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Ce soir-là, on mangea fort bien chez les Shoemaker, une quantité considérable de pièces d’or avait été offerte à Simas par le roi qui voulait se faire pardonner de l’avoir fait enfermer injustement. On aurait retrouvé le vrai coupable la nuit même, étendu devant les murs de la prison royale, il aurait abusé des plaisirs de la vie, s’étant rendu complètement ivre avec de l’eau de vie et divers alcools qu’il aurait dérobés sur le marché. Sa culpabilité ne faisait aucun doute, il avait été retrouvé allongé sur le ventre, le paon sacré sous le bras. Il avait eu beau crier à tout va qu’il était innocent, plus rien ne pouvait le sauver à présent. L’annonce de sa sanction serait faite plus tard dans l’après-midi sur la place du village.
Après un dîner copieux fait de morceaux de lard, de pain et de pommes de terre, Simas prit son fils à part afin d’en savoir plus sur cette plume qui avait terminé en sa possession plusieurs jours plus tôt. Tristan avait baissé les yeux mais il s’était attendu à ces questions, n’ayant pas oublié sa promesse faite à Antonin, il raconta à son père qu’il avait rencontré un homme encapuchonné sur la route du village qui lui avait offert ce trésor en échange d’un renseignement sur la route à prendre pour se rendre à Bel-amont, le village voisin situé dans les montagnes. Satisfait et convaincu par la véracité des propos de son fils, Simas lui conseilla de ne plus rien accepter d’un inconnu et lui permit d’aller retrouver sa mère près du feu qui brûlait maintenant dans l’âtre de la minuscule cheminée de la minuscule chaumière des Shoemaker.
Cette nuit-là, Tristan revêtit une fois de plus son habit de fourrure orange. Il était décidé à explorer les autres couloirs de la caverne. Arrivé à l’intersection des quatre chemins, il opta pour celui de gauche qui fut plus long que le précédent mais qui déboucha lui aussi sur une impasse. Vulpin était parvenu jusqu’à une large salle circulaire où des torches avaient été accrochées le long des murs. Le sol avait été pavé et en son centre se dressait une lourde table de chêne qui ressemblait à un atelier de torture. Sur ses bords, on avait cloué des sangles destinées à tenir immobile le pauvre bougre qui s’y retrouverait pieds et poings liés livré à son ignoble bourreau. Des taches de sang séché sur la table et tout autour d’elle étaient la preuve de son utilisation antérieure. Vulpin se demandait pourquoi des personnes avaient dû être torturées dans Cagoule à une autre époque.
Ayant exploré toute la pièce en profondeur, il décida de revenir sur ses pas pour suivre le dernier des trois couloirs. Arrivé à l’intersection, il fut soulevé par une force à laquelle il ne pouvait résister. Un « pop » avait à nouveau résonné, son rêve s’était à nouveau évaporé et Antonin l’observait d’un œil soucieux perché sur l’étagère poussiéreuse.
- Pardon, maître, je vous ai réveillé... J’ai cru vous entendre gémir durant votre sommeil... - Ce n’est rien Antonin, juste un mauvais rêve...
Malgré sa déception, Tristan ne pouvait en vouloir à celui qui avait sauvé son père de la prison. Il ne voyait pas non plus l’intérêt de lui parler des rêves et du symbole qu’il voyait une fois endormi. Cependant, le lutin se fit plus insistant.
- Vous parliez de Cagoule, maître, y êtes-vous déjà allé auparavant ? J’ai cru vous entendre marmonner quelque chose à propos d’une grotte... derrière la rivière... - Eh bien, je ne m’en souviens pas vraiment, mentit Tristan, c’est la première fois que je rêve de cette forêt, cette grotte vous rappelle-t-elle quelque chose ?
Visiblement rassuré, Antonin répondit d’un ton qu’il voulut convaincant :
- Oh il y a bien une grotte, oui, mais elle est sans intérêt, si vous en avez rêvé, c’est sans doute parce que la magie qui se dégage de Cagoule en déborde parfois, transportée par le vent...
Il eut un petit rire nerveux, puis semblant vouloir changer de sujet, il bomba le torse en ajoutant :
- N’avez-vous rien à me dire maître ? Je pense que les quelques gouttes que vous m’avez offertes valaient la peine de vous être enlevées, ne pensez-vous pas ?
Tristan eut un petit sourire.
- Oui, c’est vrai, vous vous êtes bien rattrapé, monsieur Wishmaster. Je voulais vous remercier pour la libération de mon père. Merci beaucoup.
L’elfe parut content et s’inclina dans un salut révérencieux. Avant de prendre congé, il insista pour offrir à Tristan une sorte de talisman, une amulette qui, disait-il, lui permettrait de faire appel à ses services en cas de besoin, lui assurant que grâce à son aide, lui et sa famille seraient maintenant à l’abri de tout malheur. L’enfant finit par accepter le cadeau, remercia une dernière fois le nain qui disparut dans un craquement soudain.
Jetant un œil au talisman, Tristan resta figé, la bouche entrouverte. L’amulette ressemblait étrangement au symbole de la cave aux mystères. Il ne fut donc pas étonné, à peine eut-il fermé ses lourdes paupières, d’être transporté une fois de plus dans les souterrains de Cagoule.
Cette fois-ci, Vulpin n’eut d’autre choix que d’explorer le dernier passage. Le chemin était sombre mais à sa grande surprise, au bout de quelques mètres, des chandelles semblèrent briller au loin. Quelqu’un était présent au bout du tunnel où dansaient les ombres au gré d’une valse qu’elles accordaient aux faibles lueurs des bougies. Une voix aiguë et d’autres bruits étranges parvinrent jusqu’aux oreilles du quadrupède, la personne qui se trouvait dans la dernière salle était très agitée, jurait et s’affairait en tous sens. Vulpin n’était plus maintenant qu’à quelques pas de la salle, il y passa le bout de son museau, son cœur battant : il allait enfin savoir quel secret renfermait la gueule de pierre. Soudain, alors qu’il voulut poser les yeux sur le centre de la pièce, les flammes se mirent à vaciller et l’une après l’autre s’éteignirent jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’une, au-dessus d’elle, sur le mur du fond, Vulpin put lire ces mots :
Mon golem, tes yeux le voyaient
À peine eut-il le temps de lire l’inscription que la dernière bougie mourut à son tour. Un cri perçant retentit alors tel un sifflement, deux yeux rougis apparurent au milieu des ténèbres et une voix de dément s’exclama :
- LA DERNIÈRE LUEUR !
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