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Humour/Détente
PORTIA : Conte de faits
 Publié le 07/12/07  -  1 commentaire  -  157072 caractères  -  63 lectures    Autres textes du même auteur

Rosa et Catherine sont deux quadras vivant à Barcelona, la ville Catalane. Elles sont toutes les deux à la recherche de l'homme de leur vie mais une fera le bon choix et l'autre non... Alors qui gagnera la bataille : l'amour charentaise sans passion ou l'amour réel mais politiquement incorrect?

Aimera bien qui aimera la dernière....


Conte de faits


LISTE DES PERSONNAGES :


Catherine : personnage principal, elle est l’auteur du journal. Interprète auprès des Tribunaux, elle vit à Barcelone avec ses deux filles, Chloé et Béatrice. Elle est séparée ; à 43 ans, elle entretient une relation amoureuse avec Shakir, un émigré pakistanais et est la meilleure amie de Rosa. Elle est très sensible à l’opinion des autres et souffre de ne pas pouvoir présenter Shakir à son entourage.


Rosa : la voisine de Catherine, 46 ans, veuve, elle a un fils de 16 ans Juan et a décidé de refaire sa vie avec Pedro, beaucoup plus âgé qu’elle. Elle préfère le confort à l’amour passion, elle subit l’influence de sa famille qui la pousse à se remarier rapidement. Elle donne beaucoup plus d’importance au qu’en dira-t-on qu’à ses propres sentiments.


Juan : fils de Rosa, il a 16 ans, il n’apprécie pas Pedro et entretient une correspondance par mail avec Chloé pour critiquer les faits et gestes de sa mère. Amoureux malheureux de Chloé.


Pedro : 60 ans, il est ébéniste et a rencontré Rosa dans une discothèque pour quadras désespérés, «l’Imperator ». Il est timide, relativement inerte et laisse Rosa prendre toutes les initiatives. Il représente l’homme idéal pour un mariage confortable mais sans amour.


Shakir : 33 ans, il est Pakistanais, un émigré sans papiers. Il est amoureux fou de Catherine qui l’a aidé dès le début. Il est sincère mais politiquement incorrect. Contrairement à Catherine, il ignore souverainement les commentaires de la société. Il ne parle qu’anglais, ses dialogues sont directement traduits en espagnol.


Chloé : fille cadette de Catherine, elle a 15 ans et est la plus innocente des personnages. Elle accepte Shakir dès le début, elle le trouve formidable. Elle est très amie de Juan, sa complice, mais elle le rejette. Elle suit les pas de Béatrice, sa grande sœur mais n’en pense pas moins.


Béatrice : fille aînée de Catherine, elle a 18 ans un sale caractère mais une forte personnalité. Elle se confronte à sa mère car elle n’accepte pas la présence de Shakir, tout au moins au début.


Mercedes : sœur aînée de Rosa et elle a 43 ans comme Catherine. Elle domine sa sœur et est la grande instigatrice du mariage de Rosa avec Pedro. Elle-même s’est mariée avec un millionnaire et ne vit que pour son confort. Elle veut mener Rosa sur le même chemin.


Solange : mère de Catherine, 60 ans. En conflit permanent avec elle. Elle ne supporte pas que sa fille ait divorcé d’un mari chirurgien bien sous tout rapport et que sa fille ait une relation avec un homme comme Shakir. Elle est très bourgeoise et bourrée de principes. Elle rêve d’une bonne situation pour sa fille.


Susana et Ricardo : héros d’un roman d’amour style guimauve que Catherine traduit de l’espagnol au français. Ils représentent l’amour à l’eau de rose dans le sens le plus comique du terme.


* * *


SOMMAIRE


1 -Who is who? Faites les présentations

2 - Repas hindou trop épicé.

3 - Comité d’urgence, Rosa avoue la vérité, toute la vérité.

4 - Béatrice craint pour la santé mentale de sa mère.

5 - Mais qui est donc Rosa ? Comment en est-elle arrivée là ?

6 - Saturday night fever avec Shakir.

7 - Sms entre Chloé et Juan. La vérité sort de la bouche des enfants.

8 - Chloé et Juan: assemblée générale.

9 - Celeste: biographie de la fille des îles.

10 - Grandeur et décadence de Mercedes.

11 - Le petit café sur la grande place.

12 - Marta l’Argentine : faites ce que je dis pas ce que je fais.

13 - FBI : rires et chuchotements.

14 - Ma fille aînée n’est pas le cadet de mes soucis.

15 - Shakir et Béatrice : attention, comité privé urgent.

16 - Êtes-vous rock and roll ?

17 - Amour ou compte en banque ?

18 - Cuisine pakistanaise à domicile.

19 - Les interprètes font des interprétations.

20 - Je noie mes soucis dans la cuisine.

21 - Cinéma avec Shakir, j’ai 18 ans.

22 - Shopping chez Pronuptia.

23 - Café Di Roma : comment se récupérer du sprint nuptial.

24 - Horreur, je suis incompatible à 100% !

25 - Au secours, ma mère au téléphone !

26 - Un prétendant sur internet, non merci.

27 - Carte d’invitation, ça sent le roussi, heu, le mariage.

28 - Malaise de Rosa : mariage ou pas, that’s the question !

29 - Le bijoutier n’en croit pas ses pierres précieuses.

30 - Ma robe pour le mariage.

31 - 3 jours avant le jour H : nos amis, nos amours, nos emmerdes.

32 - Jour J : meringue party en vue.


* * *


Who is who ? Faites les présentations.


Roberto s’approcha de Susana du haut de son cheval. Il mit pied à terre et s’approcha vivement de la jeune femme, il la regarda d’un air intense et l’enlaça par la taille. Ses yeux de braise, noirs et brillants la fixaient avec une intensité pleine d’un désir refoulé depuis déjà bien longtemps. Susana sentit un frisson parcourir son corps frêle quand…


Ouf, voilà le genre de bêtise à l’eau de rose que je dois traduire en français, mais rassurez-vous, je ne suis pas seulement une traductrice de roman de gare, je travaille pour les Tribunaux comme interprète, c’est moins drôle mais plus sérieux. Je traduis donc à l’écrit et à l’oral. Mais laissez-moi donc me présenter :


Je m’appelle Catherine, j’ai 43 ans, deux filles compliquées et un nouveau fiancé pas simple. Rien de bien excitant allez-vous me dire : cependant je viens de présenter l’homme en question, et ce n’est pas une mince affaire. Je suis une femme politiquement incorrecte, selon les propres termes de ma fille aînée, Béatrice, qui me critique sans pitié du haut de ses 18 ans. Je ne sais plus quoi faire, Shakir est l’homme le plus adorable que je n’ai jamais connu. C’est là où le bât blesse, Shakir, ce n’est pas très catholique comme prénom, c’est même franchement étranger. Alors que s’il s’était appelé Pedro, la terre pourrait continuer à tourner sans problème.


Mardi 28 février. Repas hindou trop épicé.


Fumé 3 cigarettes et pris un somnifère encore une fois.


Il faut revenir en arrière pour essayer de comprendre. J’avais invité les filles au restaurant Tandoori et elles devaient nous attendre Shakir et moi avant 20 h 00. J’avais choisi cet endroit car c’est un des rares restaurants hindous corrects de la ville et je voulais faire honneur à Shakir, surtout le jour où je devais lui présenter mes deux petites monstresses.


Voix off de Béatrice


Chloé et moi nous sommes arrivées tellement en avance que nous nous sommes installées au comptoir comme des grandes et j’ai demandé une bière, rien que pour contrarier maman. De toute façon, je suis majeure je peux. La déco du restaurant est chargée, c’est kitsch comme c’est pas permis, on devrait interdire autant de bouddhas, de baguettes d’encens, et tout ce tralala pour nous faire croire qu’on est devant le Taj Mahal. Finalement, nous l’avons vu arriver, le héros de ma mère, celui qui partage tous ses moments, depuis la séparation d’avec papa. J’étais très énervée, je me l’imaginais de toutes les manières possibles et imaginables mais pas comme ça !


Chloé s´est écriée :


- Il est noir, un Africain, maman sort avec un Africain !!!


En fait en regardant bien, il était marron foncé. Pas noir. Donc quel pays ? Arabe ? La cata, le Maroc ? Non c’est pas possible.


- Chloé, tais toi, on est dans un restaurant hindou, donc il n’est pas Marocain, révise ton atlas, petite sœur !

-Ah, Il est Pakistanais ou Indien alors ! Je ne sais même pas où c’est le Pakistan. C’est l’Inde ou quelque chose de ce style ?


Il doit avoir 30 ans et quelques, maman en a 43… je rêve, c’est pas vrai, dites-moi que je rêve. Mon idiote de sœur trouvait ça marrant, à cet âge-là de toute façon elle ne peut rien comprendre. Il va falloir affronter ça pendant tout le dîner ? Ça dure combien de temps un dîner hindou ?


Les filles se sont bien comportées à table, traduisons en langage chrétien, elles n’ont pas ouvert la bouche. Le boycott, total. Shakir a fait des efforts énormes pour parler aux filles et s’intéresser à leur vie, les réponses étaient composées de deux, voire trois mots, avec de la chance. Mon Dieu, pourquoi me font-elles ça ? J’aime cet homme et il me le rend, depuis que je l’ai rencontré, ma vie a changé, j’ai envie de me lever le matin, je souris, je chante et j’ai envie de croquer le monde entier…


Seulement voilà, il est Pakistanais. Il n’a pas encore ses papiers. Il a 33 ans, j’en ai 43. Il est dans la construction et pas chef d’entreprise évidemment. Il ne plaît pas, il choque et je suis très mal vue. Que faut-il pour être politiquement correcte en amour ? Un visage pâle de mon âge, avec des diplômes, un boulot avec un salaire dépassant les 4000 euros, et une hypothèque à 50 ans ? C’est ça ?


Je l’ai déjà fait. Ça n’a pas marché… Et la note de l’avocat était plutôt salée…


Jeudi 2 mars : Comité d’urgence, Rosa avoue la vérité, toute la vérité.


Susana ne pouvait pas résister au charme brûlant de Roberto, elle essaya de le repousser mais en vain, il était plus fort quelle. Alors elle se laissa prendre telle une proie facile et Roberto n’eut aucune difficulté à obtenir son cœur et son corps.


Traduire ce genre de prose pseudo romantique quand je n’ai pas encore ma dose de caféine dans le sang est vraiment une insulte à mes capacités intellectuelles, mais je dois faire mes lignes tous les jours sinon mon boss me tapera encore sur les doigts et j’ai une excellente réputation pour respecter les délais de livraison. Donc, occupons-nous de la libido de ces deux héros de pacotille et je file avaler mon café.


Je sors de l’appartement, les filles n’ont pas cours aujourd’hui et dorment comme des anges. Je dois alimenter les anges en question donc je suis partie faire des emplettes, histoire de remplir mon frigidaire qui est perpétuellement vide. (Je soupçonne ce frigidaire de s’auto alimenter, car les aliments disparaissent à la vitesse du son.) Clic clac, je ferme la porte et je tombe sur Rosa, ma voisine :


- Salut comment tu vas ? T’as mauvaise mine dis donc !

- Non, juste mal au crâne et toi ? Ça va ?

- Oh, si tu savais…


Quand mon amie la Rose dit “ Oh, si tu savais ”, on organise d’urgence un comité privé chez elle devant un café (imbuvable) et on parle. Ou plutôt, elle parle et j’écoute.


Je fais un bref résumé du tremblement émotionnel de ma chère voisine : cela fait trois semaines qu’elle sort avec un dénommé Pedro qu’elle a rencontré en discothèque, (l´Imperator c'est-à-dire la pire des discothèques, c‘est la chasse à courre, les hommes avides de plus de 40 ans chassant des gazelles encore plus désespérées du même âge). Elle l’a présenté à sa famille (déjà ?), elle a passé le réveillon seul avec lui (déjà ?), et elle nage en pleine euphorie. Il est ébéniste et possède son propre atelier, il a 58 ans, pas un cheveu sur la tête pratiquement, et il mesure 1 m 65. Donc, plus petit qu’elle. Elle ne me le présente pas, mais j’ai vu le personnage descendre de l’ascenseur le matin en sortant de chez elle, j’en déduis que c’est donc lui. Donc, il dort chez elle depuis un certain temps (déjà ?). Ils ne se connaissent que depuis trois semaines. Je flippe (parlons comme mes filles)…


Elle est complètement euphorique, elle a déjà perdu tout sens des réalités. La situation est grave.


Évidemment, mon histoire à moi est bien différente. En effet, j´ai rencontré Shakir dans une ONG marocaine « IBN BATUTA » où je donne des cours d’espagnol en tant que bénévole. Il avait un niveau débutant total et en peu de temps, il a appris à lire et à écrire. Je me suis demandé comment il pouvait apprendre aussi vite, vu que la plupart de mes étudiants sont analphabètes. Par la suite, j’ai appris que, dans son pays, il était professeur de physique à l’Université. Il était dans mon groupe par erreur, mais je me suis bien gardée de prévenir le secrétariat… plutôt bel l’homme, l’étudiant… Ceci explique cela. On a pris un café ensemble, on a philosophé pendant deux heures. J’ai dû rentrer en catastrophe pour mes filles, sinon je crois que je serais restée deux heures de plus avec cet homme si spécial.


L’excuse était toute bête, l’étudiant qui a des questions à poser à sa prof, le truc est classique, mais fonctionne à merveille. Je le voyais tellement sérieux, que je n’ai vu aucune malice en lui, aucune arrière-pensée et je me suis présentée à notre premier rendez-vous l’âme et la conscience tranquilles. Nous avons parlé de tout et de rien sauf du prétendu prétexte qui nous réunissait ce jour-là : je n’ai jamais su la question qu’il voulait me poser. Par contre, j’ai reçu des réponses à ne plus savoir qu’en faire. Une fois sur la Rambla del Raval, je ne savais pas trop où l’emmener vu que je suis pas une habituée de ce genre de quartier. Le raval se trouve dans le quartier gothique où se mêle toute la faune de la ville mais possède un même temps un petit air populaire et folklorique qui attire jusqu’aux touristes les plus huppés.


Nous sommes entrés «chez Madame Jasmine ». Oui, je sais, ça fait un peu Madame Claude, mais en fait c’est mieux. Je m’explique : le bar est tenu par Patrick, un homosexuel Français extrêmement maniéré et adorable, attentif, aux petits soins. Il a vu tout de suite ce qui allait se passer entre Shakir et moi avant même que je ne le sache. Il a l’œil et, par la suite, il a été témoin de tous nos rendez-vous secrets. Pendant deux heures, on a parlé de tout et de rien, Shakir a accepté de prendre un typique petit déjeuner français avec moi : les croissants au beurre vrai de vrai comme en France et un thé noir servi dans cette théière en verre avec poussoir (je n’ai jamais compris comment ça marchait mais j’ai fait semblant et j’ai dû expliquer à Shakir comment faire, je me demande encore comment je m’en suis sortie...). Je sais que Shakir ne consomme pas de beurre, que les croissants ne lui ont pas trop plu, mais il a trouvé tout « absolutly delicious ». Très poli le jeune homme. Je crois que je suis tombée amoureuse de lui, à ce moment : un homme capable de mentir pour une femme dont il n’est pas encore amoureux, je n’avais jamais vu ça. Quand nous nous sommes séparés, Patrick m’a lancé un petit regard que je n’ai pas compris sur le coup. Plus tard.


J’ai attendu trois mois avant de le présenter à mes filles, qui sont mes meilleures critiques. En plus, je trouvais que trois mois, c’était un peu précipité. Alors dans le cas de Rosa, vraiment, c’est trop rapide. J’aurais attendu plus longtemps, par prudence. En tout cas, plus de trois semaines !


Jeudi 23 mars : Mais qui est donc Rosa et comment en est-elle arrivée là ?


3 sms, (de Shakir, hmmmmm) 4 cigarettes (pas mal).


Je relis mon journal et je me demande comment Rosa a pu présenter à toute sa tribu un homme comme Pedro, aussi vite. Rosa est ma meilleure amie ou plus exactement ma meilleure voisine du dessus, elle est au cinquième et je suis au quatrième. Nous n’avons absolument rien en commun mais on s’adore et on a rigolé ensemble pendant cinq ans. Son mari est mort il y a cinq ans, c’était un type bien. Il avait créé sa propre entreprise de construction, il étudiait l’acupuncture dans ses moments libres et lisait beaucoup. C’était un homme agréable, avec une certaine personnalité tout en étant très doux. Et maintenant il y a Pedro. RAC, (rien à comparer), si ce n’est qu’elle l’exhibe devant tout le monde comme si elle avait enfin trouvé chaussure à son pied, sauf que cette chaussure-là, me semble bien trop petite pour elle, elle ne l’a même pas essayée avant...


Rosa fait partie d’une grande tribu. Ses parents sont de la région de Séville et ils ont eu six enfants. Disons que la mère s’est laissée mettre enceinte six fois de suite. Cinq filles (Dieu du ciel !) et un garçon. Le père, ivrogne consommé a abandonné sa famille quand les gamines n’avaient pas encore 9 ans. Donc je comprends que Rosa cherche à n’importe quel prix à se trouver une certaine tranquillité, quitte à le faire avec le premier gnome venu.


Concepción, la sœur aînée est complètement névrosée et ne supporte son mari que parce qu’elle ne le voit pas de la journée. Mercedes a mon âge, est une authentique femme d’entreprise ; c’est la plus ambitieuse, elle a réussi, (selon des critères fortement liés au compte en banque du Monsieur qu’elle a épousé). Elle, elle s’est mariée avec un milliardaire, lourd, mou, terne et 15 ans plus âgé qu’elle (et comme par hasard, du jour au lendemain, elle a arrêté de travailler, en vendant les parts de ses actions).


Ensuite il y a Marie que je préfère, c’est la lesbienne de la famille avec le mérite d’être sortie de l’armoire et elle a même trouvé une relation stable avec une femme agréable et équilibrée. Ensuite il y a Joaquim le petit frère, beau gosse ayant toujours une belle naïade pendue à son cou (jamais la même plus de 15 jours selon ses propres dires). Et puis il y a Rosa.


Rosa, mon amie, ma copine, ma voisine, celle à qui j’ai demandé un peu de sel s’il te plaît, un peu d’huile et merci, celle qui m’a confié ses chagrins, car elle a bien essayé, trois fois pour être exact, de trouver un homme. Elle n’est tombée que sur des canailles et des goujats (même pas sur Internet !).


Quand son mari est mort, je ne la connaissais pas, j’avais même une mauvaise image d’elle : je la trouvais lourde, inculte, bruyante et on ne se parlait pas, juste le « holà, holà » de tous les jours. Le plus drôle, c’est que nous avons emménagé le même jour dans nos deux appartements respectifs. Son fils Juan était un abruti intégral, il passait son temps à faire tomber l’ascenseur en panne en faisant le guignol à l’intérieur. Un beau jour celui qui était encore mon mari est monté la voir pour demander si son mari pouvait nous peindre l’appartement. Et là, coup de massue sur la tête, on apprend que ledit mari était décédé il y a 2 mois. Personne ne le savait. Voisinage froid au point de ne pas savoir que l’homme qui vit au-dessus de ton toit, ne vit plus.

Bref, j’ai commencé à lui parler à ce moment-là, à ma grande surprise, je ne sais plus exactement comment et j’ai découvert malgré moi une femme vitale, drôle, optimiste, extravertie et totalement délurée. Un peu comme moi en plus extravagant, donc les deux ensemble, on se complétait à merveille. Pendant cinq ans, on a rigolé, critiqué, bu des centaines de cafés ensemble, sorties en discothèques, monté des fêtes, des anniversaires etc. Nous avons tout partagé, nos secrets intimes, nos histoires, nos emmerdes et puis tout a basculé. Après cinq ans. Avant les vacances d’été, Rosa avait préparé une croisière avec son fils pour une semaine. Elle voulait se faire un beau voyage pour oublier les trois abrutis qu’elle avait connus auparavant, Paco le multimillionnaire, Ricardo le fils à maman, et Severino l’homme marié. Et surtout ne pas passer des vacances seule, obligée au dernier moment à venir faire le pique-assiette chez ses sœurs. Il fallait absolument qu’elle fasse ce voyage pour épater la galerie. Mais son fils de 15 ans l’a lâchée au dernier moment, il lui a fait comprendre qu’il ne partait pas, qu’il restait à Barcelone. Rosa n’avait pas songé qu’à cet âge-là, on a sa première petite amie, on fait partie d’une bande, et on ne part pas en vacances avec sa momon. Donc elle a passé une partie de l’été complètement seule, en me faisant croire que ça s’était bien passé. Elle est partie une semaine chez son frère, au bord de la plage à Sitgès mais seule. Donc, en revenant de vacances, d’où elle ne pouvait pas revenir puisqu’elle n’était pas partie, elle a craqué. Devant moi.


Rosa a quand même, avouons des circonstances atténuantes : pendant ses cinq ans de solitude de veuve, elle a connu trois hommes, trois goujats, et même pas sur Internet. Des vrais, rencontrés au cours de son travail ou au travers de sa sœur. Ce qui est assez inquiétant.


Le premier s’appelait Ricardo, moi je l’avais surnommé Mr Bean, je ne sais même plus pourquoi. Elle travaillait pour lui, c’est-à-dire qu’elle s’occupait de sa mère qui avait un début d’Alzheimer (elle est aide soignante pour personnes malades à domicile) et elle passait tous les matins de 9 h à 14 h chez lui. L’homme ne la voyait qu’en courant d’air mais après quelques semaines, il restait plus tôt le matin et l’aidait même à préparer le petit déjeuner de sa mère et le soir il rentrait plus tôt pour la voir une heure. C’était donc la première fois pour elle qu’un homme s’intéressait à elle depuis la mort de son mari. Elle n’a pas su s’y prendre et en fait le problème est que le bonhomme en question ne s’est jamais déclaré. Elle l’a fait, elle. Quand elle me l’a raconté, je me souviens que je l’ai traitée de tous les noms ! L’homme a eu peur, de l’engagement, d’une demande en mariage qui sait. Et il lui a tourné le dos. Grosse crise de panique. C’est là que j’ai découvert que les hommes ne savent plus conquérir une femme. Ils ne savent plus du tout comment on fait. Ils ont joué au chat et à la souris pendant des mois, un vrai jeu de gamins. La mère a fini par être placée dans une résidence. Elle est partie. À ce moment-là. Quand il a vu que Rosa ne reviendrait plus travailler chez lui, il l’a invitée à dîner. Elle a accepté. Moi j’aurais refusé, mais bon. Elle s’est mise sur son 31 .Ils ont dîné. Je lui ai dit surtout de ne rien dire. Tu écoutes et tu ne parles pas. C’est à lui de se déclarer. Rien. Pendant tout le repas. Elle est rentrée chez elle. Folle de rage. Un détail m’a mis la puce à l’oreille : ce Ricardo passait ses soirées sur Internet, probablement sur des pages de rencontres : là on n’a pas besoin de se déclarer, c’est plus facile.


Le deuxième homme que Rosa a rencontré s’appelait Paco. Un monsieur rondouillard multimillionnaire que la sœur de Rosa, elle-même mariée à un millionnaire, a rencontré dans une station balnéaire où chacun s’était acheté un appartement de luxe. Rosa a été invitée par sa sœur qui s’est empressée de lui présenter cet olibrius. Elle en était toute excitée et elle a réellement essayé de caser sa sœur à ce vieux monsieur de 60 ans sans cheveux mais avec de l’argent. Moi dès le début, j’ai trouvé cela louche :


- Rosa, tu m’as pourtant dit que ce Paco venait de se séparer ?

- Oui, ça fait juste un an et alors ?

- Alors cet homme n’a aucune intention de mener une relation stable avec une femme, il doit plutôt avoir envie de s’amuser, de courir à droite et à gauche, non ?

- Mais non, il a déjà dû faire ça toute sa vie. Son travail l’obligeait à voyager énormément alors tu penses bien qu’il a fait le tour de la question.

- Hmmmm, mais ta sœur insiste lourdement à te le présenter. Si c’était si facile pour lui, il irait directement vers toi. Pas besoin d’intermédiaire non ?


Mais elle n’écoutait pas. Elle comptait déjà les chiffres sur le compte en banque et la nouvelle cuisine ultra tech qu’elle pourrait s’offrir ?


Alors les présentations furent faites. La sœur demanda au Paco en question de loger Rosa dans son appartement pendant le week-end, chose que j’ai trouvée incroyable. Rosa qui n’avait jamais vu de luxe dans sa vie était complètement hypnotisée par cette avalanche de luxe. Elle passa la journée avec lui, chaperonnée par sa sœur et son mari (seulement milliardaire, lui). Le soir ils sont sortis prendre un cocktail, après trois caÏpirinas, il se passa ce qui ne devait jamais se passer : elle coucha avec lui. Le pire c’est qu’il n’a pas passé la nuit avec elle, il est parti dans son lit, préférant son confort... tant de romantisme donne envie de pleurer. Rosa m’expliqua par la suite que le lendemain, quand elle se leva (toute contente), ledit Paco lui dit :


- Je te laisse les clés, je vais déjeuner et faire un golf. Tu fais ce que tu veux, d’accord ? On se voit plus tard.


Bref, il ne manquait que le billet de 300 euros. Pour le service.


Fin de l’histoire numéro 2.


La troisième est plus commune mais assez décevante. Chaque fois que j’y repense, je comprends le désespoir de Rosa mais je n’aurais jamais, jamais sombré dans l’Imperator. Ou peut-être après tout ?


Il s’appelait Severino. Il était propriétaire de deux restaurants .Rosa s’occupait d’un vieux monsieur très malade et âgé mais un vrai gentleman. Ledit gentleman adorait manger une fois par semaine dans ce restaurant et Rosa l’accompagnait. Elle aimait beaucoup ce patient, il la traitait vraiment comme une reine. S’il avait eu 20 ans de moins, il aurait certainement été l’homme de sa vie. Mais c’est le restaurateur qui a posé ses gros yeux sur elle. Elle a fini par le connaître comme ça, mais rapidement cela a tourné au vinaigre :


- Alors Rosa, le resto, ça donne quoi ?

- Bien, plutôt bien mais on ne se parle qu’au téléphone, dix fois par jour mais on se voit pas. C’est bizarre, non ?

- Il a deux restaus, il doit être très occupé, alors essaie de le voir à l’heure de déjeuner par exemple ?

- Si je vais le voir à cette heure-là, on s’échappe et on prend un café, quelques fois je reste au comptoir, mais enfin, ce n’est pas la même chose. Le soir impossible de sortir, il travaille si tard...

- Et le week-end ?

- Oui, j’y ai pensé, mais il a des excuses, toujours.

- Comment ça, des excuses ?

- Oui, un baptême, 200 couverts, commandé pour le jour même.

- Mais ça se programme à l’avance ça, pas du jour au lendemain.


À ce moment-là, nous nous sommes regardées dans les yeux et nous avons pensé la même chose toutes les deux :


Il ment.


Il est occupé les week-ends. Ça sent le roussi, le brûlé, même. L’homme marié.


Finalement, l’énigme a été résolue très vite. Un barman, à qui je lève mon chapeau, a finalement parlé à Rosa très discrètement, et lui a confié que « Monsieur » est un homme marié.


Boum.


Rosa, ce jour-là, a filé au restau pour lui couper la tête, l’homme a continué à mentir et lui a proposé de déjeuner ensemble. Elle a accepté. Elle a continué à l’attendre. Il a continué à mentir. Et enfin, elle a fini par rompre. Complètement dégoûtée.


Il n’a jamais cherché à la rappeler.


Fin de l’histoire numéro trois.


Alors évidemment, quand l’Imperator s’est présenté à elle, elle a foncé la tête baissée.


Pourtant, j’avais conseillé Rosa, je m’en souviens très bien :


- Si tu ne veux pas rester seule et rencontrer du monde, inscris-toi à une activité, et plutôt le soir.

- Pour faire quoi ? Du tricot ?

- Non, tu as le temps, je ne sais pas, des cours de danse, d’anglais, n´importe quelle activité où tu es sûre de rencontrer beaucoup de personnes, hommes et femmes.


Mon conseil est tombé à l’eau, je l’ai su par la suite. Tard. Trop tard.


Entretemps, elle a dû consulter Céleste, la fille de Santo Domingo. Celle qui nous embarquait dans toutes ses virées nocturnes. Je suis sûre que c’est elle. La solution la plus facile et rapide, n’est-ce pas mesdames ?


Elle l’a suivie : samedi soir, discothèque l’Imperator, tranche d’âge 40-50 ans et la chasse est partie. Elle s’est laissée pêcher le même soir. Incroyable mais vrai. Par la suite, j’ai appris que c’est elle qui avait chassé Pedro, étant lui-même un très mauvais pêcheur. D’ailleurs le pauvre homme n’allait à cette discothèque que pour danser, draguer il en est absolument incapable.


Il s’appelle Pedro.


Et je ne l’aime pas.


Retour en arrière, le jour où Rosa me parle de Mister Pedro pour la première fois :


- J’ai connu quelqu’un !

- Non, ce n’est pas vrai ! Raconte-moi tout.

- Oui, mais je n’ose pas te dire où je l’ai trouvé. (Aïe, ça ne présage rien de bon, soyons fausse)

- Mais non, je t’en prie dis-le-moi ? Internet ?

- Non, non.

- Ah bon, alors je suis tranquille.

- Ben, c’est-à-dire que...

- Ah, la discothèque où je t’avais dit de ne surtout pas aller ? Écoute Rosa, heu, ce n’est pas grave, y a des gens très bien, j’en suis sûre. (Elle s’est un peu calmée, voyons si elle crache le morceau).

- Ben, ouich à l´Imperator, un samedi soir…


(Damned ! Comment a-t-elle pu ?)


-Ah, bien, tu vois tout est possible. Raconte.


Et elle raconte. L’histoire. L’histoire banale de toutes les femmes désespérées de la planète, oscillant entre les 40 et 50 ans, divorcées, séparées, seules, célibataires, mal mariées qui recherchent dans cet antre notoire le deuxième homme de leur vie. Histoire triste, ennuyeuse, pathétique et qui finit toujours mâle (mauvaise plaisanterie, je sais). Pathétique car ces femmes pleurent à cause de ces hommes, alors qu’elles se jettent tout de go dans la gueule du loup.


Samedi 25 mars. Béatrice s’inquiète de la santé mentale de sa mère :


(Béatrice) : ma mère a-t-elle été piquée par la mouche tsé tsé ?


Ma mère est bénévole depuis deux ans dans une ONG (Organisation Nationale de Guignols pour moi) qui s’occupe de l’accueil d’immigrés qui débarquent à Barcelone. J’ai toujours pas compris pourquoi elle s’amuse à donner des cours d’espagnol à des analphabètes Arabes, Hindous et autres pays que je ne sais pas même pas situer sur l’atlas. Mais bon, faut croire que ça l’amuse. Son vrai job c’est interprète au Tribunal, mais elle ne bosse que le matin… Ça veut dire qu’entre son travail et son bénévolat, elle fréquente toute la journée des détenus de toutes les couleurs, venant d’Afrique, du Pakistan, du Maroc et autres pays bariolés. Elle m’a expliqué ça comme ça et qu’elle traduit les questions et réponses du juge, des avocats, du procureur et les réponses du détenu. Elle va même dans les prisons parfois et surtout dans les cellules de garde à vue des commissariats. Moi je crois que ça lui a un peu tapé sur le système à ma mère, tous ces types d’ailleurs. Alors forcément, le soir, elle fait du bénévolat et rebelote, elle remet ça comme une assistante sociale. Je crois que ça lui a un peu explosé la tête. Elle a pété un fusible à mon avis et Chloé pense comme moi.


Vraiment, je ne comprends pas : Catherine, ma mère est pas mal physiquement, elle fait pas du tout son âge, elle est classe, elle est universitaire, elle parle cinq langues, qu’est-ce qu’elle fabrique avec un ouvrier ? Il n’a pas ses papiers en règle, alors, c’est un détenu ? Il devrait être devant un juge, non ?


Il est plus jeune qu’elle, mince 10 ans d’écart, quand même !


Moi je suis sûre qu’il veut profiter d’elle, maman m’avait expliqué les cas de gigolos, des mecs sans papiers qui vivent chez une fille avec laquelle ils se sont mariés rien que pour les papiers et le confort matériel.


Maman est victime d’un type qui veut profiter d’elle j’en suis sûre, elle a toujours été trop gentille avec tout le monde, c’est mère Teresa en plus jeune croyez moi !


Lundi 27 mars : Saturday night fever avec Shakir.


2 sms de Shakir (hmmmm), 3 cafés explosifs bouf.


Je me rappelle la première fois où je suis allée au cinéma avec Shakir, il y a avait un cycle Rohmer au cinéma Méliès. J’adore ce ciné car il n’y a jamais personne, juste un petit groupe réduit d’intellectuels francophones qui savent que Rohmer est un cinéaste et non pas un détergent bon marché. Personne ne mange de pop corn, on n’est pas obligé de supporter le crac crac des mandibules affamées qui se jettent sur un paquet de pop corn de taille super size… Il n’y a rien dans ce ciné, même pas une bouteille de coca. Juste du ciné à l’état pur. L’entrée est à moitié prix, ce qui n’est pas négligeable. Évidemment Shakir ne parle pas français, mais le film était sous-titré en espagnol donc il pouvait suivre. Mais il avait insisté pour comprendre la culture française. Évidemment, c’était pour moi l’occasion d’être dans un lieu sombre à ses côtés, lui laisser l’occasion de me prendre la main ou de se déclarer d’une manière ou une autre. Je sais que Shakir est un peu timide et victime d’une religion très pesante et il est très “vieille école ”, il vient du Pakistan, on ne plaisante pas avec les femmes. Mais ce n’est pas pour me déplaire, la goujaterie des jeunes de la génération Internet m’ayant toujours paru insupportable. Le film était très drôle (l’ami de mon amie) et nous avons bien ri. Il a pris ma main ce jour-là pour la mettre dans la sienne. Ce moment-là, je ne l’oublierai pas. C’est comme signer un acte notarial devant témoins : c’est vrai, c’est pour de bon, c’est transparent. Il m’aime.


Depuis, je regarde tous les films de Rohmer avec une douce nostalgie…


Et je pense à Rosa, comment s’est passée la signature devant notaire pour elle ?


Un simple bal dans la discothèque à vautours avec un cocktail et le tour est joué ?


Je préfère Rohmer.


Sms échangés entre Chloé et Juan. La vérité sort de la bouche des enfants.


Mardi 4 avril : De Chloé à Juan :


Salut comment va ?


Maman déprimée, que faire ?


Juan à Chloé :


Préparer plan d’attaque


Chloé à Juan :


Kel plan d’attaque?


Juan à Chloé :


Réunion ce soir 20h chez moi


Mardi 4 avril 20 h 00 : Chloé monte chez Juan


- Alors, ça pas l’air d’aller chez toi ? Keskia ?


- Juan, que tu fasses des fautes d’orthographe et de phonétique quand tu écris, passe encore, mais que tu sois capable d’en faire à l’oral, ça me dépasse…


- Arrête, Clo Clo, faut pas charrier, alors raconte…

- Ne m’appelle pas Clo Clo, je te l’ai déjà dit cent fois !

- Bon, tu craches le morceau ma belle, sinon je file !

- Hou la la, devant les grosses menaces, j’ai peur… Ben, c’est maman, elle déprime, elle est triste, elle fume de plus en plus et moi je trouve que finalement, ben…

- Finalement koi ?

- Ben que Shakir, il est pas mal, enfin, je le vois autrement, c’est un type bien, je crois.

- Comment ça, tu crois, tu en es sûre ou pas. Décide-toi.

- Ben,…

- Arrête de dire ben, Chloé, toutes les cinq minutes, ça fait bébé.

- Ben, bon je veux dire : Shakir moi je l’aime bien. Au début je le trouvais trop différent et je ne comprenais pas que maman soit avec lui. Finalement, je ne sais pas, il est gentil et je crois qu’il est vraiment amoureux d’elle…

- « Amoureux » tu veux dire quoi ? Qu’il couche avec elle ?

- Juan ! Arrête. Je te déteste quand tu es vulgaire, je parle d’amour, quoi, les sentiments et tout ça…

- Mouais…

- Je crois que c’est une véritable histoire d’amour, tu comprends ? Béatrice est contre, ma sœur, elle râle tout le temps, si elle pouvait elle prendrait un balai et elle le ficherait dehors.

- Mouais, peut-être. Chez moi, ce n’est pas pareil.

- Qu’est ce que tu veux dire ?

- Ben, l’amour.

- Quoi ?

- Y en a pas


Fin de la réunion ultra secrète entre Chloé fille de Catherine et Juan fils de Rosa. Sachant qu’il y en aura beaucoup d’autres, on n’a pas fini de rigoler…


Le mercredi 13 avril : Celeste, la fille de Santo Domingo


Bien dormi cette nuit, quand je suis dans les bras de Shakir, c’est automatique, je dors bien.


No cigarettes, no café, pas besoin puisqu’il est là.


Au bout d’un temps qui parut une éternité, Roberto fit comprendre à Susana qu’il devait repartir au château, on l’attendait là-bas et il ne pouvait pas manquer à ses devoirs. Susana fut un peu surprise par cette virevolte, mais elle accepta la séparation.

- Quand te reverrai-je Roberto, mon amour ?

- Bientôt, très bientôt, et il partit au galop, sans un regard vers la frêle jeune femme.


Comment dit-on frêle jeune femme stupide en espagnol ? (note de la traductrice)


Biographie de la fille des îles.


Céleste, la fille de Santo Domingo a été néfaste à Rosa, j’en suis convaincue. C’est une femme que j’appréciais beaucoup il y a encore deux ans, je la trouvais courageuse, culottée avec les idées bien claires. Elle a vécu une histoire avec un sacré bonhomme, Jordi le magnifique comme on l’appelait entre nous, et finalement cela aurait dû me mettre la puce à l’oreille : une femme qui continue à vouer un tel culte à un type aussi innommable. Elle a vécu 14 ans avec lui malgré toutes ses infidélités. Elle était donc mal placée pour donner des conseils à Rosa à sortir de sa solitude, après l’été pourri qu’elle avait supporté.


Céleste est une femme plus jeune que nous deux, elle doit avoir 38 ans tout juste, donc pour nous c’est une gamine. Elle est arrivée de Santo Domingo il y a 14 ans et est rentrée au service de Jordi le magnifique tout de suite : comme esclave, bonne à tout faire, bref elle devait tenir sa maison. Jordi avait à l’époque 40 ans et était divorcé avec deux filles adolescentes. Il est très riche et vit dans une demeure splendide près de Vilassar de mar, à 40 kilomètres de Barcelone. Céleste est tout de suite tombée amoureuse de lui. Pourtant il est loin d’être un apollon et l’embonpoint le gagne ainsi que la calvitie. Mais il a un charisme impressionnant et sa personnalité écrase tout le monde sur son passage, hommes et femmes confondus. Céleste était à l’époque une fille boudin mal nourrie en provenance directe de son Santo Domingo natal.


Au fur et à mesure des années, elle a littéralement subi une métamorphose physique et psychique. Elle s’est fait refaire le nez, qu’elle avait épaté, elle a perdu 20 kilos en allant tous les jours dans un gymnase de luxe dans lequel je ne pourrais jamais entrer, ni même pour m’informer, on me ferait comprendre tout de suite que mon compte en banque fait de moi une personne non grata. Elle a appris à se vêtir en fréquentant les boutiques les plus fashion de Barcelone. Elle a joué au golf dans tous les greens internationaux qui existent, avec Jordi le magnifique.


Côté psycho, elle s’est mise progressivement, sans s’en rendre compte à penser comme lui ; sa personnalité s’est diluée petit à petit et celle de Jordi a pris le dessus. Elle parle comme lui et pense comme lui. Elle regarde le foot à la télé, en buvant de la bière et en ordonnant à tout le monde de se taire pour qu’elle entende ! Une fille des îles qui se transforme en macho ibérique, c’est à voir !


Mais elle ne le sait pas. Personne ne le lui a jamais dit.


J’ai de bons souvenirs d’elle néanmoins. On a fait beaucoup de virées avec elle, Rosa, moi, et toute la ribambelle des copines VIP qu’elle embarquait avec elle. J’ai découvert grâce à elle les discothèques alors que je n’y suis pratiquement jamais allée. La gastronomie japonaise de luxe dans un des meilleurs restaurants de Barcelone, elle payait et j’ai par la suite essayé d’y aller toute seule : mission impossible. Il faut pratiquement un pass et un statut de starlette oscarisée pour entrer. On a bien rigolé lors de son anniversaire, on s’était toutes déguisées en chinoises, avec des kimonos pas possibles, on a mangé ensemble chez Mercedes, la sœur millionnaire de Rosa (curieusement mariée à un Jordi elle aussi, tiens, tiens…). Des mets raffinés que je n’avais jamais vus de ma vie. Bref à l’époque où nous étions des célibattantes, et heureuses de l’être.


Puis la fin du rêve est tombée sur nos têtes. Pas sur la mienne puisque j’avais déjà connu Shakir qui donnait un sens à ma vie. Céleste a fini par rompre brutalement avec son prince empoisonné alors qu’elle était en train d’essayer sa robe de mariée et exhibait à qui mieux mieux le diamant étincelant de son annuaire gauche. Il faut dire que pendant qu’elle faisait les dernières retouches sur sa robe de mariée, le monsieur en question faisait d’autres retouches dans son lit, avec la bonniche du moment, également de Santo Domingo. Sans commentaires. Rosa se rendit compte qu’elle allait mourir de solitude, son fils refusant de jouer plus longtemps le rôle de garde fou. C’est alors que Céleste, qui consolait ses chagrins par des virées nocturnes sauvages et excessives, entraîna Rosa et son désespoir ainsi que Marta l’argentine, dont je parlerai plus tard, dans le sinistre et célèbre club “L’Imperator ”.


Lieu de perdition. Pas de vice, mais parce que l’on perd le nord et on fait n’importe quoi dans un lieu fréquenté exclusivement par des quadra des deux sexes complètement désespérés, qui ont décidé de ne pas rentrer sans avoir pêché une carpe ou un thon. Question d’urgence. Rosa a pêché la première soirée. Rapide ma voisine. Il paraît que c’est bien, que c’est normal. Tout le monde est content. Cela fait 6 mois maintenant que l’ébéniste est incrusté dans sa vie. Toute la famille est contente. Je me demande s’ils ne sont pas en train de penser mariage. Ils en sont capables, plus rien ne m’étonne. Céleste, qu’as-tu fait à mon amie la rose ?


Vendredi 14 avril : Grandeur et décadence de Mercedes, sœur de Rosa


4 sms de Shakir qui me réchauffent le cœur. Un litre d’eau pour digérer un énorme œuf en chocolat partagé avec les filles. J’ai la nausée. Crise de foie en prévision…bueeeeeeeeerk


Je vais rester seule en ville pour les vacances de Pâques. Une des horreurs du fait d’être divorcée est que la moitié des vacances, je ne vois pas les filles, elles filent chez leur père. Béatrice y va en courant depuis que Shakir est dans ma vie et Chloé, ma petite Chloé suit sa sœur. Mais chaque fois, elle se retourne pour me lancer un dernier au revoir avec la main. Elle se sent mal et je le sais. Mais je serai avec Shakir, pour moi c’est mille fois mieux que de continuer à partager les chocolateries et autres gaveries de la famille de mon ex qui passent toutes leurs vacances de calendrier, comme je les appelle, dans un village abominable d’ennui près de Tarragona où j’ai passé 20 ans de ma vie à me morfondre parmi les odeurs de cochon préparé à l’abattoir et les tracteurs qui vous réveillent en fracas à 8 heures du matin un dimanche. Ouf.


La veille vers la fin de l’après midi, j’entends un petit toc toc à ma porte.


- Ah Rosa, c’est toi ? Tout va bien ?

- Oui, je viens te dire un truc.

- Tu en fais des mystères (je pensais qu’elle allait enfin me présenter son bel ébéniste)

- Écoute Mercedes nous invite à un petit déjeuner intime entre filles, elle a absolument tenu à ce que tu viennes. Demain, 20 h 00 chez elle, d’accord ?


Mercedes qui m’invite à un repas, hm je ne crois pas qu’elle ait besoin de mon opinion pour la relation de Rosa avec son charpentier, vu qu’elle organise tout elle-même, je soupçonne donc une curiosité malsaine envers ma relation avec mon « immigré illégal ». Je n’irai pas, j’annulerai au dernier moment.


La sœur de Rosa a une drôle de particularité, elle a exactement mon âge, 43 ans mais ne le dites à personne.


J’ai connu Mercedes par hasard un jour où je prenais un café chez Rosa, à l’époque heureuse où on était encore de vrais amies-à-qui-on-raconte-tout…


Elle faisait partie d’une association qui l’avait aidée à monter sa propre entreprise alors que la pauvre femme était dans une situation dramatique. Elle s’était mariée à un médecin Equatorien (tiens ce n’est pas Shakir le seul extracommunautaire dans cette histoire !). Ils ont vécu ensemble deux ans à Barcelone car ledit médecin profitait d’une bourse de 2 ans.


Une fois la bourse terminée, le brave homme décida, évidemment de retourner dans son pays avec sa femme espagnole. Ils vécurent là-bas. Pour elle ce fut un enfer total pendant 5 ans. Mercedes se rendit compte qu’elle avait affaire à un Equatorien, macho intégral qui avait retrouvé toutes ses bonnes vieilles habitudes en revenant dans son pays et surtout les conseils et ordres de sa chère mère. Mais Mercedes qui a vraiment le sens de l’indépendance et des affaires montait sa vie en parallèle à celle de la stupide et bourgeoise épouse d’un médecin. Elle vendait des sacs à main Dior aux femmes riches du pays ! Incroyable, Mercedes a toujours forcé mon admiration et m’a souvent laissée médusée. Enfin, jusqu’à ce qu’elle se comporte comme toutes les femmes “ charentaises ” qui gravitent en ce moment dans ma vie.


Elle lâcha tout et revint à Barcelone, déprimée, anorexique et sans un sou. Elle commença à travailler pour le mari de Rosa (pas l’ébéniste, entendons nous bien !!!) Et ensuite monta sa propre boîte concurrente, s’il vous plaît.


En 1994 on la nomma meilleure femme entrepreneur de Catalogne, tout un honneur.


Elle a connu beaucoup d’hommes dans sa vie, selon ses propres paroles, mais je ne sais pas si c’est vrai. Le fait est qu’à 40 ans, elle se remaria en grandes pompes avec Jordi, un millionnaire qui était un ami de longue date. Selon les dires de Rosa, elle cherchait une épouse à Jordi qui depuis son divorce, ne supportait plus la solitude, et était absolument incapable à 54 ans de trouver lui-même une chaussure à son pied. Aucune des candidates ne lui convenait, il semblait incapable d’aborder une femme et encore moins de la conquérir. Mercedes s’arrachait les cheveux. Jusqu'à ce qu’un miracle se produise : elle décida de se proposer elle-même comme candidate, dans le fond c’est bien plus pratique. En plus le compte en banque bien garni a dû aider j’imagine, excusez moi c’est mon côté concierge qui ressort mais ce genre d’union me provoque de l’urticaire. Et voilà le tout est joué. Bien entendu, j’ai compris le vrai sens de cet amour fou quand le lendemain même de son mariage, Mercedes vendait ses parts de sa société pour prendre sa retraite. Soi-disant, madame en avait assez de recevoir tous ces appels du bureau, pendant que sa douce moitié faisait la sieste ! Et voilà, l’amour a triomphé encore une fois. Exit Mercedes, tu n’es plus sur le marché des célibataires de plus de quarante ans, ne t’en fais pas, tu as réussi à t’en sortir, tard, mais tu as réussi. Les charentaises te vont si bien.


Alors, un dîner avec elle, ma foi, je ne vais pas y aller mais franchement, je préférerais un tête-à-tête avec mon émigré, mon sans papier, mon pas millionnaire, qui ne vit pas dans un bel appartement cossu, qui ne m’invitera jamais à déguster du caviar. Mais qui a su me conquérir, sans artifice.


Une chandelle sur le sol et déguster avec les mains en sa compagnie sa cuisine pakistanaise aux effluves de curry, moi, ça me suffit. Mon bonheur est là, juste dans ces petites choses, sans avoir à vendre mon âme au diable. Sans laisser tomber mon job, même s’il est mal payé. Mais juste être à ses côtés, pouvoir poser ma tête sur son épaule pendant que je l’entends rire de ses anecdotes de travail alors qu’il a trimé 9 heures pour construire le palais d’un autre, que voulez-vous, je vois la vie en rose.


Samedi 15 avril : Le petit café sur la place.


4 sms de Shakir. Écrits en ourdou, pas besoin de traduction…


Ils se virent à minuit tel qu’elle lui avait demandé. Sous la porte cochère, elle l’attendait cachée sous une grande cape grise qui la recouvrait presque entièrement. Roberto arriva, ponctuel. Cela faisait 2 mois qu’elle ne l’avait plus revu et son désespoir était si intense qu’elle pouvait à peine parler.


- Roberto, enfin je n’en peux plus…


Mais il ne la laissa pas parler, il se confondit en excuses et mille pardons mais la jeune femme demanda des explications.


- Je suis désolé mon amour, tu sais bien que tu es la seule femme à mes yeux, mais ma tante m’a préparé un mariage avec la Duchesse de Belflor qui représente une alliance excellente pour ma famille ruinée.

- Comment ? Mais et moi ? cria Susana.


Roberto ne répondit pas, baissa la tête. Jamais elle n’osa lui dire qu’elle était enceinte.


Il faut vraiment que j’aie besoin de ramper jusqu’à mes fins de mois pour traduire des inepties pareilles, quelle gourde cette Susana, déjà avec un prénom pareil, tu ne mérites que ce qui t’arrive ! Na ! (re note de la traductrice)


Aujourd’hui Shakir m’envoie un sms urgent sur mon portable. J’étais en train de m’endormir mollement avec cette fichue histoire de jeune vierge abandonnée, sur le banc au quatrième étage des Tribunaux, à attendre le détenu et l’avocat de la chambre correctionnelle 14. Le système habituel dans mon travail : attendre.


Le sms m’indique que Shakir a une petite pause vers 16 heures et il me donne rendez-vous à la Plaza Virreina pour prendre un verre et avaler un sandwich sur le pouce. Mon cœur bondit de joie, je vais passer un moment avec lui, en plein jour comme un vrai couple. Il faut dire que ça n’arrive pas souvent...


Je sors du Tribunal à quatre heures moins le quart, après une comparution déplaisante au maximum et un avocat qui m’a fait la vie impossible. Je n’ai rien avalé, je suis au bord de la crise d’hypothermie mais je hèle un taxi, hors d’haleine. J’ai un rendez-vous avec l’homme que j’aime, ça vaut bien la mauvaise humeur d’un juge, la fourberie d’un avocat, la paresse d’un détenu Sénégalais et toute la lenteur administrative qui s’ensuit pour que la pauvre interprète que je suis gagne sa vie. Je cours et atterris littéralement sur la place Virreina. J’adore cette place, j’adore cette ambiance parce que j’adore le quartier de Gracia. C’est un endroit bohème, coloré, plein de vie. J’adore.


Shakir est là, je le vois tout de suite, comment ne pourrais-je pas le voir, il mesure 1 m 92 ! Il me fait signe de la main et en moins de 3 secondes je suis assise à côté de lui. Il ne m’embrasse pas. Jamais. C’est moi qui le fais, sur la joue. J’ai mis du temps à comprendre que pour lui, musulman, embrasser une femme en public, ne se fait sous aucune condition. Il se rattrape en privé, je vous l’assure mais en public, rien. Mais si je prends l’initiative il accepte et répond discrètement. Finalement c’est cette discrétion que j’aime chez lui, c’est comme une forme très subtile de galanterie envers moi, comme s’il retenait ses sentiments pour mieux les exprimer. C’est extrêmement doux quelque part et j’ai donc, pour lui, brisé mes tabous du style, c’est l’homme qui doit prendre l’initiative, et bla bla bla. J’avoue que cela m’a coûté un certain temps, mais de là l’intérêt de connaître un homme qui vient d’un autre monde. Ça nous oblige à changer le chip et c’est pas plus mal.


Nous sommes restés plus d’une heure à parler et à nous caresser des yeux. Shakir a cette particularité d’être capable de me regarder droit dans les yeux en silence pendant un temps qui me paraît infini, sans dire un mot. Jamais quelqu’un ne m’avait autant parlé en silence.


Je me suis souvenue de cette après-midi longtemps après. Je me suis rendue compte que j’aimais être à cette place-là exactement avec lui, sur cette terrasse-là et pas une autre, entourée des mêmes clients, du même serveur. J’ai compris pourquoi : dans ce quartier bohème de Gracia, on côtoie des couples bizarres et personne n’est choqué. Il y a des femmes qui boivent un café animé et en fait, l’une des deux est un transsexuel ; deux amies se regardent tendrement, ce sont des lesbiennes et personne ne s’en inquiète, un autre couple formé par un homme marié et une jeune femme de 25 ne provoque aucun trouble. C’est pour cela que le couple dépareillé que je forme avec Shakir passe inaperçu : un Pakistanais de 30 ans et une européenne de plus de 40. En fait, cet endroit me protège, me préserve du regard des autres et je me détends complètement, comme les autres couples dépareillés : on peut parler, s’embrasser, se prendre la main, se plonger dans les yeux de l’autre sans que la morale puritaine ne vous assaille. J’adore cet endroit !


Le dimanche 16 avril. Marta l’Argentine : faites ce que je dis mais surtout pas ce que je fais.


Je reste finalement 3 jours avec mes filles et leur père à la campagne. Ce sont les vacances de Pâques et nous sommes une quinzaine de personnes réunies autour d’une immense table. Tout le monde s’amuse, il y a du champagne, mon ex a la gentillesse d’en apporter à chaque fois que nous nous voyons en compagnie de sa famille, j’apprécie et mon foie se prépare à une belle crise vu la quantité de chocolat que j’ingurgite. (Demain 5 boutons sur la figure, garantis !)


Je ne suis pas avec Shakir et ça me tue. Mais mes deux mistinguettes ont insisté pour que je vienne, elles savent que je m’entends mal avec leur père mais je garde de bons rapports avec le reste de la belle-famille. Il y a trois jeunes belles sœurs enceintes et cela met tout le monde en joie. Moi aussi, j’avoue que je les regarde avec envie et douceur, une certaine nostalgie m’envahit : il est loin le temps où j’étais enceinte, où tout le monde était aux petits soins pour moi. Surtout je sais que je n’aurai jamais d’enfants avec Shakir, lui il pourrait et il le désire plus que tout autre chose, mais je suis trop vieille. Il me dit toujours que pour lui ce n’est pas grave mais je sais que c’est dur pour lui, avec la culture de son pays de ne pas avoir un enfant (ou 6 !) avec la femme de sa vie. Shakir est capable de dire n’importe quoi contre ses plus intimes convictions. J’adore cet homme.


Avec les effluves de l’alcool qui me montent à la tête, je me souviens des dernières vacances de Pâques, l’année dernière donc il n’y a pas longtemps : l’amie de Rosa, Marta l’Argentine nous avait invitées, Rosa et moi, dans son appartement à une dégustation de la cuisine argentine de son pays et nous avions apporté les chocolats noirs, au lait, aux noisettes, blanc et autres couleurs dans le but de noyer nos soucis dans le chocolat.


C’est là que j’ai eu ma première dispute avec Rosa, au sujet de son amie et de l’ami de son amie (Rohmer s’en donnerait à cœur joie). Rosa avait toujours décrété que jamais son amie ne laisserait un homme s’incruster sur son sofa et qu’elle était parfaitement d’accord avec elle. Jusqu’à ce qu’un charpentier ébéniste s’incruste jusque dans ses meubles à elle, tel un termite envahissant (comparaison odieuse, mais je ne peux pas m’en empêcher).


Marta est une femme de 50 ans, qui en paraît 40, elle est divorcée depuis tellement longtemps que personne ne se souvient qu’elle a eu un mari, elle non plus d’ailleurs. Elle a deux enfants adolescents, extrêmement mal élevés, c’est à dire qu’ils sortent un gros mot toutes les minutes. Elle est secrétaire dans un cabinet d’avocat et travaille donc deux fois plus que n’importe quelle secrétaire normale. Normale voulant dire qui bosse 9 à 10 heures par jour, donc elle, encore plus. Elle rentre chez elle à 21 h 00 ce qui fait qu’en prime, c’est une mère totalement absente, d’où le langage sophistiqué de ses enfants. Elle est passée par un cancer et s’en est sortie. Elle a fait un régime et a retrouvé une ligne ce qui fait d’elle, à 50 ans, une assez belle femme.


Je l’aime beaucoup pour son courage et son sens de l’humour.


Mais elle a fait une énorme boulette : elle a pêché un homme sur une page de rencontres Internet et l’a laissé s’installer chez elle. Tout simplement. Elle s’est laissée avoir jusqu’à l’os en quelques semaines.


Repassons les faits. Cette femme a commencé à faire joujou sur Internet et, est tombée sans protection (on doit se protéger pour les relations sexuelles, on nous le rabâche sans cesse dans tous les médias, mais il n’existe aucune protection contre les sites de rencontres, comment cela est il possible ?) sur un chat et elle a connu un Argentin de 50 ans comme elle, quelle chance : même âge et même pays ! Je dois signaler qu’elle a divorcé de son Argentin de mari parce qu’il ne fichait absolument rien à la maison, il s’était abonné bien chaudement aux allocations chômage et à la pratique assidue du sofating et qu’à l’heure actuelle, son chéri Argentin s’est incrusté chez elle et a trouvé un job à mi-temps grâce à elle. Elle a reproduit le même schéma, j’en déduis que l’homme et surtout la femme trébuche plusieurs fois sur la même pierre. Et les quadras désespérées, dix fois s’il le faut.


Rosa a toujours défendu Internet, je sais qu’elle ne l’a jamais utilisé car elle est nulle en informatique (j’ai mis deux heures à lui expliquer comment écrire un courrier électronique, comment l’envoyer et comment ouvrir la boîte aux lettres !). Sinon, elle aurait trouvé un pauvre type sur le Net au lieu de trouver un pauvre type à l’Imperator.


- Je te jure, il y a des couples qui se sont connus sur Internet et ils sont très bien !

- Arrête Rosa, je t’en prie, c’est un moyen utilisé pour les minables et dépravés.

- Écoute, je connais au moins trois couples qui...

- Rosa, peut être, mais dis-moi si dans trois ans ces fichus couples sont encore ensemble, ça m’étonnerait.

- Mais enfin, qu’est-ce que tu as contre les gens du Net, Catherine ?

- Hé bien, ils n’ont pas de c...

- Quoi ?

- Un homme qui ne peut pas aborder une femme en direct mais seulement derrière un écran ne mérite que mon plus grand mépris. C’est un danger public pour l’innocente qui est en face. Les innocentes, au pluriel vu que ces zouaves parlent avec cinq minettes à la fois.


La conversation a duré deux heures et j’ai trouvé un prétexte pour rentrer chez moi, je n’avais aucune envie de me disputer avec elle. Rosa est adorable mais elle est têtue comme une mule et reste sur ses positions, même si elle a tort, même si elle le sait. Un point c’est tout.

Donc elle a encouragé son amie Marta, que je n’avais pas revue depuis, à surfer devant un écran lumineux dans lequel se reflètent les misères humaines les plus déplorables, les plus pathétiques et, surtout, les plus dangereuses.


Car l’individu Argentin s’est finalement installé chez elle. Au début, comme il ne travaillait pas, elle a contacté une des avocates pour qui elle travaille, celle-ci lui a trouvé un job à mi-temps pour les propriétaires d’une magnifique villa sur la Costa brava. Donc il était logé sur place sur la Costa Brava et descendait à Barcelone passer les week-ends chez Marta tranquillement. Logement en semaine et supplément le weekend. De ce point de vue, la relation allait plutôt bien, l’homme avait un petit job, même s’il était peu rémunéré il ne pouvait en aucun cas vivre aux dépens de Marta !!! Ils ne se voyaient que les week-ends donc pour elle, habituée à son indépendance, c’était plus que parfait.


Marta avait toujours répété que jamais elle ne laisserait jamais plus un homme vivre chez elle. Rosa me l’a dit et redit 100 fois et j’ai toujours pensé qu’elle avait raison. Si un jour elle devait rencontrer quelqu’un, cela ne l’obligeait en aucun cas à partager sa brosse à dent. On se voit quand on veut, on sort, mais chacun dort chez soi et point final.


Le résultat des courses : l’Argentin en question (je connais son prénom mais je déteste à tel point cet homme que je préfère le traiter ainsi) vit maintenant incrusté chez elle. Les propriétaires de la maison sont venus passer les vacances chez eux et ont demandé à l’Argentin de faire ses valises, donc direction Marta. Bien sûr, lui a t-il dit, ce n’est que provisoire, il cherchera un toit très vite. Quand va-t-il chercher un appartement ? Jamais. Et Marta s’est fait avoir. Jusqu’à l’os. Alors, qu’on ne vienne pas me parler d’amour dans ce couple, ou je hurle !


Je ne sais pas si moi je fais bien, mais elle, elle se trompe. Et qu’on ne me parle pas de femmes libérées, indépendantes et tutti quanti, parce qu’une femme une fois qu’elle est seule, elle n’est plus libérée, elle est prisonnière de son propre manque d’affection et elle s’attache elle-même les menottes aux poignets clic clac, en jetant la clé. Elle s’emprisonne toute seule, l’homme ne fait que profiter de la situation.


Le pire c’est que maintenant, l’ébéniste s’est installé chez Rosa, de la même manière. Il est dans son lit, dans son salon, avec ses sœurs, elle n’a plus le monopole de la télécommande (symbole total de liberté dans cette civilisation qui est la nôtre : femmes de la terre, le jour où la télécommande passe dans une autre main qui n’est pas la vôtre, méfiez-vous !)


FBI : rires et chuchotements


jramon15@hotmail.com à

Chloé13@hotmail.cm


Salut Chloé


Le gnome est venu ce week-end à la maison. Pas croyable le type, il s’installe. Il a essayé de jouer les mecs sympas avec moi tout le temps mais rien à faire, j’ai pas joué le jeu. Ma tante le trouve très bien. Je crois qu’elle a surtout envie qu’il retraite ma mère et qu’elle puisse être tranquille. Peux pas le blairer, ce bouffon.


Chloé13@hotmail.com à

jramon15@hotmail.com


- Le week-end ? Mais ils se connaissent à peine, tu rigoles ? Et il est comment ? Physiquement je veux dire.


Nous on a vu Shakir hier juste pour le café, maman est super gênée quand il vient à la maison. Il est pas mal, moi je comprends maman. Il est super gentil avec elle, il garde toujours sa main dans la sienne. Maman essaie toujours de la retirer mais lui, il la reprend. Il fait ça Pedro avec ta mère ? Réponds vite, je suis morte de curiosité. J’ai un contrôle à réviser sur l’URSS mais je fais rien sans avoir reçu ton mail alors grouiiiiiiiiiiiiiiille....Staline et Trotski peuvent attendre.


jramon15@hotmail.com à

Chloé13@hotmail.com


- Physiquement ? Dis donc Chloé, si je parle de gnome c’est que ce n’est pas Brad Pitt le mec, compris ? Il est petit, pas beaucoup de cheveux sur le caillou, il a 58 ans mais je crois plutôt qu’il en a 60, bref c’est un grand père le mec, un vrai pépé, ce n’est pas possible qu’est-ce qu’elle lui trouve ma mère ? Elle est devenue aveugle ou quoi ? Lui prendre la main, et puis quoi encore ? Écoute, le seul geste de tendresse qu’il a le gnome, c’est avec son marteau, il le tient dans la main toute la journée. Il est en train de retaper tous les meubles du salon, il est complètement ouf ce type... Mes tantes sont raides dingues, c’est tout juste si elles ne préparent pas la dot. Heureusement que j’ai mon ordinateur, je m’enferme toute la journée avec lui, je préfère ça que d’assister à un tel cirque. Au fait, tu fais quoi ce soir ?


Chloé13@hotmail.com à

jramon15@hotmail.com


Ce soir je bosse Juan, j’ai un contrôle, je passe la soirée avec Trotski. Arrête de me draguer, t’es pas mon genre. Bon, alors cette histoire moi j’y comprends rien. Béatrice m’a embêtée toute la journée parce qu’elle dit que je suis du côté de l’ennemi, que je n’arrête pas de parler avec lui (mince, je peux parler en anglais pour une fois avec quelqu’un qui parle vraiment anglais, pas comme mon imbécile de prof avec son CAPES d’anglais étudié en France) ; évidemment elle, elle le massacre, maman n’a pas arrêté de se disputer avec elle en lui disant de se tenir sinon elle ne pourrait plus jamais inviter Shakir. C’est exactement ce qu’elle veut, ma bête de sœur. Mais Shakir a parlé avec elle à un moment donné, je sais pas du tout ce qu’il lui dit, il parlait doucement et ça a duré 30 mn !!! Je donnerais tous mes organes à la science pour savoir ce qu’il lui a dit, grwwkkkxxlllll!


jramon15@hotmail.com à

Chloé13@hotmail.com


Il lui a dit de lui ficher la paix. Simple non ?


Qu’est-ce que tu fais ce soir ?


31 avril 2006 : Ma fille aînée n’est pas le cadet de mes soucis


Veille du premier mai


Encore trop fumé aujourd’hui et je viens de m’arracher un autre cheveu blanc, quelle horreur.


Quand je suis tombée enceinte de Béatrice, j’ai fondu comme seules les mères peuvent le faire. Je dégoulinais d’amour pour mon petit bébé.


J’ai eu le bonheur de passer mes deux années de chômage (l’Espagne est un pays qui ne vous pardonne pas d’être mère et de vouloir travailler en même temps, faut-il que nous soyons folles !) pour m’occuper d’elle. Et je m’en suis occupée, on a tout fait ensemble, puisque j’avais le temps : le temps de l’allaiter, de la promener deux fois par jour s’il vous plaît, le temps de l’habiller comme une poupée, d’écouter des cassettes de chansons et berceuses avec elle, plus tard, le temps de dessiner, de faire des coloriages et d’apprendre à ne pas dépasser les bords, d’assister à tous les spectacles de fin d’année qui ont lieu à des heures où les mères sont encore au bureau, et moi je pouvais tout faire à toute heure.


Maintenant la petiote mesure 1 m 70, elle me dépasse de loin, je ne sais rien de sa vie privée, mais par ce que j’en juge, il n’y a pas de garçon, sinon, elle serait plus aimable. Elle aurait un sourire sur les lèvres, une étincelle dans les yeux, quelque chose qui indique que son cœur s’est ramolli. Mais non, elle est de mauvaise humeur et agressive contre moi, plutôt contre Shakir. Elle dépasse les limites, je ne sais plus quoi faire. Je savais que ce serait difficile le jour où je lui ai parlé de Shakir la première fois :


- Les filles écoutez-moi, j’ai quelque chose à vous dire.

- Qu’est ce qu’il y a maman, c’est grave ?

- Non, pas du tout, mais c’est délicat.

- Ben vas y. Crache...

- Écoutez, vous savez que ça fait 3 ans que je suis séparée de votre père...

- Oui, on le sait maman, ce n’est pas un scoop !

- Bien. J’ai rencontré quelqu’un.

- Ah super, il était temps !

- Quoi ? Comment ça ?

- Ben oui, avec Chloé, on se demandait, enfin c’est vrai. T’es encore jeune, t’es pas mal physiquement.

- Merci Béatrice, me voilà rassurée.

- Ben, oui. Alors c’est qui ? On le connaît ?

- Écoutez, c’est quelqu’un de très bien, mais...

- Quoi ? Il a des antennes vertes (rires)

- Non, disons qu’il est atypique.

- Ahhhhhhhh, c’est un vieux plein aux as de 70 ans ?

- Arrête Béatrice. ! C’est un de mes élèves de l’association, il suit mes cours d’espagnol. Il n’est pas d’ici, comme vous le savez mes élèves sont Arabes et Pakistanais pour la plupart.

- Il est Arabe ?

- Non, il est Pakistanais, d’Islamabad. Il est plus jeune que moi, il n’a pas encore ses papiers et dans son pays il était professeur à l’Université mais ici, évidemment il ne peut pas exercer, alors il est dans la construction, en attendant, bien sûr c’est provisoire.


J’ai dû arrêter de me justifier. Plus je donnais d’excuses pour dorer le blason de Shakir, plus je mettais en évidence ses carences. Mes filles étaient médusées. Chloé était curieuse et voulait en savoir plus, mais le regard assassin de sa sœur (qui possède des yeux verts à effrayer le plus grand criminel comme ceux avec qui je travaille) lui a cloué le bec. Bref, Chloé approuvait étant plus romantique et Béatrice m’enfonça un clou dans le cœur à partir de ce jour-là.


À chaque visite de Shakir, elle était ou silencieuse jusqu’à l’impertinence, ou elle parlait, et c’était pire car elle envoyait systématiquement des sous-entendus et des flèches empoisonnées à Shakir. Comme elle parle bien anglais, elle l’attaque sans cesse avec la plus grande impertinence. J’ai commencé à suggérer à Shakir de ne plus venir à la maison afin d’éviter les foudres de ma fille aînée. Il m’a dit non. Je n’en croyais pas mes oreilles :


- You know I love you and my love for you is the only thing which give sense to my life. I want to see you in your place, if there is any problem with your daughter, I will speak with her. No problem, please Catherine, trust me.


Et là-dessus, il me caresse légèrement la joue et m’embrasse. Shakir agit toujours avec tellement de tendresse avec sa belle voix grave et douce qu’il est, je ne saurais expliquer comment, l’homme le plus convainquant que j’ai jamais connu. Il me cloue le bec.


Shakir et Béatrice : attention, comité privé urgent 19 h 45


Voici la conversation entre Shakir et Béatrice, j’ai écouté aux portes (oui, je sais c’est pas très joli).


- Béatrice, je voudrais que l’on ait une conversation toi et moi.

- Pourquoi ? Je n’ai rien à vous dire.

- Je crois que si.

- Non, absolument pas.

- Béatrice tu es une fille intelligente, alors explique-moi, en face, pourquoi me détestes-tu ?

- Qui a dit que...

- Je t’ai posé une question, tu me dois une réponse. J’attends.

- Et si je refuse de répondre ?

- Je m’assois et j’attends

- Je n’ai pas à me justifier, je fais ce que je veux

- J’attends une réponse, Béatrice, pas un caprice de petite fille. Explique-toi.

- Non, et sachez que vous ne me faites pas peur...

- Alors si tu ne veux pas parler, je vais parler moi et tu vas m’écouter attentivement :

- Je m’appelle Shakir, j’ai 33 ans, je viens d’un pays lointain qui s’appelle le Pakistan. Je suis venu en Espagne pour essayer d’avoir une vie meilleure. J’ai mis un certain temps et je ne me plains pas, ma situation actuelle est bonne et je peux aider ma famille en leur envoyant de l’argent. Grâce à mon travail, je sais qu’ils peuvent survivre. Dans mon pays, les gens n’ont pas toujours de quoi manger, tu sais ? Ici on est plus libre. Sur mon chemin j’ai rencontré une personne très douce, et généreuse qui m’a offert des cours d’espagnol pour que je puisse parler la langue de ce pays. Une personne qui est bénévole, qui ne demande rien en échange et qui a accepté de rester quelques minutes de plus à chaque cours pour m’aider. Cette personne pour moi est un ange. C’est ta mère dont je parle, c’est la femme qui donne un sens à ma vie, tu comprends ? Quand tu seras amoureuse, Béatrice tu comprendras, cette sensation de bonheur qui t’explose dans la poitrine. Je suis amoureux d’elle, profondément. J’aime tout en elle, sa voix si calme et douce, ses yeux verts dont tu as hérité, sa beauté, car elle est belle, j’ai beaucoup de chance. Elle me sourit chaque fois qu’elle me voit et ses yeux brillent. Je n’ai jamais reçu cette tendresse dans ma vie, jamais. Avec elle, tout change. Tout devient amour et douceur, même quand elle ferme les yeux pendant une seconde, j’admire ses paupières, la gentillesse de son sourire, son sourire avec une seule fossette qui la rend si spéciale. Je ne suis pas un délinquant Béatrice, je ne ferai jamais de mal à ta mère, jamais. J’ai dû renoncer à bien des principes de ma religion pour pouvoir être à ses côtés, mais je ne regrette rien. Elle a le courage d’avoir une relation avec quelqu’un comme moi, et tu sais ce que je veux dire, alors qu’il lui serait si facile, belle comme elle est d’avoir un autre homme dans sa vie. L’amour est la plus belle chose qui puisse arriver à un être humain. J’ai ce trésor dans mes mains et je ne veux pas le perdre. Sache que jamais je ne lui demanderai de l’argent, ni chercherai à vivre avec elle : je veux seulement pouvoir la voir avec votre approbation à toutes les deux.


La conversation était finie. Je n’en croyais pas mes oreilles, Béatrice ne disait rien, mais absolument rien. Shakir avait il réussi à dompter ma fille ? S’était elle étranglée d’émotion ? Bref, silence.


Au bout d’une minute, je m’étais réinstallée en catastrophe devant ma vaisselle afin de feindre une grande concentration sur mes casseroles, Béatrice sortit de la pièce avec une dignité grecque : regard furibond mais silence éloquent. Shakir avait gagné.


Le 1er mai, sans muguet : Rosa a des remords. Pedro pas Pedro, that is the question.


Susana partit se réfugier chez une nourrice en pleine campagne sur les conseils de son amie Carlota et s’installa au calme pendant toute sa grossesse. Pendant tout ce temps, aucune nouvelle de Roberto, rien, elle ne savait rien, elle était désespérée. Elle donna naissance à une adorable petite fille blonde et délicate qu’elle appela Lola. Elle l’a remplie d’amour et faillit presque oublier sa peine. Un jour cependant, la nourrice lui apprit que le mariage de Roberto avec la duchesse Diana de Milflor aurait lieu la semaine suivante…


Et voilà, encore une gourde qui se fait faire un baby sur une meule de foin et qui se retrouve seule pendant que l’autre animal se prépare un mariage juteux. Tiens, ça me rappelle quelqu’un, ou plutôt quelqu’une. Comment on dit juteux en espagnol, mon dico, vite…


J’ai rencontré Rosa aujourd’hui, au container nº 3 (seulement carton) devant l’immeuble. Nous jetions rageusement nos sacs poubelles (les miens sans recyclage, zut j’ai encore oublié, je vais finir par me faire lyncher par les acolytes de Greenpeace...) et je lui demande :


- Salut voisine, tu vas bien ?

- Oui, comme ci comme ça.

- Je n’aime pas cette réponse, que se passe-t-il ?

- Rien de spécial, une sensation seulement.

- Une sensation, mais laquelle ?


Rosa me regarde intensément et je vois, car je la connais, qu’elle a du mal à s’exprimer.


J’attends qu’elle me propose de monter chez elle et de parler tranquillement dans sa chambre. C’est un truc à elle, elle s’assoit contre un oreiller sur son lit et moi je pose une fesse sur le rebord : nos meilleures conversations ont toujours suivi ce rituel un peu curieux mais efficace (sauf le mal au derrière qui s’ensuit pour moi, mais passons). Et c’est ce qui se passe au bout d’une demi-minute. Nous sommes chez elle, devant un café (toujours aussi mauvais) mais je suis capable de tout pour savoir ce qui torture à ce point ma voisine bien aimée. Je préviens mes filles au vol que je suis à l’étage du dessus et bien sûr, elles sont folles de joie. Je sais ce qui va se passer dans mon cagibi : Béatrice va me piquer tous mes pots de maquillage et teinture pour les cheveux, quant à Chloé elle va se précipiter sur le messenger pour parler à son cybernaute préféré. (Qui est-ce au fait ?)


Rosa s’explique :


- Catherine, samedi soir nous somme sorties en bande avec Céleste et Marta et quelques amies en plus, mais comme ça, sans homme, tu vois ? Et on est retournées à l’Imperator, puisque c’est la seule boîte que je connaisse et Céleste est une habituée, tu le sais, alors on a passé une bonne soirée, je ne me plains pas mais à un moment donné j’ai dû m’asseoir, j’étais fatiguée.

Et j’ai repensé à ma rencontre avec Pedro. En fait, il y a une chose que tu ne sais pas. Normalement, ce sont les hommes qui abordent les femmes et dans cette discothèque, c’est vraiment facile, les rencontres se font très vite, je crois que c’est pour ça que mes copines m’ont emmenées là. Mais j’avais repéré Pedro mais lui-même s’il me regardait, en fait il ne faisait rien pour venir vers moi. On a dansé un peu ensemble, mais c’est moi qui l’ai invité ! Il ne faisait rien pour m’aborder, il n’a pas levé le petit doigt et c’est Céleste qui m’a dit de lui parler, de faire le truc de la cigarette.

- C’est quoi le truc de la cigarette ?

- Tu sors une cigarette et tu fais comme si tu n’avais pas de briquet. Donc je lui ai demandé, j’ai engagé la conversation et comme j’avais un peu bu, ça a été très facile.

- D’accord et où est le problème ? (Jamais je n’aurais fais ça ! )

- C’est moi qui l’ai dragué. Je trouve ça moche, non ?


Personnellement je suis secouée, j’aurais juré que c’était Pedro qui l’avait abordée, chose qui pour des femmes de notre génération, les quadras, est normal, le b.a.ba de la séduction, le contraire étant impensable. Je n’approuve pas du tout ce qu’a fait Rosa, que peut-elle espérer d’un homme de 58 ans aussi timide qu’il ne peut même pas faire le premier pas ?


- Mais non Rosa, tu es dans le vent, tu lui as juste donné un petit coup de pouce, ne t’inquiète pas. (Sale menteuse que je suis).

- Tu crois ?


Et ce fut la fin de notre café qui ce jour-là, avait un goût amer car je n’ai pas eu le courage de détruire les rêves de Rosa, ni de la mettre en face de la vérité : Pedro n’est qu’une limace (de seconde catégorie qui plus est). J’ai dû faire une pirouette en mentant à Rosa pour lui quitter ses doutes. Je voyais bien qu’elle avait senti que son histoire d’amour avec Pedro n’était en fait due qu’à son effort à elle.


J’ai eu la chance de rencontrer un homme normal (pour moi) dans un endroit normal (pour moi). Je sais bien que personne ne comprend que j’aime un émigré illégal et plus jeune que moi dans une association marocaine où je donne des cours gratuits “ à ces gens-là ”. Mais je ne ressens pas le doute existentiel qui rongeait mon amie en ce moment. Je vis cachée mais mon amour est sain. Bref, Rosa ne savait plus quoi faire, devait elle abandonner une histoire qui avait l’air d’être la même que d’autres 500 histoires “ copiées collées ” de la discothèque L’Imperator, ou devait elle se confronter, de nouveau à la solitude la plus notoire à 45 ans ?


Le pont du 1er mai : êtes-vous rock and roll ou pas ?


Deux jours de fête, le bonheur.


Les filles partent chez leur père et j’avoue à voix basse mon bonheur d’être seule. Enfin, presque. Shakir reste avec moi, il n’a qu’une journée de libre mais nous avons décidé de la passer ensemble. Au lit tout simplement. Je lui ai proposé de passer la journée au lit. Le vrai repos. Sans filles, sans bruit, sans cuisine, sans vaisselle, sans faire des kilomètres inutiles histoire de partir pour partir. Je n’avais jamais fait ça de ma vie, et l’idée me plaisait .Il est arrivé le matin, je venais juste de me laisser mes loupiotes à la gare et je lui ai fait un café. Il n’a jamais bu le café. À ma grande surprise il m’a littéralement jetée sur ses épaules comme un sac à patates et m’a jetée sur le lit. Peu de temps après, je roulais ma tête sur son épaule. À moitié dans les vaps. J’ai passé une grande partie de la journée à parler avec lui de tout et de rien (il n’y a pas que le sexe, ne soyez pas vulgaire, je vous vois venir !). Bref le délice, d’être dans ses bras pendant des heures interminables, de me coller à sa peau, ... jusqu’à ce que je me rende compte de l’existence d’un martèlement. Qui s’amuse à taper avec un marteau nom de Dieu !


Shakir se met à rire :


- C’est le voisin, l’ami de ton amie.

- Quoi ? Mais c’est fête aujourd’hui ! Qu’est-ce qu’il fait avec son marteau ?

- Il répare quelque chose, un meuble ?


Nous dûmes nous rendre à l’évidence, ma pause Shakir allait être brutalement interrompue. Le gnome de ma voisine a tapé avec son marteau pendant toute l’après-midi et j’en suis arrivée à la conclusion qu’il fabriquait une cuisine entière ou une salle à manger en kit, minimum.


- Je ne comprends pas, il n’a rien à faire d’autre ? C’est fête enfin !

- Si elle n’est pas là, il veut lui faire une surprise ?

- Shakir, elle est avec lui, et pour être exacte, devant la télé pendant qu’il fait exploser son fichu marteau dans ma tête !!!


Je continuai à râler en me demandant pourquoi ma chère voisine ne pratiquait pas d’autres petits jeux avec son ébéniste de troisième catégorie, je commençai vraiment à grincer des dents mais Shakir s’est empressé de me faire oublier ma mauvaise humeur à sa manière... tu peux toujours marteler toi le charpentier, tu ne sais rien faire d’autre...


Le 9 mai 2006 : amour ou compte en banque ?


Juan au téléphone avec Chloé.


- Salut Chloé, tu vas bien ? Les dernières nouvelles du front, ma tante Mercedes est arrivée hier dans la matinée comme une bombe. Elle a commencé à faire des couchis couchis à basse avec ma mère.

- Des couchis couchis, non Juan ! On dit des messes basses.

- Bon, tu veux savoir ce qu’elles ont raconté ou pas ?

- Oui, bien sûr. Allez, parle !

- Ben voilà, je me suis scotché derrière la porte de la cuisine. Ma mère comme d’hab préparait un de ces pots au feu du dimanche qui sent…

- Juan, allez parle !

- Eh la miss, je fais le poète pour une fois, tu pourrais me laisser faire, pffffffffffff. Bref elle cuisine et ma tante parle.

- De quoi ?

- Ben ma mère était toute bizarre, elle disait qu’elle était retournée à l’Imperator, c’est quoi l’Imperator au fait ?

- C’est la discothèque où elle a rencontré son gnome.

- Son fiancé, Chloé, son fiancé.

- Arrête de faire la fine bouche et continue.

- À vos ordres ma petite dame. Bon bref, elle commence à expliquer qu’elle a peut-être mal fait, elle a des remords, elle n’est pas trop sûre de son coup, quoi.

- De quel coup ?

- Ben, de Pedro, elle n’est pas sûre que son Pedro, ce soit le bon, quoi

- Ah bon ? Elle fait marche arrière ? Je ne peux pas y croire…

- Ouais, moi non plus. Mais alors j’en connais une qui est sûre d’elle ! Ma tante.

- Ta tante ? Ah bon ?

- Ouais, mais je te signale que ma tante, elle est casée et bien casée.

- Et alors, je ne vois pas le rapport.

- Ben si. Elle s’est mariée avec un senior de 200 ans plein aux as, un millionnaire. Tu sais, tous les super gadgets de la maison, les belles fringues de ma mère, le dernier portable avec tous les bip bip inclus, ça vient d’où ? De ma tante. Les vacances, les petits séjours à la station balnéaire, ma tante. Les soins super chers pour ma grand-mère, les meilleurs médecins, ma tante.

- Oui, je vois, son argent arrive jusqu’à chez vous.

- Ouais ma belle, alors forcément, elle voit ma mère avec son Pedro, ben elle raisonne pareil quoi, il peut la maintenir, ils paient qu’un seul loyer au lieu de deux, bref il la maintient, comme une cocotte mais en légal quoi.

- Mais qu’est-ce qu’elle a dit Mercedes ?

- Qu’elle arrête ses bêtises et ses remords à la noix et qu’elle s’accroche à son bonhomme. Elle lui a fait du chantage irréel...

- Chantage émotionnel, Juan, émotionnel.

- Ouais, c’est ça, dans le style : « Tu te rends pas compte, à ton âge tu ne pourras jamais te recaser, tu as déjà 45 ans, tu es encore potable alors ne fais pas l’imbécile. Tu as un fils, il a besoin d’une image paternelle, d’une présence masculine dans la maison et d’une sécurité économique. Écoute Rosa, ton loyer, comment penses-tu payer ton loyer ? Le gouvernement n’a rien dit, pas de subvention pour le moment, c’est plein tarif pour toi, même si tu es veuve avec un fils ! »

Tu vois le topo ma Chloé ?

- Ce n’est pas vrai, elle lui a sorti le grand jeu ?

- Exactement, et ça a marché.

- Comment tu le sais ?

- Ben parce qu’elles ont un point en commun les deux, figure toi.

- Lequel ?

- Le confort avant tout, les charentaises.

- Mince, j’espère que je ne ferais jamais ça dans ma vie.

- Si ma belle, si tu es dans le besoin, tu le feras, comme elles le font toutes.

- Arrête Juan, fais pas ton macho ! En plus, toutes, c’est pas vrai. Toutes non.

- Ah oui ? C’est qui la perle rare ?

- Catherine, ma mère.

- Si tu le dis.


Mardi 8 mai : Cuisine pakistanaise à domicile,


Courses au supermarché, 3 procès ce matin, journée marathon !


Ce soir, nous avons dîné pakistanais. Shakir m’a téléphoné ce matin, j’étais sur le point d’entrer en salle d’audience et il m’a dicté en catastrophe les ingrédients à acheter pour ce soir, alors que j’avais en même temps en stéréo les extraits de la liste des droits de mon détenu lus par l’avocat. J’étais coincée entre les droits de mon détenu et les épices indiennes, entre la prison conditionnelle et les effluves du curry… Il allait cuisiner mais n’avait pas le temps de faire les courses. J’ai tout noté sur ma main je n’avais plus de papier disponible et ensuite il m’a donné des consignes qui m’ont arraché une crise de fou rire que j’ai dû retenir tant bien que mal :


Je devais préparer une marinade pour les cuisses de poulet, dans la mesure où les cuisses devaient tremper pendant 4 heures dans ladite marinade, (oui Maître je lis ses droits au détenu, tout de suite !) je devais le préparer dès mon arrivée à la maison. Ah cette marinade, ce qu’elle m‘a fait souffrir : il faut mettre dans un grand bol un petit morceau de gingembre (comment l’avocat est là et le juge n’est pas encore arrivé ?), l’écraser en pâte et le mélanger avec 3 ou 4 gousses d’ail. Du jus de citron, des épices préparées tandoori Masaala et un yogourt battu avec une cuillère. Ensuite il faut faire tremper les cuisses de poulet dans la marinade. 4 heures. J’ai demandé à Shakir ce que l’on fêtait, il m’a donné une réponse que je ne peux pas reproduire ici (il se débloque mon travailleur immigré !!!), bref, quand je me suis retrouvée devant le juge, coincée entre l’avocat et le détenu, je sentais déjà les effluves du masaala, et m’imaginais déjà les vertus intéressantes du gingembre sur ma vie privée.


Shakir n’était toujours pas là à 20 h 30, je commençais à m’arracher les cheveux. J’ai eu une journée épouvantable à la Cour d’Assise et je suis rentrée très tard, avec une faim de loup. Pour calmer mes nerfs, j’ai demandé à Chloé de mettre la table, ce qu’elle a fait en râlant et en traînant des pieds. Je sais qu’elle le fait pour imiter sa grande sœur mais que dans le fond, l’arrivée de Shakir et ce repas aux parfums exotiques attisaient sa curiosité.


Moi de mon côté, je commençais à lorgner méchamment les cuisses de poulet mais l’odeur qui se dégageait du bol avec la sauce était tellement séduisante que je m’imaginais déjà le goût grillé des cuisses sortant fumantes du four avec ce ménage explosif de gingembre et d’ail. Hmmm, insupportable.


Je commençais à préchauffer le four, quand Shakir est arrivé. Comme d’habitude, grand, élancé et rieur, bref pas inaperçu. Chloé lui a sauté au cou quand il est arrivé dans le salon, chose à laquelle ni lui ni moi nous nous attendions. Que se passe-t-il dans la tête de ma petite Chloé ? Il y a donc encore beaucoup de choses qu’elle ne me dit pas, car j’en déduis qu’il y a eu une petite révolution dans sa tête. Béatrice ne sort pas, bien sûr. Elle dit juste bonsoir à Shakir mais rentre en prétextant un “contrôle très très important” sur la science de la vie et de la terre et de je ne sais trop quoi.


Je n’insiste pas, sur les conseils de Shakir.


Nous sommes les trois dans la cuisine. Il se met un tablier autour de la taille et sort un grand plat du four : il dépose minutieusement les cuisses, une par une. J’adore Shakir car il ne me dit rien concernant la marinade. Je ne sais pas si elle est bien faite, mais il ne vérifie même pas. Noble attitude. Mon Dieu que j’aime cet homme, comment puis-je avoir une telle chance ? Moi qui ne croyais plus en rien… il arrose toutes les cuisses, une par une, avec le reste de la marinade et pose le plat au four. Le ferme. Met le thermostat à 160 degrés. Il me dit : nous avons 40 minutes pour nous détendre avant de manger. Il garde le tablier. Chloé sort des verres de cognac, quand Shakir débouche une petite bouteille de champagne, une mini bouteille de Moët et Chandon ! Il sait que je suis une fan du champagne, c’est la seule boisson qui ait grâce à mes yeux et arrive à me faire voir la vie en rose. Mais je sais que sa religion lui interdit l’alcool, ce qui rend son geste encore plus noble. Du coup, ma petite Chloé, innocente, sert le champagne dans les verres à cognac ! Qu’importe la coupe, pourvu qu’on ait l’ivresse. Shakir me fait signe de ne rien dire, et je lui obéis avec un petit sourire. Finalement, nous portons un toast. Cela fait longtemps que je ne me suis pas sentie aussi bien, avec l’homme de ma vie (excellent cordon bleu s’il vous plaît) et une fille sur deux…


Le mercredi 10 mai 2006 : les interprètes font des interprétations.


Réveil agréable, souvenirs de la cuisine de Shakir et du reste…


Je ne travaille pas ce matin, cela me met dans un état insupportable. La maison est vide, mes deux filles sont au lycée français, Shakir est sur son chantier et je ne peux pas le joindre, il n’y a pas de réseau... bref, je me sens seule et abandonnée dans mon petit salon avec rien à faire. Je pourrais faire le ménage mais franchement je n’en ai aucune envie. Je traînasse et me mets à ordonner tous les papiers qui bâillent sur mon bureau. Tout à coup, j’entends mon portable vibrer. Ça ne peut pas être la Société qui m’envoie à un procès, il est trop tard, donc qui est-ce ? C’est mon amie Nuné, interprète depuis des années déjà. Nuné est arménienne et parle en tout 6 langues. À ses côtés avec mon petit français et mon petit anglais, je fais pâle figure.


Nuné a mon âge et a de graves problèmes avec son mari, c’est un Arménien, donc j’imagine avec quelle espèce de brute caucasienne elle vit depuis 20 ans... mais elle est très traditionnelle, du genre servile et ne divorcera jamais. J’ai parlé des heures avec elle et elle n’évolue pas. Elle stagne. Elle me propose de me voir pour dîner ensemble car elle est à Barcelone aujourd’hui, ce qui est rare. J’accepte illico, vu mon désœuvrement.


Je file prendre le 41 qui me laisse devant la porte même des Tribunaux, ce qui est un énorme avantage. J’ai toujours détesté le métro, même si c’est plus rapide, car j’arrive au Tribunal en nage ; je n’ai aucune envie d’être en sueur quand je me retrouve devant un Juge. Nous nous retrouvons devant un bar qui est juste derrière les Tribunaux, et donc la clientèle est souvent constituée d’avocats et de leurs clients.


Nuné arrive accompagnée, à ma grande surprise, d’un autre interprète, Marcial. Je suis très contente de le voir, je tombe rarement sur lui. Marcial est Cubain, il a donc cet accent charmant quand il le parle, c’est un pur plaisir de l’écouter. II est adorable, même quand il ne l’est pas ! Marcial a lutté pendant quatre ans pour faire venir sa famille de Cuba en Espagne. Il a beaucoup de courage mais il y est arrivé. Il prépare une thèse doctorale sur la traduction en chinois, car Marcial a ceci de particulier : il est interprète de chinois. C’est donc un personnage haut en couleurs dans la profession, chaque fois qu’un agent de justice appelle l’interprète de chinois et qu’il se présente, tout le monde rigole : on s’attend à un bridé et on se retrouve devant un cubain, bien noir foncé !


Nous commandons un sandwich rapide et deux salades et la conversation va bon train. J’ai toujours été surprise par le côté concierge des interprètes, ils passent leur temps à dire du mal des autres, on dirait vraiment la petite école. Tout le monde critique tout le monde, j’avais déjà vécu ça quand je travaillais dans des bureaux mais là vraiment ça me dépasse. La conversation prend un tour dangereux sans que je ne m’en rende compte. On parle, ou plutôt ils parlent, moi j’écoute, je suis trop occupée à lutter contre les feuilles de salade pour parler. Et on parle d’un interprète de langue ourdou qui travaille depuis longtemps dans les Tribunaux. Marcial rigole à voix haute car cet interprète de langue ourdou, Faraaj, revient d’un voyage d’un mois au Pakistan.


- Et il est allé faire quoi au Pakistan ? demande Nuné.

- Préparer son mariage. Il a vu la famille de sa fiancée et tout le tralalala.

- Se marier ? Les mariages sont arrangés ?

- Eh oui, c’est le Pakistan, qu’est-ce que tu crois ?

- Quelle bande de sauvages, comment est-ce que ça peut encore exister de nos jours ?

- C’est séculaire, rien à faire.

- Mais Faraaj est un type moderne, il est jeune non ?


Et là, je n’entends plus rien, je sais qu’ils continuent à parler mais je n’entends plus. Je me suis étranglée avec la feuille de salade, j’ai de la brume plein les yeux, je ne vois plus, je n’entends plus. Mon cœur bat la chamade, j’ai l’impression qu’il va exploser. Pakistan, oui et alors ? Est-ce que tous les Pakistanais sont les mêmes ? Faraaj a ses papiers en règle, travaille comme interprète et possède trois supermarchés à Barcelone, est-il obligé de se soumettre aux coutumes séculaires de sa famille ? Il a le choix que je sache, il peut dire oui ou non. De plus il vit à des milliers de kilomètres de sa famille, rien ne l’oblige alors ? Quand je pense à Shakir, il est loin, il n’est pas libre, pas de papiers, il a la même religion, l’islam et pourtant lui, il a choisi : non aux coutumes, non à la pression familiale et pédale douce sur la religion. Il a décidé de vivre et d’aimer une blanche, non musulmane comme il le désire. Seulement voilà, il ya les autres. Ceux qui parlent, ceux qui commentent, ceux qui vous jugent. Marcial juge, alors qu’il a dû fuir son île pour vivre, non ? Nuné juge, mais elle a dû partir de l’Arménie car elle étouffait sous le poids des traditions et de la famille. Elle subit même les violences physiques de son Arménien de mari. Alors, à quoi joue-t-on exactement ? Les larmes me montent eux yeux, j’invente un prétexte minable et je me jette dans le premier taxi, retrouver la solitude de mon petit salon, les papiers froissés de mon bureau avec les larmes en plus. J’aurais mieux fait de rester chez moi en robe de chambre…


Lundi 22 mai. : je noie mes soucis dans la cuisine.


Juré j’arrête de fumer. Demain.


Les filles me bousculent pour les vacances. On est fin mai, il faut bien partir quelque part. Mon économie ne me permet en aucun cas un voyage, et les filles partiront avec leur père dans un endroit lointain et paradisiaque évidemment. Je ne peux rien leur offrir, donc moi je resterai à Barcelone pour être avec Shakir qui aura au moins quelques jours de répit.


Je file au supermarché faire quelques emplettes, j’ai décidé de me mettre à la cuisine pakistanaise et pense préparer des légumes en pakoras*. Je vais direction le quartier du Raval qui se trouve au cœur du quartier gothique, endroit adoré des touristes mais habité par une faune marocaine, pakistanaise et autres ; on y trouve les cavernes d’Ali baba de la cuisine étrangère, le quartier est fréquenté par des proxénètes, des prostituées de tout âge et des clients potentiels qui flânent discrètement en attendant de choisir la marchandise. Au moment de prendre le métro je rencontre ma voisine, mon amie la rose :


- Salut voisine, comment va ?

- Ah ne m’en parle pas, Catherine, je prépare les vacances et c’est pas du gâteau.

- Tu penses aller où ?

- Je pars avec Pedro chez lui près de Soria où il a une petite maison. Juan refuse de venir.

- Oui mais au moins tu pars, moi je dois rester.

- Ah oui ? Pourquoi ?


Je n’explique rien à Rosa, elle ne comprendrait pas mon histoire avec Shakir. Comment le pourrait-elle ? Elle peut partir en vacances parce qu’elle a trouvé un type normal, qui a sa petite maison bien entendu. Moi comme je fréquente un immigré des bas fonds et bien couic pour les vacances. Pas de maison. Mon dieu, il aurait pourtant été plus facile de pêcher un thon moyen à L’Imperator, comme tout le monde non ?


Mais non, il faut que je fasse ma difficile, ma compliquée que je me la joue grande et tout et tout.


La conversation me désole et je me sauve. Je vais m’enfoncer dans ce quartier mal famé, où je peux choisir entre des dizaines et des dizaines de supermarchés qui offrent tous les produits asiatiques, exotiques inimaginables pour garnir le palais des gens comme moi, qui recherchent des saveurs différentes, et sont prêts à tout pour y arriver. Il serait tellement plus simple de me contenter d’un simple poulet frites, non ? En plus, c’est le plat favori de mes deux monstresses alors pourquoi me compliquer la vie ?


Jeudi 1 juin Saturday night fever avec Shakir.


J’ai arrêté de fumer, je vais prendre du poids, quelle horreur...


Ce soir, soirée cinéma. Shakir m’a montré un prospectus concernant un film hindou qui passe seulement ce soir au cinéma Renoir qui est spécialisé dans les versions originales. Je ne connais rien au cinéma hindou mais j’ai entendu parler de la sublime actrice indienne ex miss univers qui est la reine du cinéma de Bollywood. Elle a la peau blanche et de magnifiques yeux clairs avec une longue cascade de cheveux noirs. Bref, une déesse. J’ai envie de partager ce petit bonheur avec lui et j’accepte. J’ai demandé aux filles de se tenir tranquille (traduction ne brûlez pas l’appartement, ne vous crêpez pas le chignon, ne cassez pas la vaisselle et ne vous déchirez pas pour la télécommande mes petites sorcières, s’il vous plaît…). Je finis ma journée de travail sur les rotules, en maudissant ces avocats qui se font attendre pendant des heures, pour finir par parler quelques minutes, s’enfuir aussi vite qu’ils sont arrivés et laisser le détenu complètement désemparé avec l’interprète, c’est à dire bibi. ll y a vraiment des moments où je voudrais donner ma démission pour ne plus voir tous ces professionnels qui sont tout, sauf des professionnels.


J’arrive à la maison en catastrophe, je me douche avec de l’eau glacée, histoire de me rafraîchir le corps et la tête. J’ai rendez-vous avec Shakir. La nuit, le soir, moi qui ne sors jamais. Que dois-je me mettre ? Une robe noire, la classique, celle qui passe partout ? Et du parfum ? Des boucles d’oreilles, oui allez hop je mets le paquet.


Je me maquille, deux couches de rouge à lèvres et puis je me pose là dans le salon. Béatrice et Chloé sont là : les deux attablées en train de faire leur devoir. Évidemment, comme je sors, elles jouent les petites files modèles, je crois rêver. Béatrice me lance un regard méprisant et hautain :


- Tu vas où comme ça ? Au carnaval ?

- Merci, toujours aussi aimable, je vais au cinéma figure-toi.

- Pourquoi tu te déguises ?

- Bon, Béatrice, ça va !

- Maman, écoute-moi. Mets un jean et une chemise blanche toute simple et enlève la moitié de tes peintures de guerre.

- Mes peintures de… ?


Là, ma douce et tendre fille retourne comme si de rien n’était à son contrôle de je ne sais pas quoi et m’ignore totalement. Ahurie, je cherche du regard le secours de Chloé qui m’accompagne dans ma chambre, me sort mon jean et une chemise blanche toute bête et toute simple. Elle me sourit, ne dit pas un mot et retourne à internet où elle replonge tranquillement.


Devant la détermination silencieuse de ces deux sorcières, que faire ? Je me change, je me rends compte que je suis beaucoup plus à l’aise comme ça et toujours, suffoquée, je pars à mon rendez-vous. Sacrées loupiotes !


Je me retrouve devant le cinéma où il y a foule. Je ne savais pas que ce cinéma attirerait autant de monde et en plus un jour de semaine. Il y a des couples Pakistanais, des groupes d’amis Pakistanais et des Espagnols et Catalans qui se rejoignent pour voir ce film. Je me rends compte de la vie nocturne qui existe pendant que moi je suis généralement toute seule devant la télévision ou en train de dormir. Pendant ce temps, il y a des gens qui sortent, qui vont au cinéma, qui prennent un verre après pour commenter le film, c’est fabuleux. Il y a autre chose à faire dans la semaine, après les obligations familiales et professionnelles, même un jeudi. Et c’est Shakir qui me le fait découvrir. C’est la meilleure. Je le retrouve. Il est là devant moi. Toujours aussi grand, aussi bel homme et je me surprends à l’observer comme si c’était la première fois que je le voyais. Mon cœur bat la chamade. Je me rends compte à ce moment que je suis complètement amoureuse de lui. Jusqu’à la moelle (expression de Béatrice, je n’aurais jamais inventé une expression pareille). Je le vois, je fonds, il n’a pas besoin de parler, juste son sourire me suffit. Nous rentrons dans la salle main dans la main, combien de temps s’est-il écoulé depuis la dernière fois qu’un homme m’a pris la main ? Je devais avoir 17 ans. Ça fait un bail. J’ai passé les plus belles années de ma jeunesse, qui s’est enfuie maintenant, à ne pas avoir une seule main masculine agrippée à la mienne. Il faut de toute urgence rattraper le temps perdu, toutes ces années, mon Dieu ! Il y a donc une vie possible à mon âge, à plus de 40 ans ?


Lundi 5 juin - Shopping chez Pronuptia.


Coup de fil impératif de Rosa. Je suis en plein ménage et je décroche le téléphone avec les gants de la vaisselle. Rosa parle vite et me laisse à peine le temps de saisir ses paroles. Rendez-vous cet après-midi à 17 heures au centre ville. Devant Pronuptia, le big magasin des robes de mariées. J’en perds le souffle et un de mes gants de cuisine tombe par terre : Rosa va se marier, ce n’est pas possible, j’ai dû mal entendre, et mariage en blanc s’il vous plaît. Je m’assois, c’est trop fort pour moi. Chloé arrive à ce moment-là dans la cuisine et me demande :


- Qu’est-ce que tu as maman, tu es toute blanche ?

- Rien. Juste que je dois aller chez Pronuptia.

- Quoi ? Tu vas te marier ?

- Non, mais non, pas moi, Rosa !

- Ouf, tu m’as fais peur !


Et elle repart, la gredine, sans rien me dire, sans même me consoler. C’est un coup très dur pour moi ce mariage. J’allume une cigarette, toujours avec mon unique gant de vaisselle et je réfléchis. J’ai toujours dit à Rosa de se méfier de ce genre de discothèque où elle a pêché son futur boulet, Pedro la limace. Et voilà le résultat, non seulement je passe pour une empêcheuse de draguer en rond mais je dois constater qu’elle a peut-être eu raison et que je vais, en prime, probablement être invitée au mariage ! Mon Dieu, dites-moi que ce n’est pas vrai. J’ai même envoyé un texto à Shakir, on dernier recours. Que pensera-t-il lui, de cet imbroglio pseudo romantique ? Il me répond :


- Very happy for her. Congratulations.


Non Shakir, pas toi, tu ne vas pas me faire ça ! Je compte sur toi pour m’aider à la démolir, cette fausse histoire romantique, cette femme qui s’achète un mari de troisième catégorie dans une discothèque pour minables. Pas toi Shakir, si je t’ai connu dans un endroit bien plus honorable, aide-moi à la sortir de là avant qu’il ne soit trop tard, je t’en prie, ne défends pas ce genre de farce. Mais je dois me rendre à l’évidence : Shakir a raison. Elle se marie, elle est heureuse, il faut partager son bonheur, même si tu n’es pas d’accord avec elle, tu dois partager son émotion et sourire. Alors, je vais sourire. Je me regarde dans un miroir de poche, je fais quelques essais et après le énième, j’arrive à friser la perfection avec un sourire du style : comme-je-suis-heureuse-pour-toi, que je n’aurais jamais imaginé…


Je me retrouve avec un nœud à l’estomac plus gros que mon estomac devant la boutique maudite. J’essaie une dernière fois mon sourire de fantoche mais il ne sort pas. Tant pis, on verra bien. Rosa arrive en retard, comme toujours accompagnée de ses amies : Marta l’Argentine, Céleste la fille de Santo Domingo et Gloria sa jolie sœur. Nous rentrons toutes dans la boutique en caquetant comme des poules toutes en même temps. Je joue le jeu, il faut bien. Rosa avait déjà essayé des robes et en fait en avait choisi une qui devait être retouchée.


Je reste baba devant tous les modèles de robes qui se déploient sous mes yeux. Marta s’amuse comme une petite fille mais elle sait qu’elle ne se remariera jamais. Céleste fait triste mine car elle a complètement raté son futur mariage et est en pleine procédure de divorce, elle qui rêvait de la robe blanche et de l’église avec tout le tralala. Je me sens plus proche d’elle en ce moment car je sais que jamais je ne me remarierai. Je suis donc dans cette planète robes meringues comme une Martienne qui aurait atterri là par erreur et reste par simple curiosité. Mais je sens les papillons dans mon estomac qui me démangent et ce n’est pas très agréable. Mon angoisse explose quand je vois sous mes yeux des lignes et des lignes entières, tels des soldats au garde à vous, de robes immaculées, parfaites, rigides, qui n’ont pas encore servi, mais qui ne demandent que ça : devant mes yeux défilent des corsets de toutes les tailles, des dentelles transparentes ou pas, des laçages de dos dont j’ignorais l’existence, des volumes princesses (que quelqu’un m’explique si une princesse peut avoir du volume ?), des broderies en folie, des impressions florales (drôles d’impressions...) Je me remets à peine de tout ce déploiement quand je regarde discrètement (donc tout le monde m’a vue) le prix indiqué sur les étiquettes : rien en dessous de 3000 euros ! Non seulement vous êtes confrontées à des myriades de jupes taille basse, de corsets translucides, de tulles en folie, de jupes froufrouteuses, de mousselines envahissantes, de couleurs vieux rose anglais, de pampilles d’organza (me rappeler de chercher dans le dictionnaire le sens exact de ces deux mots !), de plumes d’autruche (mon truc en plume pendant un mariage !). Mais il faut en plus vider son compte ne banque suisse pour s’offrir tout ce luxe inutile. Comment Rosa, ma si simple et douce Rosa a-t-elle pu en arriver là ?


Elle s’est prise au jeu petit à petit et maintenant qu’elle a bien trouvé un ébéniste (avec son propre atelier s’il vous plaît) à son pied, elle se la joue grande en organisant un mariage de conte de fées. Mais si toi tu n’es pas une fée, lui il est loin d’être le prince, il ressemble plutôt au crapaud, mais sans les pouvoirs : je crois qu’elle s’est trompée de conte de fées.


Cette boutique sent l’imposture à plein nez. Comment peut-on associer l’amour entre deux personnes avec tout ce marketing ? Toutes ces robes de mariée et les 1000 accessoires soi disant indispensables qui vont avec sentent la simagrée à 10 kilomètres. Comment ne se rendent-elles pas compte ces pauvres femmes ? Quelle pantalonnade !


Et là, tout d’un coup elle arrive, la robe du siècle que portera ma voisine qui a vraiment pris un coup sur la tête. D’abord j’essaie de deviner de quel tissu est revêtue la bête : il y a du crêpe, ça je crois reconnaître, et de la mousseline bien sûr comme toute meringue qui se respecte. La mousseline déborde de partout, en haut un peu au milieu et en bas, comme un serpent qui enliserait toute la robe... un ruban de satin montre le bout de son nez, mais de quel satin s’agit-il, je vous le donne en mille : car la couturière me fait comprendre, ô mortelle parmi les mortelles, qu’il existe le satin de chine, le satin changeant (eh oui), le satin de Lyon, le satin duchesse (essayer de prononcer pour voir ! Salutations à madame l’archiduchesse...). Bref, du satin. Pour le reste je sèche lamentablement et la couturière m’explique : que la robe est aussi composée (je pense soudain à un énorme sandwich végétal d’au moins 10 couches de mayonnaise avec beaucoup de n’importe quoi entre les tranches mais toujours immaculément recouvert de mayonnaise), de taffetas et de tulle (à la mayonnaise ? de guipure (c’est quoi la guipure ?) et d’organdi (à la mayonnaise je suis sûre que c’est plus facile à digérer...). La couturière me toise de haut, elle pense que je n’ai rien compris, la pauvre. Comme il s’agit d’une robe solennelle (un mariage solennel donc, My God) la robe doit être longue avec une traîne (je ne traînerai pas longtemps à faire un jeu de mots douteux hahahahaha) et des étoffes dites précieuses : la soie et la dentelle.


Je demande à ma copine (la couturière, je commence sérieusement à éprouver un réel engouement pour elle tellement elle m’épate) quelle est la différence entre une robe solennelle et une autre. Elle me prend par le bras (avec une certaine poigne je dois le dire) et me dit :


- Voilà la différence.

- Heu, je ne vous saisis pas bien. Que se passe-t-il avec cette robe ?

- Cette robe ne peut pas être solennelle, voyez vous, c’est le modèle cymbeline, c’est un esprit de haute couture (esprit ?). Rien à voir avec la solennelle. C’est une robe fourreau qui met en valeur, comme vous le voyez, les silhouettes élancées.


Je vois effectivement que ma chère voisine a besoin de la robe solennelle car elle ne rentrerait jamais dans un fourreau même de haute couture. Je suis méchante, c’est incroyable. La vendeuse m’entraîne dans sa folie haute couture et j’ai de plus en plus de mal à garder le peu de sérieux qui me reste : elle me met face au modèle cristal avec son bustier sophistiqué, le médiéval qui fait ressembler à une princesse n’importe quelle femelle qui ose se déguiser avec cette robe, le modèle Arielle avec son bustier rehaussé de croisillons. Je me libère de cette nymphomane de Pronuptia et rejoint mes sauveuses qui sont tranquillement en train de fumer pendant que Rosa la divine est montée sur un podium, les bras en croix comme une suppliciée pendant qu’une esclave lui plante des aiguilles partout afin de retoucher la belle solennelle qui en fait des siennes car rien n’est à la bonne longueur : la robe semblait parfaite mais le mannequin a besoin de retouches, ce qui est impossible, n’est-ce pas, alors on retouche la robe car le mannequin, lui, garde ses adiposités et rondeurs mal placées...


Café Di Roma : comment se récupérer du sprint nuptial.


Nous nous retrouvons après deux heures d’essayages devant un café pendant que la modiste s’affaire sur la bête en tulle de la future mariée. Nous parlons de tout et de rien (n’importe quoi du moment que je puisse digérer les références amazone, crinoline, empire, marquise et autres sirènes) mais la conversation commence à tourner vinaigre. À ce moment-là, Gloria aborde le sujet des hommes : Rosa a trouvé le sien, Céleste est en plein divorce donc tous les mâles de la terre sont à guillotiner, Marta a son Argentin qui s’est bien incrusté chez elle, Gloria elle-même est mariée et semble bien dans sa peau donc il n’en reste qu’une au tableau, c’est bibi. Gloria ne me loupe pas :


- Alors Catherine et toi ? Tu es toujours seule ? Pourtant tes filles sont grandes tu pourrais te lâcher un peu, non ?

- Oui, mais bon tu sais, je cours à droite et à gauche toute la journée. Avec ce travail...


L’excuse du travail a toujours été excellente pour moi car je travaille dans les Tribunaux et ceci à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Tout le monde sait que je travaille souvent les week-ends et le vendredi soir, je suis abonnée au commissariat de mon quartier car mon chef sachant que je vis à 10 mn du commissariat en question, n’hésite pas à m’envoyer passer mes vendredis night fever là-bas... donc la belle excuse pour mentir et dire que « je-n’ai-pas-de-fiancé-pas-le-temps ».


Rosa intervient tout à coup (je soupçonne qu’elle sait que je déteste sa meringue de robe et qu’elle va me le faire payer).


- De toute façon, Catherine, comme tu détestes les discothèques et que tu bosses tout le temps, j’aimerais bien savoir comment tu pourrais trouver quelqu’un. Il faut quand même savoir être disponible. Sinon tu finiras par moisir toute seule, fais attention quand tes filles partiront, elles feront leur vie et tu finiras seule… et n’oublie pas que tu as déjà 40 ans…

- Oui, c’est vrai, dit Gloria, tu devrais agir, ce n’est pas bon d’être toute seule.


Et pendant un quart d’heure, j’ai dû supporter les conseils (que je n’ai pas demandés) de mes chères amies (sont elles vraiment mes amies ?) afin que je trouve rapidement (je suis donc si vieille ?) L’âme sœur. Quelle horreur ! Je commence à avoir la nausée, j’ai toutes les robes du magasin qui me remontent à la gorge : la meringue qui me donne la nausée, les aiguilles de la haute couturière qui me pincent le cœur, le taffetas qui me donne des ardeurs d’estomac, les guirlandes de fleurs qui me donnent un haut-le-cœur, les mètres de ruban satiné qui me soulèvent l’âme, bref je vais vomir...


- Écoutez-moi les filles. Je suis ravie de votre intérêt et je vous remercie de votre peine pour moi. Mais sachez que je n’ai besoin ni de conseils, ni de discothèque, ni d’âmes charitables pour s’occuper de mon confort amoureux. J’ai un homme dans ma vie. Et je n’ai eu besoin de personne pour le trouver. D’abord je ne l’ai pas cherché, vous pouvez comprendre ça ? J’ai trouvé sans chercher. Je ne suis pas désespérée et si je l’ai été cela ne m’a pas obligée à faire n’importe quoi pour avoir un homme dans ma vie. Et je vous signale, Mesdames, que je n’ai pas besoin automatiquement d’un homme dans ma vie. Je peux vivre sans. Pas très bien, certes mais je peux. J’ai pu après mon divorce et je ne me suis pas sentie obligée de pêcher le premier venu sur l’autoroute du désespoir. J’avoue que j’y ai pensé, c’est vrai mais je ne mettrai pas en péril ma santé mentale pour un homme. Jamais. J’ai commis des erreurs et cela m’a bien servi, croyez-moi. Alors soyez gentilles, gardez vos conseils et lâchez-moi un peu.


Là-dessus, je me lève et je pars. J’ai craché mon secret sans le vouloir, je ne voulais même pas mentionner l’existence de Shakir et voilà que c’est fait. Il existe, c’est réel, cette fois c’est pour de bon, pour de vrai. Mon tourment secret n’est plus secret, je l’ai lâché aux fauves et il ne me reste plus que le tourment, public cette fois. Ma détresse est à son point fort, je tourne les talons et pars avant de voir la stupeur de ces dames.


Je rentre à la maison en sueur et en larmes. J’étouffe, je jette mon sac sur la chaise et m’écroule sur le sofa. Je me rends compte que j’ai monté un scandale moi toute seule quand personne ne me demandait rien. D’accord Rosa m’a provoquée mais je pouvais m’en tirer avec une jolie pirouette, au lieu de ça je me suis tournée en ridicule. Je me rends compte que je ne peux pas évoquer l’existence de Shakir, il n’existe pas car il ne peut pas exister. Et comment va-t-il exister si je me refuse à accepter son existence, le pauvre je l’enferme dans une geôle comme mes détenus et je ne peux pas le laisser sortir. Quand donc serais-je capable de dire à haute voix : oui je l’aime, il s’appelle Shakir, il est Pakistanais, sans papier, travaille comme un esclave et a dix ans de moins que moi. Je suis séparée et j’ai deux filles. D’accord ?


Styles compatibles : horreur, je suis incompatible à 100%


Le lendemain de ce jour mémorable, j’ai une migraine d’enfer et je me traîne lamentablement jusqu’à la cuisine afin d’avaler un café explosif. Mon sac traîne encore sur la chaise, je le ramasse et je vois un papier qui traîne par terre, tombé de mon sac. C’est une des mille brochures que j’ai prises hier à la boutique des meringues et je jette un coup d’œil : il s’agit d’une enquête faite par ladite boutique pour que les futurs meringués sachent s’ils sont compatibles ou non. La plaisanterie n’a pas de limite à ce que je vois. Je lis le papier en question et je vois défiler sous mes yeux hagards 5 styles de couples :


1 - Le traditionnel, encore que toujours vivace, le style bastion est caractérisé par une nette différence des rôles, pas forcément associée à une hiérarchisation, par une fusion affective très forte, par une volonté de cultiver l’entre-soi plutôt que les contacts avec l’extérieur, réservés de toute façon au seul homme, la femme étant plus volontiers centrée sur la maison. Ce qui prime, c’est la volonté de sécurité et de solidarité.


L’extérieur réservé à l’homme ? Et puis quoi encore ??? C’est du machisme de Néandertal, ce n’est pas vrai ! Même mon Pakistanais qui vient d’un pays macho par excellence ne me laisserait pas dans ma cuisine, je préfère encore mes détenus et mes juges d’instruction !!!


Voyons le deuxième style :


2 - Le style cocon se distingue du style bastion par une fermeture encore plus nette : la cellule familiale est une bulle intimiste et casanière, portée sur la fusion entre les membres du couple, amplifiée par une très faible différenciation des rôles. L’accent porte ici sur la tendresse, le confort, la quiétude.


Mon Dieu ! Une fermeture disent-ils ! Mes filles à moi, elles aiment s’échapper et je les laisse, je sais qu’elles rentrent à la maison avec de l’air frais dans la tête. Alors, les enfermer, non jamais ! Nous sommes quatre mais personne n’est jamais à table avec les quatre, ce n’est pas pour ça que nous sommes plus malheureux... je ne suis pas casanière et je ne le serai jamais, j’aime sortir et bouger comme mes deux loupiotes et dès que je peux je sors avec Shakir ne serait-ce que pour siroter un cappuccino avec lui à minuit un jeudi soir car je sais que jamais il ne sera sur un sofa dans mon salon à une heure raisonnable pour voir ensemble un film nul à la télé. Je ne peux pas me le permettre alors, Messieurs, les wedding planners, vous n’avez pas pensé à mon style à moi, n’est-ce pas ?


3 - Le style associatif : il est marqué par la recherche d’authenticité, l’accent mis sur l’autonomie du “ je ”, la promotion du dialogue interne, de la négociation. Maître mot : la souplesse, afin de pouvoir constamment redistribuer les cartes.


Associatif ? Négociation ? Que signifient ces termes-là ? On parle d’amour ou d’acte notarié ? Quand je traduis des documents juridiques, j’emploie ces mots spécifiques qui sont dignes du monde des avocats, des juges et des notaires. Bref, comme un contrat. Si on parle de contrat, désolée mais il n’y a pas de sentiments, ça ne colle pas. Ce n’est pas un style, nom d’une pipe ! Allez encore deux styles à me digérer et après ça ira mieux, on y va mon kiki !


4 - Le style parallèle, lui privilégie la sécurité, la prévisibilité des comportements. Le tout c’est de se protéger de l’extérieur. À l’intérieur, chacun mène sa vie comme il l’entend, lui dans on garage, elle dans sa cuisine. Si l’on caricature, on pourrait parler d’union de survie.


No comments.


5 - Le style compagnonnage cherche à équilibrer le désir de fusion et l’ouverture. Chaque membre du couple a la volonté de faire destin commun en cultivant des intérêts, des activités conjointes. L’extérieur y est vu non comme une menace mais comme une ressource permettant d’alimenter le dialogue conjugal.


Intérêts et activités communs ? Ah non… J’ai mes activités, Shakir a les siennes. Chacun de son côté. Je n’irai jamais à la mosquée avec lui et il n’ira jamais avec moi dans un bar musical prendre un gin tonic. L’extérieur n’est pas une menace, enfin de quoi parle-t-on ? Hou la la, je ne fais partie d’aucun des cinq styles. Je n’ai pas de style. Je ne rentre dans aucun moule, aucune case pour moi, mon dieu ! Rayer la mention inutile, je suis la mention inutile...


Le 14 juin 2006 : Coup de fil maternel, arrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrgj


Refumé 3-9 cigarettes. Je recommence à arrêter demain, promis, juré.


Date historique, c’est mon anniversaire. J’ai bien essayé de ne pas en parler, d’éviter le sujet, de pratiquer la politique de l’autruche, mais ça n’a pas marché.


Donc je reçois, mille millions de sabords, (j’ai toujours recours au capitaine Haddock en cas de malheur !) un coup de fil de ma mère, Solange.


Avant de parler de cet appel, il faut préciser, afin de bien comprendre que ma mère est un personnage haut en couleurs et en principes. Bourgeoise jusqu’au bout de ses ongles laqués (rose perlé). Impeccablement vêtue de chez Chanel qu’elle appelle souvent par son petit nom, Coco s’il vous plaît. Collier de perles et tutti quanti. Elle est évidemment très déçue par sa fille, c’est à dire ma pomme, car j’ai divorcé alors que j’avais épousé un chirurgien de grand renom, faut-il que je sois bête. Je n’ai pas fini mes études qui auraient pu être brillantes, mais je ne les ai pas finies pour fuir ton emprise, ma Chère Maman… Bref, nous sommes comme chien et chat.


- Allô ma chérie, félicitations !

- Merci maman, c’est gentil mais tu sais je…

- Comment vas-tu ? Et ton travail ?

- Toujours avec mes détenus, tu sais bien…

- Oui, mais tout de même je me demande si c’est vraiment une profession pour toi, ma Chérie. Et les filles, elles vont bien ?

- Oui. Béatrice prépare son bac, elle s’enferme tous les soirs et Chloé est moyenne mais ça va.

- Mmmmmmoui


Quand ma mère commence à marmonner moui, ça veut dire qu’elle va émettre une critique sanglante dans les secondes qui suivent. Automatiquement, je commence à me ronger un ongle, toujours le même.


- Écoute Catherine, vraiment dis-moi ce que tu comptes faire dans le futur. Je ne supporte pas de te voir mener cette existence de bohème, cela fait trois ans que tu as abandonné Jordi, ton mari aimerait bien te revoir un peu, tu sais qu’il vient dîner à la maison dimanche et j’avais pensé…

- Maman ! Non pas ça ! Je refuse de revoir Jordi. C’est fini entre nous, et tu le sais très bien. Et je ne l’ai pas abandonné, nous avons divorcé et d’un commun accord, je te rappelle !

- Ma Chérie (elle ne s’énerve jamais ma chère mère et commence toutes ces phrases par Ma Chérie, c’est insupportable !) Vous pourriez au moins vous voir et parler ensemble, Jordi est prêt à faire beaucoup de concessions et…

- Maman, écoute bien ce que je vais te dire : j’ai refait ma vie.

- (silence outragé)


Elle ne répond pas, donc je pense lui avoir définitivement cloué le bec. Je n’en peux plus de ce monologue, j’ai l’impression d’être revenue en arrière quand j’avais 15 ans et qu’elle me dictait toutes mes conduites pendant que je ravalais mes larmes. Cette fois-ci, j’ai gagné, j’en suis sûre.


- Pardon ? Tu veux dire que…

- Je veux dire, Chère Mère, qu’il y a un autre homme dans ma vie et que je l’aime, lui.

- Et qui est-ce si on peut savoir ?

- Un immigré, sans papiers, plus jeune que moi, ouvrier de son état, ça te va ?

- Catherine !

- Mais je ne plaisante pas, il s’appelle Shakir et il est Pakistanais. Même les filles l’approuvent (enfin l’une des deux).

- Je ne sais pas comment tu peux oser me faire tant de mal… Vraiment tu m’inquiètes, je t’appelle plus tard !


Et me voilà débarrassée de Madame mère mais pour combien de temps. La prochaine attaque sera terrible, zut je m’étais bien décidée à garder mon histoire secrète pour éviter les critiques mais pas moyen, Mon Dieu dans quels torchons me suis je fourrée ?


(Béatrice écoute aux portes)


Et voilà, je ne l’ai pas fait exprès mais j’ai entendu toute la conversation, je devine que c’est Mamie qui a appelé, en fait je veux dire Solange. Ma chère grand-mère qui refuse de vieillir exige qu’on l’appelle Solange. Chloé, ma sœurette a essayé un jour de dire mamie Solange, et ça c’est très mal terminé. Bon, le résultat est là, Maman a parlé. Elle nous a présenté Shakir parce que nous ne pouvons l’ignorer, Chloé à la limite mais pas moi. Je sais reconnaître ces chuchotements au téléphone du style, chut mes filles sont à côté. Pauvre Maman, si elle savait, je crois que j’ai deviné dès le début. Mais ce qui me fait de la peine c’est de la voir là, recroquevillée sur le sofa, la tête dans les mains, elle ne fait le moindre bruit mais je sais qu’elle pleure. Depuis le divorce, elle a pris l’habitude de souffrir en silence, je ne sais pas comment elle fait, moi si je souffre, je dois gueuler, sinon ça ne sort pas. Mais je sais qu’elle le fait pour nous. Je l’admire d’avoir parlé à Solange, même si elle l’a très mal fait, franchement elle aurait dû s’y prendre autrement. Mais avec Solange, entamer une discussion normale est pratiquement impossible, il n’y a qu’elle qui parle et c’est toujours pour donner des ordres, mine de rien avec sa terrible petite phrase qui, comme le dit Maman, ressemble à la sentence d’un juge :


- Mais si je dis ça, c’est pour ton bien !


Il y a vraiment des moments où on aimerait bien que personne ne cherche à faire quoi que ce soit pour notre bien. Ça serait reposant. Bon, trêve de philosophie, ma mère est en larmes et je dois faire quelque chose. Je vais appeler Shakir, je dois bien arriver à trouver son numéro dans le portable de maman, dès qu’elle aura le dos tourné, je l’appelle. Il n’y a que lui qui peut l’aider.


Le 25 juin : comment rater son anniversaire ? Inviter ma mère, succès garanti.


20 h 00. Souper fin aux chandelles, on fête mon gnième anniversaire.


Nous voilà réunis ma pomme, Béatrice, Chloé, la reine mère Solange et Shakir. Il nous a concocté des pakora, un chutney des meilleurs, du pain puri et chapati comme je les aime, un poulet tandoori, bref un festin pakistanais pour gourmets. Je crains fort la levée du sirocco avec ma mère, depuis le dernier coup de téléphone, l’ambiance est plutôt froide, voire glaciale.


- Alors comme ça vous travaillez, Monsieur Shakir ?

- Oui Madame, dans la construction, ce n’est pas ce que je préfère mais j’espère bientôt obtenir mes papiers et faire autre chose.


La conversation, c’est à dire l’interrogatoire s’engage entre ma mère et mon pauvre Shakir, je crains le pire. Mais cet homme a la faculté de rester d’un calme olympien, quelle que soit la situation. Je ne sais pas comment il fait, moi je commence à piétiner et j’avale mon chapati sans le mastiquer, attention aux risques d’étouffement. Il se défend avec calme et sérénité, il n’a pas du tout honte ni de lui ni de moi et je sens ses réponses sortir de sa bouche avec un naturel qui me désarme. Je fais office de traductrice et de temps en temps il me lance entre deux mots anglais quelques mots doux en ourdou que je suis seule à comprendre. Heureusement qu’il pratique ce langage codé, cela me permet de supporter ma mère jouant les juges d’instruction...


- Vous pensez avoir quel futur avec ma fille ? Vous savez qu’elle est beaucoup plus âgée (la vache) que vous et elle ne vous donnera jamais d’enfants. (Maman je te hais, je te hais, que quelqu’un la fasse taire par pitié !)

- Je comprends tout à fait, Madame, mais je sais que je ne peux pas tout avoir. Pour moi, elle est précieuse, unique et le seul fait d’avoir la possibilité de la voir suffit à mon bonheur.

- Mon Dieu, que vous êtes romantique, c’est charmant, vraiment tout à fait charmant. (Rire de gorge).

- L’amour peut-il être autrement que romantique ?


Là, ma mère commence à coincer, il faut dire qu’il y va fort, mon Shakir.


- Maman ! Si tu veux bien, Shakir va chercher le plat suivant, je t’en prie…


Shakir en conservant son flegme habituel (comment fait-il ?) se lève direction la cuisine en sachant très bien qu’il lui est fortement déconseillé de revenir avant 15 mn, le temps que j’étripe l’auteur de mes jours.


Pendant ce temps, j’ai remarqué Béatrice lancer des regards assassins à sa grand mère.


Quand Shakir revient avec son plat de pakoras (dur à cuisiner, j’ai essayé 17 fois), ma mère, les goûta et fit une grimace qui voulait dire : « Encore une chose exotique... » (Ma mère ne sachant pas trop bien différencier le continent africain de l’asiatique, utilise le mot exotique pour tout ce qui n’est pas français pur souche).


Elle s´est contentée de dire “ C’est très exotique, on devrait pouvoir s’y habituer ” Là, il s’est passé quelque chose d´incroyable. Béatrice s’est levée, a fixé ma mère de ses yeux verts revolver et a éclaté :


- Mamie écoute-moi bien : ce que tu viens de faire, de dire, non seulement c’est raciste à un niveau que je ne n’avais jamais vu même au lycée, je te félicite, tu es encore plus naze que mes copains du bahut et pourtant je peux te garantir que leur niveau est en-dessous des pâquerettes. Mais tu vois, le tien de niveau, comment dire, il est au fond de la mer, tout au fond tellement c’est petit, c’est minable, c’est mesquin. En plus, c’est facile hein ? Il est Pakistanais, vulgaire ouvrier, la peau noire, pas de papiers, génial, il a toutes les cartes pour qu’on le détruise en deux minutes, un ennemi facile pour toi Mamie, hein ? Essayer de démonter Shakir jusqu´au bout pour que Maman revienne avec Papa, c’est vraiment pathétique de ta part. Tu radotes ma pauvre et en plus tu n’as même pas l’excuse de l’âge, tu radotes depuis au moins 40 ans...

- Béatrice ! Je ne te permets pas, je suis ta grand-mère...

- Et moi, Chère Grand-mère, je ne te permets pas de ne pas laisser la moindre chance à cet homme qui est le seul à faire sourire Maman. Moi et Chloé, on s’engueule tout le temps, et c’est pas nous qui allons la faire sourire. Quant à notre cher Papa, je préfère ne pas faire de commentaires, cet individu ne s’est jamais intéressé qu’à son travail. Je me suis toujours demandé si on l’avait mis au courant qu’il avait deux filles. Alors s’il y a une personne qui a transformé Maman en une personne qui sourit, qui rit et qui aime la vie alors qu’avant elle était encore plus grise que toi, Chère Mamie, c’est simple : tu le laisses respirer !


Shakir, fixa du regard Béatrice et lui dit.


- Béatrice, ne t’exprime pas ainsi devant ta grand-mère, s’il te plaît.

- Mais Shakir, je te défends ! Elle est ignoble...

- Je sais me défendre tout seul. Et tu dois respecter les personnes qui sont plus âgées que toi.


Béatrice, sur les nerfs, s´enferma dans sa chambre, en n’oubliant pas de claquer la porte !


À ce moment-là, Solange brisa le silence sépulcral qui avait envahi la pièce.


- Eh, bien que fait-on maintenant ? Dis quelque chose Catherine, enfin !


Je la fixai intensément et lui murmurai :


- Je t’autorise à prendre la porte, qu’en penses-tu ?


PS : l’année prochaine émigrer sur une île lointaine pour mon anniversaire.


PS bis : comment expliquer l’attitude de Béa, pourquoi prend-elle maintenant la défense de Shakir, je deviens folle !


Le 15 juin. Chronique d’une rupture annoncée.


Je dois rompre avec lui.


Aujourd’hui, j’ai convoqué Shakir après son travail. Comme il bosse dans le quartier du Raval (les bas fonds de Barcelone, voyez-vous donc), je l’attends vers 20 h 00 dans un café français que j’adore “ Chez madame Jasmine ”.


J’ai découvert cet endroit avec lui au début de notre relation car il est situé tout près de l’association où je travaille comme bénévole. Je fume nerveusement une cigarette, ou deux ou trois, je ne sais plus. Entre le visage surpris de mes chères amies et la xénophobie explosive de ma bourgeoise de mère, plus aucun doute : ma relation avec Shakir est morte, aucun futur, même pas de présent. J’ai donc décidé de rompre avec lui et je n’ai pas la moindre idée de comment le faire : dire non à l’homme que j’aime. Je vais lui montrer les choses telles qu’elles sont après tout, ce n’est pas difficile. Il suffit d’accumuler le nombre de personnes qui désapprouvent notre relation, les difficultés de ses papiers avec le service d’immigration, la différence d’âge, la tête de mes filles (malgré le changement d’attitude inopiné de Béatrice) et ce que diront leurs copines au lycée, bref c’est en fait très facile : quand c’est trop dur, on arrête. En plus, je connais ma mère, elle est capable de faire une campagne d’intox contre Shakir et de me faire passer pour folle afin de ruiner notre histoire. De toute façon, si je dois vivre dans l’amertume continuelle, je préfère encore le laisser libre : après tout il est plus jeune que moi, il trouvera sans doute une autre plus jeune sans la pression familiale qui me poursuit, sans parler de ma voisine. Il aura ses papiers un jour et sera libre. Je ne suis qu’un boulet pour lui. Il arrive, il est déjà là ! Mon Dieu et je n’ai pas fini ma cigarette, je dois puer le tabac, vite mes cheveux, mon bâton de rouge, où est il nom de Dieu, voilà je suis prête !


[…]


Je crois que j’ai dû parler sept minutes, peut-être huit avec un peu de chance en comptant les temps morts. Il a écouté bien poliment (Shakir est un homme extrêmement poli) et ensuite il a articulé :


- Non.

- Comment ça non ? Shakir !

- Non, je t’aime et pour moi il n’y a que ça qui compte. Les autres ne m’inquiètent pas. Ils finiront par changer. Je suis patient et le temps jouera en ma faveur. Tu dois juste être plus calme et attendre, vous les Occidentaux, vous n’avez aucune patience.

- Attendre quoi, Shakir ?

- Que les chiens cessent d’aboyer.


Un long silence. Il m’a regardé intensément, ce regard que je connais si bien, auquel je ne résiste pas, ce regard qui veut dire je t’aime dans toutes les langues, quelle que soit la situation et qui pénètre mon âme, la fait fondre et m’oblige malgré moi à sourire et à lui rendre son regard et je finis par poser un baiser léger comme une plume à l’homme que j’aime et que je n’arrive pas à abandonner.


Allez tous vous faire voir...


Mercredi 5 juillet. Un prétendant sur Internet ? Non, merci.


Conversation par msn (messenger) entre Juan et Chloé


- Salut Chloéuuuuuuuuuuuuu, ça va ???

- Salut. Oui et toi ?

- Je voulais te parler d’un truc... très important...

- Je t’écoute.

- Écoute, on s’entend bien toi et moi, non ?

- Oui, et alors ?

- On pourrait peut-être sortir ensemble, qu’est-ce que tu en penses ?

- Pardon ?

- Heu, je suis clair non ? Tu voudrais sortir avec moi ?

- Tu me demandes ça par Internet ? Je dois me déconnecter, ma mère arrive. Bye.


Fin de la conversation par messenger.


Conversation ultra privée entre Chloé et Béatrice.


- Béatrice il faut que je te parle d´un truc…

- Quoi ?

- Ben... avant... par messenger Juan s’est déclaré il m´a demandé de sortir avec lui. Je l’apprécie beaucoup et tout mais je ne sais pas quoi faire… aide-moi, s´il te plaît.

- Écoute, à ton âge j´ai eu mon premier copain, il s´appelait Marc et c’était un sale *****. Au début, il me plaisait. Il s’était déclaré par messenger aussi. Moi j´ai trouvé cela très marrant. Mais tu sais ce que cela veut dire quand un garçon se déclare comme ça ? Ça veut dire que c’est une poule mouillée, qu´il n´a pas suffisamment de courage pour venir vers toi et te demander face à face si tu veux bien sortir avec lui.

- Mais écoute... toutes mes copines font la même chose et elles sont très bien ! Et en plus, imagine qu’un garçon se déclare face à face à une fille et que celle-ci le rejette, t´imagines pas la honte...

- C´est le risque à prendre ! Quant à tes copines, tu me diras combien de temps durera leur relation virtuelle ? Chloé, il ne faut surtout pas que tu acceptes la déclaration d´un garçon de ce genre, poule mouillée. Tu vas retourner sur le messenger et tu vas lui dire que non. Je le fais pour ton bien mais même s´il te plaît, même si vous sortez, votre “ relation ” ne durera pas bien longtemps...

- Tu pourras venir avec moi à l´ordinateur ?

- Non. C´est à toi de le faire toute seule comme une grande.


Et Béatrice est sortie de la chambre de Chloé. À ce moment-là, je vis Chloé sortir par la suite, l’air triste, je savais pourquoi... mais je ne pouvais rien lui dire car je n’étais pas censée écouter cette conversation.... Je vis Chloé se précipiter vers son ordinateur, afin de provoquer une rupture virtuelle. Après une pseudo déclaration tout aussi virtuelle.


15 juillet : la carte d’invitation, ça sent le roussi, heu, le mariage.


Ouf, il fait une chaleur d’enfer aujourd’hui, je cours déjà à moitié en sueur pour aller jusqu’au Commissariat des Frontières à l’aéroport pour un cas double : un détenu et deux avocats différents. J’ai horreur de ces cas-là : on travaille avec le détenu et un avocat pénal mais comme l’individu n’a pas de papiers en règle, il faut un deuxième avocat d’immigration cette fois. Et la différence entre les deux avocats est de six heures d’attente. À l’aéroport, le service de catering étant plutôt médiocre, il faut prévoir revue, bouteille d’eau (chaude) et biscuits (écrasés) pour cette traversée du désert, mama mia ! Donc je sors en courant d’air de l’ascenseur (pas en panne pour une fois, me rappeler que je dois déménager uniquement pour avoir un ascenseur qui fonctionne !) Quand je vois un morceau de quelque chose de blanc qui dépasse de ma boîte aux lettres ! Comment puis-je recevoir du courrier à cette heure ? Il est tout juste huit heures du matin. J’ouvre la boîte aux lettres et je sors une petite enveloppe. Ça ressemble à une invitation ... My god, ne me dites pas que c’est Rosa qui m’invite pour son... je déglutis avec difficulté, j’ouvre ou plutôt je déchire la maudite enveloppe qui me glisse des mains et oui, nous y voilà : Rosa et Pedro sont heureux de m’inviter à leur mariage le 30 juillet, gna gna gna manquait plus que ça.


Depuis ma dernière conversation avec Shakir, notre relation est au beau fixe. Il m’a offert un bouquet de fleurs que je ne connaissais pas, de l’absinthe citronnelle ! Il m’a expliqué que cette fleur avait une signification spéciale comme toutes les fleurs. J’ai dû la chercher à la maison sur Internet car il a refusé de me le dire, le bougre :


Absinthe citronnelle “ j’éloignerai de vous les méchants ”. No comments.


Je suis toujours anxieuse au sujet de notre situation mais sa calme détermination a fini par me faire craquer : son amour est imperturbable, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il fasse une tempête, il est toujours pareil à lui-même et ses sentiments restent indemnes. La vérité, c’est que je n’ai jamais vu ça. Je n’ai jamais vu un homme qui ne plie pas sous la pression, qu’elle soit familiale, professionnelle, raciste ou autre. Je sais que, probablement, je n’arriverai jamais à comprendre ce qui se passe dans le cœur de Shakir, j’ai bien essayé de le sonder et puis je me suis rendue compte que ça ne servait à rien. J’ai un homme qui m’aime profondément et je le lui rends bien. Aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec lui pour faire un peu de shopping dans un magasin du quartier de Gracia où l’on vend des statues de bouddha, des bougies et des baguettes d’encens aux milles odeurs. J’ai envie de parfumer la maison de ces senteurs, d’allumer des bougies les soirs pour créer un effet plus chaleureux dans le salon et dans ma (notre ?) chambre à coucher... bref cette petite sortie en couple va me faire le plus grand bien.


Conversation téléphonique entre Rosa et sa sœur Mercedes


- Mercedes ?

- Oui, comment ça va ? Que racontes-tu de neuf ?

- Tu as reçu ma carte d’invitation ?

- Oui, pas de problème.

- Tu sais qui j’ai vu hier à Gracia ?

- Non, dis-moi ?

- Ma voisine Catherine et avec son immigré.

- Ah oui ? Le Pakistanais ?

- Oui exactement, la main dans la main comme deux amoureux

- Elle s’exhibe avec lui ? C’est fort quand même.

- Oui, mais ce qui me surprend, c’est qu’il a l’air très amoureux.

- Tu parles, il ne s’intéresse qu’à ses papiers.

- Tu crois ?

- Bien sûr, ils font tous la même chose. Ils séduisent une pigeonne européenne en mal d’amour et le tour est joué. C’est bien connu !

- Mais je ne crois que pas que ce soit le cas de Catherine, c’est une fille qui sait ce qu’elle veut. Elle ne sort pas avec n’importe qui.

- Arrête il a au moins 15 ans de moins qu’elle, c’est une fraude.

- Je ne sais pas...

- Qu’est-ce que tu as ? Qu’est-ce qui te prend Rosa ?

- Je ne sais pas, ils avaient l’air, comment te dire, sincères.

- Et ?

- Tendres, amoureux, quoi.

- Et bien c’est un bon comédien, voilà tout !

- Oui mais moi....

- Moi quoi ?

- Comment te dire... Pedro n’a jamais été comme ça avec moi.

- Comme ça comment ?

- Et bien, la main dans la main, le regard tendre... les gestes familiers des gens qui s’aiment

- Rosa arrête, tu n´es pas une adolescente !

- J’aimerais peut-être l’être alors...

- Arrête ton délire ma belle, tu te maries dans 15 jours, ce sont les angoisses de la veille du mariage, c’est normal !

- Tu crois ?

- Bien sûr. Va, je passe te prendre et je t’offre un cappuccino chez Marco. À plus !

- À plus...


Le bijoutier n’en croit pas ses pierres précieuses.


(Voix off du vendeur de la bijouterie chic située au Paseo de Gracia, en plein centre ville.)


J’ai vu entrer ce matin deux clients pratiquement à la même heure : l’un plutôt chétif, environ 60 ans, assez chauve, très courtois qui voulait une alliance ; l’autre bien plus incroyable était un homme très grand, d’origine indienne ou pakistanaise assez jeune, dans les 30 ans qui voulait une bague de fiançailles. J’ai laissé mon assistant s’occuper du client plus âgé et en me rapprochant le plus près possible de l’alarme, je demande au Pakistanais :


- Bonjour monsieur, en quoi puis-je vous aider ?

- Excuse me, do you speak English ?

- Yes, Sir of course.

- Je recherche une bague avec une émeraude, il me faut une pierre de couleur verte.

- Bien, Monsieur, avez-vous un budget approximatif ?

- Oui, environ 1000 euros.

- Bien, je dispose d’une bague qui pourrait vous convenir mais elle dépasse un peu votre budget car elle est sertie de deux petites émeraudes, malheureusement il ne me reste que celle-ci.

- Bien, cela pourrait convenir, je peux la voir ?


Je montre au Pakistanais géant une superbe bague de 1400 euros que je garde pour les occasions spéciales car les clients préfèrent généralement une seule pierre mais voyante plutôt que deux petites.


- Cette bague est un mariage de finesse et d’élégance entourée de plusieurs diamants marquise et d’une émeraude de Colombie de 7 carats. Une merveille.


Je ne pensais pas pouvoir vendre cette bague. Il a regardé de très près la taille de la bague avec un autre modèle qu’il avait sur lui, une bague fantaisie dont la taille devait correspondre à l’annuaire de la femme en question. Pendant ce temps, je n’ai pas pu m’empêcher de regarder en coin le deuxième client : il a demandé une alliance, donc il se marie et a demandé :


- Je veux juste une alliance normale, classique pour moins de 1000 euros.

- Bien sûr, Monsieur, mais désirez-vous néanmoins voir quelques-uns de nos modèles ?

- Non, ce n’est pas la peine, juste une normale, comme tout le monde, toute simple.


Comme tout le monde ! Sacrilège, il n’y a pas deux alliances identiques et heureusement. Je déteste ce genre de client, il veut se marier mais n’est même pas capable de prendre un peu de temps pour choisir une l’alliance à la femme de sa vie, c’est à vous dégoûter de votre profession. Finalement je m’éloigne de l’alarme, mon client paie cash avec des billets qui ne sont même pas faux. Il a observé la bague avec beaucoup d’attention et m’a demandé une inscription en anglais des plus romantiques : « for my green eyes’s lady. Shakir with love ».


Le 27 juillet - Ma robe pour le mariage ou comment affronter de nouveau le monstre de Pronuptia.


Chaleur d’enfer, 38 degrés l’ombre...


Je dois me forcer, m’obliger, j’ai reçu l’invitation, c’est dans trois jours, mon Dieu, j’ai attendu le dernier moment et maintenant j’ai à peine trois jours pour m’acheter une robe élégante pour le mariage de Rosa et vu qu’elle a mis le paquet, je ne peux pas me présenter avec une simple robette vieille de 3000 ans. Bref je dois faire du shopping et de luxe encore. Aucune envie. Qu’est-ce que ça peut me barber. Les filles sont parties à Mallorca en colonie et ne reviendront que dans quelques jours, personne, pas une âme charitable : je dois y aller seule. Gnyzxxxxghnkkkk...


Une fois douchée avec de l’eau glaciale, je m’envole direction la boutique de luxe où Rosa s’est offert sa belle meringue car je ne connais pas d’autre endroit pour m’acheter une belle robe. Mais qu’est-ce qu’une belle robe me direz-vous ? Je connais trop ces robes longues, avec des falbalas et le châle négligemment jeté sur les épaules qui fait jeu que portent toutes les femmes invitées à un mariage. Mais ce n’est pas mon style. De toute façon, j’avais repéré un modèle tout simple, tout sobre qui fait jeu avec mon état d’âme (simple et sobre). Dans la boutique de Rosa, avec la vendeuse hargneuse qui va avec. J’ai jeté mon dévolu sur cette robe sans rien dire à personne mais l’idée d’affronter le cerbère qui règne dans cette boutique me hérisse le poil. Allons-y.


- Bonjour madame, je peux vous aider ?

- Oui, je voudrais voir une robe toute simple, couleur écru qui était dans un coin, presque cachée...

- Ah madame est une amie de madame Jimenez qui a commandé sa robe de mariée chez nous, n’est-ce pas ?

- Oui, exactement et vous avez toujours cette robe ?

- En principe, nous ne la vendons pas, elle a un défaut de fabrication. Je peux vous montrer d’autres modèles...


Je dois parlementer avec la vendeuse qui s’acharne à me présenter des modèles qui ne m’intéressent pas et finalement j’arrive à lui faire comprendre que je ne suis venue que pour cette robe, avec ou sans défaut de fabrication. Elle est là devant moi, comme si elle m’attendait, toute simple, comme une demoiselle d’honneur de sous catégorie, qui n’aurait pas passé le test de niveau et que l’on a reléguée au fond des cabines d’essayage. J’ai eu le coup de foudre pour elle, elle me plaît, c’est elle, je la veux.


Je sors de la boutique enchantée, j’ai eu la robe avec un discount incroyable (le prix n’en reste pas moins incroyable, n’allez pas croire...). J’attends avec impatience de pouvoir la montrer à mes loupiotes.


Trois jours avant le jour « H ». Nos amis, nos amours, nos emmerdes.


Nous sommes toutes les deux devant un cappuccino freddo sur la terrasse du café di Roma.

Rosa et moi. C’est elle qui m’a invitée, elle a dû se rendre compte qu’elle me tenait un peu à l’écart de sa vie amoureuse, à moins que ce ne soit moi qui me sois échappée de cette guimauve ? Bref, nous voilà toutes les deux, face à face chacune avec son destin sauf que ni l’une ni l’autre n’accepte ni ne comprend le destin de l’autre. Rosa est très nerveuse, normal elle se remarie dans trois jours, il y a de quoi faire une crise de nerfs.


- Alors, prête pour le grand jour ?

- Ne m’en parle pas, je suis dans un état, mais enfin je crois que tout est prêt...

- Finalement tu l’as rencontré où exactement Pedro ? (Je le sais très bien mais j’ai envie d’entendre sa réponse, je suis d’humeur sournoise aujourd’hui)

- Dans une salle de fête, tu sais que j’adore danser (Oui tu veux plutôt dire dans une discothèque pour desperados comme l’Imperator)

- Et toi ? Ton ami tu l’as rencontré où ?

- Dans l’association où je donne des cours comme bénévole. Il était le seul Pakistanais parmi tout un groupe de Marocains, j’ai dû le prendre un peu à part, il se sentait écarté des autres, sinon il ne serait pas revenu.

- Mais vous avez parlé de quoi la première fois ?

- Rosa, la première fois on ne s’est pas parlé, on s’est regardés. Je faisais semblant de jouer à la prof mais on se plongeait dans les yeux de l’autre. Il était tellement différent.

- Moi je n’ai fait que danser avec Pedro, c’était de la folie, toute la nuit on a dansé.

- Quelle chance, tu as de l’énergie à revendre, moi je ne serai pas capable de faire ça (donc vous n’avez pas ouvert la bouche, c’est bien connu dans une discothèque on ne parle pas, n’est-ce pas ?).

- Et le premier rendez-vous, je veux dire le vrai de vrai, tu as fait comment ?

- Écoute Catherine, je ne sais plus exactement le jour que c’était mais je me souviens qu’il m’a invitée à prendre un café et ça faisait trois semaines qu’on allait ensemble danser le samedi soir. Je me souviens que je lui ai parlé de la croisière, s’il voulait venir avec moi pour l’été prochain. Il a dit oui tout de suite, qu’est-ce que j’étais contente !


(Mon Dieu ! le coup de la croisière, j’avais oublié : Rosa avait organisé ses vacances l’année dernière pour partir une semaine en croisière avec son fils Juan, mais il l’a laissée tomber au dernier moment, bien sûr, le gamin avait une petite amie et autre chose à faire que de servir de chevalier servant à sa mère. Ce coup a été très dur pour Rosa et la honte qu’elle a dû passer devant tout le monde en annulant son voyage, je crois qu’elle ne s’en serait jamais remise si elle n’avait pas trouvé Pedro le bon pour partir avec elle, pour faire exactement le même voyage et en plus c’est lui qui paye. Ah la bonne affaire ! Vive l’amour...).


- Quant à moi mon premier rendez vous c’était au café Chez Madame Jasmine, on avait trouvé une excuse bidon : l’élève demande à la prof des cours particuliers. Ce n’est vraiment pas original mais cela faisait trop longtemps que je sentais son regard posé sur moi et j’avais peur que les autres ne remarquent quelque chose. On s’est vus à ce café tenu par Patrick, un homosexuel Français adorable, capable de me servir un thé authentique (les Espagnols n’ont jamais su faire un thé) et un croissant français au beurre s’il vous plaît. Non seulement je me suis payé un vrai petit déjeuner français mais en plus j’avais en face de moi un très beau Pakistanais.

- Allez Rosa, maintenant tu craches la vérité, parle-moi du premier baiser, ça restera entre nous (suis-je traître).

- Hou la la, lui c’est un grand timide (je m’y attendais, un incapable !) C’est pratiquement, moi qui ai fait le premier pas.

- Toi ? Mais, Rosa, les femmes de notre génération ne font jamais ça !

- Bah tu sais très bien Catherine que la plupart des hommes ont besoin d’un coup de pouce.

- Oui sans doute tu as raison (mon œil ! Jamais je n’embrasserai un homme de moi-même, jamais de la vie ! Je sais que Shakir était mort de peur, je lui ai facilité la tâche discrètement mais c’est lui qui a pris mon visage dans ses mains, qui m’a regardée en face et m’a embrassée le plus simplement du monde, je m’en souviendrai toute ma vie).

- Moi je me souviens que nous sommes sortis du cours pas ensemble, mais après que les autres élèves soient sortis, il pleuvait des cordes, il faisait nuit noire et il m’a ouvert son parapluie, un énorme parapluie d’homme, très large et tout noir et que là, sous le parapluie et sous la pluie il m´a embrassée !

- Un baiser mouillé c’est romantique, mais dis-moi Catherine ta famille, elle en pense quoi de ton ami ?

- Pourquoi, parce qu’il est étranger ?

- Ben oui, forcément...


(Ah ma Rosa, tu fais partie des people tellement people que c’en est désespérant, racisme au quotidien, le pire de tous).


- Écoute, ma Rosa, mal, mal et très mal. Mes filles ne l’acceptent pas mais ça commence à changer un peu au moins avec Béa. Dans mon boulot, pas de problème je ne travaille qu’avec des étrangers, tu sais que les interprètes, nous sommes tous de langue maternelle, et la différence d’âge cela fait longtemps que c’est accepté. On me parle tout de suite de Demi Moore, je suis ravie d’être comparée à cette belle actrice. Mais le problème c’est ma mère, intolérance totale, mais que veux-tu, elle a 60 ans, à cet âge il n’y a plus rien à faire...

- Ah je comprends, tu n’as pas de chance (oui alors que toi tu en as beaucoup, je sais, je sais, je sais).

- Mes sœurs sont ravies pour moi, en fait il y a déjà un certain temps qu’elles veulent me caser, mais tu vois je n’ai pas besoin d’elles, j’ai trouvé toute seule et un homme très bien. Mon frère aussi est content mais c’est surtout Mercedes qui jubile. Elle ne me voyait pas toute seule une année de plus, elle regrette seulement que Pedro ne soit pas plus riche mais franchement, il a une bonne situation alors je ne vois pas où est le problème (évidemment Mercedes, ta chère sœur s’est mariée a un millionnaire pour se reposer définitivement et elle a essayé de te caser avec un autre multi millionnaire ami de son mari, vive l’amour ! cette femme est amoureuse du compte en banque de son mari et elle aurait adoré que tu fasses la même chose avec l’autre abruti multi millionnaire, un multi compte en banque, quoi !)


La conversation s’arrête là car après trois cappuccinos, j’ai du mal à croire à l‘histoire de Rosa : pas une trace d’amour dans tout ce magma, mais tout est en règle, ça oui. Pas comme moi. L’amour j’en ai à revendre mais les règles, je les ai toutes transgressées !


Le jour J : meringue party en vue.


Voilà nous y sommes, je suis vêtue de ma jolie, sobre, simplissime robe pour aller au mariage de Rosa. Mes filles m’accompagnent, elles sont jolies comme des cœurs, sauf que Béatrice a trouvé malin de s’habiller dans une robe noire, histoire de se rebeller contre ce genre de “ guignolerie officielle ” comme elle le dit si bien. Chloé est charmante dans une robe à fleurs.


Nous arrivons juste à l’heure, je vois une foule de au moins 200 personnes, mon Dieu pourquoi a-t-elle invité autant de gens ? Des petits enfants enrubannés défilent et courent dans tous les sens, les enfants d’honneur je suppose, les parents des mariés sont présents, raides comme des manches à balai, j’imagine que jamais ils n’auraient pensé assister au second mariage de leur progéniture et qu’ils ont ressorti le beau costume d’autrefois. (Ça sent la naphtaline)…


Je vais saluer Rosa et l’embrasse tout en faisant bien attention à ne pas abîmer son parfait fond de teint, elle qui ne se maquille jamais, mais de toute façon elle me tend sa joue à une telle distance que mon baiser de Judas tombe à l’eau. Parfait. Je serre la main à Pedro le magnifique et je me demande, l’instant d’un éclair, comment a-t-il pu passer d’une soirée glauque de discothèque glauque avec des personnes glauques à ce mariage en grandes pompes et tout le tra lala, quel rapport y a t-il entre les deux évènements, comment fait-on pour les raccrocher ensemble ? Mystère, mystère...


Je me sens complètement perdue, cela fait longtemps que je n’assiste pas à une telle cérémonie, dans quel ordre ça se fait ? On commence par quoi ? Je regarde les invités et me rends compte qu’ils se dirigent tous vers l’église. Donc, on ne commence pas par le banquet, bien sûr, on va à l’église. Je suis le troupeau et m’installe sur un banc vers la gauche, près du mur comme ça au moins je n’aurais personne à un de mes deux côtés. Les enfants d’honneur arrivent en cachant dans leurs poches les pétales de rose et grains de riz qu’ils lanceront à la sortie sur les mariés. Ça me rappelle mon mariage avec mon ex, le riz je l’ai reçu en pleine poire croyez-moi, mais les pétales de rose, personne n’y avait pensé.


Silence sépulcral… Le curé parle. Curé ? Évidemment comme tout bon non croyant, ces deux tourtereaux se sont offert un mariage chrétien avec église en cadeau bonus. Je n’ose pas y croire. Rosa n’a jamais mis les pieds dans une église, elle est aussi mécréante que moi. Le discours du curé m’endort pratiquement, sa voix n’est plus qu’un léger chuchotement, un murmure qui agonise au loin, pendant que je réalise que ma mauvaise humeur permanente n’est due qu’à ma solitude, peut-être même suis-je jalouse en fin de compte ? Mes filles commencent à rire en sourdine, je leur lance mon regard qui tue, mais il y a déjà des années que cela ne fonctionne plus. Béatrice est étrangement calme, cela me surprend, elle me tramerait quelque chose cette petite que ça ne m’étonnerait pas.


Réveillons-nous, les mariés arrivent sur la marche nuptiale de Mendelssohn, mais je me suis tellement coincée contre mon bout de mur que je ne vois rien. Chloé se lève carrément, cette gamine fonctionne au toupet super plus, il n’y a rien à faire. Béatrice ne bouge pas, elle reste parfaitement immobile, elle les ignore. Sacré caractère, ma fille aînée...


Les témoins se placent, tels des acteurs dans une pièce de théâtre et tout peut commencer. Le prêtre semble parler pendant une éternité quand tout d’un coup, c’est l’échange des consentements : le oui fatidique qui t’emprisonne pour de nombreuses années, le oui qui peut te coûter très cher, les avocats sont sans pitié, la liberté que tu peux perdre en une minute, le oui qui devrait peut-être être un non, ou un peut-être ou un laissez-moi réfléchir, le oui que l’on dit pour faire plaisir, pour ne pas blesser, le oui que l’on dit pour ne pas être seul, le oui auquel on n’a pas réfléchi, le oui qu’elle devrait prononcer mais pour un autre.


Après je ne sais plus, je crois que je m’endors debout, assise, enfin je ne sais plus. Chloé pour qui c’est le premier mariage en grande pompe observe tout avec un intérêt débordant, Béatrice se retourne de temps en temps vers la sortie, je ne comprends pas son petit manège. Mais je ne peux pas parler avec elle, je suis bloquée par un chapeau géant garni de fleurs de surcroît d’une dame, corpulente en plus, assise sur la moitié de mon banc et le sien. Donc pas de communication possible. Finalement (ouf) tout le monde se lève et se dirige vers la sortie. Pourvu que je ne reçoive plus un seul grain de riz sur la figure, mon Dieu soyez clément, le dernier est resté dans mon œil et j’ai mis 15 longues et torturantes minutes à m’en débarrasser. J’ai été une mariée guignolesque, un vrai sketch, la prochaine fois j’invite Gad Elmaleh pour qu’il prenne note pour un de ses spectacles.


Bref, je suis coincée donc je laisse tout le monde se vider de l’église. Béatrice s’est dirigée vers la sortie en courant mais je vois qu’elle reste à côté de la porte, je me demande vraiment ce qu’elle fabrique, on dirait qu’elle attend quelqu’un. En effet, quelqu’un entre dans l’église en se faufilant parmi les derniers invités qui eux, sortent. Shakir. Shakir est là dans cette église !!! Mon cœur est à 300 à l’heure, ma tension doit être à 20, je vais mourir sûr, mes mains sont moites, que fait-il là mon Dieu, que fait-il là ? Il est très élégant, tout en noir, dans un costume, c’est à n’y rien comprendre. Je me lève, mes jambes ne me portent pas, je vais tomber et Béatrice s’éclipse, elle part, mais qu’a-t-elle à voir avec Shakir, c’est elle qui l’a fait rentrer. J’ai mal au cœur, il s’approche de moi de son pas tranquille, mais cet homme ne s’énerve donc jamais ? Il est en face de moi. Je déglutis, non même pas, je n’ai plus de salive. Je ne peux absolument pas parler. Il sourit, s’il voulait me faire une surprise, c’est réussi, je suis au bord de l’infarctus, je crois que je vais mourir…


Il sort une petite boîte, non pas boîte, écrin, c’est un é-c-r-i-n, de velours bleu. Mon cerveau fait un court circuit, j’ai le disjoncteur qui saute dans la tête, ça va brûler, appelez les pompiers, mais qu’est-ce que je délire, que fait-il ? Il ouvre l’écrin : et je vois une bague, verte, donc émeraude ou topaze ? Vert c’est quoi ? Émeraude non ? Rubis c’est rouge, ça j’en suis sûre, bleu c’est je sais plus, jaune clair c’est topaze, transparente c’est aigue marine donc c’est une émeraude marine non ? Wjjkkkkghn, je sais plus. Mais il vient de me la glisser à mon annuaire gauche. Mon cerveau est en phase d’encéphalogramme plat, mon cœur est bord de l’éruption, je laisse ma tête contre sa poitrine et me mets à pleurer toutes les larmes de mon cœur. Vert, c’est l’émeraude. Il m’a toujours dit que mes yeux verts lui faisaient penser à des émeraudes…


Si j’avais su que je finirais dans une église, la bague au doigt avec un happy end aussi sirupeux… Susana avec son Roberto à la noix, en serait verte !


Happy end - Happy End - the end


Les charentaises pour Rosa et Pedro : confortables, mais…


Shakir et Catherine reviennent d’un voyage au Pakistan avec mille et une surprises pour les filles. Catherine parle un peu ourdou, et Shakir rigole.


Susana et Roberto se sont finalement mariés et la comtesse a jeté son dévolu sur un beau valet.


Juan après dix échecs sentiments sur le Net a enfin une petite amie bien réelle.


Béatrice est à l’Université de droit et a déjà pris trois cafés avec un étudiant… de New Delhi.


Solange continue de dépenser une fortune en chanel et high cosmétique, mais elle a essayé tous les restaurants indiens et pakistanais de la ville et avoue que c’est tout à fait délicieux.


Chloé observe tout ce beau monde et déclare « ils sont fous ces romains » !



 
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   Bidis   
7/12/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Par moments, j’ai eu l’impression d’être au téléphone avec ma meilleure copine, qui est une pipelette pas possible et me raconte tous les potins de son immeuble : je me laisse bercer, j’écoute à moitié, un mot, une anecdote réveille mon intérêt puis je recommence à somnoler doucement… Cette nouvelle m’a fait le même effet : intéressée, amusée, un peu assommée, mais agréablement…. Je ne me suis pas noyée dans le flot des personnages mais j’ai flotté, portée par cette foule mouvante et jacassante. C'est un peu inintéressant et cependant très gai à écouter, pardon : à lire...

On a droit à pas mal d’expressions malmenées (du genre de celles qui font que ma copine me demande : « pourquoi tu ris ? ») : « dans une autre main qui n’est pas la vôtre» au lieu de « une autre main que la vôtre », « le résultat des courses » pour « résultat des courses », « Mon économie ne me permet en aucun cas…» pour « mes économies », « maintenant qu’elle a bien trouvé un ébéniste à son pied,… » pour « à ses pieds », « tous les produits asiatiques, exotiques inimaginables » pour « imaginables », « donne des ardeurs d’estomac » pour « des aigreurs », « Mon cœur est à 300 à l’heure » pour « bat à 300 à l’heure »… Je me suis demandée si c’était voulu ou non, en tous cas, cela m’a fait sourire.

Par contre, ce qui n’est certes pas voulu, ce sont les répétitions :
- « Les filles se sont bien comportées à table, traduisons en langage chrétien, elles n’ont pas ouvert la bouche. Le boycott, total. Shakir a fait des efforts énormes pour parler aux filles… »
- « Rosa qui n’avait jamais vu de luxe dans sa vie était complètement hypnotisée par cette avalanche de luxe. »
- « …les extraits de la liste des droits de mon détenu lus par l’avocat. J’étais coincée entre les droits de mon détenu et… »
« Alors s’il y a une personne qui a transformé Maman en une personne qui sourit… »
« Je ne suis pas désespérée et si je l’ai été cela ne m’a pas obligée à faire n’importe quoi pour avoir un homme dans ma vie. Et je vous signale, mesdames, que je n’ai pas besoin automatiquement d’un homme dans ma vie »

Une petite confusion de sujets :
« Le pire c’est qu’il n’a pas passé la nuit avec elle, il est parti dans son lit, préférant son confort… » le lit de qui ?

Et une petite invraisemblance :
for my green eyes’s lady. Shakir with love » tout ce texte sur une bague ???

Mais j’ai adoré :
« Mon cerveau est en phase d’encéphalogramme plat »

Et j’ai passé un bon moment. En définitive, c’est cela qui compte, non ?


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