un vent froid les transit dès qu’ils sortirent du terminal. L’aéroport de Tegel n’était pas très loin du centre. Stéphane essaya d’adresser quelques mots allemands au chauffeur de taxi mais celui-ci lui répondit dans un français presque parfait, aussi se limita-t-il à lui indiquer :


- À l’hôtel Insel Rügen, s’il vous plaît.


Les Mercedes formaient un véritable cortège à la sortie de l’aéroport et comme elles étaient immenses et la plupart de couleur noire, Stéphane ne put s’empêcher de penser à ces scènes de films américains où l’on voit les limousines les unes derrière les autres, qui roulent au pas, lors des enterrements.


- Je suis surpris par le nombre de tours modernes que l’on peut voir ici, se risqua Stéphane en direction du chauffeur.

- Berlin est une ville de contrastes, répondit-il. Vous verrez la différence lorsque vous traverserez les vieux quartiers. Ici l’urbanisme est très désordonné.

- Je remarque que, comme à Paris, vous êtes envahis par les travaux. Par contre, c’est bien plus aéré.

- Vous avez raison, reprit le chauffeur. Nous n’avons ici que quatre millions d’habitants, mais Berlin est grand comme dix fois Paris.

- Dix fois Paris ? s’interposa Sandrine.

- Oui Madame. Grâce à nos espaces verts. 30 % de la surface de la ville, dit-il avec une certaine fierté, large sourire aux lèvres, tout en jetant un œil à ses clients dans le rétroviseur. Et puis ici, contrairement à votre capitale, la circulation n’est pas oppressante. Ai-je l’air d’un chauffeur stressé ?


Stéphane fit un sourire à son amie mais elle le devina seulement.


- Nous passons maintenant au-dessus de la rivière Glienicke. C’est ce pont qui servait à l’échange des prisonniers et des espions durant la guerre froide.


L’image de Yul Brynner allumant son cigare puis traversant ce pont à pied refit surface dans la mémoire de Stéphane.


L’hôtel semblait correct et conforme aux photos sur internet. Ils prirent possession des deux chambres réservées et s’accordèrent une petite pause avant de se retrouver pour dîner. Stéphane était resté longtemps sous le jet bienfaisant de la douche chaude et il s’allongea sur le lit. Derrière la cloison, sa voisine s’était fait couler un bain et il imagina son beau corps recouvert de mousse. Il aurait apprécié lui porter la serviette mais sa mission de guide n’allait pas jusque-là. Un sourire s’esquissa sur son visage. Il s’assit sur le rebord du lit et composa un numéro de téléphone. En quelques secondes, il se retrouva à Niort et voulut écouter les appels enregistrés. Il n’y en avait qu’un seul : À Genève, Marion venait de lui vendre un nouveau tableau. Quant à Juliette, elle ne s’était pas manifestée, mais elle serait informée de son départ précipité par le message qu’il lui avait laissé avant de partir. Et demain, la réception de l’hôtel lui permettrait de regarder ses e-mails.


Un petit toc-toc à sa porte lui indiqua que Sandrine était prête. Un léger parfum flottait dans l’ascenseur mais il n’osa pas adresser de compliments à sa protégée, craignant de lui faire ressentir qu’elle ne lui était pas indifférente. Sa bonne éducation lui indiquait que c’eut été déplacé. Mais au-dehors, il la prit par le bras et ouvrit le parapluie. Pour cette première soirée, ils allaient dîner dans une brasserie toute proche de l’hôtel et recommandée par le concierge. Il tira la chaise et la guida. Une odeur de choucroute fraîche se mêlait à d’autres qu’il ne pouvait définir. Et c’est Sandrine qui l’informa qu’il devait y avoir un jarret de porc à proximité.


- En effet, répondit-il. Même très appétissant. Que voulez-vous manger ?


Il feuilleta la carte et lui proposa plusieurs spécialités. Elle choisit un plat de spaghettis et il fut surpris de constater qu’elle s’en sortait plutôt bien.

Il avait tout le loisir de pouvoir l’étudier. Sandrine avait revêtu un pantalon et un pull col roulé angora. Stéphane remarqua que le blanc mettait bien en valeur le bleu de son collier de lapis-lazuli qui s’étalait sur sa poitrine. Ses doigts étaient clairs et effilés, et elle ne portait que l’alliance en or, sertie de petits diamants, qu’il connaissait. Le rouge à lèvres était absent mais son visage exprimait, malgré tout, une beauté dans les lignes qu’il avait rarement rencontrée parmi les femmes qu’il connaissait.


- Parlez-moi un peu de vous, l’interrompit-elle, dans ses rêveries.

- De moi ? Oh, je pensais que vous aviez compris un peu ce qu’était ma vie…

- Oui, bien sûr. Mais vous êtes en face de moi, à l’étranger, et je ne connais de vous que votre dos et votre voix…

- Ah ! Je comprends. Oui, c’est bien normal. Alors disons que je suis légèrement plus grand que vous, avec des cheveux un peu poivre et sel, si vous pouvez imaginer, des yeux bruns, un nez… heu… normal, et je ne porte ni moustache, ni barbe, termina-t-il en riant. Ah, j’oubliais, ce soir, je suis en col roulé noir.

- Quelle belle description ! dit-elle en cherchant son verre qu’elle saisit presque aussitôt. Et… en tant que peintre… N’auriez-vous pas envie d’exposer à Berlin ?

- Pourquoi pas ? Cette ville est une grande pépinière d’artistes. Je me suis laissé dire qu’il y en avait vingt mille… Mais ils ont un problème.

- Ah bon ?

- La plupart occupaient des lofts situés dans des anciens magasins ou des usines abandonnées depuis la chute du mur, et cela, pour des loyers dérisoires. Mais maintenant, les investisseurs les rachètent et les prix grimpent.

- En effet…


Stéphane sourit. Elle avait entortillé un spaghetti autour de sa fourchette, et il se débattait, pas décidé à se laisser engloutir. Lui-même se régalait avec son jarret, préparé différemment des méthodes traditionnelles.


- Êtes-vous coté ? demanda-t-elle.

- Excellente question, et dont la réponse va vous surprendre, poursuivit-il après s’être essuyé la bouche. Je ne suis pas coté, et je ne le veux surtout pas.

- Ah bon ?

- Oui, nous sommes un certain nombre, en France, à refuser ce que beaucoup estiment comme un honneur. Ah, bien sûr, autrefois, j’aurais été fier et honoré de voir mon nom sur les livres de référence, avec une belle cote, mais j’ai malheureusement vite compris la supercherie…

- La supercherie ? reprit-elle, en posant ses couverts sur l’assiette.

- Je ne veux pas généraliser et cela n’engage que moi, continua-t-il, mais, dans la plupart des cas, on obtient la cote que l’on désire.

- Vous parlez sérieusement ? Sandrine semblait fascinée par le sujet, et sa voix avait repris des couleurs comme à son cabinet.

- Tenez, je prends un exemple. Supposons que je vende aujourd’hui une toile à chacun de deux de mes bons amis. Demain, ils en auront assez et iront, chacun de leur côté, dans une salle des ventes différente, se défaire de leur tableau. Il suffira alors que deux autres de mes amis fassent grimper les enchères jusqu’au prix désiré. Et la moyenne des deux ventes constituera la cote.

- Non ?

- Eh oui, pourtant, Sandrine. Sachez que si vous passez deux fois dans l’année en salle des ventes, obligatoirement, on vous attribuera une cote. Moi je préfère pratiquer les prix qui me semblent justes par rapport à mon travail et ma notoriété. Bien sûr, lorsque je ne serai plus de ce monde, mes clients ou leurs descendants revendront leurs tableaux, et là, Stéphane Lambert sera coté et de façon équitable. Mais nous avons encore le temps, termina-t-il en souriant. Au moins, ce sera honnête.

- Ah je vois. Je ne savais pas.


Il resservit du vin et but une longue gorgée. Elle le regardait, ou plutôt faisait comme si, et Stéphane, d’un seul coup, se mit à rougir, un peu gêné par ce regard caché par des lunettes noires et qui semblait le dévisager.

Il termina son verre de vin de Moselle et demanda l’addition.


VIII


- Préférez-vous le métro ou le bus ?

- Le bus, si vous n’y voyez pas d’inconvénient. Je ne connais pas le métro, mais je crains que les souterrains m’angoissent. Et puis, tous ces escaliers… Vous, bien sûr, c’est votre domaine, dit Sandrine avec un joli sourire.


La nuit avait été calme. Le silence des chambres insonorisées leur avait permis de se ressourcer et de reprendre des forces. Ils devaient se rendre au poste de police, puis à la morgue. Les deux points de rendez-vous se situaient dans la même partie de Berlin. Prendre un taxi n’était pas obligatoire.

Les policiers berlinois s’étaient montrés serviables mais ils demeuraient fidèles à la droite ligne de toutes les polices du monde et Stéphane ressortit du commissariat avec soulagement. Il n’en parla pas à son amie, l’odeur qui régnait était identique à celle qu’il avait respirée au poste de police de Niort. Des effluves qui lui rappelaient ceux qu’il avait rencontrés autrefois au poste de garde de la caserne où il avait effectué son service militaire. Après toutes ces années, elles lui revenaient dans les narines.


En montant à l’avant du bus qui les conduisait à la morgue, il se fit la remarque que les voyageurs se montraient beaucoup plus disciplinés et courtois qu’en France. Personne n’avait essayé de se faufiler aux meilleures places et plusieurs avaient même proposé de céder leur siège à Sandrine. Il resta debout dans l’allée et lui donna une petite tape du doigt quand ils arrivèrent à l’hôpital.

Il resta à l’entrée et attendit qu’elle revienne. Les marques rouges au-dessous de ses lunettes lui firent comprendre qu’elle avait pleuré.


- J’aurai envie d’un café, s’il vous plaît.


Il avait remarqué un tea-room en arrivant. Un artiste s’activait à peindre le traîneau du père Noël sur la devanture, et Stéphane admira du coin de l’œil, le mouvement des rennes qu’il avait bien su rendre.


- La vie est vraiment compliquée… soupira Sandrine en déboutonnant son caban. Je suis allée reconnaître Laurent… et ils m’ont demandé de rester à leur disposition quelques jours. Comme il s’agit d’un étranger et qu’on l’a retrouvé mort dans une chambre d’hôtel, ils veulent procéder à une autopsie. Pouvez-vous rester un peu ?

- Bien sûr, Sandrine. Je suis entièrement disponible. Il avait reposé sa tasse de café trop chaud et saisi les mains de son amie. D’ailleurs, ne vouliez-vous pas mener une petite enquête ?

- Oui, si c’est possible j’aimerais connaître en détail ce que Laurent faisait ici. La police n’a rien pu me dire. Ce n’est que si l’autopsie s’avérait anormale qu’ils ouvriront une enquête.

- Je vois, dit Stéphane. Eh bien, nous allons essayer de savoir quelles étaient ses activités ici.

Ce n’est qu’à son hôtel que nous pourrons apprendre quelque chose.

- Il séjournait au Radisson SAS. Selon les policiers, ce n’est pas très loin d’ici. Dans la Mitte, m’ont-ils dit.

- Oui, au centre de Berlin. Nous allons nous y rendre. Une ligne de bus va nous y conduire directement.


Il faisait carrément froid, un peu de neige fondue tombait, et Stéphane regretta de ne pas avoir pris ses gants. En novembre, à Berlin, il ne fallait pas attendre un miracle de la météo. Si les immeubles, de ce côté, étaient ultramodernes avec du verre qui dominait toute l’architecture, il n’en avait pas été de même lors de la traversée du Wedding, l’ancien quartier ouvrier de l’Ouest. Stéphane avait pu s’asseoir à côté de Sandrine, et, à voix basse, il lui avait décrit le paysage. Des magasins oubliés, des barres décrépies d’immeubles post-modernes. Dans les rues, ils avaient croisé des femmes turques accompagnant, d’un pas hésitant, leurs enfants sur des aires de jeux, ressemblant davantage à de simples terrains vagues sommairement aménagés. Un tableau pas vraiment attirant au premier abord. Sandrine l’avait bien compris.


Le décor était totalement différent au pied du Radisson. Le quartier avait été entièrement refait et respirait l’opulence. De nombreux hôtels et des banques constituaient l’essentiel du décor. Ils pénétrèrent dans l’immense hall tout en marbre blanc. Stéphane avait pris l’habitude de tenir la main gauche de Sandrine tandis que, de l’autre, elle agitait sa canne. Ils se dirigèrent vers la conciergerie et Stéphane expliqua l’objet de leur visite.

Un petit bureau, à l’arrière, les accueillit et un homme d’une cinquantaine d’années au costume marron garni de grosses rayures dorées se présenta. Il s’agissait du chef concierge qui parlait un français remarquable.


- Madame Perret, Monsieur Lambert, permettez-moi de vous présenter mes condoléances.

Veuillez m’excuser de vous recevoir dans d’aussi pénibles circonstances.


Ils s’étaient assis sur des gros fauteuils de cuir beige clair que séparait une table basse et ronde en verre.


- Puis-je vous offrir quelque chose ?

- Non, merci, répondit Sandrine, en retirant ses gants. Nous venons pour parler un peu de mon mari. Le connaissiez-vous ?

- Personnellement, non Madame. Ce n’est que lorsque je suis monté à sa chambre et que j’ai vu son corps étendu, que je me suis souvenu avoir eu l’occasion de le saluer.


Sandrine se tenait les jambes croisées tandis que Stéphane avait sorti un bloc et prenait des notes.


- Si vous le désirez, par contre, je peux appeler Werner, l’un de nos concierges qui, lui, l’a un peu mieux connu.

- Avec plaisir, répondit Stéphane avant que sa compagne ne réagisse. Mais, ajouta-t-il, ne nous serait-il pas possible de visiter la chambre ? Nous avons d’ailleurs un papier signé de la police à vous remettre à cet effet.

- Monsieur, si je puis me permettre, reprit le concierge, même sans papier, je me ferai un plaisir de vous faire visiter. Mais à cette heure… c’est délicat… vous le comprendrez, j’en suis sûr. Par contre, demain matin, entre neuf et dix heures, je vous accompagnerai.

- Entendu, merci, répondit cette fois Sandrine qui s’était défaite de son caban.


Le concierge se leva et donna un bref coup de téléphone depuis un poste posé sur une commode de marbre blanc. Un homme plus jeune apparut, dans un costume identique.


- Je vous présente Rolf qui a échangé quelques mots avec Monsieur Perret. Madame, Monsieur, je demeure à votre disposition.


Il quitta la salle, laissant le soin à son collaborateur de poursuivre la conversation.


- Je vais être direct, commença Stéphane, nous essayons de reconstituer l’emploi du temps des derniers jours de Monsieur Perret. Pourriez-vous nous dire si vous avez remarqué quelque chose de particulier dans son comportement, ou bien s’il vous a fait des confidences ?

- À vrai dire, je ne lui ai parlé véritablement qu’une seule fois, je crois. Mais je l’ai salué à plusieurs reprises. Excusez-moi, un petit rafraîchissement vous ferait-il plaisir ?


L’entretien risquait de se prolonger. Ensemble et d’une même voix, ils acceptèrent.


- Je me souviens parfaitement que Monsieur Perret, à différentes reprises, m’a demandé d’appeler un taxi. Il semblait toujours pressé. Je peux vous dire aussi, car, naturellement, le décès de votre mari, Madame, était tout un événement, que j’ai questionné plusieurs personnes travaillant à l’hôtel. Il recevait du courrier et des appels téléphoniques. J’ai également consulté notre informatique, c’était la première fois qu’il séjournait au Radisson.

- Ah bon ? Il n’était jamais venu auparavant ? demanda Sandrine.

- Non Madame. J’en suis sûr.

- Et… savez-vous s’il recevait des visiteurs ?

- Madame, je dois dire que je ne me souviens pas avoir vu Monsieur Perret en compagnie d’autres personnes, mais je ne suis pas toujours de service et si on demande un client depuis la réception, nous ne tenons naturellement pas un journal des appels. Je suis désolé, mais je ne peux pas vous renseigner davantage.


Il allait prendre congé et saluer ses hôtes lorsqu’il se retourna, la main sur la poignée de porte.


- J’y pense… À plusieurs reprises, il a dîné à notre restaurant gastronomique. Je l’ai vérifié. Peut-être pourriez-vous interroger le maître d’hôtel. Mais il n’est pas encore arrivé à cette heure-ci.

- Merci infiniment, répondit Stéphane.


Ils ressortirent du palace et prirent le tram qui allait les ramener directement à leur hôtel.


- Ma chère Sandrine, nous n’avons pas obtenu de révélations, mais nous savons maintenant que Laurent ne venait pas ici régulièrement. Peut-être était-ce même la première fois qu’il séjournait à Berlin. Ses autres voyages à Londres étaient sans doute réels. Nous pourrons nous en assurer auprès de son employeur Poujoulat.

- Vous avez raison, Stéphane. Allons nous rafraîchir et revenons dîner ici si vous êtes d’accord.

- Avec grand plaisir.


Il était 17 h lorsque chacun regagna sa chambre.


IX


La journée avait été riche en émotions. Stéphane prit le temps de profiter d’une douche bienfaisante puis composa son numéro de téléphone à Niort. Juliette était rentrée. La conversation fut courte. Il expliqua les raisons exactes de son voyage à Berlin tandis que sa femme lui fit savoir qu’on lui proposait une super place à New York. Ils convinrent d’en reparler de vive voix.

Quant à Sandrine, elle se détendit dans son bain après avoir joint Florian. Il allait mieux qu’à son départ et attendait qu’elle revienne avec impatience. Il se remettait doucement de la disparition de son père et espérait revoir bientôt Stéphane.


C’est une Mercedes sombre qui les conduisit au Radisson. Le taxi s’arrêta sous le porche. Stéphane paya tandis qu’un portier aidait Sandrine à descendre. Le hall était illuminé de mille feux et les banquettes en cuir rouge et brun ressortaient sur le marbre blanc. Stéphane resta interloqué face à une merveille qu’il n’avait pas remarquée l’après-midi. Devant eux se dressait un immense aquarium. Du jamais vu. Une colonne de verre se perdant dans les étages. Peut-être sur vingt-cinq ou trente mètres de haut. Des milliers de poissons s’agitaient en douceur, des bancs entiers tournoyaient inlassablement. Il prit Sandrine par l’épaule et lui décrivit le spectacle. La fragrance du merveilleux parfum remonta à ses narines et, cette fois, il ne put s’empêcher de la complimenter.


- Merci, répondit-elle, comme vous le savez, je suis très sensible aux odeurs et j’attache une grande importance aux parfums.


Il lui lut un petit panneau placé devant l’aquarium géant qui indiquait qu’à l’intérieur du cylindre contenant un million de litres d’eau de mer, 2500 poissons tropicaux les regardaient.


- Un océan en miniature ? s’étonna-t-elle.

- Tout à fait. Et, la cerise sur le gâteau, c’est qu’à l’intérieur, un ascenseur permet d’aller faire coucou aux poissons. Je comprends pourquoi leur restaurant s’appelle le Fischers Fritz. Ils ont voulu créer un espace marin en plein centre de Berlin.


L’ascenseur les déposa au 8e étage. Une vue extraordinaire s’offrait à eux, en privilégiant la cathédrale, et Stéphane regretta beaucoup d’être seul à en profiter. Néanmoins, du mieux possible, il décrivit le spectacle à sa compagne.

Une employée les débarrassa de leur manteau et ils s’installèrent à une petite table.


- Par votre beauté, vous illuminez la salle, Sandrine.

- Merci vous êtes gentil, répondit-elle, son sourire dégageant ses jolies dents.


Une robe noire et un collier de perles mettaient superbement bien en valeur la blondeur vénitienne de ses cheveux fraîchement lavés.

Autour d’eux, un personnel important s’agitait en silence dans un décor de boiserie typiquement allemand. Ils passèrent la commande au maître d’hôtel, puis, avant qu’il ne reparte, Stéphane osa lui annoncer :


- Madame est l’épouse de Monsieur Perret, récemment décédé dans sa chambre d’hôtel.

- Oh, je suis désolé. Monsieur Perret était venu dîner plusieurs fois chez nous.

- Nous sommes au courant, et nous aurions désiré bavarder avec vous quelques minutes. Vous serait-il possible de revenir en fin de repas ?

- Certainement Monsieur. Lorsque les commandes auront été enregistrées, je serai beaucoup plus libre.


Stéphane prêta attention, avec une grande satisfaction, à la classe de cet établissement et il en fit la remarque à Sandrine. Le maître d’hôtel, s’étant aperçu du handicap de sa cliente, avait fait découper le filet de poisson en menues portions.


- Si je puis me permettre, et afin de mieux imaginer l’ensemble du décor, comment êtes-vous habillé, Stéphane ?

- Heu…


Il marqua un temps d’arrêt qui montra innocemment son étonnement. Il n’était pas habitué à ce genre de question directe, surtout de la part de Sandrine. Il répondit :


- Jean clair et blaser bleu marine. Chemise blanche col ouvert. Cela vous convient-il ?

- Tout à fait, répondit-elle en riant. Et vous oubliez d’ajouter que vous affectionnez l’eau de toilette Gucci, non ?

- Bravo ! En effet.


Il l’aida à prendre son verre en main et ils trinquèrent à leur santé réciproque.

Stéphane la regardait, habillée, lui semblait-il comme une princesse, et son maintien, la pureté de son visage, le port de sa coiffure, même ses lunettes de soleil lui donnaient un charme, une élégance qui le troublait. Le décor de grande classe et les touches légères du piano ajoutaient encore un plus à cette soirée qui était d’un type dont il n’avait été, jusqu’à présent, que le spectateur dans les films d’Hollywood. Lorsqu’il vit la main de Sandrine s’avancer doucement sur la nappe, il posa la sienne par-dessus et son cœur se mit à battre comme jamais.


Le maître d’hôtel attendit qu’ils aient terminé leurs beignets crème brûlée et s’avança vers eux.


- Excusez-moi. Je suis maintenant à votre disposition, dit-il en se plaçant entre eux d’eux.


C’est Sandrine qui prit la parole.


- Voilà, mon mari avait un rendez-vous très important, le jour de son décès, mentit-elle. Et nous aimerions retrouver le fournisseur avec lequel il a signé des contrats. Est-il venu déjeuner ou dîner le jour en question ?

- Il a dîné. Je m’en souviens très bien, répondit-il. Vous pensez, lorsqu’on l’a retrouvé mort en milieu de matinée, au moment où la femme de chambre est venue faire le lit, tout le personnel a été mis au courant.

- Vous souvenez-vous avec qui il a dîné, demanda Sandrine, de façon très neutre, presque froide.

- Vaguement. Je me rappelle une femme brune avec de longs cheveux et qui portait une robe rouge. Ils étaient placés là-bas, à la table sous le lustre. Par contre, notre employée du vestiaire a oublié de lui redonner son foulard quand ils ont quitté la salle et nous sommes surpris qu’elle ne soit pas revenue le réclamer.

- Pourriez-vous me le remettre ? demanda-t-elle. Nous devons retrouver cette personne et nous en profiterons pour lui redonner.

- Heu… Eh bien… comme vous voulez. Je vais le chercher.

- Vous ne sauriez pas, par hasard, quelle heure il était ce soir-là ? demanda Stéphane.

- Les dîners se terminent généralement aux environs de 23 h, mais par sa carte de crédit, je peux vous renseigner exactement, si l’heure est très importante pour vous…

- Oui, s’il vous plaît.


Le maître d’hôtel tourna les talons et disparut derrière une cloison.


- Pourquoi lui demandez-vous l’heure précise ? s’inquiéta Sandrine. Moi, j’ai confirmation de ce que je soupçonnais. Il était à l’hôtel avec une femme.

- Cela ne veut encore rien dire, répondit Stéphane, mais si nous pouvions savoir, le plus exactement possible à quel moment ils ont quitté le restaurant, je pense avoir une idée…

- Voilà, Monsieur, dit le maître d’hôtel, tenant à la main, un beau foulard de soie soigneusement plié. Quant à l’heure du règlement, Monsieur Perret nous a remis sa carte de crédit à 23 h 18.

- Nous vous remercions infiniment, répondit-il. Cela va nous aider.

- L’hôtel est à votre disposition, Monsieur. Je vous souhaite à tous les deux une bonne fin de soirée.


Stéphane régla sa note et prit Sandrine à son bras. Ils descendirent à la conciergerie. Le personnel était nouveau et prenait les dispositions pour la nuit. À tout hasard, Stéphane demanda à voir le concierge principal mais il avait terminé son service et ne reviendrait que le lendemain à 9 h.

C’est donc dans le taxi qui les ramenait que Sandrine demanda à voix presque basse :


- Voulez-vous bien m’expliquer ce que vous comptez faire ?

- Nous avons un foulard et l’heure de sortie du restaurant. J’ai une idée, mais je vous expliquerai cela demain.


Sans doute eut-elle préféré obtenir une réponse à sa question immédiatement, mais elle obtempéra.


- Pouvez-vous me le donner ?


Il sortit le foulard de sa poche, le déplia et lui confia. Elle le prit, le toucha comme une caresse et le mit devant son nez…


- Et moi, je peux ajouter à vos certitudes que ce foulard a été porté par une jeune femme…


Lorsqu’ils arrivèrent devant la chambre, Sandrine se tourna vers son chevalier servant. Elle fit comme si elle le regardait, et alors qu’elle sentit des mains se poser sur ses épaules, elle leva un peu la tête.


- Bonne nuit, Stéphane… Merci.


Il est des moments dans la vie où il n’est pas nécessaire d’être au-dehors pour voir les étoiles briller. Elles peuvent étinceler dans les yeux de chacun, même quand il n’est pas toujours possible de les distinguer.


X


Ils commençaient à prendre leurs habitudes au Radisson. Tout de suite, ils se dirigèrent vers le concierge principal.


- Bonjour, pourrions-nous visiter la chambre, comme convenu ? demanda Stéphane.

- Madame, Monsieur, Bienvenue. Certainement. Je vous appelle quelqu’un.


Il avait cette élégance des domestiques anglais plus snobs que leurs patrons.


- Merci. Mais auparavant, j’aimerai vous dire que le maître d’hôtel du Fischers Fritz nous a assuré que Monsieur Perret avait quitté le restaurant, en compagnie d’une femme, aux environs de 23 h 20, expliqua Stéphane. De deux choses l’une, ou bien ils se sont séparés, et dans ce cas, la femme est repartie seule. Avec sa voiture ou en taxi. Ou bien ils… sont restés… à l’hôtel.


Stéphane parlait le plus distinctement possible afin de se faire parfaitement comprendre. Il rajouta :


- Je vais choisir l’hypothèse la plus intéressante pour nous. Ils se sont séparés. Monsieur Perret aura alors regagné sa chambre tandis que la femme repartait en taxi. Ne vous serait-il pas possible de savoir si quelqu’un de votre personnel n’aurait pas appelé un taxi aux environs de 23 h 20 ?

- Si, naturellement. L’informatique enregistre tous les numéros. Je peux me renseigner. Veuillez bien m’attendre quelques minutes.


Cette fois, ils n’avaient pas eu droit à la petite salle du premier jour, mais ils trouvèrent à s’asseoir parmi tous les fauteuils et banquettes en cuir qui formaient comme un jardin à la française dans cet immense hall.


- Voilà Monsieur. À cette heure-ci, nous ne sollicitons plus trop les taxis. Cependant, nous en avons appelé un à 23 h 22 et un autre à 23 h 29. Voici leurs numéros de téléphone.

- Merci beaucoup, répondirent en chœur Sandrine et Stéphane.

Quelques instants plus tard, un homme arriva en complet gris.


- Madame, Monsieur, permettez-moi de me présenter. Hans Bornhauser, sous-directeur. Je vais vous conduire à la chambre qu’occupait Monsieur Perret. Je suis sincèrement désolé de ce qui est arrivé, et je vous présente, Madame, au nom de notre hôtel, mes très sincères condoléances.

- Merci, répondit-elle.


Quand il ouvrit la porte de la chambre, Sandrine serra plus fortement la main de son ami.


- Voilà, c’est ici. Monsieur Perret était étendu sur le tapis, en pyjama, à la sortie de la salle de bain. Vraisemblablement, il venait de terminer sa toilette et s’apprêtait à se coucher. Les lampes étaient toutes allumées lorsque nous l’avons découvert.


Stéphane avait fait asseoir Sandrine dans un fauteuil et arpentait la chambre.


- Voulez-vous que je vous laisse ? demanda le sous-directeur. Vous n’aurez qu’à tirer la porte.

- Merci, répondit Stéphane, mais j’ai suffisamment vu. Nous pouvons repartir.


Effectivement, la visite de la chambre n’avait apporté aucun élément nouveau. Il la décrivit à Sandrine et ils prirent congé.


Arrivé en bas, Stéphane installa son amie sur une banquette et se dirigea vers l’une des nombreuses cabines téléphoniques du hall d’entrée. Il revint quelques minutes après et s’adressa à Sandrine :


- Je n’ai rien de précis. Les deux taxis n’ont, pas forcément, pris en charge la femme que nous recherchons, et peut-être… pour parler clair… est-elle restée un moment à l’hôtel… Seule l’autopsie de votre mari pourra nous dire s’il s’est passé quelque chose entre eux, ce soir-là, puisque, en fait, c’est ce que vous voudriez savoir… Cependant, l’un des taxis se souvient avoir conduit une femme à l’est de Berlin. Il a pu retrouver l’adresse. Que proposez-vous ?

- Je ne veux pas attendre les résultats de l’autopsie. Si vous êtes d’accord, Stéphane, rendons-nous à l’adresse que vous avez obtenue.

- C’est bien ce que j’aurais décidé. Allons-y.


Ils ne parlèrent pas de leurs suppositions durant le trajet. Stéphane ne décrivit pas non plus le paysage traversé qui ne présentait que de vieux immeubles gris de l’époque stalinienne et des promeneurs en manteaux ressemblant à ceux qu’il avait vus maintes fois dans les documentaires durant la guerre froide.

Le chauffeur du taxi ralentit et s’immobilisa devant l’entrée d’une cour au fond de laquelle un grand bâtiment de bureaux faisait face à une maison particulière. On pouvait également deviner, à l’arrière, une usine métallurgique, en raison des deux cheminées en briques rouges qui fumaient, et les inscriptions lisibles sur les camions à quai.

Stéphane en fit la description à Sandrine qui écoutait avec la plus grande attention et lui faisait répéter la plupart des phrases pour bien capter les images.

- Je vous propose de m’y rendre seul, dit-il à Sandrine, et d’essayer d’obtenir le maximum d’informations.

- Si vous voulez, répondit-elle, résignée. Mais elle ajouta : Je ne me fais guère d’illusions, Laurent avait une liaison ici. S’il s’agit, effectivement, de l’entreprise de la femme qui était avec lui l’autre soir, ils ont très bien pu passer l’après-midi ensemble, avant d’aller dîner.


Stéphane ne répondit pas. Il avait refermé la portière de la grosse BMW.

Il se présenta à l’accueil de l’usine, réajusta sa mèche, sortit le foulard de sa poche de veste et s’avança vers la secrétaire cachée par l’écran de son PC.


- Guten Morgen, Fräulein.

- Bonjour Monsieur. J’entends à votre accent que vous êtes Français. Nous parlons le français chez Knitter. Puis-je vous être utile ?

- Oui, en effet. Je viens de la part du restaurant Fischers Fritz. Une dame de votre entreprise a oublié ce joli foulard et je voulais le lui remettre.


La jeune femme le prit entre ses mains, le regarda, hésita, puis dit :


- Je pense le reconnaître. Il doit appartenir à notre directrice, Frau Laukemann. Elle est occupée. Puis-je moi-même lui restituer ?


Stéphane jubilait. Il était bien à la bonne adresse et c’était cette Madame Laukemann qui avait passé la soirée avec Laurent.


- Puisqu’elle est là, je préférerais attendre et lui remettre personnellement.

- Comme vous voulez Monsieur. Monsieur ?

- Lambert. Stéphane Lambert.

- Entrez, je vous prie.


La salle d’attente n’avait rien de comparable avec les halls dans lesquels il avait séjourné ces derniers jours, à l’Ouest. Comme la réception, cette salle était d’une vétusté à repousser le plus virulent des commerciaux. Les peintures lui rappelaient celles des vieux hôpitaux, tels qu’il en avait connu dans sa jeunesse. Les portes et les fenêtres étaient vermoulues. Quant aux rideaux, on avait dû oublier de les laver la semaine précédente.

Il était encore debout lorsque la porte s’ouvrit et qu’une jeune femme brune en tailleur gris et portant chignon apparut, tout sourire.


- Monsieur Lambert ? Alicia Laukemann. Venez, je vous prie.


Stéphane la suivit et eut tout le loisir d’admirer le balancement de ses hanches et le galbe de ses mollets. Nul doute, il s’agissait d’une sportive. Elle s’assit derrière la table de travail et déboutonna sa veste. Elle portait un chemisier d’un rouge étincelant et Stéphane remarqua la beauté de ses yeux rehaussés par un maquillage étudié.


- Ainsi, vous avez retrouvé mon foulard. J’étais persuadée de l’avoir oublié sur le siège du taxi qui m’a ramenée l’autre soir… Oui, je pense être la personne qui a vu Laurent la dernière... Ah c’est terrible… Nous avions passé la soirée ensemble…


Stéphane ne la quittait pas des yeux et vit deux larmes qui coulaient. Elle chercha un mouchoir dans son sac et les essuya.


- Êtes-vous de sa famille ?

- Non, pas exactement.

- Mais… pourquoi me rapportez-vous mon foulard ? Comment m’avez-vous retrouvée ?


Stéphane avait balayé tout le bureau du regard. Derrière elle, dominait une gigantesque bibliothèque à l’intérieur de laquelle quelques niches supportaient des photos encadrées.


- C’est tout simple. Laurent était mon ami et je voulais rencontrer la personne qui l’avait accompagné durant sa dernière journée. C’est bien vous, n’est-ce pas ?

- En partie, oui, répondit-elle d’un ton assez ferme, réajustant sa position dans son fauteuil de cuir noir à haut dossier.


Stéphane était nerveux et se balançait de droite à gauche sur son siège tournant. Il songea à Sandrine qui l’attendait dans la voiture, nerveuse et angoissée.

La porte s’ouvrit. C’était la secrétaire. Il comprit que l’intrusion était justifiée. Alicia s’excusa et sortit. Seul à l’intérieur du bureau, il se leva rapidement, se pencha au-dessus de la table de travail et examina les trois photos qu’il avait repérées entre les livres. Deux semblaient assez anciennes et on aurait dit qu’elles représentaient une fête. Comme la célébration d’un événement à l’usine. Le champagne, visiblement, coulait à flots et beaucoup de monde entourait la directrice. Mais la dernière était la plus intéressante. Celle d’un homme jeune, photographié devant un mur, en costume cravate. « Dommage, se dit Stéphane, Sandrine ne m’a pas montré le visage de Laurent ». Prestement, il se rassit. Nul doute que l’homme en photo était celui de son cœur. Il arborait un large sourire qu’il aurait pu qualifier de complice. De plus, cette photo semblait récente.

Alicia arriva et interrompit ses pensées.


- Laurent doit être autopsié aujourd’hui, dit-il, et, normalement, le corps devrait repartir en France demain.


Elle écoutait, les mains jointes sur son bureau.


- Vous le connaissiez… depuis longtemps ?

- Depuis quelques mois, répondit-elle. Depuis son licenciement.

- Son licenciement ?… bafouilla-t-il.

- Oui. Vous n’êtes pas au courant ? Je sais qu’il l’avait caché à sa femme, mais à vous qui étiez son ami, il n’a rien dit non plus ?

- Heu… À vrai dire, non.

- Alors, je peux vous apprendre que nous étions en affaires et que Laurent allait prévenir sa femme dès son retour en France.


Stéphane s’était approché du bureau et venait de s’apercevoir qu’il avait posé ses avant-bras sur le bord. Il se retira légèrement, fixant Alicia dans les yeux. Des yeux bruns, profonds, directs. Sans nul doute, sous le couvert de démarrer une nouvelle activité en Allemagne, Laurent était l’amant de cette jeune et belle femme, chef d’entreprise.

Un rayon de soleil baigna d’un seul coup la pièce, mettant en valeur les veines du bois des meubles, mais Stéphane ne le remarqua pas. Il sursauta lorsque la porte s’ouvrit de nouveau et qu’un homme de grande taille entra.


- Guten tag ! dit-il en passant derrière le bureau, posant sa main sur le dossier du fauteuil d’Alicia.

- Je vous présente Rainer, reprit-elle. Le directeur de la Production.


Machinalement, Stéphane voulut défaire son nœud de cravate mais il n’en portait pas. Cet homme était celui de la photo et, à n’en pas douter, très proche d’Alicia.


- Indépendamment de l’émotion que nous ressentons au décès de votre ami, l’entreprise perd là un collaborateur qui aurait pu faire une belle carrière.

- Vous l’aviez engagé ?

- Disons qu’il travaillait pour notre compte depuis quelque temps et qu’il était promis à un bel avenir.


Rainer fit un pas en direction de la fenêtre et s’immobilisa bien droit, regardant la cour, mains derrière le dos. Elle poursuivit, accentuant l’articulation de ses mots français :


- Mon père avait fait sa connaissance quand il travaillait à la Sté Poujoulat. Lorsque j’ai repris la direction, nous faisions déjà partie de ses clients et d’excellentes relations s’étaient instaurées. Notre entreprise, spécialisée en chaudières et poêles, représentait un domaine qu’il connaissait parfaitement, et il nous a monté, en France, un vaste réseau de revendeurs. Il était donc venu à Berlin, ces dernières semaines, pour nous expliquer le fruit de son travail et nous venions de prendre nos dispositions afin qu’il assure la direction du secteur français. Malheureusement…


- Oui, malheureusement… reprit en écho son ami, toujours de dos.

- Je vois, dit Stéphane. Il attendait d’avoir réussi la mission que vous lui aviez confiée pour tout expliquer à sa femme.

- C’est cela oui. Ah ! J’ai oublié, désirez-vous boire un café ?

- Non, merci. D’ailleurs un taxi m’attend.

- Je comprends. Je suis contente que vous soyez venu, des explications s’imposaient. Et aussi pour le foulard, dit-elle en le caressant de la pointe des doigts. Ah, encore une chose, lorsque vous verrez sa femme : en fin de mois, avec Rainer, je pars en voyages de noces, et à mon retour, nous commencerons le déménagement et rejoindrons notre nouvelle usine. Mais avant de partir, j’aurai effectué le virement de ce que je dois à Laurent. Une jolie somme. Vous lui direz n’est-ce pas ? Laurent, je vais passer lui faire mes adieux en fin de journée. Très heureuse de vous avoir rencontré, Monsieur Lambert, mais je regrette les circonstances.

- Merci à vous, Frau Laukemann pour tous ces éclaircissements.


La pluie s’était remise à tomber. Une pluie glaciale. Décidément, il lui faudrait revenir afin de connaître Berlin sous le soleil. Il courut jusqu’à la voiture et se glissa à côté de Sandrine.


- Alors ? demanda-t-elle.

- Alors ?… Laurent ne vous a pas fait d’infidélités. Je vous expliquerai.


Stéphane tenait à offrir à Sandrine un excellent déjeuner. D’abord, il en avait besoin. Sa matinée lui avait creusé l’estomac. Et puis, il était heureux d’annoncer les bonnes nouvelles à son amie. Se retrouver dans un restaurant, au pied de la porte de Brandebourg, le tentait beaucoup.


- En vous attendant, j’ai pensé à Florian, dit Sandrine. J’aimerais lui apporter quelques cadeaux. Ça lui fera plaisir.

- Et vous souhaiteriez que je m’en charge ?… Avec le plus grand plaisir. Je vais être content de retrouver votre garçon. Que désirez-vous acheter ?

- J’avais pensé à un jeu vidéo, bien sûr, et tant qu’à faire en français. Mais aussi un porte-clés avec un petit ours, l’emblème de la ville, et puis, peut-être, des boules de Berlin, leur spécialité de beignets.

- D’accord, Sandrine. Je m’en occuperai cet après-midi.


Elle chercha sa main et lui caressa doucement.


XI


- Il vous reste encore quelques séances de massage, avait-elle prononcé quand il lui avait descendu les valises. Et puis, même sans séance… venez me voir si vous en avez envie…


De retour à son domicile, Stéphane avait beaucoup pensé à cette phrase. Il était tellement tenté de se manifester, et pourtant la sagesse lui recommandait d’attendre un peu.

Son arrivée auprès de Juliette avait été des plus glaciales. Elle était décidée à partir pour New York et il n’avait pas posé de questions sur sa motivation profonde. Peu importe s’il s’agissait réellement d’une belle promotion ou si elle partait pour quelqu’un d’autre.

Son exposition devait se terminer après les fêtes de Noël et il retournerait à Genève chercher ses tableaux. Cette fois, il prendrait une chambre d’hôtel, bien décidé à ne revoir Marion que pour faire les comptes et emballer les invendus.


Après l’euphorie de sa mission à Berlin, des quelques jours qu’il avait passés auprès de Sandrine, la monotonie du quotidien l’avait rattrapé. Misty était de retour et il lui avait acheté de nouvelles croquettes. Il avait également retrouvé sa télé, son fauteuil et ses cannettes.

Pourtant, un appel téléphonique provenant de la Rue du Rempart lui aurait fait tellement plaisir… mais aucune sonnerie n’avait retenti. Depuis le jour de l’enterrement, il n’avait pas revu Sandrine. Même s’il rongeait son frein, s’il essayait d’être raisonnable en dépit des douleurs qui lui tenaillaient l’estomac, il se sentait beaucoup mieux dans sa tête, presque prêt à reprendre ses pinceaux. Et tout cela depuis le déclic, l’instant de bonheur où sa protégée, un certain soir, avait avancé sa main sur la nappe…


La nostalgie des galeries souterraines l’avait repris. Enfin, le croyait-il. Stéphane s’était décidé à y redescendre un après-midi. Était-ce pour s’imprégner de l’odeur des caves ? Découvrir de nouvelles traces de souterrains comblés ou quelque jeu laissé là par Florian ? Il suivit le faisceau lumineux de sa lampe et se retrouva à l’entrée de la grande salle. Il tourna la tête en direction du petit couloir, leva les yeux vers l’escalier…

En haut des marches, là où prenait fin le royaume des profondeurs oubliées, habitait une personne qui lui plaisait vraiment beaucoup. Elle lui avait redonné le goût de vivre. Sa porte, comme par hasard, était grande ouverte.


Stéphane hésita un court instant et gravit l’escalier…


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   studyvox   
9/11/2008
On hésite un peu à lire une nouvelle, quand on remarque qu'elle fait plus de 90000 caractères.
J'en sais quelque chose, car les longs textes n'attirent pas trop les lecteurs, ni les commentaires.
Ici, après un début un peu statique, l'intérêt survient, quand le peintre rencontre le jeune garçon dans le sou-sol.
La suite, quoique toujours assez lente, prend une tournure plus captivante, après la rencontre de la jeune femme.
La fin de cette première partie prend un ton un peu policier, et le texte se termine comme dans les feuilletons, par une invitation à lire le prochain épisode.
J'attends la suite pour me faire une idée plus approfondie de ce roman sentimental.

   xuanvincent   
9/11/2008
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai lu cette nouvelle en lecture rapide, du fait de sa longueur et du temps dont je dispose (plus court).

Ma première impression est plutôt favorable. Sans avoir été passionnée, l'histoire m'a paru se lire facilement et j'ai apprécié suivre les aventures du narrateur, entre intrigue policière et histoire d'amour.

Cette nouvelle m'a fait penser à "l'e-mail codé", où le héros tombe amoureux d'une femme mariée et où le mari a caché à cette dernière un secret important pour l'intrigue.

   Togna   
9/11/2008
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Félicitations pour l’intrigue, sa sensibilité, son émotion parfois. Il y a un réel travail d’auteur, malheureusement alourdi parfois par quelques poncifs, périphrases, répétitions.

Exemples périphrases :
« dont les plaques de cuivre brillaient toutes davantage les unes que les autres. » > « dont certaines plaques de cuivre brillaient plus que d’autres ».
« Que » (conjonction, pronom ou adverbe), revient très souvent dans ton texte. C’est un mot « dur à l’oreille » qu’il convient d’utiliser le moins possible. D’autre part, tu répètes « les uns plus que les autres » quelques lignes plus loin.

« il n’osa pas adresser de compliments » > « il n’osa pas complimenter ».

« il se fit la remarque » > « il remarqua ».

Exemple syntaxe :
« présentaient sur une surface d’à peine un mètre carré, des traces brillantes » > « présentaient des traces brillantes sur une surface d’à peine un mètre carré »

Exemple d’allègement et de précision des mots :
« Un homme parlait mais la voix était si basse qu’elle empêchait Stéphane de suivre la conversation. »
« basse » est mal adapté (voix de basse).
« empêchait » n’est pas non plus le bon terme, car l’homme, qui ne connaît pas la présence de Stéphane, ne baisse pas la voix volontairement pour ne pas qu’il entende.
J’aurais écrit : « Un homme parlait, mais sa voix, trop faible, ne permettait pas à Stéphane de suivre la conversation. »


Exemples de poncifs : « avait beau » ; « fier comme Artaban » ; « Au bout de » ; « en fait » ; « se planta », etc.

D’autre part, le vocabulaire manque souvent de précision et de simplicité.
Exemples :

Au moment des alertes > pendant les…
Était davantage récent > était plus…
Sous le couvert de > sous le prétexte
Elle se frotta les mains à une feuille de papier > elle s’essuya les mains à l’aide d’une…

À éviter aussi,
Les répétitions : « nerveux et nerveuse » « plaisir » en deux phrases successives.
Les pléonasmes : « fragrances de merveilleux parfums » « superbement bien ».
Les cacophonies : « ici si »

J’ai eu un réel plaisir à la lecture de ta nouvelle en participant à sa correction et c’est pour cette raison que je me permets de citer ici quelques unes de ses petites imperfections. Je crois que si tu travailles sur ces points, tes qualités de narrateur et ton imagination te permettront d’écrire de belles pages.

   studyvox   
11/11/2008
Voici un complément à mon commentaire précédant.
J'ai trouvé ce roman "très bien".
C'est peut-être simplement à cause de l'énigme policière que je me suis imaginé qu'il pouvait y avoir

une suite, mais en fait, tout était clair une fois qu'il était dit que le mari n'avait pas trompé sa femme.
L'évocation de la porte ouverte en haut des marches, devient alors suffisante pour que l'on imagine

la fin heureuse de l'histoire.
J'ai trouvé que le comportement de la jeune femme aveugle étaient biens décrits.
L'athmosphère et les habitudes germaniques, à l'arrivée à Berlin, sont aussi très bien évoquées, pour

quelqu'un qui est déjà allé en Allemagne.

   Anonyme   
12/11/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Super bien écrit. Voilà un style particulier que je retrouve dans vos romans, vous amorcez une histoire policière, ça tourne autour, et surprise l’histoire d’amour reprend le dessus. L’art et la manière de nous entrainer et de nous surprendre. Bravo


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