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Sentimental/Romanesque
PierreP : La nuit
 Publié le 15/07/24  -  4 commentaires  -  7776 caractères  -  41 lectures    Autres textes du même auteur

Un petit garçon et son père arrivent sur leur lieu de vacances.


La nuit


C’était une belle journée.

Assis peinard contre un nuage, le soleil tenait, allumée, une bougie. Sur nos visages, les poils d’un pinceau de lumière achevaient de teinter de brun, en une aquarelle éphémère, la blanche peau des citadins. Une douce et chaude caresse réchauffait nos corps fatigués et mon cœur, proche de l’ivresse, savourait l’étrange beauté de ce calme petit village aux maisons baignées de lumière. Oh, et… six ans. C’était mon âge et c’était mon anniversaire.

J’avais commandé le coffret avec les animaux robots, celui qu’on voit à la télé, pendant la pub. Ils sont trop beaux ! J’avais découpé la photo dans le magazine de jouets et l’avais collée illico sur un papier. Papa savait que je le voulais plus que tout. J’étais sûr que j’allais l’avoir. Ça me rendait marteau, j’avoue. J’avais trop hâte de savoir ! Je caressais ce bel espoir, comme on caresse un feu follet venu perturber la nuit noire, mais sans jamais, ô grand jamais, le toucher du bout de ses doigts, ni du bout de son petit nez, ni du bout de quoi que ce soit, d’ailleurs, pour ne pas se brûler.

Le ciel était d’un joli bleu. Le premier jour de nos vacances commençait donc on ne peut mieux, dans ce beau petit coin de France. Il ne nous manquait que maman et ses bisous au chocolat. Elle était morte un an avant.

« Le chagrin, avait dit papa, est le pire poison qui soit. Ça s’immisce dans votre cœur. Ça s’installe et ça reste là tant que la plus fine lueur, la plus infime des étoiles, n’y sont pas devenues noirceur. Quand tout est mort, ça met les voiles, vous laissant vide à l’intérieur. »

J’aurais dû avoir un grand frère. Il fut tué avant ma naissance et je n’en garde que l’amer et sombre héritage d’absence. C’est fou comme peut me manquer cet homme-là, cet inconnu, sous prétexte de partager mon sang. C’est vraiment farfelu. Si je tenais le… enfin bon. On se croisera bien un jour. Si le monde tourne si rond, je saurai en faire le tour.

Mais parlons d’autre chose, un peu.

J’avais appris de source sûre, enfin, d’un grand de CM2 (je crois qu’il s’appelait Arthur), que l’on pouvait trouver, parfois, sous certains arbres très anciens, ceux avec des nœuds dans le bois, la porte de chez un lutin. J’avais déjà entendu ça, un jour, à la télévision, sur la 18. Enfin, je crois. Arthur devait avoir raison. C’était décidé. Il fallait que je voie tout ça par moi-même.

Le fait d’aller dans la forêt tout seul me donnait le teint blême. Je sentais, rien que d’y penser, battre mon cœur à toute allure et j’avais l’estomac noué. Oui, j’avais un peu peur, c’est sûr, mais c’était quand même excitant. C’était même sacrément cool. Mille tambours tambourinant n’auraient pu égaler mon pouls. Je sentais tout mon corps sourire à l’idée de trouver, peut-être, un lutin. J’étais… comment dire… je ne savais plus où me mettre.

Mais j’attendais, patiemment, sage. Je laissai passer la journée puis le soleil tourna la page et la lune fit son entrée. À la nuit tombée, doucement, je quittai mon duvet douillet. Le froid fit instantanément son effet sur mes deux mollets. J’eus droit à un frisson ou deux, mais pas de quoi fouetter un chat. Quand on est un gars courageux, on ne s’arrête pas à ça. J’enfilai donc mes baskets noires, silencieux autant que possible, car si je me faisais avoir, la nuit serait des plus pénibles.

Quand papa était en colère, il fallait faire profil bas. Il valait mieux savoir se taire pour éviter tous les tracas d’une gifle ou d’une fessée, d’une heure au coin (deux, plus souvent), d’une semaine sans télé ou juste de ses hurlements. Tout cela ne m’empêcha pas de m’évader pour une nuit. Ce soir, j’allais aller là-bas déterrer les trésors enfouis.

L’obscurité posa son châle sur mes épaules de papier, enveloppant, comme on avale, l’enfant que j’étais tout entier puis chuchota dans mes oreilles les mots d’amour qu’on dit tout bas, comme une maman qui surveille et dit à l’enfant, comme ça : « Ne t’inquiète pas. Je suis là, de l’autre côté de la porte. Oui, je suis là, tout près de toi. »

Et puis la nuit, toujours, l’emporte et l’on reste seul dans son lit, avec ses peurs, avec ses doutes. Au plafond, l’ombre s’agrandit et forme des dos qui se voûtent, de longues mains et de longs doigts, de longues griffes acérées, des yeux, dans le noir, juste là.

La nuit revient nous murmurer : « Je suis là, tout autour de toi. Laisse-moi couvrir tes pensées d’un voile étoilé. Dans mes bras, tu pourras te laisser aller. »

La nuit revient nous cajoler, nous couvrir de baisers obscurs, mais la nuit revient nous voler, des maisons, les toits et les murs, des gens, le visage et le corps, des paysages, la couleur, le soleil, et bien plus encore lorsque la nuit nous fait si peur.

J’étais parti à l’aventure, tout seul, du haut de mes six ans et je m’étais perdu, bien sûr, car moi, je n’étais qu’un enfant qui cherchait les fées, les lutins, dans ce sous-bois aux mille charmes. Mais, pris d’effroi quand la nuit vint, je versai quelques chaudes larmes et je compris enfin, trop tard, que j’étais perdu pour de bon et qu’il n’y avait plus d’espoir de retourner à la maison.

Mes deux mollets me démangeaient, griffés de partout par les ronces. Sur mes bras aussi, ça piquait. En fait, il n’était pas une once de mon corps qui ne se plaignait. J’avais mal aux pieds, mal aux bras, j’avais mal au ventre et j’avais une peur bleue de cet endroit. Les arbres se ressemblaient tous et chacun d’eux semblait cacher la mâchoire d’un loup, d’un ours ou l’ombre d’un tueur enragé. J’entendais, tout autour de moi, les cris des animaux nocturnes. Ils couraient dans tout le sous-bois, cachés dans l’ombre de la lune.

En quête de nœuds dans le bois, je les trouvai dans mon bas-ventre. Tremblant, je regrettais déjà de n’être pas resté dans ma tente. Papa allait être en colère. J’étais bon pour une raclée au ceinturon, le cul à l’air. Enfin bon… s’il me retrouvait. Rien que d’y penser, je sentais couler l’urine sur ma peau. Allons bon ! voilà que j’avais perdu mon âme de héros.

Papa aurait honte de moi. C’était sûr, il allait hurler. Les grands garçons ne font pas ça. Il l’avait assez répété. Je devais être une fillette ou l’un de ces garçons spéciaux, ceux qu’il appelait les tapettes. Enfin, tout ça, c’est des gros mots. Je n’arrêtais pas de pleurer. Je me sentais comme une mouche dans une toile d’araignée. Je m’effondrai sur une souche.

Qu’est-il raisonnable de faire, lorsqu’on est perdu, à six ans, mis à part appeler sa mère en tremblant de toutes ses dents ? Lorsqu’on est seul, au fond d’un bois, de plus en plus seul, quoi qu’on fasse et même plus tard, oui, parfois, au fond d’une salle de classe, en proie à tous les prédateurs qui n’attendent que le faux pas, l’étourderie, l’ultime erreur, pour bondir, cruels, comme un chat sur une souris sans défense, comme un grand sur un plus petit, sans ne laisser aucune chance au supplicié. Fondre sur lui et lacérer à coup de griffes, à coups de poing, à coups de mots, à coups de pied, à coups de gifles, son cœur, et son âme, et sa peau.

C’est alors que se produisit le plus merveilleux des miracles. Jamais plus je ne vis, depuis, de plus magnifique spectacle. Assis sur mon billot de bois, au creux de la noire forêt, je laissai le son d’une voix rassurer mes tympans douillets. Contre mon front, j’avais posé ma main, pour protéger mes yeux de cette aveuglante clarté que jalousaient même les cieux.

Une lumière à enflammer le plus vaste des océans vint, en moi, tout illuminer, jusqu’au fond de mon cœur d’enfant. D’un éclat que mille diamants n’auraient jamais pu égaler, bravant la nuit, le froid, le vent, mon père m’avait retrouvé.

De ses deux bras, il m’étreignit et me serra contre son cœur. Il fut la lueur, l’embellie. Grâce à lui, je n’avais plus peur.


 
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   plumette   
6/7/2024
trouve l'écriture
perfectible
et
aime un peu
je me suis un peu perdue dans ce texte.
A part la mention de "duvet" dont je me suis souvenue après coup, je n'ai pas vraiment compris au départ que le petit garçon et son père campaient.
Par ailleurs, l'évocation de l'anniversaire et du cadeau espéré me semblent sans rapport avec " l'intrigue" , c'est à dire l'exploration nocturne de l'enfant, ses peurs et son soulagement.
Quand au style, je le trouve hybride. On est entre réalisme et moments plus poétiques qui n'ont pas réussis à me toucher.
J'ai eu l'impression que l'action commençait avec
"L’obscurité posa son châle sur mes épaules de papier " mais il y a presque immédiatement des digressions sur ce que "fait" la nuit en général , ce qui sort le lecteur de l'aventure! Et puis un peu plus tard, on comprend que l'enfant est "pris d'effroi lorsque la nuit vint" ce qui m'a embrouillé un peu dans la temporalité car je pensais qu'il faisait déjà nuit !
C'est dommage, car on perçoit bien une sensibilité et la lecture de cette anecdote pourrait être plus fluide avec une construction un peu différente

   Jemabi   
6/7/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Un style d'écriture très imagé, qui donne vie au soleil et à la nuit, ainsi qu'un univers enfantin bien rendu, rendent cette nouvelle très agréable à lire. Les malheurs familiaux sont à peine évoqués pour s'intéresser à ce qui est le plus important pour un petit garçon : l'appel de l'inconnu et, en définitive, la découverte du merveilleux. Deux peurs se mêlent tout au long du récit, la possible colère du père et la terrifiante solitude en pleine nuit, jusqu'au dénouement final, rassurant. Entre-temps, l'enfant aura fait l'expérience de la vie et aura débuté son émancipation.

   Yakamoz   
19/7/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Écriture imagée et poétique, le style est fluide et la nouvelle se lit avec plaisir. Je me suis demandé à la deuxième lecture si c'était un problème que les mots ne soient pas ceux d'un enfant de six ans ? Je n'ai pas la réponse...
Je me questionne aussi sur la pertinence du personnage du frère disparu, qu'apporte-t-il au récit ?
Mon interprétation de l'histoire est qu'il s'agit d'une métaphore onirique d'un enfant battu à la recherche de l'amour de son père. L'escapade dans la forêt à la recherche des lutins n'est qu'un rêve, et la fin heureuse qui tranche avec la réaction attendue du père reflète ce qu'espère l'enfant.

   Cox   
20/7/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Bonjour PierreP, et bienvenue côté nouvelles! Ravi de voir un nouvel auteur s'aventurer dans ce format.

D'emblée, j'ai bien aimé le style qui a un côté oral, souvent un peu déstructuré. Ça lui donne des allures bonhommes sans trop de prétention, et ça enjoint le lecteur que je suis à suivre le conteur dans son récit. Il y a parfois quelques approxiamtions ou formules pas très heureuses (par ex: Mille tambours tambourinant), mais dans l'ensemble ça reste fluide et agréable.
En revanche, si l'écriture paraît globalement maîtrisée, je trouve qu'elle manque parfois de cohérence dans les choix que fait l'auteur. Un passage au ton aussi enfantin que:
J’avais commandé le coffret avec les animaux robots, celui qu’on voit à la télé, pendant la pub. Ils sont trop beaux !
...ne colle pas bien avec les raffinements - un peu excessifs à mon goût - de:
L’obscurité posa son châle sur mes épaules de papier, enveloppant, comme on avale, l’enfant que j’étais tout entier
On pourrait citer plus d'exemples, mais l'idée est simple, il y une forte dissension entre la narration majoritairement en point de vue interne enfantin, et quelques sorties trop ronflantes et littéraires pour être crédibles dans la bouche de l'enfant. C'est dommage, parce que ça rend le statut du narrateur assez confus, et me sort de l'immersion qu'on ouvait entretenir avec le point de vue interne.
L'écriture paraît bonne, donc, le seul bémol étant qu'elle peine à faire un choix entre des effets de style qui sont une fierté d'auteur et un registre enfantin plus efficace.

Du côté du fond en revanche, c'est quand même un peu plus léger. Le tout forme une anecdote dont on pourrait douter de la pertinence si on la résumait sans ambages. Dès lors, ce qui fait l'intérêt c'est plutôt la façon de raconter et la tendresse que l'auteur laisse poindre. Le texte enrobe comme la nuit la figure du père, qui oscille entre autorité effrayante et présence protectrice et rassurante. Malgré une intrigue ténue, le lecteur peut donc se rattacher à ce portrait attendrissant au travers des yeux d'un enfant un peu perdu et déboussolé dans la forêt et dans la vie en général (à ce titre, je comprends l'evocation du frère disparu qui renforce cette impression, même si elle m'a parue maladroite et mal justifiée sur le moment).

Même si je préfère personnellement des textes à plus forte teneur narrative, je salue donc cette nouvelle toute en sensibilité!


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