Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Fantastique/Merveilleux
pln : Le Rond-Point
 Publié le 26/05/14  -  7 commentaires  -  20050 caractères  -  74 lectures    Autres textes du même auteur

Le Rond-Point était l’épicentre du monde, le soleil d’où irradiaient tous les rayons-routes menant aux différents lieux auxquels les conducteurs avaient besoin d’accéder. Enfin, la plupart des conducteurs. Parfois, des exceptions qui se « consacraient à eux-mêmes » se baignaient librement dans le feu grisâtre des voies.


Le Rond-Point


Le rideau noir allait et venait tandis qu’il s’éveillait. Comme chaque matin, ses yeux avaient le plus grand mal à s’habituer aux lueurs blafardes projetées par un soleil froid au travers du voile gris des nuages. Les volets mal fermés laissaient filtrer cette fade lumière qui ne tarderait pas à emplir toute sa chambre. Il s’étira et s’assit sur son lit étroit, regardant la sonnerie de son réveil naturel s’amplifier. « Au moins ça a l’avantage d’être silencieux, se disait-il toujours, déjà qu’on passe notre vie dans un vacarme pas possible. » Il se leva. Puis, il alla se doucher, se brossa les dents et se dépêcha de s’habiller. Il prendrait son petit déjeuner dans la voiture.

Il n’était pas pressé pourtant, personne ne l’attendait. Après une succession de métiers plus inintéressants les uns que les autres, il avait décidé, quelques années plus tôt, de prendre sa retraite pour se « consacrer à lui-même » comme il l’avait si bien dit aux automates humanoïdes qu’étaient ses collègues. « Dans la vie, tu ne peux pas faire ce que tu veux juste parce que tu l’as décidé », avaient-ils répondu en le regardant prendre ses affaires et partir. Pour le reste, il n’avait jamais rencontré quelqu’un qui vaille le coup de s’y attacher et avait plongé dans l’asociabilité de manière exponentielle.

Il descendit les escaliers précipitamment, sortit de l’immeuble et se dirigea vers le parking. Sa voiture adorée l’attendait à la place où il l’avait laissée la veille. Il la démarra avec des gestes devenus machinaux. Le moteur chanta et l’engin s’éveilla. Il se sentait bien. « Le voici mon véritable chez moi, pensa-t-il, allez, c’est parti ! »


Lorsqu’il s’engagea sur la route, celle-ci était encombrée de toutes sortes de véhicules, du vélo jusqu’au tank. Après avoir patiemment attendu le passage d’un tracteur, il se plaça sur la voie réservée aux automobiles citadines. Comme toutes les autres, celle-ci était parfaitement droite. Il se rappela avoir entendu parler des mythiques routes non droites, « avec des virages », c’est le mot qu’il avait entendu. Le Rond-Point mis à part, il n’avait jamais conduit sur l’une de ces chimères. Splash. Des gouttes d’eau perlèrent sur le pare-brise. « Encore ces putains de Zodiac, hurla-t-il intérieurement, qui est le con qui a pensé que c’était une bonne idée de mettre la voie nautique à côté de la nôtre ! » Il klaxonna mais le bateau était déjà loin. Pour se calmer, il regarda par la fenêtre de droite, soit celle qui donnait sur les voies goudronnées. « C’est marrant quand même, se dit-il, de voir tous ces véhicules si différents qui avancent à différentes vitesses et qui pourtant vont tous dans la même direction. » Un ralentissement soudain l’arracha à ses réflexions, c’était l’embouteillage habituel qui précédait le Rond-Point.


Personne ne savait quelle taille faisait le Rond-Point. On n’avait jamais entendu dire que quelqu’un aurait réussi à en faire entièrement le tour. Le Rond-Point était l’épicentre du monde, le soleil d’où irradiaient tous les rayons-routes menant aux différents lieux auxquels les conducteurs avaient besoin d’accéder. Enfin, la plupart des conducteurs. Parfois, des exceptions qui se « consacraient à eux-mêmes » se baignaient librement dans le feu grisâtre des voies.


Une exception. C’est ce qu’il était, il en était persuadé. L’attente se prolongea et il se remit à songer. Il se remémora son dernier entretien avec son ex-patron, décontenancé par sa démission.


– Si vous tenez tant à nous quitter je ne peux pas vous en empêcher, mais tout de même, vous pourriez au moins me dire la raison. Que voulez-vous exactement ? avait-il demandé.

– Je veux retrouver le plaisir de conduire.

– Pardon ?

– Je ne veux plus prendre ma voiture en tant que simple moyen de transport. Ce que je veux, c’est redécouvrir ce plaisir des jeunes conducteurs qui roulent parce qu’ils se sentent bien, qu’ils peuvent aller où ils veulent et qu’ils ont l’impression de pouvoir aller aussi loin qu’ils le souhaitent.

– Oui mais enfin… il est évident que cela est dû à la jeunesse. Le plaisir de conduire est éphémère, tout le monde le sait. Inéluctablement, les trajets se répètent et la conduite tient plus de la corvée nécessaire. C’est pour ça que les voitures automatiques existent, pour nous en soulager. Il est bien beau de conduire sans se préoccuper de rien, mais à partir d’un moment, il faut bien se décider à aller quelque part, à rouler vers quelque chose.

– Pas vers mais sur.

– Excusez-moi ?

– Vous voulez rouler vers une destination, très bien, c’est votre choix. Moi, je veux rouler sur une route, sur MA route.

– Et elle ressemble à quoi votre route ? avait demandé le patron qui feignait de s’en soucier.

– Elle est vide.

– Vide ?

– Oui. Une route où je serais seul, où je ne verrais ni n’entendrais aucun véhicule, où je n’aurais pas besoin de surveiller les rétroviseurs, où il n’y aurait pas de bouchon. Une route sur laquelle ne passeraient que moi et ma voiture, nous éloignant toujours plus du Rond-Point pour ne jamais y revenir.

– Mais quel intérêt ?

– De ne plus être l’un de ces misérables points constituant la droite, d’être ce petit point perdu et unique que l’on repère d’un coup d’œil en fixant le plan dans son ensemble.

– Je vois, je vois. Et elle est où cette route ?

– C’est ce que je vais chercher.

– Bon. Comme vous voulez. Mais ne revenez pas pleurnicher quand vous aurez compris qu’une voiture n’est qu’un outil pour emprunter une route qui nous indique une direction. Une route vide ? Ah ! Il faudrait remonter à la construction du Rond-Point pour trouver ça.


Un bruit strident le ramena à la réalité. C’étaient les agents de circulation qui effectuaient leur danse habituelle sur le tempo des coups de sifflets. Cela signifiait que ce serait bientôt son tour d’embarquer sur le gigantesque cercle.


Pour trouver sa route, sa méthode était simple. Chaque jour, il empruntait une route différente et la parcourait aussi loin qu’il le pouvait. Il circulait au milieu de milliers de véhicules, passait devant des villes où fourmillaient des millions d’habitants et travailleurs, patientait des heures dans les encombrements, puis faisait finalement demi-tour pour rentrer dormir chez lui. Le lendemain, il avançait d’un embranchement au niveau du Rond-Point et sillonnait la route voisine à celle prise la veille. De nouveau, il rentrait bredouille puis repartait à l’assaut de l’embranchement suivant le jour d’après. Tel était son quotidien depuis sept ans.

Et pourtant, jamais sa volonté de solitude ni sa recherche de distinction n’avaient encore été assouvis.


« Aujourd’hui sera différent », pensa-t-il sans conviction. Mais pour une fois, il avait raison.


Un sifflement strident retentit puis une main gantée se tendit. C’était son tour.

Il suivit pendant quelques heures la courbe quasi droite du Rond-Point en comptant méticuleusement le nombre d’embranchements devant lesquels il passait. Il regardait d’un air maussade toutes ces routes bondées où les bouchons ne se feraient pas attendre.

Une profonde mélancolie le gagna. « Et pourquoi serait-ce différent au prochain ? Qu’est-ce qui fait que cette fois sera la bonne ? » gémit-il. Il sentait quelque chose monter en lui. Le désespoir. Sept ans, sept longues années à arpenter cette toile d’araignée goudronnée parmi tous ces insectes métalliques enchevêtrés. C’était sa limite. Là, aujourd’hui, maintenant, en face de l’embranchement 2 557, il avait atteint sa limite. Il n’en pouvait plus de pourchasser un rêve, cet espoir illusoire, miroir des désirs impossibles à assouvir.


Coup de klaxon et de sifflet s’unirent en une note que seul Beethoven aurait pu supporter. Il sursauta. Il n’avait même pas remarqué qu’il s’était arrêté. Un agent s’approcha, il baissa sa vitre.


– Monsieur, il est interdit de s’arrêter sans raison sur le Rond-Point, vous bloquez tout le monde. Veuillez avancer.

– Ce n’est pas sans raison monsieur l’agent. C’est juste que… je ne sais pas où aller.

– Peu importe, vous ne pouvez pas stationner ici.

– Écoutez-moi, geignit-il, puisque je vous dis que je ne sais pas quel est mon embranchement.

– Pour savoir où aller, il vous suffit de vous référer aux panneaux.

– Mais tout le problème est là ! Je ne vais nulle part.

– Alors rentrez chez vous.

– Non, non, vous ne me comprenez pas. Je ne cherche pas à aller quelque part en particulier, je veux juste trouver ma route.

– Vous avez raison, je ne vous comprends pas. Si vous n’allez nulle part, restez chez vous. Allez, vous nous avez assez fait perdre de temps à moi et aux autres conducteurs. Reprenez votre route.

– C’est laquelle ma route à la fin ? pleurnicha-t-il.

– Bon, ça suffit maintenant ! Je m’en fous et tout le monde s’en fout de votre putain de route ! Je vous conseille de redémarrer si vous ne voulez pas avoir des ennuis.


Au profond découragement commença à succéder une puissante fureur.


– Je n’ai que ça de l’ennui, grinça-t-il.

– Vous l’aurez voulu. Sortez de votre véhicule, ordonna l’agent.

– Non.

– Quoi ?


L’agent était abasourdi. Jamais personne ne lui avait désobéi.


– Monsieur… sortez de votre véhicule s’il vous plaît, bredouilla-t-il.

– Non, il ne me plaît pas.

– Mais…

– Mais rien ! Vous vous en foutez ? Tout le monde s’en fout c’est bien ça ? Eh bien moi, je m’en fous de tout le monde, et je resterai ici tant que l’on ne m’aura pas indiqué une route parfaitement vide !

– Une route vide ? Comment voulez-vous que l’on vous indique ça ? Ça n’existe pas !

– Alors créez-m’en une !

– Vous êtes complètement fou, souffla-t-il terrorisé.


L’agent saisit un talkie-walkie qui pendait à sa ceinture pour appeler des renforts. Il remarqua que ses mains tremblaient. Il en tira un malin plaisir, qui ne fit qu’alimenter sa colère. Il redémarra, ne voulant pas particulièrement faire la rencontre « des renforts ». Il lança un : « À la prochaine connard ! » avant de s’engouffrer dans l’embranchement le plus proche.


Le 2 557, comme il s’y attendait, n’était pas bien différent des autres. Il regardait avec dépit tous ces automobilistes dans le sens opposé qui s’entassaient à l’approche du Rond-Point tandis que sur sa voie on commençait à accélérer. Il fit de même. Il sentit sa voiture se dégourdir, trotter, galoper. Toute sa frustration et sa colère se concentraient désormais dans son pied qui ne décollait pas du plancher. Sa monture hennit en sentant ce coup d’étrier sans fin. Prenant les rênes à deux mains, il faisait respirer tour à tour le souffle haletant du pot d’échappement à chaque cavalier qu’il laissait sur place. Sa fureur croissait avec la vitesse. Ceux qui avaient le temps de le voir passer purent remarquer le rictus démentiel qui fendait son visage.

Ce n’était pas uniquement à cause de sa rapidité que le monde devenait flou autour de lui. Ses pensées s’embrasaient dans son crâne. Il ne pouvait plus penser qu’aux choses qui avaient pu l’agacer. Parmi les morceaux de choix, on pouvait trouver les motos débridées faisant un bruit assourdissant en pleine nuit, les conducteurs qui oubliaient de mettre le clignotant, les queues de poissons, ou encore ces leçons ridicules sur l’irritabilité au volant. Mais rien ne le courrouçait plus que de voir tous ces véhicules à travers le pare-brise, de savoir qu’aussi vite et loin qu’il allait, il n’aurait jamais face à lui la beauté pure et immobile d’un paysage désert. Il ne serait jamais cet explorateur unique arpentant les chemins inconnus.


Un craquement se fit entendre. Son rétroviseur avait brièvement fait la rencontre de la barrière de démarcation entre les deux sens de circulation avant de s’envoler. L’environnement embrumé par la vitesse ne lui avait pas permis de s’apercevoir qu’il s’était totalement écarté de sa voie. Une chance qu’il n’y eût pas d’artère nautique à cet embranchement. Prenant conscience du danger de sa conduite, jusqu’alors voilée par sa sourde fureur, il décéléra prudemment. Le décor fondu reprit ses formes austères. Il put alors voir avec netteté les mille lueurs rouges qui brillaient à quelques centaines de mètres. Un embouteillage.

Cependant, à la surprise due au coup de chance qu’il venait d’avoir succéda vite un nouvel élan d’énervement quand il réalisa qu’il rejoindrait sous peu l’essaim agglutiné qui s’étalait devant lui. Il jeta un coup d’œil à gauche. La circulation était fluide dans le sens opposé.


Sans se permettre un instant de réflexion – et donc d’hésitation – il déversa toute sa colère sur l’accélérateur, puis tourna frénétiquement le volant. La collision avec la barrière de démarcation fut violente. Des morceaux de métal et de verre voltigèrent, mais la petite auto réussit malgré tout à se frayer un chemin vers la folle direction qu’avait choisie son conducteur.


Il frémit tout d’abord en voyant sa voiture et celle d’en face se regarder dans les phares avant de diverger. Puis, après un temps d’esquives maladroites, de coups de klaxon et de cris, le frisson se transforma en plaisir. La douleur et la mort étaient ses passagers, mais pour la première fois depuis longtemps, il se sentit vivant. Il avait enfin trouvé une route qu’il était le seul à emprunter, du moins dans ce sens. Et en cela, il était heureux. Les regards ahuris, les visages déformés par l’étonnement et l’effroi, même les gestes obscènes des conducteurs lui procuraient une joie indicible. « L’inhabitude face au différent », se conforta-t-il. Une douce plénitude le gagna. Elle n’était pas vide mais elle était unique. C’était sa route, il l’avait enfin trouvée et il comptait bien y rester.


Or, le bonheur n’existe que dans la fugacité. Un spectacle son et lumière de sirènes et de gyrophares qui se jouait derrière lui le sortit de son extase. Pris de panique, il accéléra. Une course-poursuite amenant plusieurs véhicules à effectuer des plongeons plutôt ratés sur le bitume s’engagea. En dépit de ses réflexes boostés à l’adrénaline, les voitures de police semblaient gagner du terrain. Elles ne faisaient même pas semblant de freiner lorsque survenait un accident. Apparemment, arrêter le marginal qui s’était créé son propre itinéraire était leur priorité. Il ne put s’empêcher de penser que personne ne les importunait quand, eux, circulaient à contre-sens. Si égoïste que ce fût, il était davantage dérangé par le fait qu’il n’était plus le seul à rouler sur sa voie que d’être poursuivi par les forces de l’ordre. Sa route était souillée, gâchée. Il n’en voulait plus.


Soudain, l’orchestre effectua un crescendo et les projecteurs se multiplièrent. D’autres représentants de l’autorité inaltérable arrivaient en face de lui. Il serait bientôt cerné, sans échappatoire. Son cœur battait la chamade. « Réfléchis, réfléchis bon sang ! Et vite ! » rumina-t-il. La solution était pourtant claire. Il savait ce qu’il avait à faire, quel était son ultime recours. Avec dégoût, il fit volte-face, se rangea dans la voie réservée aux citadines et s’adapta à la vitesse de ses semblables.

Il était revenu sur la morne route de la masse. Il s’écarta à l’approche des voitures de police qui passèrent à côté de lui sans ralentir. On ne le voyait plus. Il était redevenu un point parmi les autres, invisible.


Maussade, il reprit sa route, mais dans le « mauvais sens » cette fois. Il se mit à souhaiter n’avoir jamais ressenti le bonheur si intense dont il s’émerveillait quelques instants auparavant. Il se dit qu’il aurait préféré continuer à chercher sans trouver plutôt que de trouver puis de perdre. Une fois de plus, il allait rentrer, manger et dormir pour repartir le lendemain. Il soupira. Non, il le savait, il n’aurait pas le courage de repartir et de continuer à emprunter chaque jour de nouvelles routes au trafic insoutenable. Il n’en avait plus la force. La désillusion d’aujourd’hui lui avait aspiré ce qu’il en restait. « Tiens, Désespoir, te revoilà ? Tu as fait vite », pensa-t-il.


Un ralentissement. Il connaissait bien ce bouchon plus important que les autres, c’était l’arrivée au Rond-Point. Après avoir enduré l’attente habituelle, il se dirigea vers la voie qui permettait de prendre le Rond-Point dans le sens inverse à celui emprunté à l’aller. Lorsqu’il arriva au niveau de son embranchement, un agent lui fit signe de patienter avant de passer.


Ses yeux vagabondèrent, ne sachant plus sur quoi se focaliser. Tour à tour, il contempla ses mains, la casquette de l’agent, le panneau de l’embranchement 3, celui du 2, celui du… « Tiens ? Qu’est-ce que c’est que ça ? » pensa-t-il, surpris. Entre le panneau du premier et second embranchement, il y avait un panneau qu’il n’avait jamais vu, blanc et dénué de la moindre inscription. « Quel est l’abruti qui a planté cet indicateur sans but ? » se demanda-t-il, amusé. Il détacha son regard pour l’arrêter à nouveau sur ce qu’il y avait au pied de l’objet inutile.


Jamais il n’avait vu plus belle chose. Il ouvrit de grands yeux émerveillés et sourit béatement. « C’est magnifique », songea-t-il.

Là, sur le Rond-Point, entre deux embranchements, un petit triangle d’herbe naissait pour ensuite s’étendre en un entonnoir de plus en plus vaste au fur et à mesure que les deux routes s’écartaient. En fixant le lointain, il voyait désormais une plaine verdoyante et croissante jusqu’à la ligne d’horizon, tel un sublime éventail tendu par deux tiges sombres.

Trop habitué à se concentrer sur la route, il n’avait jamais fait attention à ce qu’il y avait autour. Mais maintenant que ses yeux s’étaient ouverts, il ne voyait plus que ça, ces mers naturelles de verdure qui coulaient entre chaque embranchement. « Ce devait être partout comme ça avant la construction du Rond-Point, se dit-il. À cette époque, chacun pouvait parcourir le monde à son gré. Il n’y avait pas de route à suivre, il n’y avait pas de direction prédéterminée. L’homme était libre. »


Un gant blanc toqua au pare-brise. L’agent lui faisait signe d’avancer.


– Ça pour avancer, je vais avancer ! beugla-t-il joyeusement.


Il fonça droit vers la pointe de la verte pyramide. Les regards se tournèrent, ceux des conducteurs comme des agents. Pour autant, aucun sifflet ne retentit. Il n’y eut ni geste, ni bruit. Plus que dix mètres. Trois. Deux. Un.


La voiture s’engagea et l’herbe fraîche fit crisser les pneus qui pour la première fois roulaient sur cette terre molle. Une sensation nouvelle, étrange, le traversa. Il ressentait dans son corps les moindres reliefs du terrain. Chaque vibration, chaque sursaut se propageaient dans son être. Il se mit à rire compulsivement. « Ce n’est même pas comparable à tout à l’heure, c’est évident maintenant, la voilà, ma route, pensa-t-il. Cette paix, cette jouissance… Cela ne fait aucun doute ! »

Un reflet sur le capot lui fit remarquer que la plaine baignait désormais dans un halo lunaire. Il se rendit compte que cela devait faire un moment que la nuit était tombée. « Bah, peu importe, se dit-il, je ne vais nulle part. » Et il s’esclaffa. Ils étaient loin les vrombissements assourdissants des moteurs et les lumières aveuglantes des phares. Il n’entendait que le chant harmonieux de sa voiture et ne voyait que le jeu d’ombres chinoises du ciel et de la terre.

Plein, tout était plein. Léger, tout était léger. Le poids du vide s’en était allé.


Le temps s’était figé bien que l’aube perçât maintenant l’obscurité de ses éclairs blancs. « Tiens… non. Ils sont jaunes », s’étonna-t-il.

Un doute le saisit. Il s’arrêta puis regarda sa montre. L’aurore était encore loin pourtant. Avec appréhension, il tourna la tête. Au loin, deux yeux jaunes incandescents projetaient leurs rayons. Puis quatre. Puis six. Bousculé entre horreur et incompréhension, il ouvrit la portière et sortit.

Successivement, son regard se reporta sur le titanesque et immuable Rond-Point puis sur sa fidèle compagne. Cette chère voiture qui, tel Thésée, avait déroulé un gris fil d’Ariane derrière elle. La plaine portait désormais une cicatrice de bitume sur laquelle s’engageaient l’un après l’autre les émissaires de la multitude.


 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   Anonyme   
13/4/2014
 a aimé ce texte 
Bien
Je me demande comment la voiture a réussi à traîner derrière elle toute une piste de bitume sur l'herbe, mais bon, on est dans le fantastique.
Ce qui me gêne plus, c'est le côté transparent de l'allégorie ; l'aliénation, les collègues "automates", la révolte, mais sur les pistes balisées avant de faire péter les cadres... et en gros pour rien, OK, mais tout cela manque de subtilité à mes yeux. Cela dit, j'aime aussez l'idée d'avoir choisi quelque chose d'aussi futile comme mode de "révolte" que prendre la voiture et rouler, cela dit à mes yeux à quel point l'aliénation est complète : même la recherche de liberté se fait de manière dérisoire.

Au final, j'ai donc trouvé le texte un peu lourd dans son message, peut-être un peu long pour ce qu'il a àdire, mais décrivant une tentative sympathique bien que désespérée.

   Shepard   
26/5/2014
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bonjour pln !

Je ne sais pas trop par ou commencer avec cette histoire...
Je parlerais plutôt du fond que de la forme, car sur Oniris les textes sont souvent assez léchés pour qu'il ne reste pas grand chose à dire à ce niveau, et celui-ci n'échappe pas à la règle.
Allons bon, d'abord la trame, du fantastique d'accord mais pourquoi ces incohérences scénaristiques ? Du style le type pète un plomb, passe en contresens, attire toute la cavalerie et puis hop il se retourne et on oublie tout ? On s'attendrais à une punition plus sévère... Ensuite il débaroule avec sa voiture déglinguée face à un agent qui ne bronche pas d'un poil (déjà, si vous avez un feu qui ne fonctionne pas on vous fait un plat...). En parlant d'agent, j'ai trouvé le vocabulaire employé ("putain") par celui-ci un peu fort dans le premier dialogue.

Maintenant le sujet en lui-même : on comprend bien ce que l'auteur veut montrer : le monde ou tout le monde fait comme tout le monde et ne se pose (ne peut se poser) de questions tant il est abruti. Impossible de choisir sa route, les points indisociables les uns des autres, une dystopie un peu absurde (quoique...) avec ses longs fleuves tranquilles. Si on va plus loin on imagine que toute l'histoire n'est racontée uniquement pour dépeindre un concept, les personnages parfaitement anonymes ne sont alors que les idées qui forment ce concept, du coup on accepte un peu mieux la transparence dont ils font preuve.
Alors oui on comprend bien, on comprend trop et rien ne surprend tant l'histoire reprends les classiques du genre sans y changer le déroulement : le récit d'une société mécanique qui se moque du bonheur des gens pour une plus grande productivité. Le rebelle presque risible dans son auto et le rond-point déifié amènent une pointe d'originalité sans toute fois suffire à mon goût.

En somme une histoire qui a des ficelles énormes et c'est dommage dans le fantastique que j'associe généralement avec la finesse. Bien que le sujet soit vieux comme le monde il est aussi intemporel, mais il aurait mérité un traitement plus subtil (plus actuel ? plus décalé ? plus progressif ?) pour le rafraîchir un coup.

Je mets "moyen" mais il en aurait fallut peu pour que ça soit plus que ça (enfin j'ai hésité à mettre une appréciation, j'imagine que ça peut-être utile quand même).

   chVlu   
3/6/2014
Tout d'abord, pour être franc je me suis pris la tête avec le narrateur et me suis barré avant la fin. J'en avais assez de sa façon de m'expliquer les choses comme si je ne comprenais rien.

Pourtant l'idée que chacun peut tracer sa route me plait bien, prendre les chemins paraboliques du fantastique pour le ressentir aussi. Mais les ajouts non normés m'ont paru un peu posés là pour essayer de mettre l'ambiance, un peu comme une blonde à la roue de la fortune. Tout est conforme à ce que je côtoie tous les jours, sauf les collègues qui sont bioniques, le patron lui est comme vous et moi et le héro aussi (enfin je crois puisque je sais pas vraiment comment il finit), les flics ils ont juste moins d'ordres cons à suive que ceux que je connais, les ronds poids sont interminables et chiants on se demande à quoi ils servent rien de neuf sous le soleil), les glissières sont là pour être percutés, y a même un putain de bouchon comme tous les matins (j'espérais au moins qu'en y croyant fort une route s'ouvrirait sous la route) .

Les dialogues m'ont semblé bien trop candides pour prendre corps et parfois juste redisaient ce que le narrateur avait déjà largement décrit. Et inversement d'ailleurs. Le doublonnage du narré et du dit n'a pas allégé ma lecture.

J'ai la sensation que la catégorie a été choisie avant d'écrire, difficile avec un tel carcan que le texte trouve sa route. Je pense qu'il fallait tout oser, tracer une voie comme si elle devait être unique, celle de votre idée à dérouler comme une pelote. Suivre les pensées dans leur monde et faire le journal de bord de cette traque. La catégorie serait venue après.

voilà j'aurais aimé être plus enflammé mais je crois qu'il y a vraiment du mieux à tirer de votre point de départ.

   Anonyme   
4/6/2014
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Bonjour, PLN,

C'est curieux, il faut croire que j'avais rendez-vous avec votre texte, arraché précocement à la nuit par un cauchemar. Figurez-vous que je me trouvais sur un rond-point, que je passais devant chacun des embranchements sans jamais trouver de route à mon goût. Ce n'est qu'au vingt-cinquième tour, ou peut-être au vingt-sixième, ou au trente-septième que j'ai trouvé pour seule issue de me réveiller. En entamant votre texte, j'entendais le concert de piou piou des oiseaux accompagant la naissance du jour. Je viens de le finir et, là, déjà, j'entends les premiers véhicules fonçant vers leur rond-point.
Je n'ai donc éprouvé aucune difficulté à m'identifier à votre héros. C'est déjà un bon point.

Sur le fond, je reste déçu de n'avoir rien trouvé de surprenant dans le texte. Ce n'était pas forcément nécessaire, mais peut-être fallait-il pour cela qu'il fût plus court pour ne pas y trouver rapidement la lassitude. Sur cette longueur, j'espérais davantage pour trouver le courage de poursuivre la route jusqu'à son terme. Mais j'y suis parvenu tout de même, parce que j'étais curieux de savoir ce que j'y trouverais et ce n'est déjà pas si mal.

Sur la forme, c'est beaucoup plus laborieux. Si je n'avais bénéficié de l'aube et du temps en suspend pour aborder le texte, je ne l'aurais sans doute jamais terminé. Recenser les éléments qui m'ont dérangé serait tout aussi laborieux car ils sont très nombreux, dès les premières lignes, et je n'aurais pas la force de m'engager dans pareille entreprise dans l'ignorance de son utilité. Je ne veux pas pinailler pour des prunes.

   pln   
4/6/2014
Bonjour à tous,

Merci de vos commentaires, j'ai bien pu comprendre mes défauts de narration qui ont apporté une lourdeur et une longueur à l'histoire.
Ceci est ma première nouvelle, aussi si vous avez des conseils n'hésitez pas à m'en faire part ici : http://www.oniris.be/forum/le-rond-point-a-propos-et-conseils-pour-evoluer-t18996s0.html

   Popeye   
6/6/2014
 a aimé ce texte 
Un peu
Fort embarquée par le début de la nouvelle, j'ai décroché avant la fin, qui m'a elle-même un peu déçu (même si elle permet de boucler la boucle de façon assez juste).
En effet, je m'attendais à une rupture un peu plus "folle", un peu plus osée ; celle que vous proposez ne sonne pas faux mais présente trop peu de relief pour que j'accroche vraiment.
Au final c'est une première nouvelle, mes respects pour cela, mais je pense qu'il serait judicieux de faire en sorte que l'aboutissement réponde aux promesses d'une intrigue bien menée.

   in-flight   
6/6/2014
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Bonjour PLN,

Vous avez choisi le quotidien comme première nouvelle et pris comme thème le rond-point pour l'illustrer. Jusque là tout va bien.
Malheureusement, à la lecture de votre nouvelle, j'étais comme votre automobiliste qui cherche une voix AUTRE et l'effet escompté n'a pas fonctionné sur moi.
Je pense que le texte gagnerait à être écrit à la première personne, le point de vue interne est parfois le meilleur choix pour exprimer un mal-être (même s'il faut veiller à ne pas faire étalage de ses problèmes).
Je pense que le thème du "quotidien" peut être abordé d'une façon plus original que la simple expression d'un doux rêveur qui veut changer le cours des choses. Faite lui péter un câble à cet automobiliste, façon "chute libre" plutôt que de le faire tourner sur un "ron-ron-point"

"Cette chère voiture qui, tel Thésée, avait déroulé un gris fil d’Ariane derrière elle" --> Pourquoi insérer de la myhologie grecque dans un tel texte, c'est hors cadre.

Bonne continuation.


Oniris Copyright © 2007-2023