« Aider le blessé et le faible, c'est ce qui différencie l'homme de l'animal. » Hugo Pratt
Ma mission s'avéra plus compliquée qu'à l'écoute de l'énoncé, certains paramètres m'avaient sûrement échappé... Le mouton gris était bien là, il était bien aveugle, mais ne présentait pas vraiment la physionomie de ce que représente réellement un mouton à mes yeux. Celui-ci était ... Énorme ! Il mesurait la taille d'un homme et devait au moins peser le double de son poids. Ce chevreau-là ressemblait plutôt à une vache laineuse. La clairière était un vaste terrain boisé il y a encore quelque temps. Les arbres renversés que j'avais pu observer tout à l'heure avaient dû se trouver sur le chemin de l'énorme monstre qui se fracassait le crâne aux quatre coins de la prairie, l'agrandissant toujours un peu plus. Les troncs jonchant l'herbe verte de la plaine lui servaient alors de garde-manger. Il les rongeait ardemment ne laissant que les racines qui ne lui convenaient guère. Sa cécité était très certainement à l'origine de ce désastre. Je ne pus me résoudre à tenter de le capturer, l'aventure semblait belle, mais bien trop périlleuse pour moi.
Je constatai, au bout du déracinement d'une dizaine d'arbres, que la nature se défendait contre cette furie dévastatrice. Certains arbres se sacrifiaient se laissant tomber sur la bête de plus en plus furieuse. C'était une chaîne sans fin, la bête ne mangeait pas, mais se vengeait de ces attaques kamikazes tandis que la forêt, elle, agressait l'agresseur se vengeant des coups portés, sans le vouloir, par ce dernier. Il était de mon devoir de stopper cette bataille interminable. Je saisis la corde qui était accrochée au cou de l'âne et entrepris de la passer autour du cou du mouton gris.
Lorsqu'il s'immobilisa pour reprendre son souffle, je courus vers lui et brandis mon lasso. Ma discrétion ne fut pas totale, je m'en rendis bien compte en voyant défiler la cime des arbres sous mes yeux, léger comme un fétu de paille et transperçant l'air. Je m'écrasai lourdement à quelques pas de là. Mon crâne et mon dos souffraient, mais pas plus que moi... Une fois remis de mes émotions, je constatai un silence pour le moins étrange tout autour. J'ouvris les yeux et vis le mouton, immobile, face à moi, reniflant l'air à grands coups de narines.
- SnUrf... SNurf... Odeur de chair, présence humaine ! Décline-toi ! »
Un mouton gris aveugle et qui parle, pourquoi pas après tout c'est ça l'aventure.
- Je suis Viajero, je suis là pour te capturer et t'emmener loin d'ici...
On m'a toujours dit d'être poli et la franchise est une de mes grandes qualités, ou un de mes gros défauts si on y regarde à deux fois...
- M'emmener ? Et où ça ? Je n'ai point de berger, prétends-tu le devenir ? - Ma foi, je suis marin et ne sais m'y prendre avec les bêtes, je n'ai qu'un chien qui attend mon retour sur mon navire. Je suis ici pour t'emmener chez un petit scientifique... - Je n'ai pas besoin de science, mais d'yeux pour me permettre d'avancer sans crainte... En quoi peux-tu m'aider ? - Je ne suis pas berger, je te l'ai dit. Mon scientifique non plus hélas, mais il est un grand connaisseur et pourra répondre à tes questions, tu as causé pas mal de tort ici, fais au mieux et je te promets mon aide.
J'appris alors qu'un mouton doué de parole était un mouton doué de raison, beaucoup d'hommes n'ont pas ce privilège. L'âne me guida et je guidai Schaf, il avait un nom en plus, et nous parvînmes à la case de Sabio. Le vieux dormait, je jugeai donc bon de me rendre directement sur mon voilier. Brutus s'accoutuma rapidement à la présence du colosse que j'embarquai et nous traversâmes les mers pour la seconde fois ce jour-là.
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